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Le rapport entre accident et monotonie dans le travail
Simone Weill, La condition ouvrière
"J’ai fait un mauvais rêve" par Roger Vaillant
L’Humanité-Dimanche du 11 Mars 1956

-----Message d'origine----- Envoyé : jeudi 9 décembre 2004 23:15
À : multitudes
Objet : [multitudes-infos] Le rapport entre accident et monotonie dans le travail

" La monotonie d'une journée de travail à l'usine, même si aucun changement de travail ne vient la rompre, est mélangée de mille petits incidents qui peuplent chaque journée et en font une histoire neuve; mais, comme pour le changement de travail, ces incidents blessent plus souvent qu'ils ne réconfortent.

Ils correspondent toujours à une diminution de salaire dans le cas du travail aux pièces, de sorte qu'on ne peut les souhaiter. Mais souvent ils blessent aussi par eux-mêmes; l'angoisse répandue diffuse sur tous les moments de travail s'y concentre, l'angoisse de ne pas aller assez vite, et quand, comme c'est souvent le cas, on a besoin d'autrui pour pouvoir continuer, d'un contremaître, d'un magasinier, d'un régleur, le sentiment de la dépendance, de l'impuissance, et de compter pour rien aux yeux de qui on dépend, peut devenir douloureux au point d'arracher des larmes aux yeux des hommes comme des femmes.

La possibilité continuelle des incidents, machine arrêtée, caisse introuvable, et ainsi de suite, loin de diminuer le poids de la monotonie, lui ôte le remède qu'en général elle porte en elle-même, le pouvoir d'assoupir et de bercer les pensées de manière à cesser, dans une certaine mesure, d'être sensible; une légère angoisse empêche cet effet d'assoupissement et force à avoir conscience de la monotonie, bien qu'il soit intolérable d'en avoir conscience. Rien n'est pire que le mélange de la monotonie et du hasard; ils s'aggravent l'un l'autre, du moins quand le hasard est angoissant.

Il est angoissant, dans l'usine, du fait qu'il n'est pas reconnu; théoriquement, bien que tout le monde sache qu'il n'en est rien, les caisses où mettre les pièces usinées ne manquent jamais, les régleurs ne font jamais attendre, et tout ralentissement dans la production est une faute de l'ouvrier. La pensée doit constamment être prête à la fois à suivre le cours monotone des gestes indéfiniment répétés et à trouver en elle-même des ressources pour remédier à l'imprévu. Obligation contradictoire, impossible, épuisante.

Le corps est parfois épuisé, le soir, au sortir de l'usine, mais la pensée l'est toujours davantage. Quiconque a éprouvé cet épuisement et ne l'a pas oublié on peut le lire dans les yeux de presque tous les ouvriers qui défilent le soir hors de l'usine.

Simone Weill, La condition ouvrière, p. 333-334 folio essai


Date: 11 Décembre 2004
Subject: RE: [multitudes-infos] Le rapport entre accident et monotonie dans le travail

Ca m'a fait penser à "325000 Francs" de Roger Vaillant... Et puis en fouinant un peu sur le web, on retrouve ça "J’ai fait un mauvais rêve" par Roger Vaillant

L’Humanité-Dimanche du 11 Mars 1956

J’ai fait un mauvais rêve. L’Humanité ne paraissait plus. J’achetais des journaux, « de l’extrême droite à la gauche » comme on dit dans les comptes rendus de l’Assemblée, et aussi les journaux dits de « grande information ».
J’y lisais que les patriotes d’Algérie, de Chypre, de Malaisie sont des brigands, des hors-la-loi, des terroristes, et que les Français qui ne veulent pas que nos jeunes soldats se fassent tuer pour protéger les domaines des gros colons sont des complices d’assassins.

Je lisais que le gouvernement a bien raison de donner des subventions « aux écoles libres ». Tant pis si les instituteurs sont médiocres et enseignent des balivernes. Un futur ouvrier en sait toujours assez pour se servir de ses quatre doigts. Trop d’instruction favorise l’éclosion des mauvaises idées.

Presque tous les journaux que j’avais achetés approuvaient. Les autres se bornaient à dire qu’il est dangereux de réveiller les vieilles querelles ; mieux vaut dormir en paix. C’était exactement comme du temps de Pétain l’obscurantiste.

Je lisais que la productivité, en créant l’émulation, avait transformé le travail à l’usine en un véritable jeu, une éternelle partie de football, une course au gros lot. Et que les ouvriers de Paris faisaient queue rue Mouffetard pour acheter des dindes, des perdreaux, des oies et des cailles toutes rôties.

Aucun des journaux que j’avais achetés ne protestait. On ne parlait plus de la lutte des classes, ce dogme périmé. La productivité rapporte à tout le monde : un cheval au patron, une alouette à l’ouvrier.

Je lisais que le paysan français se réjouissait d’arracher ses vignes et de planter des pommes de terre à la place. Il touchait la prime et gardait les pommes de terre ; quelle bonne affaire ! Et, par surplus, il assurait le salut de son âme en luttant contre l’alcoolisme.

Aucun journal ne répondait qu’il faut pour vivre bien plus d’hectares de pommes de terre que de vignes. L’essentiel n’est-il pas que le vin d’Algérie se vende ? Il est juste que le paysan français se serre la ceinture pour faire plaisir aux gros viticulteurs d’Oranie, puisque l’Algérie, c’est la France.

Je lisais que les Soviétiques étaient bien ennuyés d’avoir fabriqué à leur tour des bombes atomiques, cette arme encombrante les obligeant à une politique de coexistence pacifique tout à fait contraire à leurs principes.
Et que les Moscovites ne pardonnant pas à Staline d’avoir battu les armées hitlériennes, l’avaient pendu en effigie. Mais je ne lisais rien sur le 5ème plan quinquennal, la journée de sept heures, la semaine de cinq jours.

Aucun journal ne dénonçait les mensonges sur l’Union Soviétique, aucun ne disait la vérité sur la patrie du socialisme. Il est très important que le peuple de France ne sache pas ce qui se passe de l’autre côté du « rideau de fer » ; il risquerait de vouloir en faire autant.

J’ai rêvé que l’Humanité ne paraissait plus. Il fallait se chuchoter de bouche à oreille les directives du Parti Communiste. Il fallait se passer sous le manteau des feuilles ronéotypées. Il fallait se méfier toujours et partout, car le secret facilite les provocations. Exactement comme du temps de l’occupation, comme en Algérie, comme à Chypre, comme en Espagne.

Je me suis réveillé. Ce n’était qu’un mauvais rêve. On venait de m’apporter l’Humanité du jour. Je lisais les gros titres : Les colonialistes abattent leurs cartes... Maroc : la population manifeste sa joie après la proclamation de l’indépendance... Pour l’union des 500.000 métallurgistes parisiens... L’arme est là, bien aiguisée, qui allait, qui va servir à tous les travailleurs pour tous les combats de la journée.

La semaine du 18 au 24 mars sera la « semaine de l’Humanité ». Pendant toute cette semaine, achetez, vendez l’Humanité. Organisez des ventes de masse.
Faites souscrire des abonnements.

L’Humanité est le meilleur outil d’élaboration, de discussion et d’exécution de la politique du Parti des travailleurs. C’est le meilleur moyen de faire connaître la vérité. Trouver de nouveaux lecteurs à l’Humanité, c’est donc la méthode la plus efficace de hâter la venue du Front Populaire, la satisfaction de vos revendications et au-delà, le changement de régime qui permettra l’édification du socialisme et du communisme.

Roger VAILLAND Humanité Dimanche 11 Mars 1956

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