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La transformation numérique: quelques procès en cours Narratique, Empire, Entreprise, Data mining, Formes courtes…
Jean-Max Noyer (onyx16b (at) yahoo.fr) Université de Nice Sophia Antipolis

Origine : http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/docs/00/72/54/15/TXT/La_transnumA_riqueVF09-12.txt

Résumé:

On s’attache dans cet article à poser un certain nombre de réquisits pour une Narratique Générale, à en examiner certaines difficultés, en particulier d’ordre sémiotique, dans le cadre de la grande transformation numérique. Cette transformation numérique est regardée de manière simplifiée, à travers le prisme du “devenir empire” selon Negri et Hardt, sous les conditions du “devenir entrepreuneurial” et du “devenir expérimental du politique”. 1 On porte une attention particulière dans le cadre de la strate anthropologique “internet”, à l’émergence du Data Mining comme narration impériale, comme grand récit des sociétés performatives. On évoquera ainsi la sainte et obsédante trinité: Performation / Prédiction / Préemption qui sert aux sociétés de veille enchassées dans le développement du capitalisme mondial intégré comme processus hétérogène et conflictuel. Enfin on s’intéressera à la prolifération des formes courtes à travers, entre autres, le déploiement de Twitter, mais pas uniquement, et à certains de ses effets politiques et socio-cognitifs.

1 François Laruelle, Homo ex machina, Revue de Métaphysique, N°3, 1981 “Une politique devient réellement expérimentale et l'expérimentation relaie enfin le concept marxiste de la « pratique », lorsque la distinction des objets, des moyens, des matières premières et des produits s'efface dans celle, différentielle, des méthodes, dans la généralisation et le triomphe des « moyens », lorsqu'on a compris qu’il n’y a plus de contradictions dans les choses. Une stratégie généralisée met en rapport différentiel et détermine l'un par l'autre dans une chaîne « machinique » continue, mais en dehors de toute fin éthique ou scientifique, les procédés théoriques ou non, de pouvoir.”

De la difficulté d’une narratique générale.

Nous commençons par la question narratique et sémiotique, sa compléxité, parce que la matière numérique comme substance d’expression rend possible, alliée à une algorithmique puissante, la compréhension, description des agencements narratifs hétérogènes, des modes de transformation entre les sémiotiques qui vont avec. Pour une Narratique donc, qui donnerait accès à la constitution ouverte de la trame des choses et des êtres, à une sorte de narratique anthropologique des flux et des trajectoires, des traductions et des tissages, des forces et des énergies.

Nous prenons appui sur une réflexion qui a sa dette et son origine dans le travail magnifique de Jean-Pierre Faye, “Langages totalitaires, critique de la raison – de l’économie narrative”. 2 « Prendre l’histoire aux mots, non pas en prenant au comptant « ce que disent les hommes », mais en se faisant attentif aux figures que dessinent leur circulation, aux positions respectives qu’occupent les unes par rapport aux autres leurs chaînes syntaxiques, et aux déplacements de ces positions—c’est entrer dans une économie des énoncés dont on peut d’emblée apercevoir les rapports qu’elle admet avec le niveau économique proprement dit, celui de la production et de la circulation des choses marchandes : de « la langue des marchandises ». Entre (…) langues des marchandises et langues d’écriture, toute tentative de mise en rapport ou en correspondance est inadéquate si elle ne saisit pas leurs intersections dans le procés narratif ». Pour aller à l’esssentiel encore ceci, « le procès même de l’histoire se manifeste en chaque instant comme double, action et récit ». « Raconter l’action, ce n’est pas seulement “écrire ensemble“ -- comme le veut Thucydide : syn-graphein -- les différents témoignages. Ce serait, à la limite, saisir à mesure de quelle façon les narrations des différents témoins qui sont aussi acteurs (ou actants), changent l’action par les différences racontées. Comment le procès double de l’événement narré et des propositions de narration fait entrer dans une économie généralisée où l’histoire entière, et non la seule « histoire économique », est prise et enveloppée, c’est cela qu’il s’agit de faire voir, en vue de cette science de l’histoire dont Marx a écrit - dans un paragraphe d’ailleurs raturé de l’ « Idéologie allemande » - qu’elle englobait toute science. »3 On sait la frontière autour de laquelle, les hésitations de Jean-Pierre Faye se manifestent. Saisir les intersections entre langues des marchandises et langues d’écritures est affaire compliquée dès lors que les deux dispositifs sont donnés comme séparés et hiérarchisés à priori. “Le niveau narratif et idéologique n’est donc que la surface ou l’apparence de ce qui se produit à un niveau plus profond ou plus réel. Mais en même temps, il l’enveloppe, il contient ce dernier puisqu’il le découvre et l’énonce”.

2 Jean-Pierre Faye, Langages Totalitaires, Critique de la Raison, l’Economie Narrative, Edition Hermann, 1972 3 Jean-Pierre Faye, Introduction aux langages totalitaires, Théorie et transformations du récit, Hermann, “Savoir: Cultures", 2002

La poursuite et l’approfondissement des modes d’intelligibilité de Jean Pierre Faye ont une postérité forte et nécessaire. Et “la narration est cette fonction fondamentale et comme primitive du langage qui portée par la base matérielle des sociétés non seulement touche à l’histoire mais l’engendre”. Au cœur de la performation des sociétés sont aujourd’hui, plus que jamais les récits, les narrations, récits et narrations étant ici entendus comme non-exclusivement linguistiques. « Non-exclusivement linguistique » signifie que nous n’accordons pas de privilège apriori au « signifiant linguistique ».

Que les récits façonnent le monde, notre monde, cela est su et exploité de tous, depuis des temps immémoriaux. L’homme est tissé des multiples récits qu’il reçoit, qu’il fabrique. Il aime raconter des histoires, écouter, lire, “voir” des histoires. Il aime encore « se raconter des histoires ». Ces narrations se déploient à travers des subtances d’expression multiples, y compris le vaste continent des éléments de la mécanosphère, des artefacts et elles forment les treillis, les graphes, les réseaux de tenseurs qui constituent les agencements qui nous servent tout à la fois de milieux, de conditions, de systèmes combinatoires à partir desquels nous nous déployons, vivons et créons. L’homme est, si l’on peut dire, « fabriquant / fabriqué » d’histoires, de narrations. Il en est l’expression et l’exprimé et en fait les matières et les plans de ses habitats et modes d’existence. Il s’agit donc pour nous, dans cette approche générale de s’interroger sur les conditions d’une narratique générale, dans le cadre numérique et de l’extension des moyens de pilotage sémiotique.

Nous indiquons rapidement certaines façons de lier la question de la fabrication des récits et des fabricateurs de récits, à une conception radicale du monde anthropologique comme vaste système de relations internes et en plaçant la pragmatique et la performation au cœur de la sémiotique. Mais d’une sémiotique complexe, encore une fois non exclusivement linguistique, qui prenne en charge l’éclatement de la substance d’expression. En effet dans le cadre des nouvelles écritures numériques hypertextuelles 4 qui font émerger de nouvelles alliances images-textes-sons, mais aussi qui « relèvent » la puissance des régimes de signes techniques, des sémiotiques d’artefacts, signifiantes et a-signifiantes, 5 de la « memetique », 6 nous devons prendre plus que jamais en compte l’extension du théâtre des opérations narratiques où la production de récits ne cessent de performer nos milieux et mondes, nos écologies, sous de nouvelles conditions. La complexité des divers régimes sémiotiques ainsi que leurs rapports différentiels et les modes de transformation, traduction, hybridation qui sont à l’oeuvre à l’occasion leur co-existence, co-détermination, co-évolution, doit-être examinée de manière beaucoup plus attentive. Cela suppose donc que nous soyons capables de mettre en place une sémiotique transformationnelle complexe, fonction des diverses substances d’expression et, pour suivre ici F. Guattari, qui prennent en charge leurs relations et traductions partielles. C’est là, nous semble-t-il, le noeud serré d’une narratique générale et de ses “machines abstraites” 7, ces dernières ayant un “rôle pilote. (…) “ne fonctionnant pas pour représenter même quelque chose de réel, mais construisant un réel à venir, une nouveau type de réalité”. Elles ne sont donc pas “hors de l’histoire mais toujours plutôt “avant” l’histoire, à chaque moment où (elles) constituent des points de création ou de potentialité”

Notre approche, convient-il de le préciser, se démarque radicalement de celle du « StoryTelling » (et du « Transmedia Telling »). Certes ces approches reprennent dans le champ des doxa, ce que les hommes savent et pratiquent depuis toujours à savoir que les récits [pratiquer que les récits – phrase incorrecte] et les narrations servent aux volontés de façonner le monde, aux diverses manières de co-construire ce qui sert de réalité. Que cela ouvre vers une polémologie permanente des récits est l’évidence même. Et pour reprendre ici Machiavel, tout politique, stratège, tous savent bien qu’il s’agit là de création continuée d’une noopolitique ou d’une sémiotique pour soi, pour en priver d’autant les autres (ou ses adversaires, ses rivaux) avec leur efficace y compris et surtout dans l’ordre des passions, des énergétiques, aux puissances d’écritures et médiatiques près.

Les entrelacs des narrations et l’incessant travail de ré-écritures et re-prises des récits, de commentaires, leurs insertions dans de nouveaux agencements, tout cela occupe les fabricants d’histoires.

De Yannis Gabriel, qui s’intéresse aux efforts de récupération des grands récits littéraires, mythiques par le monde entrepreuneurial 8, à Christian Salmon 9 en passant par les approches stimulantes de François Cusset s’interrogeant sur “la fabrique éditoriale” aux USA, “à ses conditions éditoriales de production, dans les dimensions de secteur économique et d’institutions symboliques”, la question narrative comme prolongement stratégique de l’analyse des discours reste toutefois trop asservie aux sémiotiques signifiantes et aux variations infinies des herméneutiques qui ne cessent de s’affaiblir de ne pas s’interroger sur la question de savoir d’où les énoncés tirent-ils leur force?

4 Jean-Max Noyer et Brigitte Juanals : La question pragmatique dans le contexte des mémoires numériques, H2PTM’07, Editions Hermès Lavoisier. 2007 et

Voir aussi les travaux d’Olivier Ertzscheid, http://owni.fr/author/olivierertzscheid/

5 Voir note 15 http://en.wikipedia.org/wiki/Memetics,

6 Manuel Delanda, A Thousand Years of Non-Linear History, Part III, Memes and Norms,

7 Voir pages 175à 181, Sur quelques régimes de signe et pages 636 à 641, in Mille Plateaux, machines abstraites (diagramme et phylum), Gilles Deleuze et F. Guattari, 1981

8 Sous la direction de Yannis Gabriel, Myths, Stories, and Organizations: Premodern Narratives for Our Times, Oxford University Press., New York., 2004

9 Christian Salmon, Storytelling. La Machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits Paris, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 2007

Il en va de même si l’on survole, même de manière rapide, ce que l’on appelle “l’approche narrative des organisations” 10. Certes on admet “qu’il pourrait être avantageux de replacer les narrations dans leur contexte (circonstances et types d’organisations) … que “cela permettrait de faire ressortir les facteurs contingents sur la créativité en organisation” … et finalement “qu’il pourrait être éclairant de mettre en perspective la narration comme acte de langage, en la situant dans son articulation avec les autres types d’activité des acteurs en présence, comme les actes politiques ou avec les actes d’allocation des ressources”. Mais on continue toutefois de rater les modes de fonctionnement des sémiotiques en acte, “les composantes transformationelles interprétatives et non interprétatives” 11 qui règlent pour une part essentielle leurs pragmatiques. Les principales approches narratives standards constituent le foyer (peut-être déclinant, il faut le souhaiter) où se saturent et se contemplent les diverses manières de maintenir les narrations et la pragmatique sous les postulats d’une linguistique, en fin de compte, toujours essentialiste et idéaliste sous l’imperium du signifiant, ratant totalement la technologie et ayant évacuée, au moment même de l’explosion des techniques de plus en plus sophistiquées, la question de la référentialité.

Nous suivons ici la remarque de Bruno Latour : « Ce que les herméneutes, les exégètes ou les sémioticiens disent des textes – soit dans la langue vénérable des anciens, soit dans le langage en polystyrène expansé des modernes – on peut le dire de toutes les forces. Il est admis depuis longtemps que les rapports d’un texte à l’autre sont toujours d’interprétation. Pourquoi ne pas accepter qu’il en soit ainsi entre les dits textes et les dites choses, et surtout entre les dites choses elles-mêmes ? » 12

Comprendre et analyser ainsi les agencements sémiotiques est donc d’autant plus nécessaire que nous sommes à présent entrés dans l’ère de l’anthropocène. La question de la “création continuée” du monde est pour nous, posée de manière incontestable. Cela signifie que notre “milieu associé” doit être au centre de notre attention. C’est la raison pour laquelle, comme le dit Peter Sloterdijk, notre avenir sera toujours plus et pour une part essentielle, biotechnique et que la question technique du climat y jouera un rôle majeur. Les devenirs « indoor »13 du monde sont déjà en cours et les narrations que nous produisons et qui tissent la trame de nos écologies (en nouant les diverses textures sémiotiques) occupent une place centrale. Plus que jamais, les régimes, les appareils de capture sémiotique et les nouvelles pragmatiques communicationnelles, dans le cadre du développement de la strate anthropologique numérique, doivent être abordés et analysés dans cette perspective élargie. Nous suivons encore ici Bruno Latour: “nous avons toujours tendance à privilégier le langage. Pendant longtemps nous l’avons cru transparent et seul de tous les actants, il n’avait ni épaisseur, ni violence. Puis nous nous sommes mis à douter de sa transparence et nous avons voulu la restituer en nettoyant le langage comme on eût fait d’une vitre. Nous avons tellement préféré le langage à tout, que nous avons fait de sa critique l’unique tâche des générations de Kant et de Wittgenstein. Enfin dans les années 50, nous nous sommes aperçus que le langage était opaque, épais et lourd. Au lieu d’en finir avec ses privilèges et de le rendre aux autres forces qui le traduisent et qu’il traduit, nous avons voulu au contraire réduire à la matière du signifiant toutes les autres forces. Nous avons fait du texte la chose. C’était pendant les “glorious sixties”. Nous avons beaucoup exagéré. Tout ce qu’on dit du signifiant est juste, mais il faut le dire de n’importe qu’elles entéléchies. Le langage n’a rien de particulier qui permettrait de le distinguer longtemps du reste”. 14

10 Nicole Giroux et Lissette Marroquin « L'approche narrative des organisations », Revue française de gestion 6/2005 (no 159), p. 15-42

11 Félix Guattari, Lignes de fuites, Ed L’aube, 2011. Nous renvoyons ici, plus précisément à la deuxième partie : L’analyse pragmatique de l’inconscient social et la pragmatique enfant pauvre de la linguistique.

12 Bruno Latour, Irréductions, Scolie, 1.2.9, in Pasteur: Guerre et paix des microbes, Éditions Anne-Marie Métailié, 1984

13 Peter Sloterdijk, Le palais de cristal, à l’intérieur du capitalisme planétaire, Maren Sell Editeurs, 2006

14 Bruno Latour, Irréductions (2.4.5) in Pasteur: Guerre et paix des microbes, Éditions Anne-Marie Métailié, 1984

On sait l’importance encore une fois, mais il est loin d’être inutile de le répéter, des sémiotiques a-signifiantes. 15 Suivons ici Felix Guattari « La texture même du monde capitaliste est faite de ces flux de signes déterritorialisés que sont les signes monétaires, les signes économiques, les signes de prestige, etc. Les significations, les valeurs sociales (celles que l’on peut interpréter) se manifestent au niveau des formations de pouvoir, mais pour l’essentiel le capitalisme s’appuie sur des machines a-signifiantes. (Exemple : les grilles a-signifiantes de la Bourse.) Le pouvoir capitaliste, au niveau économique, ne fait pas de discours, il ne cherche qu’à maîtriser les machines sémiotiques a-signifiantes, à manipuler les rouages a-signifiants du système. À chacun de nous le capitalisme attribue un rôle (…) À chacun de s’accommoder du système de significations aménagé pour lui. Mais au niveau des pouvoirs réels, ce n’est jamais de ce type de rôle dont il est question ; le pouvoir n’est pas forcément localisé au niveau du directeur ou du ministre, mais se joue dans des rapports financiers, des rapports de force entre des groupes de pression… Les machines a-signifiantes ne connaissent ni les sujets, ni les personnes, ni les rôles, ni même les objets délimités. C’est précisément ce qui leur confère une sorte de toute-puissance, elles passent à travers les systèmes de significations au sein desquels se reconnaissent et s’aliènent les sujets individués. Le capitalisme, on ne sait jamais où ça commence et où ça finit ». 16 Il s’agit encore de comprendre, et c’est une tâche importante, par exemple, les manières dont le langage, les mathématiques, la technologie sont reliés. 17 La numérisation du signe et le développement d’algorithmes de calcul spécifiques 18 donne toutefois, la possibilité d’accéder aux processus de traduction et de transformation au sein des agencements sémiotiques, aux hétérogenèses dont ils sont l’expression et l’exprimé. Réduction scientométrique (des associations de mots aux associations d’actants) dans un premier temps, puis élargissement aux images et aux sons et enfin à l’ensemble des traces laissées par les actants au cours de leurs pratiques dans le champ des réseaux numériques (qu’est ce qui nous lie, nous attache, nous fait converger, diverger …) vont rendre possible et crédible, à la fois la mise en oeuvre du principe de calculabilité Latourien19 et les conditions élémentaires pour l’analyse de la formation des champs sémiotiques à partir de ce que Félix Guattari nomme les composantes transformationnelles et les composantes génératives 20.

Pour suivre Guattari, machines de signes mathématiques, complexe technique et scientifique, musical etc… Ces sémiotiques ou machines a-signifiantes certes « continuent » de s’appuyer sur les sémiotiques signifiantes, mais elles ne s’en servent plus que comme d’un outil, d’un instrument de déterritorialisation sémiotique qui permet (alors) aux flux sémiotiques d’établir des connexions nouvelles avec les flux matériels les plus déterritorialisés.

15 Voir aussi pages123 à 132 de Cartographies Schizoanalytiques : machine abstraite et machine concrète.

16 Felix Guattari, Révolution moléculaire, Edition 10/18, 1977 et Gary Genosko, Banco sur Félix. Signes partiels a-signifiants et technologie de l’information, Multitudes n° 34, 2008

17 Voir sur ce point, Kenneth Knoespel, « Les mathématiques jouent un rôle de médiateur entre le langage naturel comme objet et la fonction heuristique qui lui est dévolue pour la réalisation d’objets technologiques particuliers. Bien que la description comme intermédiaire ne soit pas inhabituelle, les transactions antre langage et mathématiques dans la création technologique ne cessent pas avec l’apparition de l’artefact. L’émergence d’un artefact participe également à la constitution d’un autre langage graphique (…) inscrit à l’intérieur de l’horizon dans lequel nous vivons. Plutôt que de n’être qu’une collection d’inscriptions écrites, la technologie, représentée par la présence d’une objet particulier, renforce les transactions qui ont permis son émergence ». in Littérature et Théorie du Chaos, in TEL, Presse Universitaire de Vincennes, 1994

18 Voir entre autres, pour la “Co-words analysis”, Bertrand Michelet, L’analyse des associations, Thèse de Doctorat de Paris 7, Jussieu, 1988.

19 Geneviéve Teil & Bruno Latour: the hume machine can association networks do more than formal rules? SEHR, volume 4, issue 2: Constructions of the Mind 1995. “The principle we started from in constructing the Hume machine is a principle of calculability different from that of Turing machines, but one which occupies the same strategic position for our project as his did for his project.The reasoning is as follows: any form is a relationship of force; any relationship of force is defined in a trial; any trial may be expressed as a list of modifications of a network; any network is resolvable into a list of associations of specific and contingent actants; and this list is calculable. Thus there is no formal concept richer in information than that of a simple list of specific and contingent actants. There is a tendency to believe that we are better off with formal categories than with circumstantial facts, but forms are merely a summary of a network: that is to say, of the number and distribution of associations.” Voir aussi Bruno Latour, “The powers of Associations” in Power, Action and Belief, A new sociology of knowledge, dirigé par J. Law, 1986. Enfin Jean-Max Noyer, Scientométrie, infométrie : pourquoi nous intéressent-elles ? in Revue Solaris,1995.

20 Felix Guattari, Lignes de Fuite, pour un autre monde possible, Editions de l’Aube, 201. Ces questions sont complexes et selon nous décisives. Voir plus précisément les pages 212 à 230 où est abordée la question de la nature des rapports entre les deux types de composantes (générative et transformationnelle) en se détachant de la dominance de la linguistique héritée.

Il y a là, en effet, les moyens d’approcher la zone “fabuleuse” où les agencements comme multiplicité, comme complexe de lignes “ se divise aussi d’après un autre axe. (La) territorialité (contenu et expression compris)” n’étant qu’un “premier aspect, l’autre aspect étant constitué par les lignes de déterritorialisation qui le traverse et l’emporte”. Soit vers d’autres agencements, soit vers des machines abstraites (matières non formées, forces et fonctions déstratifiées). 21

“Full Spectrum of Narratives”

Nous avons donc comme tâche d’avoir à penser, en terme politique et stratégique le “ Full Spectrum of Narratives” et ce en bon artificialiste !

Détour vers un modèle

De ce point de vue, le développement à partir de la fin des années 50 de la grande machinerie de la dissuasion nucléaire est exemplaire de la question sémiotique au sens où nous l’entendons, et qui met en scène un agencement particulièrement vaste et hétérogène où production de discours et production de systèmes d’armes ne cesse de se nouer et se dénouer, où polémologies discursives et polémologies de la génétique des moyens entretiennent des rapports puissants, instables et perturbent très souvent cette fonction sémiotique des armes si chère, tant à Thomas C. Schelling 22 qu’au Général Poirier 23, l’axiomatique dissuasive ne cessant de produire les conditions de son propre démentèlement sous la forme de la course technologique aux armements (IntraWar Deterrence) et ce en dépit de la fabrication épuisante de l’Arms Control, comme sémiotique techno-juridique complexe. (Cette sémiotique générale opérant aux limites du secret et des cécités des doxa, autant dire aux limites de la fragilité de ces imposantes constructions de sémiotiques signifiantes et de sémiotiques a-signifiantes -- ici le complexe technico-scientifique du complexe militaro-industriel--) Syntaxes signifiantes et syntaxes a-signifiantes étant aux prises, dans leur jeux plus ou moins savants, quand, par exemple, les clergymen de la guerre nucléaire relaient les axiomatiques solitaires et glacées où opérent les stratèges explorant de manière compulsive les effets de l’augmentation de la précision des missiles sur la nature et crédibilité de la menace… 24

Leçon… Comme l’écrit Peter Sloterdijk, 25 “les explicitations concernent toujours à la fois les mots et les choses; dans ce sens elles relèvent à la fois de l’analyse du réel et de la synthèse du réel. Elles font progresser le déploiement d’un état de fait sous la forme d’une liaison active entre les démarches relevant de l’opération et des tournures relavant du discours. (…) Parce que l’explicitation, comme analyse réelle et synthèse réelle se déroule à la fois dans les ateliers et dans les textes et progresse aussi bien dans les procèdès techniques que dans les descriptions et les commentaires qui les accompagnent, elle développe, partout où elle intervient, une force qui découpe des entailles dans le réel et mental. Elle transforme ses environnements cognitif(s) et matériel(s) en les repeuplant l’un comme l’autre de résultats de l’explicitation”.

21 Gilles Deleuze et Felix Guattari, Mille Plateaux, Editions de Minuit, 1981 Pages 630-631.

22 Thomas C. Schelling, Arms and Influence, 1966 23 Général Lucien Poirier, Stratégie Théorique II, III, Editions Economica, 1996 et 1997 et Essais de stratégie théorique (Stratégie théorique.)1982

Ici on « perçoit » presque de manière pédagogique, la division de la pragmatique « en deux composantes –et non deux régions—puisque ces deux composantes se recomposeront constamment : une pragmatique générative correspondant aux modes de « linguistisation » des sémiotiques et une pragmatique transformationnelle non-linguistique, non-signifiante »

23 Felix Guattari, Lignes de fuite, pour un autre monde de possibles, Editions de l’Aube, 2011 25

24 Peter Sloterdijk, Ecumes, Sphère III, Maren Sell Editeurs, 2005

Des cosmogonies, cosmologies aux petits récits, des formes longues aux formes courtes, des narrations stables aux narrations labiles, des narrations scientifiques aux narrations religieuses, des narrations politiques aux narrations des formes visuelles, sonores, architecturales, techniques, les diverses manières dont nous sommes, de tout cela, à la fois l’expression et l’exprimé, reposent sur le va-et-vient sans fin, entre la pensée et l’usage des régimes de signes comme « représentation » du monde et la pensée et l’usage des régimes de signes comme « création-performation du monde » enfin, sur la pensée et l’usage des régimes de signes comme continuation de la création, à l’intérieur des petits ou grands agencements collectifs d’énonciation. Et la complexification toujours plus sophistiquée des artefacts, des dispositifs sociotechniques et cognitifs nous obligent à prendre en compte la réversibilité entre l’immanence de l’expression dans ce qui s’exprime et l’immanence de l’exprimé dans l’expression. « Derrière les énoncés et les sémiotisations il n’y a que des machines et des agencements, des mouvements de déterritorialisation qui passent à travers la stratification des différents systèmes et échappent aux coordonnées du langage comme d’existence. C’est pourquoi la pragmatique n’est pas le complément d’une syntaxe ou d’une sémantique mais au contraire l’élément de base dont tout le reste dépend ».

26

Le politique gît là, pour une part essentielle, dans l’éclatante et noire vérité de ces machines et des écritures numériques avec leurs combinatoires de “memes” toujours plus différenciés. Il se loge dans les mouvements de subduction ou de convection des modes de transmission, propagation de ces combinatoires (et contraintes) toujours plus puissants. Il est dans leurs fentes et meurtrières qui ouvrent à des polémologies du “commentaire”, complexes.

Nous reviendrons sur cela plus longuement en examinant les effets de l’irruption récente de Twitter dans l’ordre du discours, de ses pragmatiques. Cette irruption des formes courtes – et bien que Twitter ne puisse être étudié et pensé que dans le cadre d’une écologie et pragmatique complexe des formes – produit des effets socio-cognitifs, politiques, organisationnels, existentiels majeurs qui font que ce dernier est considéré comme source privilégiée pour le Datamining. (Datamining dont verrons plus loin, qu’il est comme Narration impériale des sociétés performatives à l’ère de l’Empire). Les traces d’associations et d’interactions entre énoncés courts (mais aux densités sémantiques très variables) étant perçues comme, dans leur instabilité même, dépositaires fiables des processus d’individuation psychique et collective, en tous cas, milieu où se laissent lire processus de subjectivation, figures du désir en devenir. On sait l’usage que le Marketing et l’Empire sécuritaire font de cela. 27

Le processus de territorialisation numérique: l’exemple entrepreuneurial

Le creusement des espaces réticulaires sous les conditions de la numérisation est donc source tout à la fois d’innovations, de problèmes, de processus d’hybridation affectant la construction et l’évolution des territoires. Par ailleurs, les nouvelles infrastructures industrielles, toujours plus distribuées, inventent de nouveaux modèles organisationnels et communicationnels. Dans ce cadre, les « intelligences collectives » par lesquelles se définissent les organisations et les agencements des processus de travail, sont en évolution relativement profonde et ce, à tous les niveaux d’échelle.

26 Gilles Deleuze et Felix Guattari, Mille Plateaux, Editions de Minuit, 1981 j 27

Gilles Deleuze, encore: “Le marketing est maintenant l’instrument du contrôle social, et forme la race impudente de nos maîtres. Le contrôle est à court terme et à rotation rapide, mais aussi continu et illimité, tandis que la discipline était de longue durée, infinie et discontinue”. Et “dans les sociétés de contrôle, au contraire, l’essentiel n’est plus une signature ni un nombre, mais un chiffre : le chiffre est un mot de passe, tandis que les sociétés disciplinaires sont réglées par des mots d’ordre (aussi bien du point de vue de l’intégration que de la résistance). Le langage numérique du contrôle est fait de chiffres, qui marquent l’accès à l’information, ou le rejet. On ne se trouve plus devant le couple masse-individu. Les individus sont devenus des « dividuels », et les masses, des échantillons, des données, des marchés ou des « banques ».

Dans ce contexte, le processus de territorialisation numérique veut donc dire :

a) la construction d’un vaste territoire de type topologique, relationnel, constitué d’actants très hétérogènes dont, pour aller à l’essentiel : des documents et des ensembles de documents numériques, des liens et des nœuds, des mémoires, des bases de données plus ou moins complexes, des logiciels, des traces laissées par les acteurs de ce territoire, c’est-à-dire ceux qui interagissent à travers lui, tout en en étant l’expression et l’exprimé ;

b) cela veut dire encore, numérisation des territoires autres, sols, sous-sols, espace-temps dans leurs diverses dimensions, numérisation des autres médias;

c) la conception d’un ensemble d’interfaces permettant les navigations entre ces différents territoires, à partir de leurs emboîtements / associations, les navigations dans cette vaste strate anthropologique ou à partir d’elle. Chaque « document », chaque nœud, chaque lien… constituant une dimension, un actant de ce territoire. Nous nous trouvons face à des réseaux de type fractal. Cette fractalité traverse les processus de circulation des informations, les processus de co-construction des savoirs et des connaissances. Elle joue un rôle important dans les pratiques au travail et elle génère de nouvelles formes d’organisation et de conflictualité socio-économique. Au sens large, elle implique de nouveaux modes d’orientation.

Ce processus de territorialisation numérique enrichit les matières, les relations et les pratiques dont nous sommes tissés. Cela implique apprentissages, exercices, compétences et savoirs nouveaux. Cela met en jeu des systèmes perceptifs et des capacités cognitives transformés. L’actualisation et l’investissement du territoire passent alors au filtre des subjectivités et pratiques qui sont sous les contraintes liées aux compétences instrumentales et cognitives, moyens et lieux d’accès, prescriptions d’usages et droits numériques, fonctionnalités diverses et sémiotiques des algorithmes… L’individuation psychique et collective (Simondon, Stiegler) des acteurs, des salariés, se réalise ainsi sous les conditions du milieu associé numérique, de ses médiations. Cette médiologie numérique est ce par quoi se différencient et se singularisent les collectifs d’acteurs, les individus. Ce processus de territorialisation complique donc nos niches écologiques, nos modes d’existence au travail, c’est-à-dire qu’il ouvre de nouvelles manières d’établir des connections entre les acteurs, des temporalités et des imaginaires plus complexes.

« La construction immunologique de l’identité politico-ethnique s’est mise en mouvement et l’on voit (aujourd’hui) que le lien entre le lieu et le soi n’est pas dans toutes les circonstances aussi stable que l’avaient exigé et fait croire les folklores politiques du territorialisme… ». 28

Pour prendre un exemple, les pragmatiques internes de l’entreprise sont affectées par les pragmatiques qui se déploient « au dehors » et ce, au point d’en être assez profondément influencées. En effet, les pratiques des salariés qui se déploient dans la strate Internet traversent les frontières héritées et interfèrent avec les processus, configurations et normes sociotechniques de l’entreprise. Les apprentissages du nouvel univers anthropologique numérique se font ainsi de manière quasi-simultanée dans les sphères publiques, les sphères privées, les sphères du travail (et pour partie donc, hors de toute rationalisation gestionnaire). Les pratiques collectives distribuées en sont transformées.

La construction des nouveaux territoires est en marche et elle n’est pas pacifique. Et ce d’autant que l’expérimentation est souvent la règle et que cette construction avance à tâtons, ballottée entre telle ou telle économie politique des réseaux, entre tel ou tel régime de flux, entre tel ou tel régime de connectivité.

28 Peter Sloterdijk, Le palais de cristal, à l’intérieur du capitalisme planétaire, Maren Sell Editeurs, 2006

Recherche de la performativité à partir de conceptions plus fluides des pratiques collectives distribuées, des intelligences collectives, de nouvelles approches dans la production – circulation – exploitation des savoirs, recherche de la performativité à partir de nouveaux modes de navigation et d’orientation et à partir de nouvelles technologies intellectuelles… tout cela s’exprime de manière forte dans la question de l’hyper connectivité 29 Celle-ci est en effet un problème majeur et les débats autour des droits numériques en sont un des symptômes les plus voyants. De même que : le risque de saturation sociocognitive par les flux, les tensions portées par l’accélération des procédures, l’obsession de la « raison innovatrice », les effets parfois corrosifs de la transversalité sur les modèles politiques des organisations et le jeu des passions qui s’agite au sein des univers existentiels des acteurs.

Dans ce contexte, la connectivité ou les capacités d’associations, deviennent une dimension centrale des acteurs, des salariés. Ces derniers sont alors de plus en plus conçus comme « nexus », expression et exprimé d’une éthologie relationnelle complexe et mouvante. 
La connectivité devient élément de différenciation et un enjeu pour des polémologies diverses aux intensités plus ou moins fortes.
Autour de la connectivité se jouent en effet un certain nombre de batailles pour l’accès aux savoirs, aux informations, pour leurs productions et ce, sous des conditions et des contraintes d’économies politiques diverses et parfois opposées.
 D’une manière générale, il serait avantageux de considérer cette question à partir des minorités, des devenirs minoritaires selon les types de territorialisation en cours. Les entreprises et les organisations n’échappant pas à ces tensions, à ces devenirs. 
De ce point de vue, les entreprises sont amenées à accorder une plus grande attention aux systèmes de capture documentaires numériques qui sont en émergence. Il en va de même pour ce qui est des protocoles, c’est-à-dire les technologies qui déterminent les contraintes et règles qui régulent les flux, gèrent l’espace des réseaux, codent les relations, connectent les entités, les formes…
 Intranets, réseaux, wikis… interfaces, moteurs de recherche … sont ici au cœur de possibles refontes organisationnelles, de possibles refontes des conditions et des normes distribuées pour le fonctionnement des collectifs.

Il s’agit pour nous, de sortir du focus sur les seules sémiotiques signifiantes pour prendre la mesure de cette économie politique des flux qui a pris le pas depuis déjà plusieurs décennies et d’en penser, maîtriser les incarnations dans le cadre des processus de territorialisation numérique.
 Cette transformation est, à n’en pas douter, une épreuve pour les divers régimes de fonctionnement organisationnels hérités, c’est-à-dire des territoires entrepreneuriaux représentés au moyen de « cartes organisationnelles figées et essentialistes» destinées entre autres à conforter les processus centralisés et hiérarchisés de gouvernance.

L’individu comme « nexus » et graphes : la stratégie des interfaces

En tant que « Nexus », l’individu est tissé des relations qui le traversent, des relations qui convergent vers lui et / ou partent de lui. Il est donc expression et exprimé d’une sorte d’onto-éthologie. Une partie croissante de cette éthologie est numérique. La question des interfaces est donc ici centrale, la question des technologies relationnelles, décisive.

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Ce sont elles qui assurent les échanges entre les territoires, traduisent et redistribuent les flux informationnels numériques, les éléments sémantiques de quelque nature que ce soit. Ce sont elles qui assurent la possibilité d’univers existentiels plus ou moins riches et l’émergence de nouveaux modes d’existence. Les frontières, on le sait, entre les milieux associés du procès de travail et les milieux associés privés sont aujourd’hui brouillées et les modes d’existence de plus en plus hybrides.

29 Galloway, Alexander R., and Eugene Thacker. The Exploit: A Theory of Networks (Electronic Mediations Ser. Vol. 21), University Minnesota P, 2007.

30 Noyer JM et Carmes M (2011), Les interfaces machiniques comme problème sémio-politique, in « Enjeux politiques du document numérique», « Document Numérique et Société », ADBS éditions, 2011, chap.11, pp193-216

et Le « pluralisme sémiotique »

et le nouveau gouvernement des signes, Hommage à Félix Guattari, Maurizio Lazzarato, 2006

Des nouveaux régimes de visibilité et d’invisibilité sont en train de se négocier là, de manière difficile, sous les injonctions partisanes et parfois antagoniques, à la visibilité. Besoin de visibilité / peur de l’invisibilité, peur de la visibilité / besoin de l’invisibilité selon les positions socio-économiques, politiques que l’on occupe, selon la position de désir qui leste le centre de gravité des relations qui nous constituent ou que l’on nous propose ou enfin, que l’on exploite.

Il se peut qu’à partir de ces impératifs de transparence et à partir des asymétries des forces qui les soutiennent, que se mettent en place de nouvelles formes de résistance fondées sur un effacement relatif, partiel, momentané de ce qui nous lie et relie, processus d’effacement contrôlé (au moyen d’une cryptographie inviolable ?) comme base arrière de tactiques et pourquoi pas de stratégies ouvrant à nouveau l’incertitude des devenirs, laissant les processus d’altération agir, sortes d’agents secrets de la vie minant la vie devenue trop prévoyante et « préemptive… » d’être trop numérique.

Les réseaux numériques dits « relationnels » (tels que Facebook) ne constituent qu’une part de ce vaste mouvement de refondation, d’hésitation, d’exploration.

Au delà de ces réseaux de masse où se déploient, s’agrègent et convergent les communautés, on assiste aussi à une différenciation progressive de l’espace d’expression ainsi qu’à un devenir minoritaire des réseaux numériques. Ce point est d’une grande importance. 
 Dans le cadre de la socialisation professionnelle, les salariés n’utilisent donc pas seulement les espaces de type Facebook et ce dernier ne constitue pas le seul horizon de ces pratiques. Et l’on constate déjà, que le désir de recherche des relations, de leur exploration, cohabite de plus en plus avec l’exploitation d’autres pratiques « sociocognitives ».

De nombreux types de réseaux sociaux, rivaux, sont déjà en place ou en train de se développer qui répondent par des approches émergentes et ad hoc, à des besoins d’agrégation spécifiques associés à une exigence de confidentialité non seulement plus grande dans le temps court, mais pérenne. L’on assiste ainsi à des phénomènes de convergence et de renforcement de certains types communautaires, renforcement se faisant sur le partage de pratiques, de modes narratifs, de niveaux de savoirs.
 Mais, ce qui importe c’est de saisir et de penser ici l’articulation et plus profondément le couplage structurel, c’est à dire les rapports de codétermination des milieux (numériques et non numériques).

Cela a des conséquences fortes sur les économies politiques, sur les économies libidinales, sur la « complexion passionnelle des individus ».

A ce stade il conviendrait de creuser encore et encore l’examen des pratiques qui se déploient à partir des réseaux sociaux, et où « la tendance historique aux formes de vie individualistes dévoile sa signification immunologique : aujourd’hui (…) ce sont les individus qui en tant que vecteurs de compétences immunitaires, se séparent de leurs corps de groupe (…) et veulent massivement détacher leur bonheur et leur malheur de l’être-en-forme de la commune politique. Nous vivons aujourd’hui la mutation, vraisemblablement irréversible, de collectifs de sécurité politique en groupes dotés de designs immunitaires individualistes… ». Les réseaux sociaux offrent un milieu d’expérimentation extraordinaire où se jouent la bataille entre les collectifs et les Commons et la montée en puissance, avec les agrégats, « de l’axiome de l’ordre immunitaire (qui) s’étend comme une tâche d’huile dans les populations composées d’individus autocentrés, à la manière d’une nouvelle évidence vitale : le fait qu’au bout du compte personne ne fera à leur place ce qu’elles n’accomplissent pas pour elles-mêmes. Les nouvelles techniques d’immunité (…) les stratégies existentielles recommandées à des « sociétés » d’individus pour lesquelles la longue marche vers la flexibilisation, l’affaiblissement des « relations à l’objet » et la licence générale accordée à des relations infidèles ou réversibles entre les êtres humains ont mené au « but » (…) justement prophétisé par Spengler : cet état où il est devenu impossible de décider si l’individu est habile ou décadent … » 31

Le devenir Numérique: raison statistique, algorithmique, régime ichnologique

Un des effets majeurs de la numérisation du signe, des réseaux hypertextuels, de la dissémination d’interfaces à la plasticité toujours plus grande et aux applications logicielles toujours plus nombreuses, du peuplement du monde par les puces RFID, , du caractère toujours plus distribuée des mémoires et des systèmes d’écritures (cette liste de procès et caractéristiques n’est pas pas exhaustive), a été d’attirer à nouveau l’attention sur un certain nombre de questions anthropologiques. Pour aller vite, cette attention s’est à nouveau portée sur les dimensions et les conséquences socio-cognitives de la variation des couplages structurels complexes cerveaux / écritures / mondes, sur la différenciation et prolifération sans précédent des formes textuelles, visuelles, sonores de leurs alliances. De même, pour reprendre la formule de Gerard Berry, le monde devenant numérique, la domination de l’algorithmique 32 que ce soit au coeur des sciences, des réseaux, de la robotique, au coeur des modes de classement et de tri et de recherche de données… des subjectivités, des esthétiques…ou au coeur des collectifs ne cesse de s’accroitre.

On sait en effet combien, par exemple est fort aujourd’hui le lien entre les diverses formes gouvernementalité et cette algorithmique généralisée, combien sont nouées formes de pouvoir et “raison statistique”, sociologies et statistiques assumant une sorte de fonction fabulatrice extraordinaire.33 Ces noces là sont sans fin et jusqu’à devenir sorcières et baroques, nourries aux flux et stocks immenses des traces que laissent toutes nos pratiques et actions, du click le plus furtif (aux conditions d’un logiciel primitif), aux trajectoires les plus sophistiquées où se déposent et se laissent déchiffrer les histoires et cartographies entrelacées de nos lectures et visions de nos rythmes et de nos attentions, de nos prédilections pour telle ou telle substance d’expression… de nos compulsions et nos hésitations, de nos tremblements consuméristes et de nos silences “par défaut”, au sein du labyrinthe à n-dimensions de l’Internet. Elles nous mènent encore aux architectures plus ou moins stables de ce que nous associons et / où de cela, de tout cela qui s’associe à nous en des graphes tantôt grossiers, tantôt subtils, aux formes infiniments variés. Incarnations du rêve scientifique de Gabriel Tarde34 et de Bruno Latour 35 .

31 Peter Sloterdijk, Le palais de cristal, à l’intérieur du capitalisme planétaire, Maren Sell Editeurs, 2006

32 Gerard Berry, « Pourquoi et comment le monde devient numérique », Leçon inaugurale du Collège de France, Edition Fayard, 2008.

33 Louise Merzeau, De la surviellance à la veille,

http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/docs/00/48/32/94/PDF/CITES-MERZEAU.pdf

et Antoinette Rouvry, Thomas Berns, Le nouveau pouvoir statistique : ou quand le contrôle sur un réel normé, docile et sans évènement car constitué de corps numériques… http://multitudes.samizdat.net/Le-nouveau-pouvoir-statistique, ont pointé et analysé pour partie cette question, de manière forte.

34 Gabriel Tarde, Les lois de l’imitation, Paris, Kimé Éditeur, 1993, http://classiques.uqac.ca/classiques/tarde_gabriel/lois_imitation/lois_imitation.html

35 Bruno Latour et alii… ont clairement rendu compte de cela : « In this paper we argue that the new availability of digital data sets allows one to revisit Gabriel Tarde’s (1843-1904) social theory that entirely dispensed with using notions such as individual or society. Our argument is that when it was impossible, cumbersome or simply slow to assemble and to navigate through the masses of information on particular items, it made sense to treat data about social connections by defining two levels: one for the element, the other for the aggregates. But once we have the experience of following individuals through their connections (which is often the case with profiles) it might be more rewarding to begin navigating datasets without making the distinction between the level of individual component and that of aggregated structure. It becomes possible to give some credibility to Tarde’s strange notion of ‘monads’. We claim that it is just this sort of navigational practice that is now made possible by digitally available databases and that such a practice could modify social theory if we could visualize this new type of exploration in a coherent way ». in « The Whole is Always Smaller Than Its Parts, A Digital Test of Gabriel Tarde’s Monads » in the British Journal of Sociology: Bruno Latour, Tommaso Venturini, and Dominique Boullier Sciences Po, Paris Pablo Jensen, Sébastian Grauwin, Institut Rhône alpin des Systèmes Complexes (XXI) and Laboratoire de physique, CNRS, ENS de Lyon

La position de désir de Gabriel Tarde.

“Si la statistique continue à faire les progrès qu'elle a faits depuis plusieurs années, si les informations qu'elle nous fournit vont se perfectionnant, s'accélérant, se régularisant, se multipliant toujours, il pourra venir un moment où, de chaque fait social en train de s'accomplir, il s'échappera pour ainsi dire automatiquement un chiffre, lequel ira immédiatement prendre son rang sur les registres de la statistique continuellement communiquée au public et répandue en dessins par la presse quotidienne. Alors, on sera en quelque sorte assailli à chaque pas, à chaque coup d'œil jeté sur une affiche ou un journal, d'informations statistiques, de renseignements précis et synthétisés sur toutes les particularités de l'état social actuel, sur les hausses ou les baisses commerciales, sur les exaltations ou les attiédissements politiques de tel ou de tel parti, sur le progrès ou le déclin de telle ou telle doctrine, etc., etc.” (…) “Par suite, en admettant un perfectionnement et une extension de la statistique poussés à ce point, ses bureaux seraient tout à fait comparables à l’œil ou à l'oreille. Comme l’œil ou l'oreille, ils synthétiseraient, pour nous éviter cette peine, des collections d'unités similaires dispersées, et nous présenteraient le résultat clair, net, liquide de cette élaboration. Et certainement, dans ce cas, il n'en coûterait pas plus à un homme instruit de se tenir constamment au courant des moindres changements de l'opinion religieuse et politique du moment, qu'à une vue affaiblie par l'âge de reconnaître un ami à distance ou de voir venir un obstacle assez à temps pour ne pas le heurter. Un jour viendra, espérons-le, où un député, un législateur, appelé à réformer la magistrature ou le code pénal, et ignorant (par hypothèse) la statistique criminelle, sera chose aussi introuvable, aussi inconcevable que pourrait l'être de nos jours un cocher d'omnibus aveugle ou un chef d'orchestre sourd”.

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Faire parler les traces est donc le nouvel impératif catégorique dans la grande transformation numérique.

Comme nous venons de le dire le déploiement des écritures et des réseaux numériques entraîne une transformation des mémoires, des dispositifs de publication, des niches écologiques qui sont conditions de notre vie, de nos modes d’existence et ce, dans leurs dimensions publiques et privées. Ce déploiement est planétaire et il affecte, bien que de manière très différenciée et inégale en terme d’actualisation, nos anthropologies, nos pratiques sociales, nos pratiques sociocognitives, nos subjectivités, nos processus d’identification. De nouvelles économies politiques émergent associées à de nouvelles économies libidinales. A partir des nouvelles dimensions réticulaires, une nouvelle onto-éthologie des individus est en cours de déploiement et les collectifs de travail et de pensée sont profondément recomposés.
 N’en déplaisent à certains, nous ne sommes pas confrontés à une perte de liens, à un appauvrissement des associations, de ce qui nous attache et nous lie, mais à une transformation, à une différenciation conduisant à une saturation de tout cela où se joue pour une part essentielle la question de l’avenir de nos devenirs et des processus d’altération, des sociétés ouvertes. Déjà en 1990, Deleuze écrivait: “Il n’ y a pas besoin de science-fiction pour concevoir un mécanisme de contrôle qui donne à chaque instant la position d’un élément en milieu ouvert, animal dans une réserve, homme dans une entreprise (collier électronique). Félix Guattari imaginait une ville où chacun pouvait quitter son appartement, sa rue, son quartier, grâce à sa carte électronique (dividuelle) qui faisait lever telle ou telle barrière ; mais aussi bien la carte pouvait être recrachée tel jour, ou entre telles heures ; ce qui compte n’est pas la barrière, mais l’ordinateur qui repère la position de chacun, licite ou illicite, et opère une modulation universelle”.
37

36 Gabriel Tarde, Les lois de l’imitation, Paris, Kimé Éditeur, 1993,

http://classiques.uqac.ca/classiques/tarde_gabriel/lois_imitation/lois_imitation.html

37 Gilles Deleuze, Post Scriptum sur les sociétés de contrôle, Pourparlers, Éditions de Minuit, Paris, 1990

Ce déploiement d’un vaste ensemble de systèmes relationnels et de cartographies dédiées, résonne avec une évolution plus ou moins accentuée du « Politique » comme expérimentation généralisée et comme domination problématique des moyens et de la performativité des procédures sur les Fins éthiques et politiques. Les grandes crises écologiques (sociale, mentale, environnementale) qui sont à la traversée de transformations anthropotechniques, économiques, cognitives, organisationnelles, militaires etc. pour partie majeure sous les conditions du numérique et les devenirs scientifiques et techniques associés, accentuant ces tendances et processus. Devenirs biopolitiques et psychopolitiques, prenant des formes nouvelles, inédites. On comprend toute l’importance des efforts qui tendent à développer une sémiopolitique des interfaces nouvelles 38 capable d’indiquer les rapports de production nouveaux, les 39 formes de leur d’asservissement (au sens machinique de ce terme) et d’assujettissement, hybridation, qui se mettent en place par et au cœur des dispositifs informationnels communicationnels numériques, sans parler des formes existentielles, des temporalités et des trouées dans la texture étouffante des sociétés de veille.

Texture qui se trame à partir d’une ichnologie 40 toujours plus extensive et intrusive. Le spectre de la traçabilité hantant les nouveaux modes de travail, les nouveaux modes d’existence et les nouveaux modes de gouvernementalité.

Cette stratégie généralisée des interfaces et donc des normes, constitue un des piliers majeurs de la transformation de la gouvernementalité aujourd’hui, plus précisément dans le cadre du devenir « Empire » tel qu’il est définit par A. Negri et M. Hardt. 41 On assiste en effet à un affaiblissement relatif des systèmes de contrôle centralisé, et à un renforcement des systèmes de contrôle, de veille, immanent au système de production des réseaux distribués. La gestion de ces vastes et complexes réseaux acentrés se faisant sur un mode multifractal, avec un grand nombre de boucles récursives et de règles locales, ces dernières portées par des interfaces machiniques numériques de plus en plus sophistiquées.

Quels que soient les niveaux d’échelle, des intranets aux processus de globalisation avec les passages en cours de la forme de l’état nation, vers l’état marché (dans le cadre de la tentative d’établissement, à marche forcée, d’un marché mondial), des formes classiques de la souveraineté vers des nouvelles formes décentralisées, relativement complexes (ou la privatisation même des fonctions régaliennes va bon train y compris la privatisation des machines de guerre), ces passages donc, se manifestent encore à travers la montée en puissance de la question logicielle comme question politico-stratégique majeure.

Selon l’analyse de A. Negri et M. Hardt dans le contexte impérial « l’administration devient fractale et vise à intégrer les conflits non en imposant un dispositif social cohérent mais en contrôlant les différences ». (…) Quatre principes sont, pour eux, à l’oeuvre, qui sont l’expression et l’exprimé d’une bio-psychopolitique sophistiqué, en appui sur des modes d’écritures numériques en plein essor, sur une ichnologie en expansion, technopolitique elle-même en appui sur les mémoires numériques couplées à des technologies intellectuelles puissantes, à des systèmes de géolocalisation multiterritoires, c’est-à-dire, incluant les territoires numériques et les territoires existentiels avec leurs processus de subjectivation, leur économies libidinales, et ce à des échelles différentes. Nous nous arrêtons sur le quatrième principe comme la caractéristique « positive » de l’administration impériale. « La matrice unifiante et la valeur la plus dominante de l’administration impériale réside dans son « efficacité locale ».

38 Gilles Deleuze, Felix Guttari, Mille plateaux, Editions de minuit, 1981 Louise Merzeau,

http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/docs/00/48/32/94/PDF/CITES-MERZEAU.pdf

39 40 Noyer JM et Carmes M (2011), Les interfaces machiniques comme problème sémio-politique, in « Enjeux politiques du document numérique», « Document Numérique et Société », ADBS éditions, 2011, chap.11, pp193-216 et

Le « pluralisme sémiotique » et le nouveau gouvernement des signes, Hommage à Félix Guattari, Maurizio Lazzarato, 2006

41 Antonio Negri, Michael Hardt, Empire, Harvard University Press, New Ed, 2001

Et « l’autonomie locale est ainsi condition sine qua non du développement du régime impérial. (…) Le consentement au régime impérial n’est pas quelque chose qui descend de la transcendance de la bonne administration, définie naguère dans les Etats de droit modernes. Le consentement se forme plutôt grâce à l’efficacité locale du régime ». Et cette efficacité – performativité s’incarne entre autre, dans et par la prolifération des interfaces machiniques qui assurent la multiplication des boucles récursives, leur différenciation. Elle s’incarne aussi par une production cartographe profondément renouvelée, donnant accès aux onto-éthologies des individus autant que des collectifs, ces accès étant au coeur de la restructuration et redéfinition des rapports de force politique. Qui peut extraire et exploiter les graphes correspondants à partir des traces numériques (singulières et / ou collectives) occupe une position de supériorité au sein des économies politiques, libidinales, stratégiques. Qui peut exploiter les variations des rapports de vitesse et de lenteur entre les systèmes d’écritures, les variations des combinatoires entre « mêmes »… opérant au cœur de la question socio-politique des modes d’intelligibilités et des processus de subjectivation, acquiert une position dominante dans la production circulation, consommation des savoirs.

Big Data, Open Data…

C’est la raison pour laquelle ce qu’on appelle les Big Data, les Open Data sont au centre de tensions sociocognitives et politiques majeures, mais aussi au sein de débats épistémologiques importants, en particulier ceux portant à la fois sur la puissance de l’empirie numérique et de l’algorithmique statistique et sur la remise en cause de la place de la Théorie, sur l’efficace de ses dimensions spéculatives et de la modélisation conceptuelle.42 “At the petabyte scale, information is not a matter of simple three- and four-dimensional taxonomy and order but of dimensionally agnostic statistics. It calls for an entirely different approach, one that requires us to lose the tether of data as something that can be visualized in its totality. It forces us to view data mathematically first and establish a context for it later ». (…) « There is now a better way. Petabytes allow us to say: "Correlation is enough." We can stop looking for models. We can analyze the data without hypotheses about what it might show. We can throw the numbers into the biggest computing clusters the world has ever seen and let statistical algorithms find patterns where science cannot. »

D’autres interrogations sont à l’œuvre dans le champ des Sciences Humaines et Sociales. Il convient de bien mesurer les évolutions des écritures numériques en particulier sous la forme de ce que l’on appelle, le web sémantique et socio-sémantique, ou bien encore la question des ontologies.

43 42 Le paradigme de Jim Gray: ses paramètres, ses conséquences.

The F o u r t h P a r a d i g m, Data-Intensive Scientific Discovery. “Data-intensive science consists of three basic activities: capture, curation, and analysis. Data comes in all scales and shapes, covering large international experiments; cross-laboratory, single-laboratory, and individual observations; and potentially individuals’ lives.”We must create a generic set of tools that covers the full range of activities—from capture and data validation through curation, analysis, and ultimately permanent archiving ». And « Curation covers a wide range of activities, starting with finding the right data structures to map into various stores. It includes the schema and the necessary metadata for longevity and for integration across instruments, experiments, and laboratories. Without such explicit schema and metadata, the interpretation is only implicit and depends strongly on the particular programs used to analyze it. Ultimately, such uncurated data is guaranteed to be lost. » « Data analysis covers a whole range of activities throughout the workflow pipeline, including the use of databases (versus a collection of flat files that a database can access), analysis and modeling, and then data visualization. GORDON BELL (Fourth’s Paradigm). Tony Hey, Stewart Tansley, Kristin Tolle, The Fourth Paradigm: Data-Intensive Scientific Discovery, 2009

Voir aussi la discussion des thèses de Chris Anderson (Editor-in-Chief of Wired magazine) The end of theory: Will the Data Deluge Makes the Scientific Method Obsolete? And On Chris Anderson’s The end of Theory, by George Dyson, Kevin Kelly, Stewart Brand, W. Daniel Hillis, Sean Carroll, Jaron Lanier, Joseph Traub, John Horgan, Bruce Sterling, Douglas Rushkoff, Oliver Morton, Daniel Everett, Gloria Origgi, Lee Smolin, Joel Garreau. Voir aussi, Les Dossiers de la Recherche: La révolution des mathématiques, en particulier “L’informatique renouvelle les mathématiques” par Gerard Berry, Directeur de recherche à l’Inria, et membre de l’académie des sciences.

43 Jean-Max Noyer, Brigitte Juanals, La question pragmatique dans le contexte des mémoires numériques, H2PTM’07, Edition Hermès Lavoisier,2007

Ces écritures sont là encore en première ligne et la maîtrise et la conception des mémoires numériques participent pleinement de ce que Jean-François Lyotard nommait en 1979, “ la légitimation par la puissance. (…). Cette dernière s’auto-légitime comme semble le faire un système réglé sur l’optimisation de ses performances. Or c’est précisément ce contrôle sur le contexte que dit fournir l’informatisation généralisée. La performativité d’un énoncé, qu’il soit dénotatif ou prescriptif, s’accroît à proportion des informations dont on dispose concernant son référent. Ainsi l’accroissement de la puissance et son autolégitimation, passe à présent par la production, la mise en mémoire, l’accessibilité et l’opérationnalité des informations”. 44 Mais pour suivre ici Yannick Maignien, 45 la révolution numérique est à la fois l'objet et l'instrument du développement contemporain des SHS. Elle en est l'instrument : “les infrastructures numériques, comme pour toutes les sciences, doivent équiper, instrumenter les diverses disciplines des SHS. En l'occurrence, face à la diversité et richesse sémantique et méthodologiques des disciplines, loin d'être une structure monolithique, un projet d'infrastructure est d'une part l'organisation complexe des moyens génériques lourds (archivage pérenne, stockage, calcul, hébergement, publication, édition) allant vers une « grille de services », depuis les données primaires d'observation jusqu'à la mise en forme théorique de résultats opérationnels”. Mais c’est aussi “ d'autre part une hiérarchie d'outils vers les applications spécifiques à telle ou discipline, au plus près des enjeux sémantiques les plus riches (…) Ces outils spécifiques sont plus ou moins intégrés et interopérables selon les disciplines. Dans cette problématique du Web sémantique, socio-sémantique pour les SHS, le numérique ne peut avoir seulement statut d'instrument. Il doit dans le même temps être l'objet d'une analyse poussée et d'une théorisation des transformations de ce que le numérique produit dans la société, le travail, la culture, le savoir, l'éducation, l'information, l'organisation des territoires, les bio-pouvoirs, la communication, la création, l'économie mondialisée ou la politique”. .

Le Data Mining

Dans ce contexte et dans le contexte élargi de l’ économie politique du marketing, de l’économie sécuritaire, de l’urbanisation et du développment durable, de l’extension des moyens de pilotage sémiotique… le Data Mining est devenu un nouveau “grand récit”, récit souterrain et pourtant aveuglant qui tend à structurer et à façonner le monde. Des Sciences Humaines en passant par le Marketing et l’Economie, les dimensions Sécuritaires et Stratégiques, les diverses formes de Data Mining et modes d’intelligibilité, ont fait se nouer en des alliances parfois troubles et dangereuses, techniques de profiling et prédiction, performation et préeemption. 46 Plus que jamais la tentation, qui d’un certain point de vue pourrait être funeste, de produire un contrôle continu de la réalité politique, de la réalité stratégique et économique, de la psychopolitique, trouve là de quoi nourrir ses rationalités insomniaques. Le Data Mining étant la colonne vertébrale assurant le passage des sociétés de contrôle aux sociétés de veille ou de “sousveillance”.

Open Data

C’est selon cette perspective qu’il convient d’examiner sinon les débats, du moins l’agitation autour de la montée au premier plan ce que l’on appelle les « Open Data ».

45 44 Jean-François Lyotard, La condition Postmoderne, Editions de Minuit, 1979 Yannick Maignien, Les nouvelles frontières numériques des sciences (Editorial, Adonis 2009) et communication personnelle pour le GRICO.

46 Philip K. Dick, "The Minority Report", 1956.

Thomas Berns : « L’efficacité comme norme » in Dissensus, Revue de philosophie politique de l’ULG – N°4 – Avril 2011.

Voir aussi le concept de préemption dans le domaine stratégique. Bernard E. Harcourt, Against Prediction. Profiling, Policing, and Punishing in an Actuarial Age. Chicago, The University of Chicago Press, 2007.

C’est une des conséquences là encore de croissance exponentielle des connaissances, informations, données, des savoirs produits et circulant, s’échangeant sur les réseaux numériques et des contraintes liées à la gestion des collectifs et aus diverses dimensions des crises écologiques. La transformation numérique pénètre on l’ a déjà dit, tous les secteurs de la société, des sciences, du commerce, des entreprises, des institutions etc… et elle est amplifiée par la croissance extrêmement rapide de l’internet des objets.
 Ce que l’on appelle le « web des données » peut être vu comme un ensemble de procès qui convergent vers un objectif commun : la dissémination dans l’espace public et privé des données et la « réutilisation intelligente des données indépendamment de leur contexte numérique d’origine ». Cela pose aussi un certain nombre de questions et de difficultés.

Le mouvement «Open Data » est l’occasion d’une renégociation politique des relations entre savoirs et pouvoirs, d’une transformation des intelligences collectives, d’une libération des flux de savoirs qui circulent. C’est aussi une occasion d’élaborer des critériologies nouvelles pour évaluer l’impact économique et politique des nouveaux modes de production, circulation des données et des savoirs dans le contexte des évolutions des écologies (en crise) environnementales, du travail, du psychisme, de la culture.

Données de la science, données juridiques, données socio-économiques, mais encore, les systèmes d’adressage (comme des identificateurs géographiques qui expriment la localisation de lieux et événements) ou bien des données climatologiques, géologiques, des données liées à l’agriculture, à l’art… sont prises dans ce processus. Plus encore, se développent ici et là, liées entre autres aux problèmes du développement durable, de l’écologie, des nouvelles empiries numériques des sciences … mais aussi de la sécurité, des « real-time environnemental databases » qui se fondent sur la collecte distribuée et la dissémination de capteurs dont les vecteurs sont des parties du public, des groupes de citoyens. Selon une perspective proche, les relations entre les experts et le monde « profane » se trouvent aussi être en voie de transformation. C’est le cas par exemple des mouvements de malades qui veulent partager les connaissances avec les médecins, faire entendre leurs voix et leurs approches des maladies, les médecins pouvant à leur tour profiter si l’on ose l’expression, de « l‘expertise profane » et des données issues de programmes de collecte contrôlée… On pourrait multiplier les exemples et les expérimentations.

Les conditions de production, circulation, exploitation des connaissances, informations, données sont donc profondément affectées et en débat. Les modèles économiques et politiques, mais aussi les régimes juridiques subissent les assauts de nouveaux acteurs, de nouvelles demandes et pratiques, de nouveaux usages.47

Des technologies émergentes rendant possibles de nouvelles manières « distribuées » de fabriquer des données, de les collecter et de les redistribuer dans les circuits des flux informationnels, sont en développement rapide, et ce, associées à la miniaturisation des interfaces, à la multiplication des applications logicielles de plus en plus sophistiquées. Dans ce contexte, les modèles de gouvernance centralisés et « top down » se trouvent devoir entrer en concurrence, co-exister, avec des modèles a-centrés, distribués et « bottom up ». Et l’Etat et ses ministères, les institutions et entreprises publiques, les régions, les villes… sont convoqués à répondre de quelque manière que ce soit à ce mouvement et aux injonctions de la communauté européenne tout en continuant à préserver le maintien de rapports équilibrés et protecteurs entre données personnelles, vie privée et « bien communs ».

47 http://www.gnu.org/philosophy/free-sw.fr.html;

http://creativecommons.org/;

http://opendatacommons.org/licenses/by/1.0/

Autour de cela, des tensions apparaissent au cœur même des fondements de nos systèmes démocratiques, au cœur même des économies de marché. Au droit de propriété venu en droite ligne de l’individualisme possessif de Hobbes, le renouveau des droits collectifs tente d’opposer des alternatives à partir de la théorie et pratique des « commons » dont l’incarnation la plus prometteuse est celle portée par Elinor Ostrom 48 et Charlotte Hesse par delà les extrêmes qui s’expriment dans ce que certains appellent le « romantisme du domaine public » et dans la résurgence d’un communisme primitif.

Propulsés par les mouvements du logiciel libre, de l’Open Source et de l’Open Archive Initiative, les nouveaux modèles, contestant les dérives de l’extension apparemment sans limite du droit de propriété, ont tenté et tentent avec de plus en plus de force de desserrer le lien dominateur entre les formes capitalistiques du droit de propriété intellectuelle, les dynamiques de l’intelligence collective, l’innovation et la création. Les travaux de Lawrence Lessig, Richard Stallman, Steven Harnad, Paul Ginsparg sont ici séminaux.49 En proposant des formes librement consenties de propriété collective et en s’appuyant sur la productivité des pratiques distribuées, l’adaptabilité de modes de gouvernance bottom-up, ces mouvements participent au changement positif des processus créatifs et au plan anthropologique et politique, à la transformation de la culture délibérative démocratique, à l’apprentissage d’une culture de la controverse et à l’invention de nouveaux modes de gouvernance, polycentriques et variés.

Certes l’ouverture des mémoires numérisées, des bases de données (open data) du domaine public, le développement de nouvelles mémoires dans un nombre toujours croissant de secteurs de ce domaine public, doivent cohabiter avec la production de nouveaux types de mémoires dans le cadre de la société civile et cela ne rend pas forcément aisée la compréhension des problèmes posés par ce mouvement qui se présente comme une célébration de la transparence comme vertu démocratique. Or, nous n’oublions pas que la « libération » de ces données s’effectue sous les conditions des asymétries fondamentales entre les citoyens, les collectifs, les organisations. Ces asymétries, de type socio-cognitif, culturel, économique, ces asymétries qui concernent aussi les conditions d’accès, la maîtrise des techniques intellectuelles, traversent de part en part ce processus « de libération ». Les usages sont extrêmement différenciés, les capacités d’extraction de savoirs nouveaux à partir de ces données, la remise en jeu de ces savoirs dans le processus de circulation et de production etc … sont soumis à ces cribles très discriminants. Et il apparaît de plus en plus nettement que l’Open Data ne pourra faire l’économie d’une réflexion sur et d’une prise en charge de la formation citoyenne à la traversée du monde sociétal par l’informatique, par la numérisation. Ce mouvement devra aussi se poser la question de son articulation avec la dissémination des technologies intellectuelles, des logiciels même les plus élémentaires, visant la manipulation intelligente de ces données ainsi que la créativité individuelle et collective. Il se trouve donc devoir faire face à la question du nécessaire développement du web socio-sémantique, à la création d’interfaces démocratiques et à leur apprentissage.

La prolifération des Formes courtes

Nous avons évoqué ailleurs 50 le Data Mining comme grand récit des sociétés performatives, des sociétés de veille. Nous avons rapidement vu combien la constitution d’immenses mémoires numériques associées à une algorithmique de plus en plus conquérante rendaient possible la mise en visibilité de ce que nous appelons les onto-éthologies individuelles et collectives.

Dans ce cadre on comprend aisément l’intérêt renouvelé pour les formes narratives courtes, toute l’attention portée à leur prolifération et à tout ce dont, encore une fois elles sont l’expression et l’exprimé.

49 48 Elinor Ostrom (Prix Nobel d’Economie, 2009) et Charlotte Hesse, Understanding Knowledge as a Commons, From theory to Practice, MIT, 2007

http://fr.wikipedia.org/wiki/Lawrence_Lessig;

http://www.stallman.org/;

http://www.openarchives.org/;

http://archivesic.ccsd.cnrs.fr; http://arxiv.org/)

50 Grico : http://www.grico.fr

L’avènement de Twitter comme dernière incarnation du creusement des modes d’écritures et de tissage des textes, modes d’échanges de formes courtes, confirme le creusement des écritures, l’exploration des contraintes qui leur sont associées. « Contrainte » étant pris ici dans sa pleine et entière positivité, c’est-àdire comme « condition de productivité ». Twitter participe donc fondamentalement de la transformation des pragmatiques communicationnelles, de leurs composantes, à la transformation des processus infatigables de réécritures et de commentaires.

Mais nous raterions l’essentiel, faut-il le rappeler, si nous pensions pouvoir isoler les pragmatiques associées, établir un cordon sanitaire qui laisserait ce dispositif flotter seul, strate anthropologique dans sa solitude. Ce qui nous est donné et nous sert de milieu est un enchevêtrement d’écritures et d’interfaces, un enchevêtrement de combinatoires et de contraintes combinatoires.

Le statut des formes courtes, des micro-récits, leur vie, est depuis très longtemps (peut-être toujours) au coeur de la question “théologico-politico-cognitive”, des processus de subjectivation. Question théologico-politique et cognitive en effet. Kenneth Knoepsel rappelle qu’au “moyen-âge et à la renaissance (par exemple) la Bible, et les classiques, comme les métamorphoses d’Ovide, fonctionnaient comme des compendiums d’exemples qui étaient censés s’intégrer aux méta-récits religieux par le biais des stratégies herméneutiques associées à l’allégorie. De nos jours ces compediums continuent d’exister mais uniquement au sein d’un réservoir d’information électronique beaucoup plus vaste”. 51

Cette prolifération actuelle des formes courtes est en effet particulièrement riche pour qui s’intéresse à la métastabilité politique des collectifs, pour qui s’intéresse au maintien de cette métastabilité. Elles jouent aussi un rôle important dans le domaine de la circulation des savoirs, de la circulation des modèles, au coeur des processus cognitifs. Formes courtes et micro-récits présentent plusieurs caractéristiques, ou fonctions qu’il n’est pas inutile de rappeler. D’une manière générale, elles se définissent tout d’abord par la “clôture”. Clôture qui implique que la forme est toujours locale, répondant à ou visant un état ou une fonction toujours singulier. Cette clôture est toutefois relative et ne marque nullement la fin des processus soit d’interprétation, soit de connection soit de transformation dans laquelle elle est prise, reprise ou créée. Elles peuvent être stables dans la répétition, elles peuvent être aussi labiles et ce de plusieurs manières. Elles jouent encore un rôle très important dans la propagation des puissances psychiques et des formes (visuelles, sonores…) et des énergies sémiotiques. Elles sont le siège de percolations puissantes… et ouvrent à ce que l’on pourrait appeler des « formations ouvertes ». Elles ont encore une dimension subversive, une instabilité source d’inquiétude pour les pouvoirs. Mais elles peuvent aussi être couplées à la saturation des sémiotiques comme moyen de pouvoir ou de contrôle… à la saturation des temps en assurant la « suture » toujours précaire des moments, des instants, saturation qu’assurent le commentaire, le travail incessant de commentaire. Tel est le cas des formes courtes des médias journalistiques. Elles sont à cet égard exemplaires. L’incessant et presque pathologique travail de commentaire peut être vu là comme une sorte d’occupation coloniale de l’esprit, de l’attention, par privation de lignes de fuites, par privation de silence, par privation de prise sur les rapports de vitesse et de lenteur comme lieu de la lutte politique. Le silence étant perçu comme rupture inquiétante, trou dangereux dans le continuum de l’occupation, mobilisation permanente de la psyché.

51 Kenneth Knoespel, L’écriture, le chaos et la démystification des mathématiques, in Littérature et Théorie du Chaos, in TEL, Presse Universitaire de Vincennes, 1994

Une des tâches, du commentaire insomniaque est de tenter de mettre sous contrôle les processus de chaotisation qui naissent avec les formes courtes. Tentative vaine puisqu’ il y a, dans le travail de saturation par le commentaire, une sorte d’incomplétude radicale qui ne cesse, au bout du compte, de produire les conditions de son propre démantèlement. Et on objectera donc, à bon droit, que ce travail de maîtrise par la prolifération des « commentaires » est aussi une des conditions de l’exercice démocratique a minima, est herméneutique fébrile et inquiète d’une société ouverte. Mais cette herméneutique insomniaque peut toujours se transformer en poison, asphyxiant la possibilité du libre jeu des processus d’altération, du libre jeu des coupures et des ruptures. Du libre jeu afin dans le changement non ordonné des cadres de références, le libre jeu des devenirs par-delà les oligarchies dominantes des prêtres, des experts, oligarchies adossées, couplées souvent à des oligarchies financières et ou industrielles, religieuses, scientifiques manoeuvrant au sein des doxas dociles… En fin de compte pour produire une espèce de consomption stérile.

En tous cas, dans le cadre plus vaste des réseaux numériques, les formes courtes accentuent et mettent à vif les dimensions d’événement et de hasard inhérentes à tout discours, à toute forme narrative. Dans le contexte numérique tel qu’il est creusé par Twitter, ces questions sont pour ainsi dire portées à incandescence et le trouble de la maîtrise se répand à tous les niveaux d’échelle et dans les instances moléculaires et molaires. La plupart des travaux menés sur Twitter l’expriment de manière claire. On sent bien l’inquiétude, qu’elle soit en habit de soirée ou en kaki qui rôde autour de cela et l’on voit une sorte d’éréthisme discursif généralisé peupler la strate numérique, se développer et prendre la forme d’une polémologie des commentaires en abymes et insomniaques, pour des maîtrises tantôt souveraines, tantôt incertaines, en tous cas dont la perpétuation nécessite beaucoup d’énergies et une intense productivité sémiotique. Comme nous l’a indiqué M. Foucault 52 parmi les procédures de contrôle des discours il y a le commentaire, aujourd’hui accompagné de la possibilité d’en écrire la vie, les trajectoires et les altérations-créations, l’insertion dans des agencements spécifiques. Dans l’immense bruissement des formes courtes de la strate numérique, bruissement qui fascine sociolinguistique et linguistique mathématique, avides de corpus immenses d’où elles pensent faire émerger, grâce des algorithmes statistiques et à partir des infinies variations inhérentes des langues et des écritures, de nouveaux modèles menant vers des compréhensions plus profondes de ces mêmes langues et régimes de signes, une des principales difficultés consiste à faire la part des discours “qui “se disent” au fil des jours et des échanges et qui passent avec l’acte même qui les a prononcés; et les discours qui sont à l’origine d’un certain nombre d’actes nouveaux de paroles qui les reprennent, les transforment, ou parlent d’eux, bref les discours qui indéfiniment, par delà leur formulation, sont dits, restent dits, et sont encore à dire”53. Il y a là, à n’en pas douter, une sorte de bataille permanente pour déceler les fragments et les textualités, les textures et les “mêmes”, qui pris dans d’agencements spécifiques, vont pour ainsi dire, ouvrir à une productivité non-stérile de commentaires. Comment déceler la bonne saillance et la bonne prégnance des commentaires, peut apparaître aujourd’hui comme une tâche essentielle de l’Education, dès lors qu’il s’agit bien d’apprendre à lire-écrire dans de tels espaces toujours en voie de saturation, et avec l’aide de nouvelles technologies intellectuelles, tout en respectant et prenant au sérieux ce que l’on peut nommer les intelligences collectives d’usage, “bottom up” qui se manifestent là et sont très différenciées, tantôt de type cognitif, tantôt de type affectif, magique…? La proposition Twitter oeuvre donc à une nouvelle pragmatique des réseaux et les contraintes d’écritures de Twitter introduisent dans le jeu des écritures et des pragmatiques communicationnelles de nouveaux rapports de vitesse et de lenteur, ces contraintes affectant la durée de vie des agencements communicationnels. Ces nouveaux rapports concernent à la fois les dimensions socio-cognitives, affectives… mais aussi donc la stabilité ou métastabilité des communautés (quel que soit leur taille).

52 53 Michel Foucault, L’ordre du discours, Edition Gallimard, 1971 Idem

Twitter comme territoire Markovien.

La question des rapports de vitesse et de lenteur est complexe et les modes de communication se font à partir de Twitter, pour une part importante sur un mode non final mais non dépourvu d’un ordre. De ce point de vue on peut dire que les interactions linguistiques, sémiotiques entre actants de Twitter sont pour une part de type markovien 54 et les éléments de ce champ markovien sont eux pour partie a-signifiants, les écritures qui s’y déploient sont plutôt « transcursives », c’est-à-dire opérant « à même réel ». penser l’ordre sans l’aligner sur une continuité ni toutefois succomber au désordre”. 55 Mais Twitter (en tant qu’il est inclut dans un agencement plus vaste d’écritures et de pragmatiques) est traversant et traversé d’autres territoires, discursifs, narratifs où les éléments sont fondamentalement signifiants. Et en dépit des contraintes d’écritures, les micro-blocs qui sont en interaction co-existent avec des blocs sémiotiques potentiellement plus denses (sous les conditions par exemple des adresses internet) introduisent au cœur de ce type de pragmatique probabilistique ou semi aléatoire, des phénomènes de ralentissement et de surgissement de procès sémantiques orientés par des chaînes signifiantes à forte causalité et finalité. Voilà comment par exemple un contributeur, un journaliste du monde diplomatique perçoit son rapport à Twitter et en décrite ses usages : « J’ai commencé à tweeter il y a environ trois mois. Cela m’a permis de comprendre comment fonctionnait cet outil et les différents usages que l’on pouvait en faire, certains étant très éloignés de ce qui m’intéresse. Aussi, je ne pense pas donner d’informations sur mes activités quotidiennes, ni l’heure de mon réveil, ni le contenu de mes repas. En revanche, je trouve cet outil utile pour trois raisons : pouvoir faire partager la lecture d’articles ou de textes qui méritent d’être diffusés (pour l’essentiel je me limite au français et à l’anglais) mettre en lumière des informations peu répercutées dans la presse et qui peuvent intéresser parfois le « grand public », parfois seulement les spécialistes ; informer sur les débats auxquels je participe et qui concernent les thèmes abordés dans Nouvelles d’Orient ». 56 Les usages de Twitter sont donc à examiner en fonction des agencements d’énonciation et des agencements machiniques dans lesquels ils sont inclus et donc en fonction des rapports différentiels entre les mémoires qui sont convoquées, les pratiques socio-cognitives qui leur sont attachées et les types d’interfaces impliqués. La pragmatique communicationnelle y est semi-aléatoire, “ un mixte d’aléatoire et de dépendant qui permet de

De ce point de vue la miniaturisation des interfaces et donc la mobilité de ces dernières sont des processus majeurs, les formes courtes et les pratiques alertes qu’elles permettent et privilègient, portant la charge d’avoir, de manière distribuée, à maintenir la métastabilité des collectifs.

On sait que Markov a étudié les phénomènes aléatoires partiellement dépendants. Il a été, au début du siècle, un des précurseurs de la théorie de l’information. Comme mathématicien et linguiste, Markov, a écrit une série d'articles de calcul des probabilités formalisant ses modèles de «probabilités en chaînes» que l’on appelle maintenant «chaînes de Markov». Ces modèles proposaient de formaliser les relations existant entre les probabilités de transition, permettant de prendre en compte un ou plusieurs états antérieurs du système considéré. Pour aller à l’essentiel, ces processus caractérisent des systèmes, des dispositifs dont l’état probable dépend de l’état immédiatement antérieur mais non du passé en général. Dans le cadre linguistique, c’est le cas des mots qui se succèdent dans une phrase et dont la probabilité d’apparition dépend de manière forte des mots qui les précèdent immédiatement, sans dépendre nécessairement des premiers mots de la phrase. Gilles Deleuze attachera à ces processus une grande importance. Les enchaînements de Markov sont différents de l’absence d’ordre autant que de la discontinuité. Pour Deleuze la nature de l’ordre est semi-aléatoire. Il écrit, « nous empruntons l’expression « morcelage ré-enchaîné » à R. Ruyer qui s’en sert pour caractériser les célèbres chaînes de Markov ; celles-ci se distinguent à la fois des enchaînements déterminés et des distributions au hasard, pour concerner des phénomènes semi-fortuits ou des mixtes de dépendance et d’aléatoire. (La genèse des formes vivantes, Flammarion, ch.7) « Les chaînes de Markov renvoient à des tirages successifs « partiellement dépendants », des enchaînements semi-fortuits, c’est-à-dire des réenchaînements »

(Note 36, p.277, in l’Image-Temps, Editions de Minuit).

55 Gilles Deleuze et Felix Guattari, Anti-Œdipe, p. 45-46, Editions de Minuit, 1972, L’image-temps, Edition de minuit, et Raymond Ruyer, La genèse des formes vivantes, Edition Flammarion, 1958

56 Voir l’article plein d’humour de Margaret Atwood, « Deeper into the Twungle », The New York Review of Books, March, 12, 2012

54

Elles assurent des fonctions de liaisons, sortes d’embrayeurs temporels et sémiotiques opérant jusqu’aux strates non-numériques et de ce fait, en élargissant les possibilités de réglages sur les voisins, concourent à ce que l’on pourrait appeler, une métastabilisation “catastrophique” des collectifs, des “vanishing communities” à des ensembles plus stables perdurant selon des temporalités longues. Elles jouent donc un rôle décisif quant aux processus de synchronisation tout en maintenant ouverts les processus de diachronisation, les possibilités des devenirs comme émission de singularités et bifurcations…ce qui, pour les pouvoirs, hantés par le contrôle continu des flux et de la réalité politique, anthropologique, culturelle, est une double contrainte relativement insupportable.

C’est la raison pour laquelle il y a une sorte d’obsession Twitter, autour de sa puissance qui naît de la zone frontière, entre les deux procès, entre la propagation des micro-modèles, des micro-récits et leur altération selon des temporalités courtes. Zone où les pragmatiques communicationnelles et les différents niveaux de cognition et de subcognition se mélangent et se tressent, se font et se défont, aux substances d’expression et aux échelles sémantiques près. Zone encore, où s’affrontent les capacités à introduire des différences dans la répétition et où les émergences statistiques du mental travaillent les sémiotiques signifiantes et ouvrent des lignes de déterritorialisation dans les agencements perceptifs, cognitifs, scripturaux, etc…

Twitter et la question de l’éducation.

Comment donc exploiter dans le système éducatif, cette fenêtre d’accès singulière au tremblement, à la vibration cérébrale, “à ces pensées les plus belles mais qui sont aussi les plus frêles, les plus vives et les plus dures à attraper”? Comment faire pour exploiter ces dispositifs communicationnels et ces écritures aux combinatoires de “mêmes”, associées à l’automatisation de certaines tâches socio-cognitives et les introduire, dans des rapports ouverts, dans les apprentissages hérités, dans les apprentissages marqués par le ralentissement des processus cognitifs…? Comment mieux exploiter la contingence, l’indéterminisme des langages, la conditionnalité, le glissement des descriptions? A n’en pas douter la question de l’analogie est à nouveau retravaillée, de même que celles de l’abduction ou de la métaphore. Comment ce dispositif dédié aux formes courtes, aux micro-récits influe sur la puissance analogique, sur la capacité, par exemple, de faire glisser les composants abstraits d’une description d’un domaine vers un autre ? Comment affecte-t--il le caractère central de la glissabilité, pour suivre ici Douglas Hofstadter 57 Au niveau individuel et collectif, des “vanishing communities” au collectifs stabilisés et soudés d’actants, des agrégats les plus hétérogènes aux agrégats les plus homogènes, quel est l’impact sur l’établissement de connexions « qui se font par la bande, sans rien devoir à la causalité », connexions qui « sont tout aussi essentielles en ce qu’elles nous permettent de situer les faits dans une perspective – de comparer ce qui existe réellement avec ce qui, selon notre manière d’envisager les choses, aurait pu se produire ou qui pourrait même bien arriver »?58

De nouvelles forces…

Des forces nouvelles du dehors activent en l’homme des forces nouvelles, des médiations subtiles activent en nous de nouveaux états cérébraux, et les couplages structurels cerveaux-corps / médiations / mondes ne cessent de se creuser et ce sous des conditions massivement probabilistiques. Un vaste système de relations internes sort des limbes et relance le mouvement de la création. De nouveaux devenirs viennent au devant nous, sous les conditions des crises écologiques en cours

57 Douglas Hofstadter, Godel, Escher, Bach, Les brins d’une guirlande éternelle, Editions Interéditions, 1985

58 Jean-Max Noyer « Connaissance, pensée, réseaux à l'heure numérique », Les Cahiers du numérique 3/2010 (Vol. 6), p. 187-209. URL :

www.cairn.info/revue-les-cahiers-dunumerique-2010-3-page-187.htm.

Et comme l’écrit Bruno Latour, “d’une façon, je le reconnais surprenante, la spiritualité écologique n’a rien à voir avec le Ciel et ou avec le naturel, mais avec l’artificiel et le fabriqué, c’est à dire avec le créé”. 59

La strate internet comme incomplétude en procès de production….

“Il est peu probable que l’homme, tel qu’il est aujourd’hui, aurait survécu privé des techniques de l’artifice, de l’antifait, de l’antidéterminisme du langage et sans le pouvoir sémantique, engendré et tenu à disposition dans des zones “superflues” du cortex, d’imaginer et d’organiser des possibles qui échappent au cercle de la décomposition organique et de la mort”. Georges Steiner60

59 Bruno Latour, “Si tu viens à perdre la Terre, à quoi te sers d’avoir sauvé ton âme?”, Conférence inaugurale du colloque Eschatologie et Morale, Institut Catholique de Paris, 2008.

60 George Steiner, Après Babel , Editeur Albin Michel, 1978

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