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« Ma mort ne doit pas rester vaine » Leelah Alcorn

Origine : https://negreinverti.wordpress.com/2014/12/31/suicide-dune-jeune-trans-sa-lettre-dadieu/
décembre 31, 2014 Joao Gabriell     

Une jeune fille trans, Leelah, s’est suicidée le 28 décembre. Encore une autre. Outre celles qui sont tuées, celles et ceux qui sont agressé.e.s, celles et ceux qui vivent la vive transphobie, d’autant plus féroce qu’elle recoupe d’autres axes de violence.

En quittant ce monde, elle a laissé un message en anglais (puisqu’elle vient des Etats-Unis) que j’ai eu envie de traduire, parce qu’à travers son histoire, ce sont plein d’autres VECUS trans qui se retrouvent ici. Je mentirais si je disais que je n’avais pas songé maintes et maintes fois à faire comme elle. Mais aujourd’hui c’est différent : je n’ai plus d’envies suicidaires, mais plutôt des envies de meurtres. Envers plein de gens : les transphobes qui ont du pouvoir, les transphobes qui ont moins de pouvoir, les féministes transphobes, les « LGB » transphobes, les soit disant allié.e.s, les marxistes qui sacrifient nos têtes sur l’autel de révolutions qui, telles qu’ils les conçoivent, n’annoncent rien de meilleur pour nous autres ultra minoritaires et minorisé.e.s, les racistes qui salissent la cause trans, les trans bourges qui jouent avec l’identité pour leurs intérêts perso, les transphobes qui se servent des trans racistes pour justifier leur transphobie, etc etc. Bref, la colère me tient en vie, c’est déjà.

Il me semble important de transmettre le message de Leelah, dans la mesure où comme le rappelle Koala sur twitter, beaucoup de trans meurent dans l’indifférence certes, mais aussi car même lorsqu’elles sont connues, leurs histoires sont complètement réécrites par de stupides journalistes qui parlent de morts « d’homosexuels », par les parents qui parlent de leur « fils » quand ils ont une fille trans par exemple. C’est ainsi que la mère de Leelah a raconté sur les réseaux sociaux que son  » fils » a eu un « accident »….Ce qui veut dire que sans cette précieuse lettre, on n’aurait pas su qu’une fille trans est morte. Comme cela doit souvent arriver. D’ailleurs, la mère, n’hésite pas à insulter des femmes trans sur le net qui à cause de leurs « démons » sont la cause de la mort de son enfant. Bref, la remise en question n’est pas pour maintenant…Ceci dit, c’est injuste que les réseaux sociaux s’acharnent sur la mère et épargne totalement le père, car si la mère réagit plus et fait plus parler d’elle, c’est peut-être parce que comme souvent (patriarcat, et division sexuée des responsabilités familiales obligent) les mères sont beaucoup plus présentes dans l’éducation de leurs enfants, et les ont plus à charge.

Ce qui me touche aussi dans ce message et qui me renvoie à moi-même, c’est ce sentiment : la honte. La honte d’être soi, et peut-être surtout la honte d’être une honte aux yeux de ses proches. Et la honte débouche sur quoi ? La haine de soi. Haine de soi renforcée dans des contextes de déchaînement comme ce qu’on a connu et connait encore en France avec la clique de la « Manif Pour Tous ». Personne ne peut savoir à quel point c’est violent si on n’est pas à notre place. Les oppressions comme celles qui insufflent la honte, le dégoût de soi, sont VIOLENTES, les gens. ça détruit, même si à vos yeux ce n’est pas de l’exploitation donc pas aussi grave/important. Parce que ça donne littéralement envie de disparaître : c’est une manière que la société a de nous éradiquer, sans utiliser les mains d’un agresseur, on le fait nous-mêmes.Et cela rappelle la vulnérabilité trans: comment faire pour ne pas être « out », et être « discret.e » face aux proches, quand c’est notre corps et notre rapport au monde que nous voulons changer ?

Bref, puisse ton message être entendu Leelah, qu’il nous donne la force, à nous qui sommes resté.e.s (même sans trop le vouloir), de lutter, de nous battre. Qu’il nous donne une saine colère, plutôt que de la tristesse, puisque tu nous demandes de ne pas être triste. A 17 ans, le monde avait déjà commis assez d’horreurs envers toi pour que tu choisisses d’en finir. En partant, tu laisses un message au monde, afin que ta mort ne soit pas vaine, et tu conclus en nous faisant une demande super forte. On ne se connait pas, et pourtant, c’est comme si on se connaissait. Repose toi petite soeur, la douleur est finie.

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Si vous lisez ceci, cela veut dire que je me suis suicidée et n’ai de toute évidence pas pu effacer ce message.

S’il vous plait ne soyez pas triste, c’est mieux ainsi. La vie que j’aurais vécu [si je ne m’étais pas suicidée] n’aurait pas valu la peine d’être vécue…parce que je suis trans. Je pourrais expliquer en détail pourquoi je me sens [trans] mais ce texte sera déjà assez long. Pour le dire simplement, je me sens comme une fille coincée dans un corps de garçon, et je le ressens depuis que j’ai 4 ans. Je ne savais pas qu’il y avait un mot pour décrire ce ressenti, ni qu’il était possible de devenir une fille, donc je n’ai rien dit à personne et j’ai juste continué à faire des « choses de garçon » pour faire comme tout le monde.

A 14 ans, j’ai su ce que voulait dire être trans et j’ai pleuré de joie. Après 10 ans de confusion, j’ai finalement compris qui j’étais. Je l’ai immédiatement dit à ma mère, et elle a réagit extrêmement négativement, en me disant que ce n’était qu’une phase, que je ne serai jamais réellement une fille, que Dieu ne fait jamais d’erreur, que j’ai tort. Parents, si vous lisez ce texte, s’il vous plait, ne dîtes pas ça à vous enfant. Même si vous êtes Chrétiens ou que vous êtes contre les trans ne dites jamais ça à quelqu’un, en particulier votre enfant. Cela ne peut que lui donner envie de se détester. C’est exactement ce qui s’est passé pour moi.

Ma mère m’a amenée chez un thérapeute, mais comme elle ne pouvait m’amener que chez des thérapeutes chrétiens (qui avaient tous une vision biaisée), je n’ai donc jamais eu la thérapie dont j’avais besoin pour me guérir de ma dépression. Je me suis juste retrouvée face à d’autres chrétiens me disant que j’étais égoïste et dans l’erreur et que je devrais demander à Dieu de me venir en aide.

Quand j’ai eu 16 ans, j’ai réalisé que mes parents ne comprendraient jamais, et que je devrais attendre d’avoir 18 ans pour pouvoir commencer des traitements pour transitionner, ce qui m’a brisé le cœur. Plus tu attends, plus c’est dur de transitionner. J’ai perdu tout espoir [en me disant] que j’allais devoir être un homme habillé en [femme] pour le restant de mes jours. Le jour de mon 16ème anniversaire, quand je n’ai pas obtenu le consentement de mes parents pour commencer une transition, j’ai pleuré jusqu’à ce que je m’endorme.

J’ai développé une attitude en mode « rien à foutre » face à mes parents, et je me suis outé comme gay à l’école, en pensant que cela faciliterait peut-être de me déclarer trans ensuite. Même si la réaction de mes amis étaient positives, mes parents étaient en colère. Ils considéraient que je ternissais leur image et que j’étais embarrassant pour eux. Ils voulaient que je sois leur parfait petit fils chrétien hétéro, et ce n’était clairement pas ce que je voulais.

Alors ils m’ont retirée de l’école public, ont confisqué mon ordinateur et mon téléphone, et m’ont interdit de me connecter sur les réseaux sociaux, m’isolant ainsi de tous mes amis. C’était sûrement la période la plus déprimante de ma vie, et c’est surprenant que je ne me sois pas suicidée [à ce moment-là]. J’étais complètement seule pendant 5 mois. Pas d’amis, aucun soutien, ni amour. Rien que la déception de mes parents et la cruauté de la solitude.

A la fin de l’année scolaire, mes parents ont fini par me rendre mon téléphone et m’ont permis à nouveau d’aller sur les réseaux sociaux. J’étais excitée, j’allais enfin retrouver mes amis. Ils étaient très excités de me voir et de me parler à nouveau, mais seulement au début. Finalement ils ont réalisé qu’ils n’en avaient rien à faire de moi, et je me suis sentie encore plus seule qu’avant. Les seuls amis que je pensais avoir ne m’aimaient bien que lorsqu’on se voyait 5 fois par semaine.

Après un été où je n’avais quasiment aucun ami, où j’avais  la pression de devoir penser à l’université, économiser de l’argent pour quitter chez mes parents, ne pas avoir de mauvaises notes, aller à l’église chaque semaine et me sentir comme une merde parce que tout le monde là-bas est contre tout ce que je suis, j’ai décidé que c’était trop j’en avais assez. Je ne vais jamais pouvoir transitionner, même si je déménage. Je ne serai jamais satisfaite de ce à quoi je ressemble ou de comment je parle. Je n’aurais jamais assez d’amis satisfaisants. Je ne connaîtrai jamais d’amour satisfaisant. Je ne trouverai jamais un homme qui m’aimera. Je ne serai jamais heureuse. Soit je vis le reste de ma vie comme un homme qui [au fond de lui] rêverait d’être une femme, ou alors je vis ma vie comme une femme solitaire qui se déteste. Dans tous les cas je perds. Il n’y a pas de solution. Je suis déjà assez triste, et je n’ai pas besoin que ça empire. Les gens disent « ça va aller mieux », mais ce n’est pas vrai dans mon cas. Je vais mal de jour en jour.

L’essentiel a été dit, voilà pourquoi je veux me suicider. Désolée si ce ne sont pas des raisons suffisantes pour vous, pour moi c’est suffisant. Pour ce qui est de mon testament, je veux que 100% des choses que j’ai obtenu légalement soit vendu et que l’argent (plus ce que j’ai à la banque) soit donné aux mouvements pour les droits des trans et les groupes de soutien, peu importe lesquels. Je ne reposerai en paix que le jour où les trans ne seront plus traité.e.s comme je l’ai été moi, [je veux qu’ils/elles soient] traité.e.s comme des êtres humains, dont les sentiments et les droits comptent. Le genre doit être enseigné à l’école, et le plus tôt possible. Ma mort doit avoir un impact. Ma mort doit compter parmi tou.te.s les autres trans qui se sont suicidé.e.s cette année. Je veux que quelqu’un regarde le nombre de trans qui se sont suicidé.e.s et dise « c’est la merde » et qu’il/elle [décide d’être du côté de ceux/celles qui vont] lutter contre ça. Réparez cette société. S’il vous plait.

Adieux,

(Leelah) Josh Alcorn