Origine : http://www.euskonews.com/0335zbk/gaia33502fr.html
Dans cette province basque, le type de tradition carnavalesque jadis
le plus important était la tournée de divers groupes
de quêteurs plus ou moins masqués.
A peu près généralisé sur l’ensemble
de la province, nous plaçons en premier : l’usage de
la quête par divers groupes constitués pour l’occasion
sans préparation particulière. Il s’agissait
le plus fréquemment de jeunes, puis plus récemment
d’enfants généralement de sexe masculin.
Ils sont appelés Maskak, ce qui signifie masqués,
parfois Zirtzil, Pilzar (que l’on peut traduire par “gueux,
dépenaillé). Ils allaient de maison en maison, grossièrement
déguisés.
Il était donc difficile de s’en débarrasser
sans leur donner du lard, des œufs…la collecte était
soit mise en commun, soit partagée et ramenée dans
chaque maison.
La chanson la plus courante durant la quête était
:
Ez dugu nahi urdia
Ez eta ere erdia
Liberako zatia
Edo geren hunen betia
Xingar eta arroltze
Bat edo bertze
Bertze gerena ipurditik sartze
“nous ne voulons pas le porc
ni même la moitié
tout juste un demi-kilo
de quoi mettre sur ce bâton
jambon et œufs
l’un ou l’autre
sinon nous vous enfonçons
le bâton dans le cul”
Mais il semble que le cortège “originel” fut
surtout le cortège dansant et quêtant appelé
KASKAROT.
Ce cortège était très attendu et apprécié.
Il était organisé par les jeunes hommes célibataires
d’un quartier ou d’un village. Il nécessitait
l’apprentissage de danses parfois complexes.
Les danseurs étaient généralement habillés
très solennellement avec un costume d’apparat garni
de bijoux, rubans, fleurs, grelots…
Ils quêtaient dans leur commune mais aussi parfois dans les
communes voisines et les grandes villes Biarritz, Bayonne, Saint
Jean de Luz.
Ils collectaient argent et nourriture avec lesquels ils festoyaient.
D’une manière générale, les jeunes s’octroyaient
de grandes libertés, c’était aussi l’occasion
de boire et manger plus que d’habitude et cela occasionnait
tous les débordements.
La coutume était de passer dans toutes les maisons.
A Ainhoa, un ancien signale qu’avant 1950 : « le cortège
va de maison en maison avec obligation de visiter toutes les maisons…il
n’était pas question de rater l’événement
ni de rater une maison. Il fallait parfois plusieurs journées
pour parcourir toute la commune ».
Nous avons là une tradition classique du système
du don et contre don tel que l’a décrit Mauss 1.
Il y a un véritable mouvement alternatif, le danseurs offrent
en grand apparat des danses considérées comme porte
bonheur pour la maison, en retour la maîtresse de maison qui
est souvent honorée d’un chant, offre à manger
et à boire sur place ainsi que des victuailles à emporter,
œufs, lard, saucisses voire de l’argent qui permettra
de financer un bon repas au village.
Un autre anciens Kaskarot décrit bien la tradition avant
les années 50 2:
“les danses faites, les fermes offraient à boire et
on mangeait quelques gâteaux…on arrosait bien…dans
ces petits gueuletons à base de gâteaux, de xingar
ta arrotze (ventrêche et œufs) et parfois de kruspet
(beignets).
C’est qu’il faut avoir la santé ! Il faut marcher
toute la journée, danser et à table dans les maisons…il
faut assurer !
Certains finissent par être fatigués… la visite
dans une ferme prenait quasiment trois quart d’heure. Partout
on nous donnait en plus des œufs, des saucisses, des oreilles
de cochon mais aussi la pièce.”
Parfois, le récit évoque des exploits alimentaires
et de bons souvenirs:
“Dans certaines maisons, on mangeait plus. On s’arrêtait
chez ma mère, elle faisait des œufs farcis avec du jaune
et du persil…j’avais un ami, c’était un
colosse, il avait mangé à lui seul 27 moitié
d’œufs farcis.”
L’autre jour un de mes témoins, m’a signalé
avec émotion avoir été récemment à
l’enterrement d’une dame âgée : «
je voulais lui rendre hommage car quand nous faisions les Kaskarot
il y a près de quarante ans elle savait très bien
nous accueillir en offrant chaque fois un véritable repas
complet »
L’alcool était au centre de ces traditions, il permettait
de vérifier qui “assurait” en tenant l’alcool.
A Ustaritz, dans les années 50 et 60, après avoir
effectué toutes la tournée des maisons, les kaskarot
faisaient la tournée des bars avec l’argent collecté
et certains finissaient très mal !
« Quelquefois, il y eut quelques beuveries ou certains furent
“ivres morts”, les autres se chargeaient le lendemain
de colporter les exploits…ce qui faisait rire tout le monde.
Les gens ne portaient pas jugement négatif “à
cet âge, c’est normal, il faut bien que cela arrive
une fois ! »
Cette coutume de quête sur tout le territoire doit aussi
être envisagée comme le signale Jacques Godbout 3 sous
l’angle du lien communautaire.
En effet, ce qui est mis en jeu dans le fait de donner les danses,
de les recevoir en les regardant et de rendre en donnant aliments,
boissons (ou argent pour en acheter) :
c’est la création d’un lien fort qui marque
l’identité de chacun dans le groupe communautaire.
La tradition a une triple obligation :
- donner la danse à chaque maison
- regarder, et rendre en aliments, boissons (ou argent).
- Recevoir les offrandes en retour de la prestation.
Comme l’évoque Philippe Rospabé 4 “l’obligation
de rendre résulte d’un principe à la fois englobant
et fondamental qui est celui de la réciprocité entre
les individus et les groupes.”
Ne pas rendre, c’est rester en dette et c’est généralement
très mal vécu.
Dans les années soixante, la coutume s’essouffle,
seuls les communes d’Ustaritz et Espelette maintiennent ces
tournées.
Puis à la fin des années soixante sous l’impulsion
d’un fort mouvement identitaire basque, les tournées
redémarrent. Elles sont aujourd’hui en pleine expansion
à Briscous, Biriatou, Itxassou, Louhossoa, Hasparren, Bardos,
Bassussarry, Arbonne, Urt, Ustaritz, Espelette, Mendionde, Sare,
Ascain, Bidart, etc… En dehors d’Ustaritz qui a conservé
un cortège masculin la mixitéc’est installée
partout ailleurs ;
Trois points sont actuellement à relever :
1) la remarquable qualité des cortèges avec musiciens,
chanteurs et danseurs souvent magnifiquement habillés.
2) l’accueil dans les maisons, les familles attendent les
groupes et garnissent la table de nourriture, tartines de pâté,
omelettes, saucisses cuites, crêpes, beignets, merveilles.
La boisson est aussi très présente et les verres
sont aussitôt remplis dès qu’ils sont vides !
3) la manière dont les jeunes s’installent pour consommer
dans chaque maison.
Accueillis et applaudis, les jeunes se sentent reconnus, le chef
du groupe a beaucoup de mal à les faire repartir vers une
autre maison.
En 2003, à Louhossoa, de 8h du matin au lendemain dans la
nuit jusqu’à 2h, ils ont visité 13 maisons soit
en moyenne environ 1h30 dans chaque maison.
Les gens qui accueillent, pensent qu’ils n’auront jamais
assez, ils ont peur que cela ne soit pas assez abondant.
Certaines mamans de danseurs vérifient auprès de
leurs enfants ce qu’il y avait dans d’autres maisons
pour ne pas offrir moins !
Il ne faut surtout pas être en reste ou repéré
comme une maison qui accueille mal !
Souvent quand le groupe repart, il y a encore beaucoup à
manger et à boire sur la table et immanquablement les hôtes
disent “vous partez déjà ! Vous n’avez
rien pris ! Merci bien, à l’année prochaine.”
Avant de quitter le lieu, les danseurs exécutent souvent
une dernière danse…eux aussi ne veulent pas avoir l’impression
de ne pas assez donner.
On voit bien que dans ce jeu s’installe une reconnaissance
à la fois identitaire et collective. Des deux côtés
la reconnaissance doit se gagner !
Le jeune utilise son corps comme vecteur de reconnaissance, il
sait danser, il sait répondre à l’invitation
en mangeant et buvant plus que de coutume !
Plus il mange, plus il boit plus les hôtes sont contents
et honorés !
L’excès est réel et la contrainte aussi …il
n’est guère possible de refuser les aliments et les
boissons, plus d’une fois nous l’avons vérifié
à nos dépends en suivant des groupes !
Le fait d’aller dans les maisons renforce le lien communautaire
qui avait plus ou moins disparu. Ce lien social, on le voit bien
ici, peut-être défini comme un ensemble de forces,
de caractéristiques ou d’actions permettant de relier
les individus entre eux, de les rattacher à une collectivité.
La tradition permet un “être ensemble” dont la
nature émotionnelle est à prendre en compte.
En Labourd, le concept de “reliance” de Marcel Boll
de Ball5 semble bien s’inscrire dans ces accueils qui tissent,
qui relient les personnes d’une même communauté
au moins une fois par an.
Les jeunes interrogés pensent pour la plupart que les tournées
permettent de recréer du lien social dans la commune, de
mieux se connaître, de mieux s’intégrer. Ils
reconnaissent les gens de leur village et sont reconnus par ces
derniers au sens propre et figuré !
Ces tournées permettent de créer en hiver, quand
il n’y a pas beaucoup d’animation, un temps festif dans
chaque maison.
Cela fédère les jeunes, les familles, les voisins.
Chacun peut se “lâcher, boire et manger plus que d’habitude”
comme ils disent :
« c’est faire “la bringue” entre nous et
avec les gens qui nous accueillent entre générations
».
C’est rendu possible car tous les ingrédients de la
fête sont là : musiques, chants, danses, rituels, boissons,
nourritures… !
Durant carnaval en Labourd, mais un peu partout en Pays-Basque
et en Europe, les jeunes d’aujourd’hui comme ceux d’antan
s’approprient leur territoire, le reconnaissent et s’y
font reconnaître comme la nouvelle force vive de la communauté.
Pour cela, ils doivent assurer leur prestation,
leur corps y joue un rôle majeur,
car il leur faut des jambes ainsi que de l’estomac !
1 MAUSS, Marcel,1950, Sociologie et anthropologie, PUF,Paris, 482.
Ouvrage contenant : L’“Essai sur le Don, forme et raison
de l’échange dans es sociétés archaïques”
p 145 à 284.
2 Enquête réalisée en 20004 par Michel Duvert.
3 GODBOUT, J.T, 1995, Les bonnes raisons de donner, Anthropologie
et Société, volume 19, n° :1-2, p 45 à
56.
4 ROSPABE, Philippe, , 1996, L’obligation de donner, La revue
du M.A.U.S.S N° :8 2ième semestre, Paris,p 142 à
152.
5 BOLL DE BAL, Marcel, 1996, Voyage au cœur des sciences humaines,
De la Reliance, Tome 2, Reliance et Pratiques, Paris, L’Harmattan
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