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Origine : http://millenaires.free.fr/
http://millenaires.free.fr/index.php?cat=5
Le copyleft ou l'état des interrogations quant à
l'impact des NTIC en tant qu'élément déstabilisateur des règles de
propriété intellectuelle
David Geraud, 12 novembre 1999 " [...] Avertissement
: La récurrence de l'emploi du terme ''droit d'auteur'' dans ces lignes,
supposées en rapport avec le Copyleft, peut faire craindre aux lecteurs
une présentation non libertaire de ce phénomène, ce en quoi ils auront
raison. Car cette notion, exprimée notamment par les logiciels libres,
est tout sauf l'anarchie mais l'encadrement par un système de licence
de la liberté des utilisateurs comme des programmateurs: étudier l'environnent
juridique de la création contemporaine peut donc apporter à la matière.
De plus, la seule définition stricte du terme de Copyleft qui peut
être donnée de manière objective est…. un calembour dont Richard
Stallman est à l'origine. Le Copyleft ne doit donc pas s'entendre
comme une notion précise, ce terme n'est repris par aucun texte de
loi ni décision de jurisprudence et ne possède donc aucune valeur
juridique. Le Copyleft se définit avant tout par la signification
que lui donnent les personnes souhaitant écrire sur ce thème. Le choix
fait pour ma part de placer ce travail sous ce titre a été guidé par
un souci de profiter honteusement de ce phénomène afin de bassement
accroître la fréquentation de cette page, ce dont je m'excuse par
avance…."
Lire l'article
en intégralité ou l'enregistrer au format PDF
http://a.fradin.free.fr/doc/copyleft.pdf
Texte trouvé sur les Archives
de l'autre monde
http://severino.free.fr/archives/ Démocrature
: Démocrature : Pseudo-démocratie - Démocratie totalitaire
- Totalitarisme à visage démocratique
Démocrature ne se trouve pas dans le dictionnaire. Contraction de
démocratie et dictature, il a été au départ inventé pour décrire certains
régimes africains qui prétendaient à la "démocratie" tout en gardant
des pratiques proches de la dictature. Nous pensons que
ce terme est pratique pour désigner les prétendues démocraties dans
leur ensemble, et pas seulement en Afrique. La France, par exemple,
n'est ni une démocratie, ni une dictature ; dans ce cas, démocrature
semble plus adéquat et plus fort que pseudo-démocratie.
Démocrature pourrait donc être employé pour tous les régimes qui veulent
se faire passer pour démocratiques, mais qui en réalité relèvent plutôt
du totalitarisme, de la dictature ou de l'autoritarisme.
Pour nous, une démocrature aboutie est davantage un totalitarisme
subtil qu'un régime violent et ouvertement répressif envers les dissidents.
Il nous semble que les démocratures doivent forcément tendre vers
le totalitarisme pour pouvoir durer. Sans une idéologie qui cherche
à emporter l'adhésion de tous, elles seraient démasquées et rejetées
comme les dictatures sanglantes.
L'alliance indissociable totalitarisme/démocrature pourrait donc représenter
le sommet indépassable des systèmes d'oppression que les hommes se
sont fabriqué au cours des âges. On pourrait aussi dire : démocratie
totalitaire ou totalitarisme à visage démocratique (voir aussi l'appel).
Ce système totalitaire peut probablement être perfectionné et approfondi
(notamment grâce aux innovations technologiques en informatique et
génétique), mais il nous semble difficile de faire plus vicieux et
plus efficace sur le principe.
En effet, dans un tel totalitarisme, les gens réclament eux-mêmes
leurs chaînes et se révèlent encore plus répressifs que les services
de répression d'Etat. Pas besoin de massacrer les opposants, il y
en a trop peu et ils sont complètement paralysés par les rouages du
capitalisme. Les braves citoyens s'auto-surveillent, s'auto-censurent..,
et dénoncent tous les déviants à la Justice. Le tout étant recouvert
du drap blanc des libertés, du gouvernement par le peuple...
Il suffit de savoir doser intelligemment répression, atteintes aux
libertés, récompenses et biens matériels pour éviter révoltes et rejet
en bloc. De toute façon, à partir du moment où la démocrature correspond
aux souhaits des gens et répond à leurs pulsions, on ne voit pas pourquoi
ils la critiqueraient en profondeur. Le peuple veut y croire, il n'est
donc pas trop difficile de le contenter, malgré tous les faits qui
démontrent le contraire. De grandiloquentes déclarations, des élections
pour élire des gens qui n'ont pas le pouvoir réel..., suffisent à
donner le change.
En fait, des tas de gens sont certainement conscients de la supercherie,
mais ils préfèrent marcher docilement, avec la complicité des médias
hypocrites et cyniques qui rabâchent en boucle les rengaines officielles.
On a donc affaire à un régime totalitaire, auto-proclamé démocratique,
qui prétend être le meilleur système de vie en société possible !
La comédie démocratique occupe le devant de la scène en prétendant
représenter le monde civilisé et libre. Ce qui permet de réduire les
autres pays à des barbares ou à des dictatures, d'en faire des boucs
émissaires, des colonies, des dépotoirs... On a toujours besoin de
plus noir que soi pour se blanchir, quitte à forcer un peut le trait...
Source :Antidemocrature
Gilles Deleuze et Félix Guattari : La machine à gazouiller !
Gilles Deleuze je le voyais comme un gauchiste et un philosophe. C'est
à dire une personne finalement conservatrice, empêtrée dans des schémas
de pensée préhistoriques de type stalinien, trotskyste, etc. et une
personne un peu ennuyeuse, qui parle pour ne rien dire... Et puis
l'engouement de cinéastes indépendants, de musiciens électroniques
divers, de militants, d'architectes m'a mis la puce a l'oreille...
On parlera plutôt de Deleuze et Guattari. Félix Guattari ayant co-écrit
les ouvrages principaux de Deleuze. Parce que Deleuze et Guattari
rêvaient de faire une pop philosophie, un manuel de leur sagesse à
destination de tous donc des non philosophes. Nous estimons leur style
d'écriture est magnifique mais certainement encore trop rebutant.
Espérons que ce décodage permette à chacun de s'y mettre, de trouver
l'envie, l'énergie, le désir d'aller vers cette pensées qui nous a
tant servi. N'oublions pas Michel Foucault qui considère les livres
comme des boîtes à outils. Prenez ce papier comme une sorte de manuel
de la très complexe boite à outil de Deleuze et Guattari. Un manuel
qui ne demande qu'à être enrichi par l'échange.
Une fois que l'on a commencé, on ne peut plus s'en dépêtrer. Effectivement
Gilles Deleuze a su nous parler. Et son message, si important ne doit
surtout pas rester aux mains des universitaires, des analystes et
exégètes de tous poils : il doit revenir à ceux à qui il est destiné
: non pas les gauchistes ou les politiques mais tous ceux qui veulent
se sortir du système : de tous les systèmes qui se reproduisent :
état, famille et capitalisme. Ces machines interviennent dans tous
les domaines de la vie. Gilles Deleuze et son copain Félix ont collecté
des centaines d'expériences de personnes venant de tous les univers,
de tous les domaines d'activités qui ont réussi à produire des choses
magnifiques, parce que sorties du/des système : capable de parler
un autre langage, d'utiliser d'autres codes.
Puisque tout est avant tout affaire d'expérience et non pas de discours,
nous proposons à chaque lecteur de partager avec nous ce qu'il a trouvé
en Gilles Deleuze et Félix Guattari, comment leur discours l'a aidé
dans son action.
Il sera beaucoup question ici de contre culture puisque Deleuze et
Guattari ont pioché à droite et à gauche chez beaucoup d'écrivains
de la beat génération, chez les Artaud, les Castaneda et autres qui
furent les instigateurs de ces différents mouvement contre culture.
La contre culture ? Pas un assemblage de mouvements mais un assemblages
de pratiques d'indépendance que Deleuze et Guattari ont analysées,
triturées, malmenée pour rechercher ou était la faille, comment il
devenait possible de se sortir du système, de s'émanciper.
Comment ca marche ? Et moi je pourrais le faire aussi ?
Telles sont les deux questions qu'ont posé gilles Deleuze et Félix
Guattari. L'émancipation, c'est d'abord un défi avec soi même, on
doit s'émanciper d'abord de ce qui castre, bloque le plus profond
de notre individu. Ensuite, c'est au niveau interindividuel, puis
a celui du groupe que se situent les pratiques de lutte avec le système.
Je ne peux parler que pour moi. C'est donc l'histoire de mon immixtion
dans l'univers de Gilles Deleuze qui servira d'introduction.
Je suis un passionné de musique underground. A ma rencontre avec Joy
division vers 18 ans, j'ai cru être passionné par ce coté noir, romantique
de la musique. Très vite j'ai compris que ce n'était pas tant le taux
de dépression d'un morceau qui m'intéressait que ca capacité à exprimer
une indépendance totale vis à vis des styles et des modes. Tous ces
groupes " underground " visent à sortir et des schémas classiques
de composition, du système de distribution/promotion de la musique.
A parvenir à être eux même en utilisant un média commun,
devenu souvent un produit : dégénérer le rock, amputer la dance, mélanger
les extrêmes et les inconciliables...
A la mort du philosophe Gilles Deleuze, dont j'avais vaguement entendu
parler au cours de mes études, sub rosa et milles plateaux ont sortis
leurs extraordinaires compilations. Expérimentation musicale extrême
sans flon flon ni subvention du ministère de la culture. J'apprenais
enfin a cette occasion que "Milles Plateaux" était un livre du même
Gilles Deleuze. Alors je me suis mis à ouvrir ces fameux milles plateaux,
et "l'Anti Oedipe", le livre qui le précède chronologiquement.
Il n'est pas bon de résumer la pensée d'un auteur. C'est encore plus
difficile d'y parvenir quand ils sont deux à écrire. Ce qu'on trouvera
ici est donc très réducteur et certainement un peu massacreur de la
finesse des pensées croisées des deux auteurs. Les professionnels
de la philo peuvent donc passer leur chemin, ils risquent d'être déçus.
Deleuze et Guattari ont lancé, ou plutôt recueilli, a force de presser
et de croiser les expériences de dizaines d'auteurs d'artistes, politiques,
psy, scientifiques et révolutionnaires de tous poils.
Sortir du système ce n'est pas seulement dire non à DAVOS et oui aux
idées estampillées de gauche. C'est avant tout être capable de produire
des choses, des textes, des idées, qui soient en clash avec les référents
généraux. Faire sa contre culture ou son bout de contre culture. Je
me souviens d'avoir discuté avec un traveller anglais, un DJ des Spiral
tribe, nomade forcené qui sillonne l'Europe et essaime son parcours
de party sauvages et de disques auto produits. SP23. Une personne
capable de faire ce qui lui plaît, et surtout de donner envie aux
autres de le faire. De diriger sa vie hors du système, marche du travail,
famille. Une personne libérée en partie grâce aux drogues psychédéliques.
« Si vous voulez changer le monde, changer vous-mêmes » m'avait
il dit. L'anti oedipe c'est un peu ca.
Un manuel pour se libérer des contraintes sociales, partant, un manuel
pour éviter de les reproduire dans sa vie de tous les jours. Et le
passage par le L.S.D. n'est pas une obligation...
L'anti-oedipe, est le livre culte des deux auteurs, qui leur assura
une jolie réputation au cours des seventies. Un bouquin compliqué.
Pas évident du tout au premier abord, et dont on peut se demander
la fonction. Pourquoi attaquer Freud, la psychanalyse, l'Oedipe ?
Ce qui ressemble fort au à une thèse d'universitaires, sans autre
intérêt laisse peu à peu transparaître entre les lignes, puis très
directement une sorte de guide pratique de l'émancipation. Justement
parce que s'émanciper, lutter faire face c'est d'abord se libérer
de soi même. Ou plutôt de notre forte capacité a reproduire au quotidien
les schémas sociaux qui nous répriment. Deleuze et Guattari veulent
libérer la folie qui est en nous, ne plus avoir à faire à une génération
de névrosés sous prozac mais à des personnes capables d'admettre,
mieux, de valoriser leur folie, de laisser aller, agir le schizo qui
est en nous.
Substituer la schizo-analyse à la psychanalyse. Un autre désir
La psychanalyse a eu le mérite de montrer l'existence, de découvrir
l'inconscient, mais pour le brider, le réduire à une image dégradée
: sexualité, papa-maman, manque/besoin du phallus etc. L'inconscient
de Freud se résume à une production de symboles que l'interprétation
psychanalytique ramène toujours à la famille et à la sexualité comme
" un sale petit secret familial ". Or, réduire l'inconscient c'est
nous castrer, car l'inconscient c'est un peu notre boîte à idée ou
plutôt notre coffre à désir.
Et si l'inconscient ne disait pas mais agissait ? Produisait ?
Voir l'inconscient comme machine, comme machine désirante.
Pourquoi machine ? parce que une machine produit. Pour Deleuze et
Guattari loin d'être le lieu de ressassement des mesquineries familiales,
l'inconscient est une machine à produire du désir.
L'anti-oedipe est donc un livre militant. Où l'on voit comme la politique,
le régime qui nous dirige descend et se reproduit jusqu'au plus profond
de notre être. L'émancipation passera donc par la prise de conscience
de cette présence, de cette reproduction, du schéma général de pouvoir
en nous, et de notre aptitude à le détruire. Grâce aux force de l'inconscient,
notre usine à désirs. Deux thématiques comme trame générale d'un livre
aux très multiples entrées :
1. ne pas laisser les psychanalystes remplacer les prêtres et asseoir
la soumission à l'Etat, à ses valeurs, à son marché comme les hommes
d'églises l'avaient fait jusqu'au dix neuvième. Ne pas laisser la
psychanalyse devenir la machine abstraite, le big brother conceptuel
de l'Etat. (chaque État a sa machine abstraite, sorte de socle de
pensée qui lui permet d'asseoir son pouvoir, en se reproduisant au
niveau de l'individu)
2. rappeler a chacun l'importance du désir, sa force, son caractère
producteur : dégager le désir de la prison dans laquelle on l'a porté
: une société qui emploie le même mot pour l'appétit sexuel et la
volonté de combler un manque hypothétique d'une casserole ou d'un
collier est tombée bien bas. Le désir n'est pas la volonté de la chose
qui manque. Le désir est action. Et surtout production. Il faut apprendre
a désirer, a faire en sorte que notre désir nous permette d'agir sur
le monde (le dehors). A produire du désir, et donc a produire par
le désir.
Le premier problème s'est réglé de lui même. Deleuze et Guattari n'intituleraient
peut être plus leur livre l'anti-oedipe aujourd'hui. Parce que la
psychanalyse a échoué dans sa tentative de devenir la machine abstraite,
le discours qui soutiendrait la domination d'Etat et du marché. Selon
Deleuze et Guattari c'est plutôt l'informatique, l'information et
la communication qui servent de discours dominant, qui mettent en
place la "société de contrôle" tant redoutée. Le deuxième lui reste
d'actualité. Parce qu'il est universel, proprement philosophique.
Suivre son désir. Ca veut dire quoi ?
La société de consommation fonctionne effectivement sur le principe
du désir. Mais un désir non productif, un désir assimilé au manque.
C'est en créant du manque que l'on crée des nouveaux marché. Or le
désir n'est pas affaire de manque comme nous le fait croire la psychanalyse.
Car l'analyse sous les augures oedipienne ramène tout a un manque
: du phallus, du père etc.
Le désir est affaire de production.
En rêvant nous créons plein de machines (à voir dans un sens très
large : le corps est une machine, chaque organe est une machine, un
paysage peut en être une : machines à souvenir, émotions, prédictions
etc. : la machine définie par son effet : elle produit quelque chose.
On ne s'émancipera qu'en laissant ces machines individuelles se connecter
au dehors et produire du réel. Ne plus ramener les manifestations
inconscientes à la sexualité et surtout à la castration, la peur du
père, le dégoût de la mère, bref à la famille, c'est admettre qu'elles
portent sur l'extérieur. On délire sur le social, pas sur sa famille
; le schizo est un bon exemple. Il ne délire pas sur sa mère, mais
plutôt sur les grands hommes (il se prend pour napoléon), le monde
etc. Pour Deleuze et Guattari l'inconscient est donc branché sur le
monde, sur le social. Branché, le terme est juste car surtout, l'inconscient
est pour eux le moteur de l'action.
Car ce qui caractérise l'Oeuvre/action/objet/idée artistique, scientifique,
philosophique, politique, picturale révolutionnaire de, mettons, une
boîte de ravioli : c'est le désir qui a conduit a sa production.
Pour s'émanciper du système, pour mener à bien sa production, son
travail, il faut avant tout être capable de désirer. D'apprendre à
désirer (apprendre à désirer, c'est à dire à produire :comme il est
pathétique d'attendre d'être aimé quand il faudrait apprendre à aimer),
puis d'être capable de se donner les moyens de le faire. De travailler
à sortir ce désir.
Ce désir la n'est plus la volonté de pouvoir telle qu'a pu la décrire
Nietzsche, mais plutôt la grâce : on désir et on trouve non pas qui
l'on est mais quoi devenir, on atteint la grâce.
Pas un avenir mais des Devenirs.
Deleuze et Guattari n'appellent pas à une sorte d'introspection générale
qui nous permettrai de retrouver notre être dans sa plénitude. C'est
justement l'inverse. " Nous avons écrit L’anti-oedipe à deux,
comme chacun de nous était plusieurs, cela fait beaucoup de monde".
Pourquoi plusieurs ? ce n'est pas qu'une boutade, nous sommes effectivement
constamment en changement et par là porteurs de multiples identités.
Segmenté dans notre vie sociale, adolescent, étudiant, militaire,
toujours à tendre vers un autre nous même : devenir ce dont nous rêvons.
Pas seulement sur un plan professionnel. Sur un plan affectif, sexuel
etc. On tend toujours vers plusieurs devenir simultanés.
Nous sommes toujours en mouvement, et les chemins que nous suivons
sont ceux de nos devenirs. Devenir femme, devenir animal, notre inconscient
nous proposent des schémas de possibles, des voies à suivre qui nous
définissent à l'instant t. Chacun de nous produit des devenirs différents,
des devenirs qui ne correspondent pas à une activité proposée par
le système, à un statut social, mais bien à une production de désir.
Ce sont les devenirs émancipateurs ou devenirs révolutionnaires.
La révolution c'est l'action plus ou moins violente d'une minorité
qui s'estime opprimée. N'entendons pas minorité sur un plan quantitatif,
la minorité peut être une majorité au sens quantitatif. La minorité
est un ensemble de personnes qui se retrouvent positivement sur une
communion d'intérêt, de statut, de mode de vie (les gays, les minorités
" raciales "). La minorité se définit aussi négativement. C'est ce
groupe de personnes qui ne correspondent pas aux canons de la société,
à l'étalon. Blanc, occidental, cadre, vivant en milieu urbain. Ceux
qui n'y correspondent pas ou refusent d'y correspondre. Le devenir
révolutionnaire passe par la prise de conscience de son caractère
minoritaire.
D'où un très fort attachement de Deleuze et Guattari à la linguistique
. D'abord parce que le langage est aussi le premier lieu de transmission
des fascismes, des oppressions tant au niveau de l'Etat qu'au niveau
individuel.
Mais Deleuze et Guattari insistent surtout sur l'importance des langues
mineures. Prenant l'exemple de l'anglais argotiques des noirs américains.
Pas de langue majeure, pas de langue étalon. Mais une évolution constante
de la langue qui échange et reçois des flux de ses multiples déviations.
La minorité dévie. En ce sens elle fait dévier le reste.
La musique underground est un très bon exemple de conscience de cette
minorité. La créer et lui donner les moyens de lutter. Créer une meute
. Toujours en mouvement. A la chasse. Deleuze et Guattari se basent
énormément sur des travaux d'artistes déviants ou 'pop' (Patti Smith,
Burroughs, Castaneda, Artaud), en ce sens qu'ils expriment un devenir
révolutionnaire. A nous de trouver le notre a nous de fuir et de faire
fuir le système qui nous entoure.
Le premier pas vers notre devenir artiste, devenir-schizo, devenir-cheval,
devenir-désir c'est bien sur le travail. Le travail qui permet de
faire d'une production de désir une production de réel. Parce que
la philosophie de Deleuze et Guattari n'est pas, contrairement à ce
qu'on à laissé croire un appel à un hédonisme total, à la fête constante.
c'est un appel gai et spirituel, mais assez grave, au militantisme
à l'échelon individuel, à l'opposition et à la liberté des consciences.
Expérimenter : la vie comme une oeuvre d'art.
Machine désirante. Toute machine produit. Notre inconscient produit
du désir. L’expérimentation s'oppose à l'interprétation psy.
Le titre anti-oedipe montre bien cette volonté de sortir de la vision
réductrice de l'inconscient, de libérer les forces qui s'y trouvent.
Votre inconscient produit du désir. C'est une machine à désir, qui
connectée à d'autres machines, réelles celles la, produira du réel.
Alors expérimentez, laisser agir vos idées les plus folles, suivez
votre folie, tâtonnez avec elles, trouvez vous, votre devenir en expérimentant
autour de votre production de désir. Pensez à la musique, à la peinture,
à l'art en général. Il ne s'agit que de connecter des machines " réelles
" (on emploiera plutôt le terme "machine technique " comme le pinceau,
l'ordinateur, l'instrument de musique, la caméra, le stylo) à votre
machine inconsciente.
Changer de route, " trouver sa voie ", c'est permettre à la production
de désir de devenir production de réel, c'est connecter la machine
désirante à une machine technique. L'art en est la manifestation la
plus évidente ; l'oeuvre d'art c'est l'image la plus fidèle, la meilleure
représentation qu'on se fasse d'une production venue tout droit de
l'inconscient. L'Oeuvre d'art s'obtient par la médiation faite par
la machine technique qui permet de retranscrire la vue de l'esprit.
Il en est de même dans tous les domaines d'activités que votre désir
voudra bien vous proposer.
Deleuze et Guattari proposent simplement de suivre le précepte de
Foucault, " la vie comme une oeuvre d'art ". Comme produit de votre
inconscient, comme suite de vos désir. Laisser aller le schizo qui
est en nous.
Fort bien. Mais qu'y a t il de politique la dedans ? Et bien le politique,
c'est tout ce qui nous sort du théâtre familial, c'est l'action sur
le réel dés lors qu'elle tend à s'émanciper du système dans lequel
elle évolue.
Mais cela ne suffit certainement pas. La famille c'est pas si mal
me direz vous. Suivre ses désirs c'est aussi suivre ses pulsions ataviques,
fascistes nazi etc. Et surtout combien suivent leur désirs, agissent
sur le réel pour finalement simplement reproduire le système capitalisme/marche
a leur échelle le conformisme ambiant (la plupart des écrivains français,
les groupes de rock qui reprennent les stray cats, les scientifiques
sans imagination etc.) ?
Parce que agir sur soi, produire du désir et produire à partir de
son désir ne suffit pas. Encore faut il s'écarter du système dans
lequel on baigne. Tenter de ne pas le recréer par nos différents agissements.
Deleuze et Guattari proposent plusieurs concepts qui s'appliqueront
autant au parcours individuel, à la vie de chacun qu'à une oeuvre
d'art. L'oeuvre et la vie peuvent être confondues parce que l'une
et l'autre sont des expérimentations basées sur les vues de l'esprit,
sur le désir. Nous nous façonnons nous même comme est construit l'oeuvre
par remise en cause constante avec comme but ultime de retranscrire
le mieux possible la vue de l'esprit, la production inconsciente.
Et quoi de plus indépendant, personnel, émancipé qu'une oeuvre d'art
? La déterritorialisation et la ligne de fuite, ce sont les gages
de l'indépendance d'une oeuvre. Des préceptes à suivre pour soi.
Ligne de fuite et déterritorialisation.
Déterritorialisation. Changer de territoire. Aussi bien au niveau
métaphorique (territoire des idées) qu'au niveau réel (déménager).
Celui qui se déterritorialise doit se reterritorialiser quelque part.
On abandonne le territoire (avec ses règles, ses contraintes, ses
micro-fascismes : le territoire c'est la terre déjà appropriée) sur
lequel on évolue. Pour aller trouver une terre (encore vierge) sur
laquelle on placera sa petite machine a soi (reterritorialisation).
C'est créer un nouveau territoire, qui donc soi hors de portée, hors
des façons de faire du capitalisme. De même, on quitte la famille
pour rejoindre une meute. La meute de ses amis (les amis c'est ceux
avec qui on a pas besoin de parler, pas besoin de s'expliquer sur
les choses importantes, ceux avec qui cela va de soi), la meute militante
sur un point de vue politique, ou la meute des artistes (la scène
musicale etc.).
On quitte le territoire familial, le territoire capitaliste pour sa
meute, le groupe de ces gens avec qui l'on se retrouve, avec qui on
peut créer une alternative au système.
Deleuze et Guattari admettent bien sur l 'échec de mai 68 qui n'a
finalement pas vraiment changé la société. Des accords de Grenelles
et l'argent avait muselé tout ca. Mais pourtant c'est sur le plan
des devenirs individuels que les choses ont changé. Ce mouvement de
masse, a crée/exprimé chez beaucoup un devenir-révolutionnaire individuel.
C'est là le message. La plus important est de se changer soi, d'agir
en fonction de notre production de désir pour suivre nos devenirs
révolutionnaires ; pas de devenir révolutionnaire sans une détérritorialisation
justement. En 68 , on a assisté à nombre de ces
Déterritorialisations. déterritorialisation par des prises de consciences,
des ouvertures vers d'autres façon de voir les choses. Déterritorialistaion
par les manifestation, débats, AG qui ont permis là encore de se trouver
un autre type de groupe que les traditionnels État, famille travail
(désolé pour le cliché). Pensée soixante huitarde ? Peut être, ca
n'empêche pas sa grande actualité. La tribu revient au goût du jour.
L’Internet la révèle en lui permettant de s'exprimer. Plus les
genre de musiques (les familles et sous familles musicales croissent
de manière exponentielle), d'activismes se diversifient, refusent
les schémas ancien (les révoltes de sans papiers, le bouillonnement
intellectuel actuel refuse les schémas d'actions des partis traditionnels),
plus on donne raison à Gilles Deleuze et Félix Guattari.
C'est sur un plan individuel (atomique) que les choses doivent d'abord
se passer ( Deleuze et Guattari disent d'ailleurs s'être déterritorialisé
et reterritorialisé l'un dans l'autre pour écrire leurs ouvrages.
Pas deux pensées superposées mais deux pensées imbriquées). Un devenir
révolutionnaire s'exprime. La machine désirante se connecte à des
machines techniques, et l'on agit sur le réel. Sortir un disque, un
journal, peindre, faire du théâtre, militer ; philosopher, écrire...tout
cela est une production de la machine désirante. Il y a devenir révolutionnaire
lorsque le chemin tracé prétend sortir ou aller contre le système
général, la société en place. Trouver une alternative. L'underground
musical est un rassemblement de devenirs révolutionnaires, un enchevêtrement
de meutes qui chassent simultanément et séparément.
Sortir du système c'est ouvrir des lignes de fuites.
On crée des lignes de fuite. Prenez ce terme comme le terme photographique.
Ligne de fuite comme la ligne qui nous transporte hors du cadre, nous
déterritorialise. Mais pas seulement. Ligne de fuite surtout comme
la fuite d'eau ou d'air. Faire fuir le système, le faire suer par
tous les pores. Parce qu’hélas, on voit souvent des lignes de
fuites mener a d'autres petits systèmes qui recréent en miniature
le système général (combien de scène musicales pourries par l'argent
etc. ?). Or la fuite doit juste permettre aux autres de fuir. Lignes
de fuite qui vident le système, mais surtout qui ne lui permettent
pas de prendre place sur les nouveaux territoires créés (prenons l'exemple
du punk : une fuite au début pour finalement y revoir les même schémas
rock-majors traditionnels, prenons l'exemple d'une bonne partie de
la scène techno qui devient une " industrie ").
Il y a quelque chose de profondément guerrier dans cette idée de fuite,
la fuite comme une agression au système, une violence qu'on lui ferai,
seul moyen de le percer, de s'en échapper. Revenons à cet exemple
du punk. Une possibilité de fuite pendant quelque mois, un nouveau
territoire, un appel a l'expérimentation. Puis une récupération.
Le punk offre alors au système capitaliste une nouvelle ouverture,
ajoute son territoire au sien. Mais certains des punk ont fui et crées
de nouveaux territoires, font fuir le système : new wave, hard core,
straight edge, collectifs musicaux comme the Ex ou dog faced hermans...Et
ainsi de suite, chaque individu, chaque groupe faisant de son territoire
une nouvelle place du système général, ou réussissant à lui imposer
sa personnalité, sa production désirante.
La psychanalyse et la politique dans le même sac. Ou l'influence de
chaque individu sur le champ social en général, et l'influence du
champ social sur chaque individu. Des échanges constant. Où le premier
moyen d'action est donc l'expression de ce devenir révolutionnaire,
la production de désir. Le second niveau est au niveau moléculaire
(connexion de plusieurs personnes comme des " atomes sociaux ") avec
la meute ou chaque personne s'intègre. C'est la multiplication de
ces lignes de fuites qui permettra une action molaire (assemblage
de nombreuses molécules) , plus globale.
Dés lors les choses progressent. L'art rejoint la politique. Non pas
que les chansons doivent être engagées. Il ne s'agit pas de faire
des oeuvres de " gauche ". Ce serait ridicule. Mais qu'elles doivent
créer des lignes de fuite. Permettre une déterritorialisation est
un acte politique. L'oeuvre personnelle, qui fait fuir le système
(on notera que très vite on ne cherche pas a faire fuir le système
capitaliste général, ou même à révolutionner la musique, non, on fait
fuir le système dans lequel on évolue : créer une nouvelle façon de
faire de l'indus, une nouvelle manière de voir l’ambiant etc.
Redonner un peu de vigueur au territoire artistique que l'on s'est
choisi) permet a celui qui la découvre de trouver sa ligne de fuite.
Son devenir révolutionnaire. L'exemple de la musique est vraiment
le plus frappant parce qu'on y trouve toutes les tentatives de fuites,
les récupérations, les réussites, on y trouve le système capitaliste
dans toute sa splendeur et les nombreux sous systèmes, d'abord crées
par des lignes de fuites puis devenus eux même une nouvelle excroissance
du système capitaliste, comme, mettons, la musique grunge. Rater sa
fuite c'est agrandir le champ d'action du système global. C'est ce
que Deleuze et Guattari reprochent à une bonne partie de la littérature
française nombriliste et persuadée d'une mission supérieure : souvent
retournée vers sa petite affaire privée. On ne devrait pas écrire
pour les pauvres, les SDF, les homos : on devrait écrire à leur place.
Non pas qu'ils ne peuvent pas le faire. Mais parce qu'on exprime un
devenir, on prend leur place. On leur ouvre la brèche. Ouvrir la brèche
c'est créer un autre langage, ou plutôt d'autres codes que le langage.
Détourner le langage, chercher l'expression d'intensités, c'est à
dire produire du sens au delà du langage, au delà (ou au dehors) des
lignes du textes.
L'intensité c'est quand le désir se transmet.
On transmet son désir bien au delà du langage par l'expression d'intensité.
Car ce que nous retenons d'un livre ou d'un disque va bien au delà
des mots qui y sont imprimés ou de l'organisation des notes. Nous
en retenons l'émotion, la capacités à transmettre ce désir, les intensités
qui y sont développées. L'écriture de Deleuze et Guattari est d'ailleurs
largement ouverte, joue avec le langage, crée des mots pour laisser
au lecteur la possibilité d'expérimenter ce qu'il lit.
S'impliquer, s'appliquer à faire fuir le système a ouvrir sa brèche,
sa ligne de fuite qui permettra à d'autre d'ouvrir la leur. D'où la
nécessité du mouvement pour fuir et faire fuir, être en mouvement,
se déterritorialiser, c'est déjà un peu faire la guerre.
Car l'immobile se complaît de nouveau dans son système. Et recrée
déjà le système capitaliste, qui ne se connaît pas d'autre limites
que celles que chacun lui assigne. Deleuze et Guattari pensent que
l'état est une machine politique, administrative soutenue par une
machine "abstraite ", un socle conceptuel qui lui permet d'asseoir
sa domination (on retrouvera la dessus le écrits de Michel Foucault
sur les rapports très imbriqués entre pouvoir et savoir).
Par contre, la machine de guerre n'appartient pas à l’Etat.
L’Etat se l'est simplement appropriée. La machine de guerre
est à l'origine nomade, ce sont les tribus qui la détiennent. Tout
nomade n'est pas guerrier, mais tout guerrier est nomade. Et surtout
la guerre ne se définit plus par la boucherie sanglante que l'on connaît
sous ce nom. La guerre c'est avant tout la confrontation du nomade
avec les sédentaires, de ceux qui se déterritorialisent avec ceux
qui ceux qui s'arrogent les terres. Il existe donc une guerre sans
arme, que les nomades pratiquent depuis toujours. Une guerre a laquelle
nous sommes invités à participer. S'opposer au système c'est être
nomade, créer le mouvement, être en mouvement. Sur la route de ses
devenirs, la route tracée par nos production de désir.
OUF. Vous avez tout lu ? Passez vites aux originaux. Deleuze et Guattari
détestaient le commentaire, la réduction, le massacre. On ne leur
a pas rendu service ! Sauf si vous vous y mettez. A leur langages,
leur néologismes, leur mauvaise foi, à la poésie, la gaieté et la
sérénité qui transpirent de toutes leur pages.
Libérateur, et jouissif en un mot comme en cent. Guillaume
Ollendorff http://1libertaire.free.fr/
Vers une ère post-média PAR
Felix Guattari
La jonction entre la télévision. la télématique et l'informatique
est en train de s'opérer sous nos yeux et elle s'accomplira sans doute
dans la décennie à venir. La digitalisation de l'image télé aboutit
bientôt à ce que l'écran télé soit en même temps celui de l'ordinateur
et celui du récepteur télématique. Ainsi des pratiques aujourd'hui
séparées trouveront-elles leur articulation. Et des attitudes aujourd'hui
de passivité, seront peut-être amenées à évoluer. Le câblage et le
satellite nous permettront de zapper entre cinquante chaînes, tandis
que la télématique nous donnera accès à un nombre indéfini de banques
d'images et de données cognitives. Le caractère de suggestion, voire
d'hypnotisme, du rapport actuel à la télé ira en s'estompant. On peut
espérer, à partir de là, que s'opérera un remaniement du pouvoir mass-médiatique
qui écrase la subjectivité contemporaine et une entrée vers une ère
postmédia consistant en une réappropriation individuelle collective
et un usage interactif des machines d'information, de communication,
d'intelligence, d'art et de culture.
A travers cette transformation, c'est la triangulation classique :
le chaînon expressif, l'objet référé et la signification, qui se trouve
remaniée. La photo électronique, par exemple, n'est plus l'expression
d'un référent univoque, mais production d'une réalité parmi d'autres
possibles. L'actualité télévisée résultait déjà d'un montage à part
de composantes hétérogènes : figurabilité de la séquence, modélisation
de la subjectivité en fonction des patterns dominants, pression politique
normalisante, souci d'un minimum de rupture singularisante. A présent,
c'est dans tous les domaines qu'une telle production de réalité immatérielle
passe au premier plan, avant la production de liens matériels et de
services.
Doit-on regretter le « bon vieux temps » où les choses étaient ce
qu'elle étaient, indépendamment de leur mode de représentation ? Mais
ce temps a-t-il jamais existé ailleurs que dans l'imaginaire scientiste
et positiviste ? Déjà au paléolithique - avec les mythes et les rituels
- la médiation expressive avait pris ses distances avec la « réalité.
» Quoi qu'il en soit, toutes les anciennes formations de pouvoir et
leurs façons de modéliser le monde ont été déterritorialisées. La
monnaie, l'identité, le contrôle social passent sous l'égide de la
carte à puce. Les événements d'Irak, loin d'être un retour sur terre,
nous font décoller dans un univers de subjectivité mass-médiatique
proprement délirant. Les nouvelles technologies sécrètent. dans le
même mouvement, de l'efficience et de la folie. Le pouvoir grandissant
de l'engénierie logicielle ne débouche pas nécessairement sur celui
de Big Brother. Il est beaucoup plus fissuré qu'il n'y paraît. Il
peut exploser comme un pare-brise sous l'impact de pratiques moléculaires
alternatives.
PS : Felix Guattari 1990. Texte inédit d'octobre 1990, publié
dans la revue Chimeres,
numéro 28, printemps-été 1996.
Article trouvé sur [samizdat
| biblioweb]
Manuel pour une lecture critique des médias
"Techniques de désinformation, manuel pour une lecture
critique des médias", est un texte élaboré par le Groupe d'Apprentissage
Collectif de communication populaire, de l'Ecole populaire de Madrid,
un centre de culture pour personnes adultes. Ecrit de façon directe
et facilement compréhensible, il aide à comprendre comment est manipulée
l'information dans les médias dominants.
Nous vous donnons à lire l'introduction ; le texte complet est téléchargeable
en bas de page.
L'opinion publique constitue un élément fondamental pour la stabilité
ou l'instabilité du système. Et dans une société médiatique, l'opinion
publique se forme jour après jour par le biais du bombardement continu
des moyens de communication. La vérité est ce qu'ils proposent comme
vérité. Ce qui n'est pas reporté par la presse n'existe pas, et ce
qui existe n'est que dans la forme selon laquelle elle apparaît.
L'importance des médias donne lieu d'une part, à un fort contrôle
de ceux-ci de la part de qui a le pouvoir, et d'autre part, à la nécessité
que ce contrôle passe inaperçu pour préserver l'apparence de liberté
d'information, préalable indispensable à la définition d'une société
qui s'affiche comme étant démocratique. Un troisième aspect est que
la plus grande partie des médias sont des entreprises desquelles dérivent
des impératifs commerciaux qui influent eux-aussi sur la ligne d'information.
Le résultat de l'union de ces trois facteurs est la configuration
d'un système de manipulation ample et subtil, parfois contradictoire,
mais qui généralement, plutôt que d'informer, prétend imposer une
réalité par le moyen d'opinions et valorisations présentées comme
vérités indiscutables.
La récolte de ces techniques de désinformation est le fruit de trois
années de travail du Groupe d'Apprentissage Collectif (GAC) de Communication
Populaire, dans le cadre du projet éducatif et social de l'école populaire
de "Prosperidad". Trois ans à analyser de manière critique de nombreux
articles de presse tirés des principaux quotidiens nationaux espagnols
de façon à, jour après jour, définir et élaborer critères et conclusions
que nous vous présentons sous la forme de ces techniques.
Elles sont en effet toutes apparues de manière claire et répétitive,
isolées ou combinées entre elles. Nombres d'entre elles peuvent être
appliquées à d'autres médias, télévision ou radio, même si de façon
différente car chaque moyen de communication possède ses méthodes
de désinformation dues à ses propres caractéristiques.
La subjectivité est inévitable dans toute production intellectuelle
[culturelle], c'est pourquoi, même en prétendant donner une vision
neutre et impartiale de la réalité, on ne pourra jamais être totalement
objectif. La meilleure manière de s'approcher de l'objectivité est
de montrer la réalité vue par différents points de vue, recueillant
ainsi des informations sur un même thème à travers des sources distinctes
et des positions différentes.
Donc c'est justement sur ce point que réside un élément fondamental
de la manipulation des médias : sous prétexte d'objectivité, l'illusion
de nous offrir leur vision de la réalité comme s'il s'agissait de
la réalité elle-même, en cachant toujours les intérêts qu'ils défendent.
Pour faire une lecture critique de l'information, potentiellement
objective, il est fondamental de connaître les intérêts auxquels répondent
ceux qui t'offrent cette information.
La "réalité virtuelle" construite par les médias est donc partielle
et biaisée. En général, ils donnent couverture et priorité aux points
de vue de ceux qui tiennent les pouvoirs politiques et économiques
(groupes commerciaux, grands partis politiques, gouvernements, grands
syndicats...) quand les valorisations des opinions et des intérêts
des jeunes, des personnes âgées, des travailleurs, des malades, des
étudiants, des immigrés, des employés, des organisations populaires...
sont presque toujours passées sous silence, ou reléguées, ou déformées.
La désinformation n'est pas toujours systématique, préparée et dessinée
de manière consciente et contrôlée. La complexité des processus d'élaboration
de l'information, et le vaste champ de recueil de celle-ci, font que
souvent la désinformation est le fruit de l'incompétence du/de la
journaliste qui ne connaît pas tel sujet, manque de temps et d'espace,
et de ses préjugés ou de ceux du rédacteur en chef qui applique des
schémas de travail trop simplistes ou trop sensationnels, etc. Cependant,
il ne fait aucun doute que dans d'autres cas nombreux, il existe des
campagnes de désinformation qui répondent à des intérêts économiques
ou politiques clairs, du moyen de communication ou des groupes entrepreneurs
qui le financent et le soutiennent.
La majeure partie des nouvelles est distribuée par les Agences de
Presse internationales. Celles-ci sélectionnent en principe une petite
part des informations parce que 90% d'entres elles sont généralement
refusées. Autrement dit, ce qui vient à notre connaissance n'est qu'une
petite fraction de ce qui se passe dans le monde. Il est donc nécessaire
de connaître les critères de sélection utilisés pour le choix des
informations et à quels intérêts elles peuvent répondre.
N'oublions pas que ces agences de presse sont le plus souvent de grandes
entreprises nord-américaines, européennes et japonaises qui sont habituellement
étroitement liées à d'importants groupes financiers en contact direct
avec les gouvernements des pays auxquels ils appartiennent. Logiquement,
ils n'ont pas intérêt à ce que se vérifient les échanges sociaux,
ni certainement à faire connaître des événements et des situations
qui manifestent des dangers et des aspects négatifs du système ou
mettent en question sa validité.
Seulement, il n'y a pas que ces agences qui influent sur l'information
(elles ne sont que le premier filtre), il y a aussi les banques qui
financent les moyens de communication, les grands groupes ("corporations"),
les entreprises qui ont des actions et qui soutiennent l'édition (journal,
radio, TV) par le biais des publicités. Et il ne s'agit pas seulement
d'entreprises : par exemple, l'Etat espagnol est celui qui apporte
le plus d'argent aux médias nationaux sous la forme de publicités
(payées avec l'argent public) ; de cette façon indirecte, on peut
"punir" ou "récompenser" les voix adverses et celles qui sont favorables.
En plus, parler de la ligne éditoriale [idéologique] des journalistes
et des rédacteurs, cela revient à dire aussi : leurs préjugés, leur
corporatisme, spécialisation excessive, fidélité à l'entreprise et
tendance à l'autocensure... qui influent sur l'orientation de l'information.
La désinformation vient par conséquent de nombreux filtres et biais,
sans qu'aucun d'eux en particulier, sinon l'ensemble du processus,
soit la cause pour laquelle l'information nous arrive manipulée et
déformée, et notamment altérée consciemment. Donc, la désinformation
se trouve tant dans ce qui est publié, que dans la façon dont on le
publie.
De temps en temps apparaissent des nouvelles critiques et discordantes
dans les médias. Mais en général, ce ne sont que des "fissures contrôlées"
qui donnent crédibilité au média en le dotant de d'une apparence de
pluralité et d'indépendance, et qui sont abondamment contrastées par
un bombardement d'informations de signe contraire (qui répondent aux
divers intérêts du pouvoir) ou par une présentation qui suggèrent
un caractère lointain et anecdotique. En outre, la majorité de ces
informations discordantes, réellement critiques, apparaissent souvent
sous la forme d'opinion (colonnes, "lettres au directeur", "point
de vue") qui relativisent leur importance.
Ce dossier n'est pas centré sur les causes et les origines de la désinformation
(structure du processus médiatique, intérêts politico-économiques...)
mais sur les formes avec lesquelles se met en oeuvre cette désinformation
dans la presse, sous l'apparence d'objectivité et d'exhaustivité du
périodique. C'est la raison pour laquelle nous l'avons sous-titré
« Manuale per una lettura critica della stampa ». Parce que au-delà
des inquiétudes théoriques, ce travail est guidé par un désir pratique
de fournir des instruments pour l'analyse critique.
Les techniques de manipulation qui sont ici récoltées ne sont qu'une
goutte d'eau du courant qui travestit la réalité. Cependant, il apparaît
important d'apprendre à se défendre des médias, à voir ce qu'il y
a derrière la façade (lire les articles "à l'envers") pour, à l'arrivée,
pouvoir planifier et défendre l'exigence et la nécessité d'avoir une
information au service de nos intérêts, et non contre ceux-ci.
Le dossier présent est structuré en trois parties. Dans la première,
on voit comment est organisée et hiérarchisée l'information dans un
journal (sections, extensions...), le contexte dans lequel est présenté
un article et comment sont agencés ces derniers. Dans la deuxième
partie, on analyse le langage écrit, photographique et statistique,
c'est-à-dire la forme dans laquelle les infos nous sont présentées,
le style narratif, l'usage des guillemets, adjectifs... Dans la troisième
et dernière partie du travail, on étudie le contenu des articles :
leur précédent, leur falsification, les sujets traités, ce qui sont
omis et ceux qui sont exagérés. Suit une annexe avec des articles
concrets qui fournissent exemples et les points et idées exposées
(se reporter à la publication en espagnol pour les annexes, illustrations,
références du texte...).
Sources en espagnol : nodo50.org
Pour lire la totalité du document en français, cliquez
ici. Oulala.net
Si la vie devient résistance...
par
Isabelle Stengers
Cette époque n'est pas, pour moi, celle d'un triomphe proclamé de
l'humanisme, proclamation qui n'a cours que dans les médias parisiens.
Je ne sais pas non plus s'il est très important de se référer à Foucault
pour la mettre sous le signe (unitaire ?) du biopouvoir, à moins que
ce soit précisément une confirmation de ce que nous sommes « dedans
» et que cette question du biopouvoir se décompose en une multitude
de composantes, dont certaines semblent renvoyer à l'État, d'autres
au capitalisme, d'autres encore à ce que certains appellent « la société
civile », le tout enchevêtré. Y a-t-il un trait commun entre les organismes
génétiquement modifiés (qui mettent les États en position de perplexité,
pris en pince entre capitalisme et groupes actifs issus de la société
civile), les techniques de procréation artificielle (où l'État et
ses réglementations tendent à s'attribuer le rôle de grand moralisateur,
l'ami du « désir d'enfant », mais celui qui prend également en charge
la détermination de ce qu'il faut et ne faut pas), la question des
drogues (où l'État se fait défenseur répressif du « sujet » et du
« lien social »), et les organisations humanitaires (ces manifestations
de la « société civile » qui semblent se voir déléguer par les États
ses anciennes prérogatives civilisatrices, réduites en l'occurrence
à « il faut sauver et guérir ») ?
Si j'ai mis l'État au centre de chaque question, c'est parce que la
question de Foucault dans La volonté de savoir et dans Il faut défendre
la société n'est pas celle du capitalisme mais celle de la souveraineté.
Que les entreprises capitalistes, légales ou non, trafiquent avec
les vivants en tant que vivants, avec les ADN, les ovaires, les «
machines qui pensent », les drogues, les tests génétiques, l'indignation
est facile, et elle peut suivre des voies assez classiques. Mais que
le pouvoir ait « laissé tomber la mort » pour se donner comme objet
« la vie » (double série correspondant au « corps » et à la « population
») aide bel et bien à penser là où c'est le plus difficile, là où
nous nous retournons si facilement vers l'État pour exiger qu'il «
fasse quelque chose. » Le bras long du pouvoir traverse comme par
enchantement toutes les stratifications qui étaient censées le contenir,
si « un enfant est en danger » qui doit être retiré à sa famille indigne
(surtout si celle-ci est d'origine étrangère), et bientôt, pourquoi
pas, cela commence aux États Unis, si une femme enceinte ose boire
un verre d'alcool. Et le pouvoir de l'État s'exhibe lors des tremblements
de terre et autres sinistres : nous sommes fiers de voir « nos » chiens,
« nos » pompiers, « nos » militaires, sauver des vies abstraites,
dans un gigantesque déploiement de moyens soudain consacrés à des
gens dont la vie concrète nous était parfaitement indifférente.
La résistance, si elle devient pouvoir de la vie, pouvoir vital, selon
Deleuze, peut être résistance au pouvoir, mais ne peut se laisser
définir par un objet, qui serait le pouvoir. Si « elle ne se laisse
pas arrêter aux espèces, aux milieux, et aux chemins de tel ou tel
diagramme », c'est qu'elle doit partager avec le capitalisme (capitalisme
et schizophrénie) une grande indifférence par rapport aux instances
et aux hiérarchies critiques. Ce qui n'est pas un problème lorsque
l'on perçoit la multiplicité proliférante de ce qui s'invente en tant
que « force qui résiste », depuis cette Américaine perchée pendant
plus d'un an sur son séquoia jusqu'aux groupes activistes que l'on
traite d'écoterroristes, depuis les « femmes en noir » jusqu'aux associations
de toxicos non repentis. Ce qui est assez difficile pour les théoriciens
puisque cela met à l'épreuve leurs propres tentations « étatistes
» et pédagogiques. Si la vie devient résistance, c'est la pensée de
la résistance qui doit muter, abandonner les « ou... ou... » pour
le « et... et... »
S'il doit y avoir un nouveau matérialisme ou un nouveau vitalisme,
ils viendront par surprise, par où on ne s'y attend pas, par un dehors
non pris au sérieux, disqualifié par principe. Qu'est-ce qui rend
capable de résister ? Là-bas, aux États-Unis, des femmes héritières
des mouvements féministes, écologistes, pacifistes, etc. (et donc
anticapitalistes) se sont inventées sorcières et ont réinventé des
rituels proprement constructivistes. Les histoires qu'elles racontent
couplent la montée du Sujet de l'humanisme avec la chasse aux sorcières
que certains marxistes (du passé ?) n'auraient pas hésité à mettre
sur le compte des vertus progressistes du capitalisme, défaisant des
liens et des strates censés faire obstacle au socialisme. Leur « magie
» a pour ingrédient une Déesse qui rejoue le rapport entre Vie et
Spiritualité, qui fait exister ce à quoi nous sommes si fiers d'avoir
échappé en tant qu'inconnue de la situation : « futur antérieur. »
Juste, à titre d'exemple, voilà ce que l'une d'entre elles, Starhawk
[1], m'a demandé de diffuser (le 17 décembre 1999). Cela aurait peut-être
intéressé Foucault.
[1] Starhawk est une écrivain, une activiste... et une sorcière. Les
sorcières néopaïennes américaines sont héritières et parties prenantes
des mouvements politiques pacifistes, écologistes, féministes, anti-capitalistes
qui sont loin d'avoir dis paru aux États-Unis. Elles ont appris des
mouvements de désobéissance civile ce que Guattari affirmait dans
Les trois écologies, qu'il s'agit de « reclaim » (un terme difficile
à traduire, à la fois guérir, se réapproprier, rendre à nouveau habitable,
etc.) les pratiques de soi, les pratiques sociales, les pratiques
politiques de lutte. La Déesse est le point mobile d'articulation
et de déterritorialisation pour cette « écosophie », produite sur
un mode constructiviste-spéculatif-pragmatique-politique, et non de
conversion vers une quelconque transcendance. Pour qui s'intéresse
aux witches, essayez, pour commencer, Starhawk, Dreaming the Dark,
Beacon Press, Boston, 1997 (nouvelle édition quinze ans après).
Comment réhabiliter le travail ? par Dominique Méda
Les nombreux articles récemment consacrés à la "réhabilitation" de
la valeur travail se suivent et se ressemblent. Invariablement, il
nous est suggéré que les Français n'aiment plus travailler, ont oublié
la manière dont les richesses s'acquièrent, se prélassent dans une
paresse généralisée que les 35 heures n'auraient fait qu'autoriser.
Invariablement, on nous rappelle que le Travail, cette vieille valeur
qui nous fait hommes - et qui est du côté du Bien, du Beau et du Bon
-, mène un combat titanesque contre le Loisir - père de tous les vices
-, le Mal, le Méchant, le Mauvais, loisir dont la séduction aurait
été renforcée, là encore, par les 35 heures.
On croirait un devoir de philosophie de terminale, mis à part qu'il
y manque toute une partie (c'est le manque de sens historique de nos
jeunes candidats...), pourtant facile : dans l'Antiquité, les hommes
libres, ceux qui participaient à la chose publique, délibéraient,
échangeaient et débattaient, tenaient le travail en peu d'estime et
voyaient au contraire dans le loisir, otium, l'approche désintéressée
permettant de déterminer ensemble le bien commun.
Mais qu'importe, soyons modernes. Le travail, donc, ce par quoi nous
existons, serait notre première valeur, nous l'aurions oublié, foulé
aux pieds, et il ne nous resterait plus aujourd'hui qu'à retrouver
le sens perdu de l'effort.
Un certain nombre d'arguments parfaitement recevables ont déjà été
opposés à cette vision relativement simpliste dans ces colonnes, et
d'abord celui-ci : le travail manque. Les personnes aimeraient par-dessus
tout en avoir et sont d'autant plus attachées au travail qu'elles
n'en ont pas. Mais elles n'en trouvent pas. Faut-il pour cela qu'elles
fassent n'importe quoi, rabaissent leurs prétentions, saisissent les
postes dont personne ne veut ?
Faut-il, bien que l'on nous ait dit que nous devions nous armer pour
devenir "une économie et une société fondées sur la connaissance"
accepter pour toujours - étant donné la faiblesse de la mobilité professionnelle
et sociale dans notre pays - un poste peu qualifié lorsque l'on a
fait de nombreuses années d'études ? Si le travail est notre bien
commun le plus précieux, la source même de la citoyenneté et de l'appartenance,
ne faut-il pas au contraire le rendre coûte que coûte accessible à
tous ?
Mais allons plus loin. On nous parle donc de l'horrible bataille entre
le Travail et le Loisir, comme si nous rêvions tous que ce dernier
en sorte victorieux et nous permette de vivre, en état semi-comateux
selon Baverez, dans une inactivité totale, voire dans un monde où,
enfin, les actions ne seraient plus contraintes (il faudrait imaginer
le paradis comme un gigantesque parc Eurodisney). Le seul problème
est qu'aucune enquête, française ou européenne, ne met en évidence
de telles aspirations. De quoi manquons-nous ? Ou encore, autre manière
de poser la même question, à quoi les personnes qui ont bénéficié
de la réduction du temps de travail ont-elles occupé leur temps ?
La grande majorité des personnes indiquent manquer, d'une part, de
repos, simplement pour "récupérer", et, d'autre part, soit d'argent,
soit de temps pour leurs proches. D'un côté, des ouvriers et employés
qui ont, pour certains, souffert de l'intensification du travail et
de la flexibilité sans gagner plus d'argent (où est la réhabilitation
du travail ?), de l'autre, des cadres dont les horaires de travail
n'ont cessé de s'allonger dans les années 1990 (voir le numéro spécial
d'Economie et Statistique consacré à la dernière enquête Emploi du
temps) et qui étaient, évidemment, ceux qui désiraient la RTT. Mais
aussi des gens, en emploi, qui manquent à la fois d'argent et de temps
pour leurs proches.
Continuons : d'un côté, des hommes, la plupart conformes à leur rôle,
travaillant dur, de l'autre, des femmes, soit retirées du marché du
travail tant la conciliation du travail et des tâches domestiques
et familiales est difficile, soit cumulant tout cela et ayant le sentiment
qu'elles n'accordent plus le temps minimal, le temps décent, à leur
famille, et principalement à leurs enfants. Toutes les enquêtes le
mettent pourtant clairement en évidence depuis quelques années : les
Français manquent de temps pour leurs proches, et notamment leurs
enfants, parce que les femmes travaillent désormais plus, que le nombre
de couples bi-actifs s'est multiplié, que les tâches domestiques et
familiales reposent toujours sur les femmes et que, de surcroît, les
hommes ont désormais envie eux aussi de s'intéresser à leurs enfants,
constitutifs plus que par le passé de leur identité.
Lorsqu'on les interroge sur ce dont ils manquent lorsqu'ils ont un
travail et une stabilité minimale, ce qu'ils réclament tous n'est
pas un surplus de loisir, mais un tout petit peu plus de temps pour
leur famille. Celle-ci, dans le sens le moins réactionnaire qui soit,
est désormais reconnue comme un lieu où peuvent s'épanouir des talents,
des aventures, du dialogue, où peuvent s'inventer des histoires et
des constructions communes, sans doute plus que le travail.
Et, contrairement à de nombreux sociologues, je pense que c'est une
bonne nouvelle. En tout cas, il est surprenant d'entendre un ministre
de l'éducation réclamer une extension supplémentaire du domaine occupé
par le travail, alors que tant de personnes, ouvriers aux horaires
alternants, caissières à temps partiel finissant à 22 heures ou cadres
nomades n'ont jamais de temps à consacrer à leurs enfants, ne serait-ce
que, pour une fois, regarder leurs devoirs ou transmettre quelques
principes de base qui, nous dit-on, font aujourd'hui défaut.
Les temps ont changé, nous ne réclamons plus "la société des loisirs".
Et tous ceux - dont je fais partie - qui, à travers des titres trop
provocants, ont souhaité sinon la fin, du moins la réduction de la
place accordée au travail dans nos sociétés, ne l'ont jamais fait
au nom d'hypothétiques loisirs, mais au nom d'un travail plus humain
et d'un meilleur équilibre entre les temps et les rôles affectés aux
différentes activités humaines dont une société a besoin, au nom aussi
d'une meilleure répartition des investissements, des tâches et des
rôles qui incombent aux hommes et aux femmes. Depuis trente ans, la
montée de l'activité féminine aurait dû révolutionner les pratiques
et impliquer une immense réorganisation du travail, dans le sens d'un
raccourcissement du temps de travail de chacun, pour qu'hommes et
femmes puissent également travailler et prendre en charge tâches domestiques
et soins aux enfants, dans un objectif d'égalité, mais aussi plus
généralement de bien-être, le temps accordé aux enfants étant notoirement
insuffisant. Les 35 heures auraient pu, sous certaines conditions,
entraîner un tel rééquilibrage et permettre à tous, hommes et femmes,
de goûter aux joies du travail. C'est d'ailleurs lorsqu'elle a permis
de telles réorganisations que la réduction du temps de travail a été
particulièrement appréciée.
Comment donc réhabiliter le travail aujourd'hui, et que peut signifier
cette expression, comment ce bel objectif pourrait-il être opérationnalisé
? Réhabiliter le travail, cela consisterait d'abord à en offrir à
tous. Dans une acception un peu plus approfondie, cela devrait également
se traduire par l'éradication des emplois déshumanisants, sans garanties,
sans droits, mal payés, et l'extension de ce que le BIT appelle le
travail "décent" ou encore de ce que certains chercheurs nomment le
"travail soutenable": un emploi convenablement payé et protégé, permettant
des adaptations permanentes des compétences et des reconversions,
permettant à tous, hommes et femmes, de concilier vie professionnelle
et vie familiale, présentant des conditions de travail telles que
les personnes soient capables de travailler aussi longtemps qu'elles
le souhaitent.
Mais allons encore plus loin : réhabiliter le travail, ce serait surtout
mobiliser tous les moyens pour lui donner du sens. Un travail doté
de sens, c'est un travail qui permet en effet aux personnes d'engager
des actions véritablement transformatrices, de développer leurs talents,
de participer à la réalisation de biens et services utiles à la vie
en commun, de mettre le monde en valeur en y imprimant leur marque.
Mais il faudrait pour cela que le travail soit au centre, considéré
comme une des manières pour les individus de se réaliser, et il n'est
pas évident du tout ni que cette préoccupation soit partagée par ceux
qui tiennent le discours de la nécessaire réhabilitation du travail
ni que le travail parvienne à s'émanciper des logiques marchandes
auxquelles il est inextricablement lié depuis le XVIIIe siècle.
Dominique Méda est philosophe, auteur notamment du livre Le Travail,
une valeur en voie de disparition, Champs-Flammarion, 1998.
La "décroissance" La "décroissance" : renaissance
d'un concept révolutionnaire Les "objecteurs de
croissance" pourraient apporter la théorie économique qui manque aux
altermondialistes
Le premier colloque français sur la "décroissance" se tenait les 26
et 27 septembre derniers à Lyon. L'idée de la décroissance date du
début des années soixante-dix, une vingtaine d'années avant l'émergence
du "développement durable". Il s'agit d'une critique radicale du principe
de l'augmentation constante du revenu global, autrement dit la croissance
du PIB, sur laquelle est fondé tout l'ordre économique actuel. L'argument
central de cette critique : toutes les matières premières et toutes
les énergies consommées aujourd'hui sont perdues pour les générations
futures. Les pays riches doivent donc consommer beaucoup moins afin
de préserver durablement le bien-être sur Terre. A l'heure où l'on
parle plus que jamais de réchauffement climatique, de pénurie d'hydrocarbures
et de destruction de la biodiversité, la thèse de la décroissance
retrouve des adeptes, après plus d'un quart de siècle de léthargie.
Bien qu'encore lacunaire et parfois contradictoire, elle incarne pour
certains la théorie économique globale qui fait pour l'instant défaut
au mouvement altermondialiste.
Réunis par des membres du collectif Casseurs
de pub et de la revue écologiste Silence, quelque 200 "objecteurs
de croissance" ont tenu colloque à Lyon pendant deux jours. Ils ont
parlé de concepts comme l'"innovation frugale", dans le décor rococo
d'une salle d'honneur parée de feuilles d'or de l'hôtel de ville de
Lyon, symbole de l'opulence de la capitale des Gaules.
Les racines de la "bioéconomie"
Les débats étaient animés par la poignée d'universitaires français
et italiens héritiers de l'économiste roumain Nicholas Georgescu-Roegen,
mort en 1994 dans une indifférence quasi totale. Georgescu-Roegen
est l'inventeur de la "bioéconomie", une théorie qui ajoute à l'analyse
économique un paramètre toujours ignoré jusque-là : la finitude des
ressources offertes par la nature. Silvana De Gleria, une ancienne
élève de Roegen, explique : "Du libéralisme au socialisme soviétique,
les penseurs de l'économie classique travaillent à partir de l'image
fausse d'un 'circuit économique' clos. L'activité économique n'est
pas un manège, dans lequel tout recommence toujours à l'identique.
C'est au contraire un processus destructeur de matière."
L'économiste Serge Latouche, principal thuriféraire de la décroissance
en France, affirme que l'approche classique de l'économie ne sait
pas intégrer l'évolution temporelle. "Elle exclut de son raisonnement
tous ceux qui disent 'J'ai besoin de tel produit' tout en étant incapables
de lui fixer un prix. C'est-à-dire les pauvres et... les générations
futures !", s'exclame le professeur d'économie qui enseigne à l'université
Paris-Sud.
L'analyse de Roegen a pour point de départ la fameuse loi de "l'entropie",
découverte en 1824 par Sadi Carnot. Une grande partie de l'énergie
mécanique utilisée par l'industrie se transforme en chaleur. Or cette
énergie calorique se dissipe et ne peut jamais redevenir une énergie
mécanique. L'entropie décrit un processus irréversible. Toute énergie
consommée par les machines (Roegen parle d'"organes exosomatiques")
finit par disparaître et ne pourra plus jamais servir à nouveau. Ce
qui veut dire que les ressources énergétiques de la Terre sont un
capital limité. Plus l'on puise dedans, plus la fin de l'histoire
moderne se rapproche. Un instant emporté par l'élan messianique omniprésent
au cours du colloque, le politologue suisse Jacques Grinevald lâche
: "C'est la chaleur qui a fait fondre les tours du World Trade Center"...
La décroissance a le vent en poupe dans les milieux écologistes et
altermondialistes. Un militant d'Attac venu assister au colloque remarque
: "La décroissance, c'est l'intuition que les lois de l'économie ne
peuvent pas être radicalement différentes des lois de la nature. Après
l'effondrement du marxisme, la bioéconomie peut être la théorie économique
globale qui manque aujourd'hui aux nouveaux militants de gauche."
Si tous les habitants de la Terre devaient s'aligner sur le niveau
actuel de consommation des pays développés, il faudrait entre trois
et sept planètes supplémentaires pour couvrir nos besoins en matières
premières. Ce constat, qui fait désormais l'objet d'un large consensus,
est le meilleur argument des "objecteurs de croissance." Pour eux,
la solution est simple : les citoyens des pays développés doivent
"déconsommer."
Serge Latouche affirme : "La croissance économique est l'alpha et
l'omega de toutes les politiques économiques actuelles. Elle représente
un bénéfice illusoire pour des sociétés de plus en plus malades de
leurs richesses. Dans les pays développés, la dégradation de l'air,
de l'eau et de la nourriture ne cesse d'augmenter : respirer, boire
et manger y sont devenus les principales sources de mortalité !"
Mais comment distinguer la décroissance d'une récession, synonyme
de chômage et de paupérisation ? "La récession, c'est un simple défaut
de croissance, explique Jacques Grinevald, tandis que la décroissance
correspond à une modification des conditions et des règles du développement."
Mort au consumérisme
Pour "décroître", poursuit Serge Latouche, il faut commencer par supprimer
tous les coûts économiques "absurdes" : "Par exemple, de nombreux
déplacements sont inutiles. Il faut aussi s'attaquer à la publicité
et au consumérisme effréné qui font qu'un ordinateur ou une voiture
se démodent au bout de deux ou trois ans."
Un cas est fréquemment pointé du doigt : les échanges agricoles internationaux.
Pour Pierre Rabhi, l'une des figures de l'écologie française depuis
quarante ans, "faire parcourir la moitié de la planète à des moutons
est aberrant." La "relocalisation de la production" est l'un des thèmes
centraux de la bioéconomie. Rabhi insiste : "Il faut que nous nous
remettions à produire au plus près des lieux de consommation, à la
fois pour économiser l'énergie et pour permettre un développement
harmonieux de nos sociétés."
Les "objecteurs de croissance" se posent en concurrents du "développement
durable", un concept dont ils ne manquent jamais de relever les paradoxes.
Ils reconnaissent par exemple la pertinence de l'éco-conception (c'est-à-dire
la réduction au minimum des coûts environnementaux de chaque produit).
Mais ils remarquent que depuis 30 ans, l'amélioration constante du
rendement énergétique de la voiture, de l'avion ou des appareils électroménagers
a eu pour effet de doper le volume global de leur consommation. On
assiste à une sorte "d'effet rebond" : une voiture qui consomme 3
litres au cent au lieu de 15 incite à parcourir plus de kilomètres
et donc à utiliser plus d'essence au final. Serge Latouche : "Le développement
durable est un concept toxique qui conduit à réduire la matière première
nécessaire à chaque produit pour mieux augmenter le coût environnemental
total de l'économie."
Parmi les mots d'ordre les plus applaudis au cours du colloque, il
y a celui de Pierre Latouche : "Il faut décoloniser notre imaginaire
envahi par l'idéologie de la croissance et du profit." L'économiste
argumente : "C'est parce qu'ils sont incapables de décoloniser leur
imaginaire que le Parti socialiste français et tous les mouvements
politiques 'sociaux-démocrates' sont condamnés à faire du libéralisme
social." Un triptyque proposé par l'économiste italienne Sylvana de
Gleria reçoit également un accueil enthousiaste : "Le modèle de la
décroissance nécessite conscience, coopération et modération."
2 heures de travail par jour
La théorie de décroissance est encore pleine de lacunes et parfois
de contradictions. Pour l'instant, elle n'est animée que par une poignée
de professeurs italiens, suisses, français et espagnols décriés au
sein de leurs universités. Certains, comme le penseur iconoclaste
Jacques Grinevald (qui enseigne à l'université de Genève) luttent
en permanence pour éviter d'être mis au placard. Ces leaders des "objecteurs
de croissance" sont des macro-économistes et des théoriciens. Pas
d'urbanistes, ni de sociologues spécialistes du travail, ni encore
moins de politiciens dans leurs rangs.
L'absence de validation pratique de l'approche de la décroissance
conduit souvent les orateurs dans un flou artistique. Serge Latouche,
par exemple, affirme qu'une réduction "féroce du temps de travail"
est nécessaire : "Pas plus de deux heures par jour", réclame-t-il.
Il se prononce en même temps contre l'énergie nucléaire, sans prendre
la peine d'expliquer comment préserver le fonctionnement de quelques
infrastructures vitales (distribution d'eau, chauffage, alimentation,
etc.) en ne travaillant quasiment plus et en supprimant de plus la
source d'énergie qui réclame le moins de main-d'oeuvre à quantité
égale d'électricité produite.
Le problème délicat de la rémunération du travail dans une société
travaillant très peu est à peine évoqué par les "objecteurs de croissance".
De manière générale, la question de la redistribution des richesses
demeure en suspens. Certains affirment que le marché doit continuer
à jouer son rôle de confrontation de l'offre et de la demande, d'autres
se prononcent en faveur de la suppression de la monnaie et souhaitent
emprunter le vieux chemin du socialisme distributiste.
Les "objecteurs de croissance" soulignent tous l'urgence de la situation
face à l'imminence d'une "catastrophe environnementale planétaire".
Pourtant, afin de franchir le pas de la décroissance, la plupart compte
sur une "révolution dans la conscience des citoyens", qui prendra
forcément du temps.
Quelle révolution ?
Les partisans de la décroissance sont des libertaires convaincus,
qui rêvent de "micro-sociétés autonomes connectées entre elles". Jacques
Grinevald renâcle à se pencher sur la question du passage à une économie
de décroissance. Il botte en touche : "Nous ne sommes ni des révolutionnaires,
ni des utopistes." Pourtant, pour mettre en place la vision de l'intérêt
général imaginée par les théoriciens de la décroissance, "de nouvelles
institutions politiques de redistribution sont nécessaires", souligne
l'économiste italien Mauro Bonaiuti. Les conditions d'exercice de
cette nouvelle forme de coercition du politique sur l'économie ne
sont pas débattues, ni la place accordée à la liberté d'entreprendre.
La décroissance est une idéologie en devenir. Pour qu'elle se développe,
Serge Latouche compte sur "la pédagogie des catastrophes". Il affirme
: "Les catastrophes sont notre seule source d'espoir, car je suis
absolument confiant dans la capacité de la société de croissance à
créer des catastrophes."
En attendant, et malgré ce qu'en disent les "objecteurs de croissance",
la société de décroissance reste encore dans le domaine de l'utopie.
Invitée à apporter un éclairage concret sur le type d'organisation
auquel la décroissance pourrait donner lieu, Marie-Andrée Bremont,
une représentante du vénérable mouvement communautaire anti-technologique
de l'Arche prend la parole à la fin des deux jours de colloque. Avec
un débit lent, qui contraste par rapport à l'emphase des orateurs
qui l'ont précédé à l'estrade, la responsable de l'Arche décrit sa
vie quotidienne. Elle dit : "A part cela, que fait-on de notre temps
libre au sein de la communauté ?" Silence. Marie-Andrée Bremont ne
prend pas la peine de répondre à sa propre question. Un peu plus tard,
elle précise tout de même : "Notre principale activité consiste à
cultiver la gratuité relationnelle." L'envie se lit sur de nombreux
visages dans l'auditoire.
Matthieu Auzanneau
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