"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
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Le copyleft   ou l'état des interrogations quant à l'impact des NTIC en tant qu'élément déstabilisateur des règles de propriété intellectuelle
David Geraud, 12 novembre 1999

" [...] Avertissement : La récurrence de l'emploi du terme ''droit d'auteur'' dans ces lignes, supposées en rapport avec le Copyleft, peut faire craindre aux lecteurs une présentation non libertaire de ce phénomène, ce en quoi ils auront raison. Car cette notion, exprimée notamment par les logiciels libres, est tout sauf l'anarchie mais l'encadrement par un système de licence de la liberté des utilisateurs comme des programmateurs: étudier l'environnent juridique de la création contemporaine peut donc apporter à la matière.

De plus, la seule définition stricte du terme de Copyleft qui peut être donnée de manière objective est…. un calembour dont Richard Stallman est à l'origine. Le Copyleft ne doit donc pas s'entendre comme une notion précise, ce terme n'est repris par aucun texte de loi ni décision de jurisprudence et ne possède donc aucune valeur juridique. Le Copyleft se définit avant tout par la signification que lui donnent les personnes souhaitant écrire sur ce thème. Le choix fait pour ma part de placer ce travail sous ce titre a été guidé par un souci de profiter honteusement de ce phénomène afin de bassement accroître la fréquentation de cette page, ce dont je m'excuse par avance…."

Lire l'article en intégralité ou l'enregistrer au format PDF
http://a.fradin.free.fr/doc/copyleft.pdf


Texte trouvé sur les Archives de l'autre monde
http://severino.free.fr/archives/



Démocrature :   Démocrature : Pseudo-démocratie - Démocratie totalitaire - Totalitarisme à visage démocratique

Démocrature ne se trouve pas dans le dictionnaire. Contraction de démocratie et dictature, il a été au départ inventé pour décrire certains régimes africains qui prétendaient à la "démocratie" tout en gardant des pratiques proches de la dictature.

Nous pensons que ce terme est pratique pour désigner les prétendues démocraties dans leur ensemble, et pas seulement en Afrique. La France, par exemple, n'est ni une démocratie, ni une dictature ; dans ce cas, démocrature semble plus adéquat et plus fort que pseudo-démocratie.
Démocrature pourrait donc être employé pour tous les régimes qui veulent se faire passer pour démocratiques, mais qui en réalité relèvent plutôt du totalitarisme, de la dictature ou de l'autoritarisme.

Pour nous, une démocrature aboutie est davantage un totalitarisme subtil qu'un régime violent et ouvertement répressif envers les dissidents. Il nous semble que les démocratures doivent forcément tendre vers le totalitarisme pour pouvoir durer. Sans une idéologie qui cherche à emporter l'adhésion de tous, elles seraient démasquées et rejetées comme les dictatures sanglantes.
L'alliance indissociable totalitarisme/démocrature pourrait donc représenter le sommet indépassable des systèmes d'oppression que les hommes se sont fabriqué au cours des âges. On pourrait aussi dire : démocratie totalitaire ou totalitarisme à visage démocratique (voir aussi l'appel).

Ce système totalitaire peut probablement être perfectionné et approfondi (notamment grâce aux innovations technologiques en informatique et génétique), mais il nous semble difficile de faire plus vicieux et plus efficace sur le principe.
En effet, dans un tel totalitarisme, les gens réclament eux-mêmes leurs chaînes et se révèlent encore plus répressifs que les services de répression d'Etat. Pas besoin de massacrer les opposants, il y en a trop peu et ils sont complètement paralysés par les rouages du capitalisme. Les braves citoyens s'auto-surveillent, s'auto-censurent.., et dénoncent tous les déviants à la Justice. Le tout étant recouvert du drap blanc des libertés, du gouvernement par le peuple...
Il suffit de savoir doser intelligemment répression, atteintes aux libertés, récompenses et biens matériels pour éviter révoltes et rejet en bloc. De toute façon, à partir du moment où la démocrature correspond aux souhaits des gens et répond à leurs pulsions, on ne voit pas pourquoi ils la critiqueraient en profondeur. Le peuple veut y croire, il n'est donc pas trop difficile de le contenter, malgré tous les faits qui démontrent le contraire. De grandiloquentes déclarations, des élections pour élire des gens qui n'ont pas le pouvoir réel..., suffisent à donner le change.

En fait, des tas de gens sont certainement conscients de la supercherie, mais ils préfèrent marcher docilement, avec la complicité des médias hypocrites et cyniques qui rabâchent en boucle les rengaines officielles.

On a donc affaire à un régime totalitaire, auto-proclamé démocratique, qui prétend être le meilleur système de vie en société possible ! La comédie démocratique occupe le devant de la scène en prétendant représenter le monde civilisé et libre. Ce qui permet de réduire les autres pays à des barbares ou à des dictatures, d'en faire des boucs émissaires, des colonies, des dépotoirs... On a toujours besoin de plus noir que soi pour se blanchir, quitte à forcer un peut le trait...

Source :Antidemocrature



Gilles Deleuze et Félix Guattari : La machine à gazouiller !


Gilles Deleuze je le voyais comme un gauchiste et un philosophe. C'est à dire une personne finalement conservatrice, empêtrée dans des schémas de pensée préhistoriques de type stalinien, trotskyste, etc. et une personne un peu ennuyeuse, qui parle pour ne rien dire... Et puis l'engouement de cinéastes indépendants, de musiciens électroniques divers, de militants, d'architectes m'a mis la puce a l'oreille...
On parlera plutôt de Deleuze et Guattari. Félix Guattari ayant co-écrit les ouvrages principaux de Deleuze. Parce que Deleuze et Guattari rêvaient de faire une pop philosophie, un manuel de leur sagesse à destination de tous donc des non philosophes. Nous estimons leur style d'écriture est magnifique mais certainement encore trop rebutant. Espérons que ce décodage permette à chacun de s'y mettre, de trouver l'envie, l'énergie, le désir d'aller vers cette pensées qui nous a tant servi. N'oublions pas Michel Foucault qui considère les livres comme des boîtes à outils. Prenez ce papier comme une sorte de manuel de la très complexe boite à outil de Deleuze et Guattari. Un manuel qui ne demande qu'à être enrichi par l'échange.

Une fois que l'on a commencé, on ne peut plus s'en dépêtrer. Effectivement Gilles Deleuze a su nous parler. Et son message, si important ne doit surtout pas rester aux mains des universitaires, des analystes et exégètes de tous poils : il doit revenir à ceux à qui il est destiné : non pas les gauchistes ou les politiques mais tous ceux qui veulent se sortir du système : de tous les systèmes qui se reproduisent : état, famille et capitalisme. Ces machines interviennent dans tous les domaines de la vie. Gilles Deleuze et son copain Félix ont collecté des centaines d'expériences de personnes venant de tous les univers, de tous les domaines d'activités qui ont réussi à produire des choses magnifiques, parce que sorties du/des système : capable de parler un autre langage, d'utiliser d'autres codes.
Puisque tout est avant tout affaire d'expérience et non pas de discours, nous proposons à chaque lecteur de partager avec nous ce qu'il a trouvé en Gilles Deleuze et Félix Guattari, comment leur discours l'a aidé dans son action.
Il sera beaucoup question ici de contre culture puisque Deleuze et Guattari ont pioché à droite et à gauche chez beaucoup d'écrivains de la beat génération, chez les Artaud, les Castaneda et autres qui furent les instigateurs de ces différents mouvement contre culture. La contre culture ? Pas un assemblage de mouvements mais un assemblages de pratiques d'indépendance que Deleuze et Guattari ont analysées, triturées, malmenée pour rechercher ou était la faille, comment il devenait possible de se sortir du système, de s'émanciper.

Comment ca marche ? Et moi je pourrais le faire aussi ?

Telles sont les deux questions qu'ont posé gilles Deleuze et Félix Guattari. L'émancipation, c'est d'abord un défi avec soi même, on doit s'émanciper d'abord de ce qui castre, bloque le plus profond de notre individu. Ensuite, c'est au niveau interindividuel, puis a celui du groupe que se situent les pratiques de lutte avec le système.
Je ne peux parler que pour moi. C'est donc l'histoire de mon immixtion dans l'univers de Gilles Deleuze qui servira d'introduction.
Je suis un passionné de musique underground. A ma rencontre avec Joy division vers 18 ans, j'ai cru être passionné par ce coté noir, romantique de la musique. Très vite j'ai compris que ce n'était pas tant le taux de dépression d'un morceau qui m'intéressait que ca capacité à exprimer une indépendance totale vis à vis des styles et des modes. Tous ces groupes " underground " visent à sortir et des schémas classiques de composition, du système de distribution/promotion de la musique. A parvenir à être eux même en utilisant un média commun,
devenu souvent un produit : dégénérer le rock, amputer la dance, mélanger les extrêmes et les inconciliables...

A la mort du philosophe Gilles Deleuze, dont j'avais vaguement entendu parler au cours de mes études, sub rosa et milles plateaux ont sortis leurs extraordinaires compilations. Expérimentation musicale extrême sans flon flon ni subvention du ministère de la culture. J'apprenais enfin a cette occasion que "Milles Plateaux" était un livre du même Gilles Deleuze. Alors je me suis mis à ouvrir ces fameux milles plateaux, et "l'Anti Oedipe", le livre qui le précède chronologiquement.
Il n'est pas bon de résumer la pensée d'un auteur. C'est encore plus difficile d'y parvenir quand ils sont deux à écrire. Ce qu'on trouvera ici est donc très réducteur et certainement un peu massacreur de la finesse des pensées croisées des deux auteurs. Les professionnels de la philo peuvent donc passer leur chemin, ils risquent d'être déçus.

Deleuze et Guattari ont lancé, ou plutôt recueilli, a force de presser et de croiser les expériences de dizaines d'auteurs d'artistes, politiques, psy, scientifiques et révolutionnaires de tous poils.
Sortir du système ce n'est pas seulement dire non à DAVOS et oui aux idées estampillées de gauche. C'est avant tout être capable de produire des choses, des textes, des idées, qui soient en clash avec les référents généraux. Faire sa contre culture ou son bout de contre culture. Je me souviens d'avoir discuté avec un traveller anglais, un DJ des Spiral tribe, nomade forcené qui sillonne l'Europe et essaime son parcours de party sauvages et de disques auto produits. SP23. Une personne capable de faire ce qui lui plaît, et surtout de donner envie aux autres de le faire. De diriger sa vie hors du système, marche du travail, famille. Une personne libérée en partie grâce aux drogues psychédéliques.
« Si vous voulez changer le monde, changer vous-mêmes » m'avait il dit. L'anti oedipe c'est un peu ca.
Un manuel pour se libérer des contraintes sociales, partant, un manuel pour éviter de les reproduire dans sa vie de tous les jours. Et le passage par le L.S.D. n'est pas une obligation...

L'anti-oedipe, est le livre culte des deux auteurs, qui leur assura une jolie réputation au cours des seventies. Un bouquin compliqué. Pas évident du tout au premier abord, et dont on peut se demander la fonction. Pourquoi attaquer Freud, la psychanalyse, l'Oedipe ? Ce qui ressemble fort au à une thèse d'universitaires, sans autre intérêt laisse peu à peu transparaître entre les lignes, puis très directement une sorte de guide pratique de l'émancipation. Justement parce que s'émanciper, lutter faire face c'est d'abord se libérer de soi même. Ou plutôt de notre forte capacité a reproduire au quotidien les schémas sociaux qui nous répriment. Deleuze et Guattari veulent libérer la folie qui est en nous, ne plus avoir à faire à une génération de névrosés sous prozac mais à des personnes capables d'admettre, mieux, de valoriser leur folie, de laisser aller, agir le schizo qui est en nous.

Substituer la schizo-analyse à la psychanalyse. Un autre désir

La psychanalyse a eu le mérite de montrer l'existence, de découvrir l'inconscient, mais pour le brider, le réduire à une image dégradée : sexualité, papa-maman, manque/besoin du phallus etc. L'inconscient de Freud se résume à une production de symboles que l'interprétation psychanalytique ramène toujours à la famille et à la sexualité comme " un sale petit secret familial ". Or, réduire l'inconscient c'est nous castrer, car l'inconscient c'est un peu notre boîte à idée ou plutôt notre coffre à désir.

Et si l'inconscient ne disait pas mais agissait ? Produisait ?

Voir l'inconscient comme machine, comme machine désirante.


Pourquoi machine ? parce que une machine produit. Pour Deleuze et Guattari loin d'être le lieu de ressassement des mesquineries familiales, l'inconscient est une machine à produire du désir.

L'anti-oedipe est donc un livre militant. Où l'on voit comme la politique, le régime qui nous dirige descend et se reproduit jusqu'au plus profond de notre être. L'émancipation passera donc par la prise de conscience de cette présence, de cette reproduction, du schéma général de pouvoir en nous, et de notre aptitude à le détruire. Grâce aux force de l'inconscient, notre usine à désirs. Deux thématiques comme trame générale d'un livre aux très multiples entrées :

1. ne pas laisser les psychanalystes remplacer les prêtres et asseoir la soumission à l'Etat, à ses valeurs, à son marché comme les hommes d'églises l'avaient fait jusqu'au dix neuvième. Ne pas laisser la psychanalyse devenir la machine abstraite, le big brother conceptuel de l'Etat. (chaque État a sa machine abstraite, sorte de socle de pensée qui lui permet d'asseoir son pouvoir, en se reproduisant au niveau de l'individu)

2. rappeler a chacun l'importance du désir, sa force, son caractère producteur : dégager le désir de la prison dans laquelle on l'a porté : une société qui emploie le même mot pour l'appétit sexuel et la volonté de combler un manque hypothétique d'une casserole ou d'un collier est tombée bien bas. Le désir n'est pas la volonté de la chose qui manque. Le désir est action. Et surtout production. Il faut apprendre a désirer, a faire en sorte que notre désir nous permette d'agir sur le monde (le dehors). A produire du désir, et donc a produire par le désir.
Le premier problème s'est réglé de lui même. Deleuze et Guattari n'intituleraient peut être plus leur livre l'anti-oedipe aujourd'hui. Parce que la psychanalyse a échoué dans sa tentative de devenir la machine abstraite, le discours qui soutiendrait la domination d'Etat et du marché. Selon Deleuze et Guattari c'est plutôt l'informatique, l'information et la communication qui servent de discours dominant, qui mettent en place la "société de contrôle" tant redoutée. Le deuxième lui reste d'actualité. Parce qu'il est universel, proprement philosophique.

Suivre son désir. Ca veut dire quoi ?

La société de consommation fonctionne effectivement sur le principe du désir. Mais un désir non productif, un désir assimilé au manque. C'est en créant du manque que l'on crée des nouveaux marché. Or le désir n'est pas affaire de manque comme nous le fait croire la psychanalyse. Car l'analyse sous les augures oedipienne ramène tout a un manque : du phallus, du père etc.

Le désir est affaire de production.

En rêvant nous créons plein de machines (à voir dans un sens très large : le corps est une machine, chaque organe est une machine, un paysage peut en être une : machines à souvenir, émotions, prédictions etc. : la machine définie par son effet : elle produit quelque chose. On ne s'émancipera qu'en laissant ces machines individuelles se connecter au dehors et produire du réel. Ne plus ramener les manifestations inconscientes à la sexualité et surtout à la castration, la peur du père, le dégoût de la mère, bref à la famille, c'est admettre qu'elles portent sur l'extérieur. On délire sur le social, pas sur sa famille ; le schizo est un bon exemple. Il ne délire pas sur sa mère, mais plutôt sur les grands hommes (il se prend pour napoléon), le monde etc. Pour Deleuze et Guattari l'inconscient est donc branché sur le monde, sur le social. Branché, le terme est juste car surtout, l'inconscient est pour eux le moteur de l'action.

Car ce qui caractérise l'Oeuvre/action/objet/idée artistique, scientifique, philosophique, politique, picturale révolutionnaire de, mettons, une boîte de ravioli : c'est le désir qui a conduit a sa production.
Pour s'émanciper du système, pour mener à bien sa production, son travail, il faut avant tout être capable de désirer. D'apprendre à désirer (apprendre à désirer, c'est à dire à produire :comme il est pathétique d'attendre d'être aimé quand il faudrait apprendre à aimer), puis d'être capable de se donner les moyens de le faire. De travailler à sortir ce désir.
Ce désir la n'est plus la volonté de pouvoir telle qu'a pu la décrire Nietzsche, mais plutôt la grâce : on désir et on trouve non pas qui l'on est mais quoi devenir, on atteint la grâce.

Pas un avenir mais des Devenirs.

Deleuze et Guattari n'appellent pas à une sorte d'introspection générale qui nous permettrai de retrouver notre être dans sa plénitude. C'est justement l'inverse. " Nous avons écrit L’anti-oedipe à deux, comme chacun de nous était plusieurs, cela fait beaucoup de monde". Pourquoi plusieurs ? ce n'est pas qu'une boutade, nous sommes effectivement constamment en changement et par là porteurs de multiples identités. Segmenté dans notre vie sociale, adolescent, étudiant, militaire, toujours à tendre vers un autre nous même : devenir ce dont nous rêvons. Pas seulement sur un plan professionnel. Sur un plan affectif, sexuel etc. On tend toujours vers plusieurs devenir simultanés.
Nous sommes toujours en mouvement, et les chemins que nous suivons sont ceux de nos devenirs. Devenir femme, devenir animal, notre inconscient nous proposent des schémas de possibles, des voies à suivre qui nous définissent à l'instant t. Chacun de nous produit des devenirs différents, des devenirs qui ne correspondent pas à une activité proposée par le système, à un statut social, mais bien à une production de désir. Ce sont les devenirs émancipateurs ou devenirs révolutionnaires.

La révolution c'est l'action plus ou moins violente d'une minorité qui s'estime opprimée. N'entendons pas minorité sur un plan quantitatif, la minorité peut être une majorité au sens quantitatif. La minorité est un ensemble de personnes qui se retrouvent positivement sur une communion d'intérêt, de statut, de mode de vie (les gays, les minorités " raciales "). La minorité se définit aussi négativement. C'est ce groupe de personnes qui ne correspondent pas aux canons de la société, à l'étalon. Blanc, occidental, cadre, vivant en milieu urbain. Ceux qui n'y correspondent pas ou refusent d'y correspondre. Le devenir révolutionnaire passe par la prise de conscience de son caractère minoritaire.
D'où un très fort attachement de Deleuze et Guattari à la linguistique . D'abord parce que le langage est aussi le premier lieu de transmission des fascismes, des oppressions tant au niveau de l'Etat qu'au niveau individuel.
Mais Deleuze et Guattari insistent surtout sur l'importance des langues mineures. Prenant l'exemple de l'anglais argotiques des noirs américains. Pas de langue majeure, pas de langue étalon. Mais une évolution constante de la langue qui échange et reçois des flux de ses multiples déviations.

La minorité dévie. En ce sens elle fait dévier le reste.

La musique underground est un très bon exemple de conscience de cette minorité. La créer et lui donner les moyens de lutter. Créer une meute . Toujours en mouvement. A la chasse. Deleuze et Guattari se basent énormément sur des travaux d'artistes déviants ou 'pop' (Patti Smith, Burroughs, Castaneda, Artaud), en ce sens qu'ils expriment un devenir révolutionnaire. A nous de trouver le notre a nous de fuir et de faire fuir le système qui nous entoure.

Le premier pas vers notre devenir artiste, devenir-schizo, devenir-cheval, devenir-désir c'est bien sur le travail. Le travail qui permet de faire d'une production de désir une production de réel. Parce que la philosophie de Deleuze et Guattari n'est pas, contrairement à ce qu'on à laissé croire un appel à un hédonisme total, à la fête constante. c'est un appel gai et spirituel, mais assez grave, au militantisme à l'échelon individuel, à l'opposition et à la liberté des consciences.

Expérimenter : la vie comme une oeuvre d'art.

Machine désirante. Toute machine produit. Notre inconscient produit du désir. L’expérimentation s'oppose à l'interprétation psy. Le titre anti-oedipe montre bien cette volonté de sortir de la vision réductrice de l'inconscient, de libérer les forces qui s'y trouvent. Votre inconscient produit du désir. C'est une machine à désir, qui connectée à d'autres machines, réelles celles la, produira du réel. Alors expérimentez, laisser agir vos idées les plus folles, suivez votre folie, tâtonnez avec elles, trouvez vous, votre devenir en expérimentant autour de votre production de désir. Pensez à la musique, à la peinture, à l'art en général. Il ne s'agit que de connecter des machines " réelles " (on emploiera plutôt le terme "machine technique " comme le pinceau, l'ordinateur, l'instrument de musique, la caméra, le stylo) à votre machine inconsciente.
Changer de route, " trouver sa voie ", c'est permettre à la production de désir de devenir production de réel, c'est connecter la machine désirante à une machine technique. L'art en est la manifestation la plus évidente ; l'oeuvre d'art c'est l'image la plus fidèle, la meilleure représentation qu'on se fasse d'une production venue tout droit de l'inconscient. L'Oeuvre d'art s'obtient par la médiation faite par la machine technique qui permet de retranscrire la vue de l'esprit. Il en est de même dans tous les domaines d'activités que votre désir voudra bien vous proposer.

Deleuze et Guattari proposent simplement de suivre le précepte de Foucault, " la vie comme une oeuvre d'art ". Comme produit de votre inconscient, comme suite de vos désir. Laisser aller le schizo qui est en nous.

Fort bien. Mais qu'y a t il de politique la dedans ? Et bien le politique, c'est tout ce qui nous sort du théâtre familial, c'est l'action sur le réel dés lors qu'elle tend à s'émanciper du système dans lequel elle évolue.
Mais cela ne suffit certainement pas. La famille c'est pas si mal me direz vous. Suivre ses désirs c'est aussi suivre ses pulsions ataviques, fascistes nazi etc. Et surtout combien suivent leur désirs, agissent sur le réel pour finalement simplement reproduire le système capitalisme/marche a leur échelle le conformisme ambiant (la plupart des écrivains français, les groupes de rock qui reprennent les stray cats, les scientifiques sans imagination etc.) ?

Parce que agir sur soi, produire du désir et produire à partir de son désir ne suffit pas. Encore faut il s'écarter du système dans lequel on baigne. Tenter de ne pas le recréer par nos différents agissements.

Deleuze et Guattari proposent plusieurs concepts qui s'appliqueront autant au parcours individuel, à la vie de chacun qu'à une oeuvre d'art. L'oeuvre et la vie peuvent être confondues parce que l'une et l'autre sont des expérimentations basées sur les vues de l'esprit, sur le désir. Nous nous façonnons nous même comme est construit l'oeuvre par remise en cause constante avec comme but ultime de retranscrire le mieux possible la vue de l'esprit, la production inconsciente. Et quoi de plus indépendant, personnel, émancipé qu'une oeuvre d'art ? La déterritorialisation et la ligne de fuite, ce sont les gages de l'indépendance d'une oeuvre. Des préceptes à suivre pour soi.

Ligne de fuite et déterritorialisation.

Déterritorialisation. Changer de territoire. Aussi bien au niveau métaphorique (territoire des idées) qu'au niveau réel (déménager). Celui qui se déterritorialise doit se reterritorialiser quelque part. On abandonne le territoire (avec ses règles, ses contraintes, ses micro-fascismes : le territoire c'est la terre déjà appropriée) sur lequel on évolue. Pour aller trouver une terre (encore vierge) sur laquelle on placera sa petite machine a soi (reterritorialisation). C'est créer un nouveau territoire, qui donc soi hors de portée, hors des façons de faire du capitalisme. De même, on quitte la famille pour rejoindre une meute. La meute de ses amis (les amis c'est ceux avec qui on a pas besoin de parler, pas besoin de s'expliquer sur les choses importantes, ceux avec qui cela va de soi), la meute militante sur un point de vue politique, ou la meute des artistes (la scène musicale etc.).

On quitte le territoire familial, le territoire capitaliste pour sa meute, le groupe de ces gens avec qui l'on se retrouve, avec qui on peut créer une alternative au système.

Deleuze et Guattari admettent bien sur l 'échec de mai 68 qui n'a finalement pas vraiment changé la société. Des accords de Grenelles et l'argent avait muselé tout ca. Mais pourtant c'est sur le plan des devenirs individuels que les choses ont changé. Ce mouvement de masse, a crée/exprimé chez beaucoup un devenir-révolutionnaire individuel.
C'est là le message. La plus important est de se changer soi, d'agir en fonction de notre production de désir pour suivre nos devenirs révolutionnaires ; pas de devenir révolutionnaire sans une détérritorialisation justement. En 68 , on a assisté à nombre de ces

Déterritorialisations. déterritorialisation par des prises de consciences, des ouvertures vers d'autres façon de voir les choses. Déterritorialistaion par les manifestation, débats, AG qui ont permis là encore de se trouver un autre type de groupe que les traditionnels État, famille travail (désolé pour le cliché). Pensée soixante huitarde ? Peut être, ca n'empêche pas sa grande actualité. La tribu revient au goût du jour. L’Internet la révèle en lui permettant de s'exprimer. Plus les genre de musiques (les familles et sous familles musicales croissent de manière exponentielle), d'activismes se diversifient, refusent les schémas ancien (les révoltes de sans papiers, le bouillonnement intellectuel actuel refuse les schémas d'actions des partis traditionnels), plus on donne raison à Gilles Deleuze et Félix Guattari.

C'est sur un plan individuel (atomique) que les choses doivent d'abord se passer ( Deleuze et Guattari disent d'ailleurs s'être déterritorialisé et reterritorialisé l'un dans l'autre pour écrire leurs ouvrages. Pas deux pensées superposées mais deux pensées imbriquées). Un devenir révolutionnaire s'exprime. La machine désirante se connecte à des machines techniques, et l'on agit sur le réel. Sortir un disque, un journal, peindre, faire du théâtre, militer ; philosopher, écrire...tout cela est une production de la machine désirante. Il y a devenir révolutionnaire lorsque le chemin tracé prétend sortir ou aller contre le système général, la société en place. Trouver une alternative. L'underground musical est un rassemblement de devenirs révolutionnaires, un enchevêtrement de meutes qui chassent simultanément et séparément.

Sortir du système c'est ouvrir des lignes de fuites.

On crée des lignes de fuite. Prenez ce terme comme le terme photographique. Ligne de fuite comme la ligne qui nous transporte hors du cadre, nous déterritorialise. Mais pas seulement. Ligne de fuite surtout comme la fuite d'eau ou d'air. Faire fuir le système, le faire suer par tous les pores. Parce qu’hélas, on voit souvent des lignes de fuites mener a d'autres petits systèmes qui recréent en miniature le système général (combien de scène musicales pourries par l'argent etc. ?). Or la fuite doit juste permettre aux autres de fuir. Lignes de fuite qui vident le système, mais surtout qui ne lui permettent pas de prendre place sur les nouveaux territoires créés (prenons l'exemple du punk : une fuite au début pour finalement y revoir les même schémas rock-majors traditionnels, prenons l'exemple d'une bonne partie de la scène techno qui devient une " industrie ").

Il y a quelque chose de profondément guerrier dans cette idée de fuite, la fuite comme une agression au système, une violence qu'on lui ferai, seul moyen de le percer, de s'en échapper. Revenons à cet exemple du punk. Une possibilité de fuite pendant quelque mois, un nouveau territoire, un appel a l'expérimentation. Puis une récupération.

Le punk offre alors au système capitaliste une nouvelle ouverture, ajoute son territoire au sien. Mais certains des punk ont fui et crées de nouveaux territoires, font fuir le système : new wave, hard core, straight edge, collectifs musicaux comme the Ex ou dog faced hermans...Et ainsi de suite, chaque individu, chaque groupe faisant de son territoire une nouvelle place du système général, ou réussissant à lui imposer sa personnalité, sa production désirante.

La psychanalyse et la politique dans le même sac. Ou l'influence de chaque individu sur le champ social en général, et l'influence du champ social sur chaque individu. Des échanges constant. Où le premier moyen d'action est donc l'expression de ce devenir révolutionnaire, la production de désir. Le second niveau est au niveau moléculaire (connexion de plusieurs personnes comme des " atomes sociaux ") avec la meute ou chaque personne s'intègre. C'est la multiplication de ces lignes de fuites qui permettra une action molaire (assemblage de nombreuses molécules) , plus globale.

Dés lors les choses progressent. L'art rejoint la politique. Non pas que les chansons doivent être engagées. Il ne s'agit pas de faire des oeuvres de " gauche ". Ce serait ridicule. Mais qu'elles doivent créer des lignes de fuite. Permettre une déterritorialisation est un acte politique. L'oeuvre personnelle, qui fait fuir le système (on notera que très vite on ne cherche pas a faire fuir le système capitaliste général, ou même à révolutionner la musique, non, on fait fuir le système dans lequel on évolue : créer une nouvelle façon de faire de l'indus, une nouvelle manière de voir l’ambiant etc. Redonner un peu de vigueur au territoire artistique que l'on s'est choisi) permet a celui qui la découvre de trouver sa ligne de fuite. Son devenir révolutionnaire. L'exemple de la musique est vraiment le plus frappant parce qu'on y trouve toutes les tentatives de fuites, les récupérations, les réussites, on y trouve le système capitaliste dans toute sa splendeur et les nombreux sous systèmes, d'abord crées par des lignes de fuites puis devenus eux même une nouvelle excroissance du système capitaliste, comme, mettons, la musique grunge. Rater sa fuite c'est agrandir le champ d'action du système global. C'est ce que Deleuze et Guattari reprochent à une bonne partie de la littérature française nombriliste et persuadée d'une mission supérieure : souvent retournée vers sa petite affaire privée. On ne devrait pas écrire pour les pauvres, les SDF, les homos : on devrait écrire à leur place. Non pas qu'ils ne peuvent pas le faire. Mais parce qu'on exprime un devenir, on prend leur place. On leur ouvre la brèche. Ouvrir la brèche c'est créer un autre langage, ou plutôt d'autres codes que le langage. Détourner le langage, chercher l'expression d'intensités, c'est à dire produire du sens au delà du langage, au delà (ou au dehors) des lignes du textes.

L'intensité c'est quand le désir se transmet.

On transmet son désir bien au delà du langage par l'expression d'intensité. Car ce que nous retenons d'un livre ou d'un disque va bien au delà des mots qui y sont imprimés ou de l'organisation des notes. Nous en retenons l'émotion, la capacités à transmettre ce désir, les intensités qui y sont développées. L'écriture de Deleuze et Guattari est d'ailleurs largement ouverte, joue avec le langage, crée des mots pour laisser au lecteur la possibilité d'expérimenter ce qu'il lit.

S'impliquer, s'appliquer à faire fuir le système a ouvrir sa brèche, sa ligne de fuite qui permettra à d'autre d'ouvrir la leur. D'où la nécessité du mouvement pour fuir et faire fuir, être en mouvement, se déterritorialiser, c'est déjà un peu faire la guerre.
Car l'immobile se complaît de nouveau dans son système. Et recrée déjà le système capitaliste, qui ne se connaît pas d'autre limites que celles que chacun lui assigne. Deleuze et Guattari pensent que l'état est une machine politique, administrative soutenue par une machine "abstraite ", un socle conceptuel qui lui permet d'asseoir sa domination (on retrouvera la dessus le écrits de Michel Foucault sur les rapports très imbriqués entre pouvoir et savoir).

Par contre, la machine de guerre n'appartient pas à l’Etat. L’Etat se l'est simplement appropriée. La machine de guerre est à l'origine nomade, ce sont les tribus qui la détiennent. Tout nomade n'est pas guerrier, mais tout guerrier est nomade. Et surtout la guerre ne se définit plus par la boucherie sanglante que l'on connaît sous ce nom. La guerre c'est avant tout la confrontation du nomade avec les sédentaires, de ceux qui se déterritorialisent avec ceux qui ceux qui s'arrogent les terres. Il existe donc une guerre sans arme, que les nomades pratiquent depuis toujours. Une guerre a laquelle nous sommes invités à participer. S'opposer au système c'est être nomade, créer le mouvement, être en mouvement. Sur la route de ses devenirs, la route tracée par nos production de désir.

OUF. Vous avez tout lu ? Passez vites aux originaux. Deleuze et Guattari détestaient le commentaire, la réduction, le massacre. On ne leur a pas rendu service ! Sauf si vous vous y mettez. A leur langages, leur néologismes, leur mauvaise foi, à la poésie, la gaieté et la sérénité qui transpirent de toutes leur pages.

Libérateur, et jouissif en un mot comme en cent.

Guillaume Ollendorff

http://1libertaire.free.fr/


  Vers une ère post-média   PAR Felix Guattari

La jonction entre la télévision. la télématique et l'informatique est en train de s'opérer sous nos yeux et elle s'accomplira sans doute dans la décennie à venir. La digitalisation de l'image télé aboutit bientôt à ce que l'écran télé soit en même temps celui de l'ordinateur et celui du récepteur télématique. Ainsi des pratiques aujourd'hui séparées trouveront-elles leur articulation. Et des attitudes aujourd'hui de passivité, seront peut-être amenées à évoluer. Le câblage et le satellite nous permettront de zapper entre cinquante chaînes, tandis que la télématique nous donnera accès à un nombre indéfini de banques d'images et de données cognitives. Le caractère de suggestion, voire d'hypnotisme, du rapport actuel à la télé ira en s'estompant. On peut espérer, à partir de là, que s'opérera un remaniement du pouvoir mass-médiatique qui écrase la subjectivité contemporaine et une entrée vers une ère postmédia consistant en une réappropriation individuelle collective et un usage interactif des machines d'information, de communication, d'intelligence, d'art et de culture.

A travers cette transformation, c'est la triangulation classique : le chaînon expressif, l'objet référé et la signification, qui se trouve remaniée. La photo électronique, par exemple, n'est plus l'expression d'un référent univoque, mais production d'une réalité parmi d'autres possibles. L'actualité télévisée résultait déjà d'un montage à part de composantes hétérogènes : figurabilité de la séquence, modélisation de la subjectivité en fonction des patterns dominants, pression politique normalisante, souci d'un minimum de rupture singularisante. A présent, c'est dans tous les domaines qu'une telle production de réalité immatérielle passe au premier plan, avant la production de liens matériels et de services.

Doit-on regretter le « bon vieux temps » où les choses étaient ce qu'elle étaient, indépendamment de leur mode de représentation ? Mais ce temps a-t-il jamais existé ailleurs que dans l'imaginaire scientiste et positiviste ? Déjà au paléolithique - avec les mythes et les rituels - la médiation expressive avait pris ses distances avec la « réalité. » Quoi qu'il en soit, toutes les anciennes formations de pouvoir et leurs façons de modéliser le monde ont été déterritorialisées. La monnaie, l'identité, le contrôle social passent sous l'égide de la carte à puce. Les événements d'Irak, loin d'être un retour sur terre, nous font décoller dans un univers de subjectivité mass-médiatique proprement délirant. Les nouvelles technologies sécrètent. dans le même mouvement, de l'efficience et de la folie. Le pouvoir grandissant de l'engénierie logicielle ne débouche pas nécessairement sur celui de Big Brother. Il est beaucoup plus fissuré qu'il n'y paraît. Il peut exploser comme un pare-brise sous l'impact de pratiques moléculaires alternatives.

PS : Felix Guattari 1990. Texte inédit d'octobre 1990, publié dans la revue Chimeres, numéro 28, printemps-été 1996.

Article trouvé sur [samizdat | biblioweb]

 
Manuel pour une lecture critique des médias

"Techniques de désinformation, manuel pour une lecture critique des médias", est un texte élaboré par le Groupe d'Apprentissage Collectif de communication populaire, de l'Ecole populaire de Madrid, un centre de culture pour personnes adultes. Ecrit de façon directe et facilement compréhensible, il aide à comprendre comment est manipulée l'information dans les médias dominants.
Nous vous donnons à lire l'introduction ; le texte complet est téléchargeable en bas de page.


L'opinion publique constitue un élément fondamental pour la stabilité ou l'instabilité du système. Et dans une société médiatique, l'opinion publique se forme jour après jour par le biais du bombardement continu des moyens de communication. La vérité est ce qu'ils proposent comme vérité. Ce qui n'est pas reporté par la presse n'existe pas, et ce qui existe n'est que dans la forme selon laquelle elle apparaît.

L'importance des médias donne lieu d'une part, à un fort contrôle de ceux-ci de la part de qui a le pouvoir, et d'autre part, à la nécessité que ce contrôle passe inaperçu pour préserver l'apparence de liberté d'information, préalable indispensable à la définition d'une société qui s'affiche comme étant démocratique. Un troisième aspect est que la plus grande partie des médias sont des entreprises desquelles dérivent des impératifs commerciaux qui influent eux-aussi sur la ligne d'information. Le résultat de l'union de ces trois facteurs est la configuration d'un système de manipulation ample et subtil, parfois contradictoire, mais qui généralement, plutôt que d'informer, prétend imposer une réalité par le moyen d'opinions et valorisations présentées comme vérités indiscutables.

La récolte de ces techniques de désinformation est le fruit de trois années de travail du Groupe d'Apprentissage Collectif (GAC) de Communication Populaire, dans le cadre du projet éducatif et social de l'école populaire de "Prosperidad". Trois ans à analyser de manière critique de nombreux articles de presse tirés des principaux quotidiens nationaux espagnols de façon à, jour après jour, définir et élaborer critères et conclusions que nous vous présentons sous la forme de ces techniques.

Elles sont en effet toutes apparues de manière claire et répétitive, isolées ou combinées entre elles. Nombres d'entre elles peuvent être appliquées à d'autres médias, télévision ou radio, même si de façon différente car chaque moyen de communication possède ses méthodes de désinformation dues à ses propres caractéristiques.
La subjectivité est inévitable dans toute production intellectuelle [culturelle], c'est pourquoi, même en prétendant donner une vision neutre et impartiale de la réalité, on ne pourra jamais être totalement objectif. La meilleure manière de s'approcher de l'objectivité est de montrer la réalité vue par différents points de vue, recueillant ainsi des informations sur un même thème à travers des sources distinctes et des positions différentes.

Donc c'est justement sur ce point que réside un élément fondamental de la manipulation des médias : sous prétexte d'objectivité, l'illusion de nous offrir leur vision de la réalité comme s'il s'agissait de la réalité elle-même, en cachant toujours les intérêts qu'ils défendent. Pour faire une lecture critique de l'information, potentiellement objective, il est fondamental de connaître les intérêts auxquels répondent ceux qui t'offrent cette information.

La "réalité virtuelle" construite par les médias est donc partielle et biaisée. En général, ils donnent couverture et priorité aux points de vue de ceux qui tiennent les pouvoirs politiques et économiques (groupes commerciaux, grands partis politiques, gouvernements, grands syndicats...) quand les valorisations des opinions et des intérêts des jeunes, des personnes âgées, des travailleurs, des malades, des étudiants, des immigrés, des employés, des organisations populaires... sont presque toujours passées sous silence, ou reléguées, ou déformées.

La désinformation n'est pas toujours systématique, préparée et dessinée de manière consciente et contrôlée. La complexité des processus d'élaboration de l'information, et le vaste champ de recueil de celle-ci, font que souvent la désinformation est le fruit de l'incompétence du/de la journaliste qui ne connaît pas tel sujet, manque de temps et d'espace, et de ses préjugés ou de ceux du rédacteur en chef qui applique des schémas de travail trop simplistes ou trop sensationnels, etc. Cependant, il ne fait aucun doute que dans d'autres cas nombreux, il existe des campagnes de désinformation qui répondent à des intérêts économiques ou politiques clairs, du moyen de communication ou des groupes entrepreneurs qui le financent et le soutiennent.

La majeure partie des nouvelles est distribuée par les Agences de Presse internationales. Celles-ci sélectionnent en principe une petite part des informations parce que 90% d'entres elles sont généralement refusées. Autrement dit, ce qui vient à notre connaissance n'est qu'une petite fraction de ce qui se passe dans le monde. Il est donc nécessaire de connaître les critères de sélection utilisés pour le choix des informations et à quels intérêts elles peuvent répondre.

N'oublions pas que ces agences de presse sont le plus souvent de grandes entreprises nord-américaines, européennes et japonaises qui sont habituellement étroitement liées à d'importants groupes financiers en contact direct avec les gouvernements des pays auxquels ils appartiennent. Logiquement, ils n'ont pas intérêt à ce que se vérifient les échanges sociaux, ni certainement à faire connaître des événements et des situations qui manifestent des dangers et des aspects négatifs du système ou mettent en question sa validité.

Seulement, il n'y a pas que ces agences qui influent sur l'information (elles ne sont que le premier filtre), il y a aussi les banques qui financent les moyens de communication, les grands groupes ("corporations"), les entreprises qui ont des actions et qui soutiennent l'édition (journal, radio, TV) par le biais des publicités. Et il ne s'agit pas seulement d'entreprises : par exemple, l'Etat espagnol est celui qui apporte le plus d'argent aux médias nationaux sous la forme de publicités (payées avec l'argent public) ; de cette façon indirecte, on peut "punir" ou "récompenser" les voix adverses et celles qui sont favorables.

En plus, parler de la ligne éditoriale [idéologique] des journalistes et des rédacteurs, cela revient à dire aussi : leurs préjugés, leur corporatisme, spécialisation excessive, fidélité à l'entreprise et tendance à l'autocensure... qui influent sur l'orientation de l'information.

La désinformation vient par conséquent de nombreux filtres et biais, sans qu'aucun d'eux en particulier, sinon l'ensemble du processus, soit la cause pour laquelle l'information nous arrive manipulée et déformée, et notamment altérée consciemment. Donc, la désinformation se trouve tant dans ce qui est publié, que dans la façon dont on le publie.

De temps en temps apparaissent des nouvelles critiques et discordantes dans les médias. Mais en général, ce ne sont que des "fissures contrôlées" qui donnent crédibilité au média en le dotant de d'une apparence de pluralité et d'indépendance, et qui sont abondamment contrastées par un bombardement d'informations de signe contraire (qui répondent aux divers intérêts du pouvoir) ou par une présentation qui suggèrent un caractère lointain et anecdotique. En outre, la majorité de ces informations discordantes, réellement critiques, apparaissent souvent sous la forme d'opinion (colonnes, "lettres au directeur", "point de vue") qui relativisent leur importance.

Ce dossier n'est pas centré sur les causes et les origines de la désinformation (structure du processus médiatique, intérêts politico-économiques...) mais sur les formes avec lesquelles se met en oeuvre cette désinformation dans la presse, sous l'apparence d'objectivité et d'exhaustivité du périodique. C'est la raison pour laquelle nous l'avons sous-titré « Manuale per una lettura critica della stampa ». Parce que au-delà des inquiétudes théoriques, ce travail est guidé par un désir pratique de fournir des instruments pour l'analyse critique.

Les techniques de manipulation qui sont ici récoltées ne sont qu'une goutte d'eau du courant qui travestit la réalité. Cependant, il apparaît important d'apprendre à se défendre des médias, à voir ce qu'il y a derrière la façade (lire les articles "à l'envers") pour, à l'arrivée, pouvoir planifier et défendre l'exigence et la nécessité d'avoir une information au service de nos intérêts, et non contre ceux-ci.
Le dossier présent est structuré en trois parties. Dans la première, on voit comment est organisée et hiérarchisée l'information dans un journal (sections, extensions...), le contexte dans lequel est présenté un article et comment sont agencés ces derniers. Dans la deuxième partie, on analyse le langage écrit, photographique et statistique, c'est-à-dire la forme dans laquelle les infos nous sont présentées, le style narratif, l'usage des guillemets, adjectifs... Dans la troisième et dernière partie du travail, on étudie le contenu des articles : leur précédent, leur falsification, les sujets traités, ce qui sont omis et ceux qui sont exagérés. Suit une annexe avec des articles concrets qui fournissent exemples et les points et idées exposées (se reporter à la publication en espagnol pour les annexes, illustrations, références du texte...).

Sources en espagnol : nodo50.org

Pour lire la totalité du document en français, cliquez ici.

Oulala.net


Si la vie devient résistance... par Isabelle Stengers

Cette époque n'est pas, pour moi, celle d'un triomphe proclamé de l'humanisme, proclamation qui n'a cours que dans les médias parisiens. Je ne sais pas non plus s'il est très important de se référer à Foucault pour la mettre sous le signe (unitaire ?) du biopouvoir, à moins que ce soit précisément une confirmation de ce que nous sommes « dedans » et que cette question du biopouvoir se décompose en une multitude de composantes, dont certaines semblent renvoyer à l'État, d'autres au capitalisme, d'autres encore à ce que certains appellent « la société civile », le tout enchevêtré. Y a-t-il un trait commun entre les organismes génétiquement modifiés (qui mettent les États en position de perplexité, pris en pince entre capitalisme et groupes actifs issus de la société civile), les techniques de procréation artificielle (où l'État et ses réglementations tendent à s'attribuer le rôle de grand moralisateur, l'ami du « désir d'enfant », mais celui qui prend également en charge la détermination de ce qu'il faut et ne faut pas), la question des drogues (où l'État se fait défenseur répressif du « sujet » et du « lien social »), et les organisations humanitaires (ces manifestations de la « société civile » qui semblent se voir déléguer par les États ses anciennes prérogatives civilisatrices, réduites en l'occurrence à « il faut sauver et guérir ») ?

Si j'ai mis l'État au centre de chaque question, c'est parce que la question de Foucault dans La volonté de savoir et dans Il faut défendre la société n'est pas celle du capitalisme mais celle de la souveraineté. Que les entreprises capitalistes, légales ou non, trafiquent avec les vivants en tant que vivants, avec les ADN, les ovaires, les « machines qui pensent », les drogues, les tests génétiques, l'indignation est facile, et elle peut suivre des voies assez classiques. Mais que le pouvoir ait « laissé tomber la mort » pour se donner comme objet « la vie » (double série correspondant au « corps » et à la « population ») aide bel et bien à penser là où c'est le plus difficile, là où nous nous retournons si facilement vers l'État pour exiger qu'il « fasse quelque chose. » Le bras long du pouvoir traverse comme par enchantement toutes les stratifications qui étaient censées le contenir, si « un enfant est en danger » qui doit être retiré à sa famille indigne (surtout si celle-ci est d'origine étrangère), et bientôt, pourquoi pas, cela commence aux États Unis, si une femme enceinte ose boire un verre d'alcool. Et le pouvoir de l'État s'exhibe lors des tremblements de terre et autres sinistres : nous sommes fiers de voir « nos » chiens, « nos » pompiers, « nos » militaires, sauver des vies abstraites, dans un gigantesque déploiement de moyens soudain consacrés à des gens dont la vie concrète nous était parfaitement indifférente.

La résistance, si elle devient pouvoir de la vie, pouvoir vital, selon Deleuze, peut être résistance au pouvoir, mais ne peut se laisser définir par un objet, qui serait le pouvoir. Si « elle ne se laisse pas arrêter aux espèces, aux milieux, et aux chemins de tel ou tel diagramme », c'est qu'elle doit partager avec le capitalisme (capitalisme et schizophrénie) une grande indifférence par rapport aux instances et aux hiérarchies critiques. Ce qui n'est pas un problème lorsque l'on perçoit la multiplicité proliférante de ce qui s'invente en tant que « force qui résiste », depuis cette Américaine perchée pendant plus d'un an sur son séquoia jusqu'aux groupes activistes que l'on traite d'écoterroristes, depuis les « femmes en noir » jusqu'aux associations de toxicos non repentis. Ce qui est assez difficile pour les théoriciens puisque cela met à l'épreuve leurs propres tentations « étatistes » et pédagogiques. Si la vie devient résistance, c'est la pensée de la résistance qui doit muter, abandonner les « ou... ou... » pour le « et... et... »

S'il doit y avoir un nouveau matérialisme ou un nouveau vitalisme, ils viendront par surprise, par où on ne s'y attend pas, par un dehors non pris au sérieux, disqualifié par principe. Qu'est-ce qui rend capable de résister ? Là-bas, aux États-Unis, des femmes héritières des mouvements féministes, écologistes, pacifistes, etc. (et donc anticapitalistes) se sont inventées sorcières et ont réinventé des rituels proprement constructivistes. Les histoires qu'elles racontent couplent la montée du Sujet de l'humanisme avec la chasse aux sorcières que certains marxistes (du passé ?) n'auraient pas hésité à mettre sur le compte des vertus progressistes du capitalisme, défaisant des liens et des strates censés faire obstacle au socialisme. Leur « magie » a pour ingrédient une Déesse qui rejoue le rapport entre Vie et Spiritualité, qui fait exister ce à quoi nous sommes si fiers d'avoir échappé en tant qu'inconnue de la situation : « futur antérieur. » Juste, à titre d'exemple, voilà ce que l'une d'entre elles, Starhawk [1], m'a demandé de diffuser (le 17 décembre 1999). Cela aurait peut-être intéressé Foucault.

[1] Starhawk est une écrivain, une activiste... et une sorcière. Les sorcières néopaïennes américaines sont héritières et parties prenantes des mouvements politiques pacifistes, écologistes, féministes, anti-capitalistes qui sont loin d'avoir dis paru aux États-Unis. Elles ont appris des mouvements de désobéissance civile ce que Guattari affirmait dans Les trois écologies, qu'il s'agit de « reclaim » (un terme difficile à traduire, à la fois guérir, se réapproprier, rendre à nouveau habitable, etc.) les pratiques de soi, les pratiques sociales, les pratiques politiques de lutte. La Déesse est le point mobile d'articulation et de déterritorialisation pour cette « écosophie », produite sur un mode constructiviste-spéculatif-pragmatique-politique, et non de conversion vers une quelconque transcendance. Pour qui s'intéresse aux witches, essayez, pour commencer, Starhawk, Dreaming the Dark, Beacon Press, Boston, 1997 (nouvelle édition quinze ans après).



Comment réhabiliter le travail ?
  par Dominique Méda

Les nombreux articles récemment consacrés à la "réhabilitation" de la valeur travail se suivent et se ressemblent. Invariablement, il nous est suggéré que les Français n'aiment plus travailler, ont oublié la manière dont les richesses s'acquièrent, se prélassent dans une paresse généralisée que les 35 heures n'auraient fait qu'autoriser.

Invariablement, on nous rappelle que le Travail, cette vieille valeur qui nous fait hommes - et qui est du côté du Bien, du Beau et du Bon -, mène un combat titanesque contre le Loisir - père de tous les vices -, le Mal, le Méchant, le Mauvais, loisir dont la séduction aurait été renforcée, là encore, par les 35 heures.

On croirait un devoir de philosophie de terminale, mis à part qu'il y manque toute une partie (c'est le manque de sens historique de nos jeunes candidats...), pourtant facile : dans l'Antiquité, les hommes libres, ceux qui participaient à la chose publique, délibéraient, échangeaient et débattaient, tenaient le travail en peu d'estime et voyaient au contraire dans le loisir, otium, l'approche désintéressée permettant de déterminer ensemble le bien commun.

Mais qu'importe, soyons modernes. Le travail, donc, ce par quoi nous existons, serait notre première valeur, nous l'aurions oublié, foulé aux pieds, et il ne nous resterait plus aujourd'hui qu'à retrouver le sens perdu de l'effort.

Un certain nombre d'arguments parfaitement recevables ont déjà été opposés à cette vision relativement simpliste dans ces colonnes, et d'abord celui-ci : le travail manque. Les personnes aimeraient par-dessus tout en avoir et sont d'autant plus attachées au travail qu'elles n'en ont pas. Mais elles n'en trouvent pas. Faut-il pour cela qu'elles fassent n'importe quoi, rabaissent leurs prétentions, saisissent les postes dont personne ne veut ?

Faut-il, bien que l'on nous ait dit que nous devions nous armer pour devenir "une économie et une société fondées sur la connaissance" accepter pour toujours - étant donné la faiblesse de la mobilité professionnelle et sociale dans notre pays - un poste peu qualifié lorsque l'on a fait de nombreuses années d'études ? Si le travail est notre bien commun le plus précieux, la source même de la citoyenneté et de l'appartenance, ne faut-il pas au contraire le rendre coûte que coûte accessible à tous ?

Mais allons plus loin. On nous parle donc de l'horrible bataille entre le Travail et le Loisir, comme si nous rêvions tous que ce dernier en sorte victorieux et nous permette de vivre, en état semi-comateux selon Baverez, dans une inactivité totale, voire dans un monde où, enfin, les actions ne seraient plus contraintes (il faudrait imaginer le paradis comme un gigantesque parc Eurodisney). Le seul problème est qu'aucune enquête, française ou européenne, ne met en évidence de telles aspirations. De quoi manquons-nous ? Ou encore, autre manière de poser la même question, à quoi les personnes qui ont bénéficié de la réduction du temps de travail ont-elles occupé leur temps ?

La grande majorité des personnes indiquent manquer, d'une part, de repos, simplement pour "récupérer", et, d'autre part, soit d'argent, soit de temps pour leurs proches. D'un côté, des ouvriers et employés qui ont, pour certains, souffert de l'intensification du travail et de la flexibilité sans gagner plus d'argent (où est la réhabilitation du travail ?), de l'autre, des cadres dont les horaires de travail n'ont cessé de s'allonger dans les années 1990 (voir le numéro spécial d'Economie et Statistique consacré à la dernière enquête Emploi du temps) et qui étaient, évidemment, ceux qui désiraient la RTT. Mais aussi des gens, en emploi, qui manquent à la fois d'argent et de temps pour leurs proches.

Continuons : d'un côté, des hommes, la plupart conformes à leur rôle, travaillant dur, de l'autre, des femmes, soit retirées du marché du travail tant la conciliation du travail et des tâches domestiques et familiales est difficile, soit cumulant tout cela et ayant le sentiment qu'elles n'accordent plus le temps minimal, le temps décent, à leur famille, et principalement à leurs enfants. Toutes les enquêtes le mettent pourtant clairement en évidence depuis quelques années : les Français manquent de temps pour leurs proches, et notamment leurs enfants, parce que les femmes travaillent désormais plus, que le nombre de couples bi-actifs s'est multiplié, que les tâches domestiques et familiales reposent toujours sur les femmes et que, de surcroît, les hommes ont désormais envie eux aussi de s'intéresser à leurs enfants, constitutifs plus que par le passé de leur identité.

Lorsqu'on les interroge sur ce dont ils manquent lorsqu'ils ont un travail et une stabilité minimale, ce qu'ils réclament tous n'est pas un surplus de loisir, mais un tout petit peu plus de temps pour leur famille. Celle-ci, dans le sens le moins réactionnaire qui soit, est désormais reconnue comme un lieu où peuvent s'épanouir des talents, des aventures, du dialogue, où peuvent s'inventer des histoires et des constructions communes, sans doute plus que le travail.

Et, contrairement à de nombreux sociologues, je pense que c'est une bonne nouvelle. En tout cas, il est surprenant d'entendre un ministre de l'éducation réclamer une extension supplémentaire du domaine occupé par le travail, alors que tant de personnes, ouvriers aux horaires alternants, caissières à temps partiel finissant à 22 heures ou cadres nomades n'ont jamais de temps à consacrer à leurs enfants, ne serait-ce que, pour une fois, regarder leurs devoirs ou transmettre quelques principes de base qui, nous dit-on, font aujourd'hui défaut.

Les temps ont changé, nous ne réclamons plus "la société des loisirs". Et tous ceux - dont je fais partie - qui, à travers des titres trop provocants, ont souhaité sinon la fin, du moins la réduction de la place accordée au travail dans nos sociétés, ne l'ont jamais fait au nom d'hypothétiques loisirs, mais au nom d'un travail plus humain et d'un meilleur équilibre entre les temps et les rôles affectés aux différentes activités humaines dont une société a besoin, au nom aussi d'une meilleure répartition des investissements, des tâches et des rôles qui incombent aux hommes et aux femmes. Depuis trente ans, la montée de l'activité féminine aurait dû révolutionner les pratiques et impliquer une immense réorganisation du travail, dans le sens d'un raccourcissement du temps de travail de chacun, pour qu'hommes et femmes puissent également travailler et prendre en charge tâches domestiques et soins aux enfants, dans un objectif d'égalité, mais aussi plus généralement de bien-être, le temps accordé aux enfants étant notoirement insuffisant. Les 35 heures auraient pu, sous certaines conditions, entraîner un tel rééquilibrage et permettre à tous, hommes et femmes, de goûter aux joies du travail. C'est d'ailleurs lorsqu'elle a permis de telles réorganisations que la réduction du temps de travail a été particulièrement appréciée.

Comment donc réhabiliter le travail aujourd'hui, et que peut signifier cette expression, comment ce bel objectif pourrait-il être opérationnalisé ? Réhabiliter le travail, cela consisterait d'abord à en offrir à tous. Dans une acception un peu plus approfondie, cela devrait également se traduire par l'éradication des emplois déshumanisants, sans garanties, sans droits, mal payés, et l'extension de ce que le BIT appelle le travail "décent" ou encore de ce que certains chercheurs nomment le "travail soutenable": un emploi convenablement payé et protégé, permettant des adaptations permanentes des compétences et des reconversions, permettant à tous, hommes et femmes, de concilier vie professionnelle et vie familiale, présentant des conditions de travail telles que les personnes soient capables de travailler aussi longtemps qu'elles le souhaitent.

Mais allons encore plus loin : réhabiliter le travail, ce serait surtout mobiliser tous les moyens pour lui donner du sens. Un travail doté de sens, c'est un travail qui permet en effet aux personnes d'engager des actions véritablement transformatrices, de développer leurs talents, de participer à la réalisation de biens et services utiles à la vie en commun, de mettre le monde en valeur en y imprimant leur marque.

Mais il faudrait pour cela que le travail soit au centre, considéré comme une des manières pour les individus de se réaliser, et il n'est pas évident du tout ni que cette préoccupation soit partagée par ceux qui tiennent le discours de la nécessaire réhabilitation du travail ni que le travail parvienne à s'émanciper des logiques marchandes auxquelles il est inextricablement lié depuis le XVIIIe siècle.

Dominique Méda est philosophe, auteur notamment du livre Le Travail, une valeur en voie de disparition, Champs-Flammarion, 1998.


  La "décroissance"   La "décroissance" : renaissance d'un concept révolutionnaire

Les "objecteurs de croissance" pourraient apporter la théorie économique qui manque aux altermondialistes

Le premier colloque français sur la "décroissance" se tenait les 26 et 27 septembre derniers à Lyon. L'idée de la décroissance date du début des années soixante-dix, une vingtaine d'années avant l'émergence du "développement durable". Il s'agit d'une critique radicale du principe de l'augmentation constante du revenu global, autrement dit la croissance du PIB, sur laquelle est fondé tout l'ordre économique actuel. L'argument central de cette critique : toutes les matières premières et toutes les énergies consommées aujourd'hui sont perdues pour les générations futures. Les pays riches doivent donc consommer beaucoup moins afin de préserver durablement le bien-être sur Terre. A l'heure où l'on parle plus que jamais de réchauffement climatique, de pénurie d'hydrocarbures et de destruction de la biodiversité, la thèse de la décroissance retrouve des adeptes, après plus d'un quart de siècle de léthargie. Bien qu'encore lacunaire et parfois contradictoire, elle incarne pour certains la théorie économique globale qui fait pour l'instant défaut au mouvement altermondialiste.

Réunis par des membres du collectif Casseurs de pub et de la revue écologiste Silence, quelque 200 "objecteurs de croissance" ont tenu colloque à Lyon pendant deux jours. Ils ont parlé de concepts comme l'"innovation frugale", dans le décor rococo d'une salle d'honneur parée de feuilles d'or de l'hôtel de ville de Lyon, symbole de l'opulence de la capitale des Gaules.

Les racines de la "bioéconomie"
Les débats étaient animés par la poignée d'universitaires français et italiens héritiers de l'économiste roumain Nicholas Georgescu-Roegen, mort en 1994 dans une indifférence quasi totale. Georgescu-Roegen est l'inventeur de la "bioéconomie", une théorie qui ajoute à l'analyse économique un paramètre toujours ignoré jusque-là : la finitude des ressources offertes par la nature. Silvana De Gleria, une ancienne élève de Roegen, explique : "Du libéralisme au socialisme soviétique, les penseurs de l'économie classique travaillent à partir de l'image fausse d'un 'circuit économique' clos. L'activité économique n'est pas un manège, dans lequel tout recommence toujours à l'identique. C'est au contraire un processus destructeur de matière."

L'économiste Serge Latouche, principal thuriféraire de la décroissance en France, affirme que l'approche classique de l'économie ne sait pas intégrer l'évolution temporelle. "Elle exclut de son raisonnement tous ceux qui disent 'J'ai besoin de tel produit' tout en étant incapables de lui fixer un prix. C'est-à-dire les pauvres et... les générations futures !", s'exclame le professeur d'économie qui enseigne à l'université Paris-Sud.

L'analyse de Roegen a pour point de départ la fameuse loi de "l'entropie", découverte en 1824 par Sadi Carnot. Une grande partie de l'énergie mécanique utilisée par l'industrie se transforme en chaleur. Or cette énergie calorique se dissipe et ne peut jamais redevenir une énergie mécanique. L'entropie décrit un processus irréversible. Toute énergie consommée par les machines (Roegen parle d'"organes exosomatiques") finit par disparaître et ne pourra plus jamais servir à nouveau. Ce qui veut dire que les ressources énergétiques de la Terre sont un capital limité. Plus l'on puise dedans, plus la fin de l'histoire moderne se rapproche. Un instant emporté par l'élan messianique omniprésent au cours du colloque, le politologue suisse Jacques Grinevald lâche : "C'est la chaleur qui a fait fondre les tours du World Trade Center"...

La décroissance a le vent en poupe dans les milieux écologistes et altermondialistes. Un militant d'Attac venu assister au colloque remarque : "La décroissance, c'est l'intuition que les lois de l'économie ne peuvent pas être radicalement différentes des lois de la nature. Après l'effondrement du marxisme, la bioéconomie peut être la théorie économique globale qui manque aujourd'hui aux nouveaux militants de gauche."

Si tous les habitants de la Terre devaient s'aligner sur le niveau actuel de consommation des pays développés, il faudrait entre trois et sept planètes supplémentaires pour couvrir nos besoins en matières premières. Ce constat, qui fait désormais l'objet d'un large consensus, est le meilleur argument des "objecteurs de croissance." Pour eux, la solution est simple : les citoyens des pays développés doivent "déconsommer."

Serge Latouche affirme : "La croissance économique est l'alpha et l'omega de toutes les politiques économiques actuelles. Elle représente un bénéfice illusoire pour des sociétés de plus en plus malades de leurs richesses. Dans les pays développés, la dégradation de l'air, de l'eau et de la nourriture ne cesse d'augmenter : respirer, boire et manger y sont devenus les principales sources de mortalité !"

Mais comment distinguer la décroissance d'une récession, synonyme de chômage et de paupérisation ? "La récession, c'est un simple défaut de croissance, explique Jacques Grinevald, tandis que la décroissance correspond à une modification des conditions et des règles du développement."

Mort au consumérisme
Pour "décroître", poursuit Serge Latouche, il faut commencer par supprimer tous les coûts économiques "absurdes" : "Par exemple, de nombreux déplacements sont inutiles. Il faut aussi s'attaquer à la publicité et au consumérisme effréné qui font qu'un ordinateur ou une voiture se démodent au bout de deux ou trois ans."

Un cas est fréquemment pointé du doigt : les échanges agricoles internationaux. Pour Pierre Rabhi, l'une des figures de l'écologie française depuis quarante ans, "faire parcourir la moitié de la planète à des moutons est aberrant." La "relocalisation de la production" est l'un des thèmes centraux de la bioéconomie. Rabhi insiste : "Il faut que nous nous remettions à produire au plus près des lieux de consommation, à la fois pour économiser l'énergie et pour permettre un développement harmonieux de nos sociétés."

Les "objecteurs de croissance" se posent en concurrents du "développement durable", un concept dont ils ne manquent jamais de relever les paradoxes. Ils reconnaissent par exemple la pertinence de l'éco-conception (c'est-à-dire la réduction au minimum des coûts environnementaux de chaque produit). Mais ils remarquent que depuis 30 ans, l'amélioration constante du rendement énergétique de la voiture, de l'avion ou des appareils électroménagers a eu pour effet de doper le volume global de leur consommation. On assiste à une sorte "d'effet rebond" : une voiture qui consomme 3 litres au cent au lieu de 15 incite à parcourir plus de kilomètres et donc à utiliser plus d'essence au final. Serge Latouche : "Le développement durable est un concept toxique qui conduit à réduire la matière première nécessaire à chaque produit pour mieux augmenter le coût environnemental total de l'économie."

Parmi les mots d'ordre les plus applaudis au cours du colloque, il y a celui de Pierre Latouche : "Il faut décoloniser notre imaginaire envahi par l'idéologie de la croissance et du profit." L'économiste argumente : "C'est parce qu'ils sont incapables de décoloniser leur imaginaire que le Parti socialiste français et tous les mouvements politiques 'sociaux-démocrates' sont condamnés à faire du libéralisme social." Un triptyque proposé par l'économiste italienne Sylvana de Gleria reçoit également un accueil enthousiaste : "Le modèle de la décroissance nécessite conscience, coopération et modération."

2 heures de travail par jour
La théorie de décroissance est encore pleine de lacunes et parfois de contradictions. Pour l'instant, elle n'est animée que par une poignée de professeurs italiens, suisses, français et espagnols décriés au sein de leurs universités. Certains, comme le penseur iconoclaste Jacques Grinevald (qui enseigne à l'université de Genève) luttent en permanence pour éviter d'être mis au placard. Ces leaders des "objecteurs de croissance" sont des macro-économistes et des théoriciens. Pas d'urbanistes, ni de sociologues spécialistes du travail, ni encore moins de politiciens dans leurs rangs.

L'absence de validation pratique de l'approche de la décroissance conduit souvent les orateurs dans un flou artistique. Serge Latouche, par exemple, affirme qu'une réduction "féroce du temps de travail" est nécessaire : "Pas plus de deux heures par jour", réclame-t-il. Il se prononce en même temps contre l'énergie nucléaire, sans prendre la peine d'expliquer comment préserver le fonctionnement de quelques infrastructures vitales (distribution d'eau, chauffage, alimentation, etc.) en ne travaillant quasiment plus et en supprimant de plus la source d'énergie qui réclame le moins de main-d'oeuvre à quantité égale d'électricité produite.

Le problème délicat de la rémunération du travail dans une société travaillant très peu est à peine évoqué par les "objecteurs de croissance". De manière générale, la question de la redistribution des richesses demeure en suspens. Certains affirment que le marché doit continuer à jouer son rôle de confrontation de l'offre et de la demande, d'autres se prononcent en faveur de la suppression de la monnaie et souhaitent emprunter le vieux chemin du socialisme distributiste.

Les "objecteurs de croissance" soulignent tous l'urgence de la situation face à l'imminence d'une "catastrophe environnementale planétaire". Pourtant, afin de franchir le pas de la décroissance, la plupart compte sur une "révolution dans la conscience des citoyens", qui prendra forcément du temps.

Quelle révolution ?
Les partisans de la décroissance sont des libertaires convaincus, qui rêvent de "micro-sociétés autonomes connectées entre elles". Jacques Grinevald renâcle à se pencher sur la question du passage à une économie de décroissance. Il botte en touche : "Nous ne sommes ni des révolutionnaires, ni des utopistes." Pourtant, pour mettre en place la vision de l'intérêt général imaginée par les théoriciens de la décroissance, "de nouvelles institutions politiques de redistribution sont nécessaires", souligne l'économiste italien Mauro Bonaiuti. Les conditions d'exercice de cette nouvelle forme de coercition du politique sur l'économie ne sont pas débattues, ni la place accordée à la liberté d'entreprendre.

La décroissance est une idéologie en devenir. Pour qu'elle se développe, Serge Latouche compte sur "la pédagogie des catastrophes". Il affirme : "Les catastrophes sont notre seule source d'espoir, car je suis absolument confiant dans la capacité de la société de croissance à créer des catastrophes."

En attendant, et malgré ce qu'en disent les "objecteurs de croissance", la société de décroissance reste encore dans le domaine de l'utopie. Invitée à apporter un éclairage concret sur le type d'organisation auquel la décroissance pourrait donner lieu, Marie-Andrée Bremont, une représentante du vénérable mouvement communautaire anti-technologique de l'Arche prend la parole à la fin des deux jours de colloque. Avec un débit lent, qui contraste par rapport à l'emphase des orateurs qui l'ont précédé à l'estrade, la responsable de l'Arche décrit sa vie quotidienne. Elle dit : "A part cela, que fait-on de notre temps libre au sein de la communauté ?" Silence. Marie-Andrée Bremont ne prend pas la peine de répondre à sa propre question. Un peu plus tard, elle précise tout de même : "Notre principale activité consiste à cultiver la gratuité relationnelle." L'envie se lit sur de nombreux visages dans l'auditoire.

Matthieu Auzanneau