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Pistolets paralysants
En Suisse, le courant passe
Magazine: «AMNISTIE!»

Origine : http://www.amnesty.ch/f/if/ifamf/m0502f/pip.html

Très appréciés des polices nord-américaines, une nouvelle génération de pistolets paralysants débarque en Suisse avec succès. Pourtant, aucune étude rigoureuse n'a été menée sur l'utilisation et les effets de ces armes. Censées êtres non létales, elles ont déjà tué plus de septante fois aux Etats-Unis et au Canada.

Les pistolets paralysants, commercialisés par la marque Taser, ont été créés afin de combler le chaînon manquant entre la passivité et la force meurtrière. Considérées comme non létales, ces armes devraient aider les forces de l'ordre à neutraliser des individus violents, des suspects en fuite ou autres personnes représentant un danger pour autrui, sans leur infliger de blessures graves ou mortelles. En théorie.

De la taille d'une arme de poing, le pistolet paralysant comporte un boîtier à la place du canon et un bouton faisant office de gâchette. Lorsqu'il est utilisé, le boîtier s'ouvre et éjecte, à une distance de six mètres, deux pointes acérées reliées à l'arme par deux câbles. Ces pointes sont prévues pour traverser les habits les plus épais, comme une veste en cuir, sur une profondeur de trois à cinq centimètres. On imagine quel effet ces lames peuvent avoir si la personne ne porte qu'un T-shirt... Une fois la victime harponnée, une onde électrique de 50 000 volts est envoyée à cette dernière, qui s'écroule – son système nerveux et ses muscles ne répondant plus. Le Taser peut également être utilisé à bout portant, par contact.

«Sans danger»: vraiment ?

Le professeur Thomas Krompecher, médecin-chef de l'Institut de médecine légale de l'Université de Lausanne, estimait dans Le Matin que «de nombreuses analyses de ce genre d'armes de par le monde ont révélé que les Tasers sont efficaces et sans danger pour la vie ou l'intégrité corporelle». Il n'empêche, les Tasers sont aujourd'hui au centre d'une controverse: une septantaine de cas de décès suite à l'utilisation de ces armes remettent en cause leur statut prétendument non létal.

Les coroners – officiers de justice nord-américains chargés de déterminer les causes d'un décès – attribuent en général ces morts à d'autres motifs, comme la prise de drogues. Mais dans cinq cas récents, les coroners ont conclu que l'utilisation d'un pistolet incapacitant avait directement entraîné la mort de la victime, conjointement avec d'autres facteurs comme la toxicomanie ou les maladies cardiaques.

Alors que plusieurs pays testent ou utilisent actuellement des Tasers – Allemagne, Australie, Espagne, France, Israël, Turquie, etc. – la Suisse a joué les pionniers en autorisant officiellement les armes paralysantes (voir encadré).

Responsabilité amoindrie
Le risque zéro lié aux armes non létales n'existe pas. Comment un policier peut-il définir, au moment de dégainer son arme et dans le feu de l'action, que la personne qu'il tente d'appréhender souffre d'insuffisance cardiaque ou pis, porte un pacemaker? Et dans un autre registre, rappelons l'affaire de la balle marquante, lors des manifestations contre l'OMC, qui a bien failli coûter un œil à une manifestante en gare de Cornavin, à Genève.

La police avance en général l'avantage d'une plus grande sécurité pour les «destinataires» lorsqu'elle vante les Tasers. Mais souvent, des moyens moins offensifs que ces armes paralysantes pourraient tout aussi bien être utilisés. Ce qui fait dire à Amnesty que les Tasers ne devraient être employés que dans les cas où l'unique alternative serait l'usage d'une arme à feu.

Dans deux rapports récents, Amnesty constate d'ailleurs qu'en dépit de leur usage de plus en plus répandu, aucune étude rigoureuse, indépendante et impartiale n'a été menée à ce jour sur l'utilisation et les effets des pistolets paralysants, en particulier lorsqu'ils sont utilisés sur des personnes souffrant d'un problème cardiaque ou sous l'emprise de la drogue.

Aux Etats-Unis, Amnesty appelle le gouvernement ainsi que les autorités fédérales et locales à suspendre l'utilisation de pistolets paralysants et autres armes envoyant des décharges électriques dans l'attente d'une enquête indépendante rigoureuse sur leur utilisation et leurs effets. Cette enquête doit être confiée à des experts reconnus dans les domaines médical, scientifique, juridique et policier, indépendants des intérêts commerciaux et politiques attachés à la promotion de ce type de matériel. L'enquête doit évaluer avec rigueur les effets médicaux, entre autres, de ces armes, en tenant compte des normes relatives aux droits humains régissant le traitement des détenus et l'utilisation de la force. Et elle doit inclure l'examen systématique de tous les cas de mort et de blessures liés à l'utilisation de ces armes.

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Septante décès aux Etats-Unis et au Canada
Introduits dans les années 1970, les pistolets paralysants ont passablement évolué ces quatre dernières années, avec l'introduction de modèles nettement plus puissants. Aux Etats-Unis, environ 5000 services chargés du maintien de l'ordre utilisent des Tasers. Et en Irak, les forces armées américaines sont elles aussi équipées de telles armes, notamment la 800e brigade de la police militaire, accusée de graves exactions à la prison d'Abou Ghraib. Quant à l'US Air Force, elle fait usage de pistolets paralysants à bord des appareils transportant les prisonniers soupçonnés d'appartenir au réseau Al Qaïda.

Un rapport d'Amnesty International recense plus de septante cas de décès suite au choc subi par les victimes d'une arme paralysante aux Etats-Unis et au Canada. Par ailleurs, des recherches effectuées par l'organisation laissent penser que les pistolets incapacitants sont utilisés dans des circonstances qui ne justifient ni le recours à la force meurtrière, ni même l'utilisation des matraques. Ainsi, des policiers ont utilisé des pistolets incapacitants contre des écoliers indisciplinés, des individus souffrant de troubles mentaux, ou encore ivres et agités, mais qui ne mettaient aucune vie en danger, des personnes âgées, des suspects non armés qui s'enfuyaient après avoir commis un délit mineur. Des personnes qui avaient une altercation avec des policiers ou refusaient d'obtempérer immédiatement ont également subi l'usage de ces armes. Dans la plupart des cas, les victimes ont reçu de multiples décharges, parfois alors qu'elles étaient entravées.

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Et en Suisse?
En matière d'armes incapacitantes, la Suisse fait œuvre de pionnière: c'est en 2003 déjà que la Commission technique des polices a donné son feu vert à leur usage et différents corps de police ont d'ores et déjà testé ou fait l'acquisition de Tasers. Les cantons de Schwyz, Bâle-Campagne et Berne, ainsi que la Principauté du Liechtenstein possèdent déjà de telles armes, de même que les polices municipales de Zurich et de Dübendorf. Les cantons de Zoug et de Soleure en envisagent l'achat, tandis que Neuchâtel, Genève et le Valais, après des tests, ont décidé de renoncer expressément à ce type d'arme.

Par Nestor Delpino

Amnesty International, Section suisse | 02/2005 | webmaster at amnesty.ch