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Origine :
http://www.humanite.presse.fr/journal/2005-09-21/2005-09-21-814416
Le ministre de l’Intérieur devait assister, hier soir,
à une démonstration du Taser X26, une nouvelle arme
paralysante qui envoie une décharge électrique de
50 000 volts.
Après le FlashBall, voici le Taser X26. Nicolas Sarkozy
devait assister, hier soir, dans le 17e arrondissement parisien,
à une démonstration hautement médiatique de
la nouvelle arme « non létale » qui équipera
largement ses troupes dans les années à venir. Ce
flingue du futur, efficace dans un rayon de 6,50 mètres,
envoie deux dards reliés à des fils électriques
qui délivrent une décharge de 50 000 volts. La personne
touchée perd alors tout contrôle de ses muscles et
reste tétanisée pendant plusieurs dizaines de seconde.
Présentés comme des armes « antibavure »,
quelques centaines de Taser X26 ont déjà été
confiés à plusieurs unités (GIPN, GIGN, RAID).
En 2007, le ministère de l’Intérieur compte
en livrer environ 3 000 supplémentaires, notamment aux fameuses
brigades anti-criminalité (BAC), spécialisées
dans l’interpellation et le flagrant délit. «
À terme, on aimerait qu’il y ait un Taser dans chaque
véhicule d’intervention », assure la place Beauvau.
Soit plusieurs dizaines de milliers de pistolets, à environ
1 000 euros pièce.
Ce nouveau pistolet réjouit la plupart des policiers. «
C’est le parfait compromis entre le poing et le Sig Sauer
[pistolet], apprécie Luc Poignant, du SGP-FO. Le Taser permet
de contrôler des individus violents et armés sans employer
d’arme létale. Aujourd’hui, pour maîtriser
un type saoul, qui vient de battre sa femme, il faut y aller à
main nue. Avec le Taser, on aura un peu les avantages de la lacrymogène
sans les inconvénients du retour de gaz... » Un policier
renchérit : « Dans les cités sensibles, le Taser
va permettre aux fonctionnaires de cesser de perdre la face, en
disposant d’un moyen de se faire obéir. »
La société américaine Taser, valeur montante
du Nasdaq et constructeur quasi exclusif de ce type d’arme,
ne dit pas autre chose. D’après son argumentaire de
vente, cette arme aurait permis, là où elle est utilisée,
de réduire de 67 % les blessures aux suspects et de 82 %
celles aux policiers. Quand un tir avec une arme classique fait
mouche six fois sur dix, le Taser, utilisé par une cinquantaine
de polices, atteindrait sa cible presqu’à coup sûr
(94,7 %) grâce à son système de visée
par laser.
Dans les faits la réputation du Taser est loin d’être
aussi glorieuse. Aux États-Unis, l’arme est en vente
libre et 100 000 exemplaires ont été écoulés
depuis son lancement en 2001. Plus de 5 000 services chargés
du maintien de l’ordre l’utilisent actuellement. Et
les polémiques ne manquent pas.
D’après un rapport d’Amnesty International,
« plus de 70 personnes seraient mortes, au cours de ces trois
dernières années, aux États-Unis et au Canada,
après avoir été atteintes par des pistolets
incapacitants M26 ou X26 ». Les enquêteurs attribuent
généralement le décès à d’autres
causes, comme une overdose au moment de l’interpellation.
« Mais des experts médicaux, insiste Amnesty Iternational,
estiment que l’utilisation de ces armes peut accroître
le risque de crise cardiaque pour les personnes agitées,
droguées ou présentant des problèmes de santé.
» En tout état de cause, aucune étude indépendante
n’a été menée sur le sujet. En juillet,
le New York Times a même révélé que les
effets du pistolet, avant commercialisation, n’avaient été
testés que... sur un cochon et quatre chiens.
Autre danger révélé par Amnesty : l’utilisation
du Taser au moindre prétexte. « Ces armes peuvent donner
lieu à des abus car elles sont portables et faciles à
utiliser », note le rapport. Selon l’organisation, les
policiers ont utilisé leur Taser contre des écoliers
indisciplinés, des individus souffrant de troubles mentaux,
des suspects non armés, des automobilistes à peine
récalcitrants... « Quelle que soit la modernité
du matériel, c’est l’état d’esprit
dans lequel il est employé qui compte, relève Éric
Blondin, secrétaire général du Syndicat de
la police nationale. C’est bien s’il n’y a que
la volonté de faire de la police et non pas de jouer en permanence
au justicier. »
À voir. Pour le moment, le ministère de l’Intérieur
estime que les principaux risques liés à l’utilisation
de cette arme restent la lourde chute après paralysie. Les
futurs utilisateurs devraient recevoir une formation spécifique.
Et s’assurer notamment que la cible n’est pas en surplomb
d’un immeuble ou d’un escalier au moment du tir. Quant
aux polémiques nées autour de l’usage de ce
pistolet par des policiers de Miami contre des enfants ou par des
soldats lors d’interrogatoires en Irak, elles sont balayées
d’un revers de main. « De tels dérapages sont
à exclure en France, jure le ministère, car il ne
sera pas possible de l’utiliser sans laisser de trace. »
Les Taser de la police française seront dotés d’une
« boîte noire » relevant la date, l’heure
et la durée de la décharge. De même, une micro-caméra
et un système d’enregistrement audio se déclencheront
dès que le pistolet sera actionné. De quoi assister
à la bavure. Pas de l’éviter.
Laurent Mouloud
Article paru dans l'édition du 21 septembre 2005.
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