Origine : http://endehors.org/news/8458.shtml
Publier, aujourd’hui, cette interview de mon grand-père
sur la site de la CNT-AIT, est, d’une certaine façon,
un moyen de réhabiliter sa mémoire.
En effet, lorsque je faisais paraître cet entretien dans Les
Temps Maudits, revue de la CNT dites des Vignoles, celle-ci avait
encore une allure anarchosyndicaliste.
Il n’en est plus rien, à moins que depuis quelques
années déjà, tout n’était qu’apparence
et vernissage.
Ni anarchosyndicaliste, ni révolutionnaire, cette organisation
politique est d’évidence à la remorque d’Attac
et du Monde Diplomatique.
Nous n’en voulons pour preuve les débats et actions
organisés conjointement avec la CNT ou encore le soutien
de la CNT éducation des Yvelines à l’appel lancé
par Le Diplo pour un Conseil National de Résistance, mensuel
qui, rappelons-le a largement stigmatisé et discriminé
les Blacks Blocks.
Tel est le nouveau conformisme de gauche.
En outre, annexe de la bourdieuserie mondaine, La CNT Vignoles permet
à la feinte dissidence de se répandre, non seulement,
dans ses débats mais aussi dans les pages des Temps Maudits.
Loïc Wacquant qui a publié Surveiller et Punir chez
Agone, en est le dernier représentant en date.
Il devient donc, impossible de continuer de laisser penser que Frederic
Marin et ses proches aient quelques affinités ou partagent
les idées, de ceux qui sont finalement devenus ses ennemis.
VMM
Retour sur les collectivisations en Espagne
S’il y a un espoir, il réside chez les prolétaires.
Georges Orwell, 1984
Dans les années 1930, Terrassa, ville située à
l’ouest de Barcelone, est l’un des plus grands centres
d’industrie textile de l’Espagne.
Peuplée d’environ 45 000 habitants, plus d’un
tiers de sa population est ouvrière.
Cette ville républicaine est un bouillon social et politique.
Une vie associative importante et de nombreux intérêts
collectifs s’y développent.
Une culture populaire qui brasse large - du populisme « catalaniste
» à l’ouvriérisme investi dans les luttes
sociales - prend de l’ampleur.
Toutefois, cette richesse sociale de la ville ne doit pas cacher
que les options politiques et sociales sont très diverses.
Au sein de la bourgeoisie se dessine un clivage entre, d’un
côté, une bourgeoisie « pro-espagnoliste »,
catholique, monarchiste, de l’autre, une bourgeoisie «
catalaniste » ayant une vision plus dynamique du capitalisme.
Pour ce qui concerne la question sociale, leurs positions conservatrices
se rejoignent.
La CNT [1] est l’organisation syndicale la mieux implantée
et la plus influente à l’intérieur du mouvement
ouvrier.
En juin 1931, elle compte 10 788 adhérents, soit 60 % du
prolétariat de Terrassa.
Dès le début, la CNT exprime son désaccord
avec la nouvelle république bourgeoise.
Les anarchosyndicalistes, ne se sentant pas concernés par
les discours « catalanistes » plus ou moins réformistes,
poursuivent leur lutte syndicale.
Dans la fédération locale des syndicats, la FAI [2]
occupe également une place centrale.
Les anarchosyndicalistes optent à plusieurs reprises pour
des positions radicales, en liaison avec les tentatives de la FAI
dans le pays :
- En février 1932, l’occupation de la mairie par des
ouvriers appartenant à la CNT-FAI, notamment pour riposter
contre les mauvais traitements infligés aux mineurs en grève
de Figols (bassin minier de Berga).
- Plusieurs tentatives révolutionnaires entre 1932 et 1934.
- La révolution en 1936 et un affrontement dur et constant
avec l’ERC [3].
Avant 1936, à Terrassa, la ligne ouvrière des marxistes
dissidents du POUM [4] est assez peu suivie.
Ce groupe, constitué de nombreux intellectuels, contribue
avec ses idées aux collectivisations.
Les luttes politiques et sociales éclatent à partir
d’octobre 1934.
Une forte grève insurrectionnelle se déclenche dans
les Asturies sous l’impulsion des socialistes pour faire pression
sur la droite au pouvoir.
Le mouvement est écrasé par les militaires ; on dénombre
plus de 3 000 travailleurs assassinés, 40 000 arrêtés,
torturés et envoyés au bagne [5].
En Catalogne, les indépendantistes profitent du moment pour
entrer en action, mais l’ERC se trouve en sérieux désaccord
avec l’alliance ouvrière.
La CNT se maintient alors en marge du mouvement jusqu’à
ce que l’ERC abandonne la mairie.
Durant cette période, les libertaires prennent les armes
et libèrent les prisonniers.
Après des affrontements violents avec les forces de l’ordre,
les événements d’octobre 1934 marquent une rupture
encore plus importante entre les hommes de l’ERC et ceux de
la CNT.
Les élections de février 1936 apportent la victoire
au Front d’Esquerre (Front de gauche, constitué de
différentes forces).
Les contradictions exprimées dans les urnes en février
1936 explosent le 18 juillet.
Le coup d’État militaire échoue dans plus de
la moitié de l’Espagne, ainsi que la stratégie
de soulèvement des partisans franquistes en Catalogne qui
devait permettre le contrôle de Barcelone.
À Terrassa comme à Barcelone, le peuple se hâte
de concrétiser la révolution.
La réponse effective décidée par les organisations
locales au soulèvement militaire est l’appel à
une grève générale immédiate, illimitée,
et à la lutte armée par l’intermédiaire
d’un tract [6] adressé au peuple.
Les premiers fusils viennent des casernes.
À Terrassa, il en arrive 9 000.
Les armes sont distribuées entre les hommes de la CNT et
du POUM.
Des troubles s’ensuivent.
Selon les statistiques généralement admises, les assassinats
dans la ville de Terrassa, pour cette période, s’élèvent
à 226.
Les personnes assassinées durant les premiers mois de la
révolution, sont essentiellement des personnes politiquement
conservatrices, appartenant à la bourgeoisie catholique et
monarchiste, enfin des gens liés au monde de l’entreprise,
patrons et gérants, entre autres.
Les religieux ne sont pas épargnés.
[7]
Cette « répression » orchestrée essentiellement
par les chiquillos, groupes « incontrôlés »
proches de la CNT, et plus précisément par un militant
anarchosyndicaliste, Pedro Alcocer, s’explique par un passé
de luttes et de souffrances accumulées depuis de nombreuses
années.
Parmi la CNT, la FAI, le POUM, l’UGT [8] , l’ERC, des
voix se sont élevées pour protester contre ces règlements
de comptes :
« Il y a des individus qui vont dans les villes, dans les
villas, [...] qui saccagent, volent, séquestrent des personnes
et pour certaines d’entre elles, nous savons quelle fin tragique
les attend [...].
Nous devons mettre fin rapidement à cela si ne nous voulons
pas que l’on nous prenne pour des voleurs et de vulgaires
assassins [...].
Révolutionnaires, oui ! Assassins, non ! » [9]
Le nouveau pouvoir se concrétise dans la création
d’un comité de liens antifascistes dans lequel la CNT
et le POUM sont très majoritaires.
Ils écartent le pouvoir municipal.
D’une part, se forme le comité local de miliciens antifascistes
qui s’occupe des volontaires pour le front ; d’autre
part, concernant la vie économique et la reprise du travail,
des conseils de banque d’industries et d’approvisionnement
se créent et prennent de l’importance.
Pendant ces années de guerre, une partie de l’Espagne
vit une des expériences révolutionnaires les plus
importantes de l’Europe contemporaine.
Les changements du système de production sont la clef de
cette expérience.
Nous observerons localement ce phénomène au travers
d’une interview du cénétiste Frederic Marín
[10].
Cette interview (tirée de la revue Al Vent [11]) se propose
d’être un témoignage venant étayer la
réalité des collectivisations.
Les collectivisations et la socialisation d’entreprises :
guerre et révolution 1936-1939
« - À Terrassa, quelle attitude adoptent les militants
cénétistes les jours qui suivirent le 19 juillet ?
Comment affrontent-ils la guerre et la révolution ?
- Dès les premiers jours d’août 1936, une fois
terminée la grève révolutionnaire lancée
le 19 juillet 1936, le calme revient dans la ville.
Des centaines de miliciens marchent en direction de l’Aragon
; parmi eux, un nombre considérable de militants de la CNT-FAI.
Les militants du mouvement libertaire restés sur place pour
entreprendre les conquêtes sociales que la révolution
a mises à portée de leur main, ne sont pas mieux préparés
que ceux qui sont partis sur le front.
L’objectif prioritaire est alors de mettre en œuvre les
préceptes du communisme libertaire.
Depuis le 19 juillet 36, nos organisations multiplient les réunions
de militants et les assemblées publiques.
Elles se tiennent dans des locaux précédemment réquisitionnés
et notamment dans le stade de la ville.
Les orientations données vont dans le sens d’un contrôle
par les ouvriers de la direction des usines et des ateliers, de
tous les biens de production et des capitaux appartenant à
leurs lieux de travail.
Dans cette première période de transformation sociale,
les industries d’une même branche, en raison de l’héritage
de l’organisation industrielle de l’ancien système
capitaliste, sont excessivement dispersées.
L’économie ayant pris une orientation communiste libertaire,
nous devons nous adapter à des méthodes plus appropriées
pour arriver à la véritable socialisation, celle à
laquelle nous souhaitons aboutir [12].
Tel est notre objectif et c’est ce à quoi nous nous
employons.
Pour commencer notre action, la fédération locale
des syndicats d’industrie de la CNT nomme, en réunion
générale, une commission de statistiques et d’orientations
économiques.
Cela ressemble au Conseil de statistiques et production proposé
dans le document « Concept confédéral du communisme
libertaire » approuvé par le congrès de Saragosse
(mai 1936).
Deux autres camarades et moi-même formons cette Commission.
- Non seulement vous faîtes partie de cette Commission, mais
de plus vous appartenez à une collectivité.
- Effectivement, je deviens conseiller d’entreprise à
l’usine des frères Barata, où je travaillais
avant la révolution.
Mais j’y reste peu de temps car je suis désigné
par la Fédération locale de la CNT pour faire partie
de cette Commission ».
La Commission de statistiques et d’orientations économiques
« - Quelle fonction a cette Commission et quel degré
d’influence a-t-elle sur les collectivisations ?
- Sous la supervision d’un compagnon [13] technicien dans
la branche industrielle, cette Commission élabore des plans
de fabrication.
Ces derniers, une fois approuvés par les assemblées
de travailleurs, sont mis en pratique par les conseils d’entreprise.
Ainsi, l’autonomie des collectivisations est absolue ; les
assemblées décident de l’orientation et de la
gestion générale, en acceptant ou en rejetant ces
plans ou différentes initiatives pouvant provenir de n’importe
quel ouvrier [14].
- Y a-t-il un nombre d’heures de travail fixe pour les entreprises
collectivisées ?
- Quarante heures par semaine [15] ; ce nombre est parfois dépassé,
le plus rarement possible.
Il arrive aussi qu’on travaille la nuit ou les dimanches,
selon les circonstances.
- Comment détermine-t-on le niveau des salaires ? Ont-ils
été gelés ? Êtes-vous payés en
espèces ?
- Le système d’avant la révolution est maintenu
; la différence de salaire se fait en fonction de la catégorie
de travail [16] ; toutefois, tous les salaires augmentent.
Nous sommes rémunérés en argent, quasiment
jamais avec des produits d’échange.
- Quelles sont les transformations au niveau de la sécurité
sociale ? Des organismes de secours ont-ils été créés
?
- Non, aucun organisme nouveau n’est créé mais
les services hospitaliers de la ville étaient dans un bon
état général.
En revanche, il y a eu un effort considérable pour lutter
contre les accidents de travail, qui a donné des résultats
très positifs.
En cas d’arrêt maladie, le salaire est payé intégralement
L’avortement devient légal, dès lors qu’il
est pratiqué de façon médicale [17].
- Dans certaines usines, il y a eu des comités de contrôle.
En quoi consistent-ils et en quoi se différencient- ils des
conseils d’entreprise ?
- Dans les entreprises où les patrons demeurent en poste
après le 19 juillet 1936 (très peu), et pour ceux
qui ne sont pas accusés de connivence avec le fascisme, les
comités de contrôle - uniquement pour les entreprises
employant moins de 100 ouvriers - sont mis en place.
Leur fonctionnement n’est pas en soi très différent
de celui qui existe avec l’ancien régime patronal.
Le patron continue d’être le responsable au niveau de
l’administration et de la direction de l’entreprise
mais la nouvelle formule donne le droit au comité de contrôler
les différentes opérations décidées
pour le fonctionnement de celle-ci et de s’opposer à
ce qu’il considère comme anormal, préjudiciable
ou inopportun.
En cas de conflit entre le patron et le comité de contrôle,
il est résolu par le comité de liaison CNT-UGT ou
par le conseil économique municipal.
Par ailleurs, ces entreprises au même titre que celles qui
ont été collectivisées, bénéficient
de l’approvisionnement en matières premières
».
Rechercher les matières premières.
« - Je crois qu’en tant que membre du comité
industriel du conseil municipal d’économie, vous vous
êtes occupé d’une importante gestion, la recherche
des matières premières pour les collectivisations.
Pourriez-vous nous l’expliquer ?
Le conseil municipal « s’attribue » des fonctions
qu’il n’a pas avant la révolution.
Sa gestion s’étend à toutes les activités
de la ville.
Parmi elles, l’industrie et l’économie, notamment
la section appelée « Comité d’industrie
».
Un compagnon de la CNT en devient responsable.
En raison de la syndicalisation décrétée pour
tout le monde obligatoire [18], à la CNT comme à l’UGT,
des comités de liaison, qui furent ensuite intégrés
au conseil municipal d’économie, ont été
constitués.
Les usines fonctionnant déjà, le comité d’industrie
décide que le plus important est de faire l’inventaire
des réserves des matières premières (laine
d’origine, coton, soie, etc.
) utiles pour la fabrication textile, ainsi que des matières
premières complémentaires.
Une circulaire est envoyée à toutes les entreprises,
les informant que les réserves de matières premières
pour la fabrication seront utilisées en priorité pour
les besoins de la guerre.
En complément de cette circulaire, des visites ont lieu dans
les entreprises susceptibles de posséder des stocks importants.
Des contrôles permettent de vérifier que les résultats
obtenus pour la production sont positifs.
Il est alors nécessaire de rendre possible l’approvisionnement
pour favoriser une production régulière, la meilleure
possible vu dans les circonstances imposées par la guerre.
Le problème cesse d’être d’ordre local
; s’y ajoutent de nouveaux facteurs de première importance.
Comme pour les laines régénérées, le
risque d’une pénurie des laines d’origine est
possible.
Ne pouvant prévoir ce à quoi il doit s’attendre,
le conseil municipal d’économie organise un voyage
en Estrémadure - lieu de production lainière où
s’approvisionnent les anciens patrons - avec pour objectif
de constater l’état dans lequel se trouvent les sources
d’approvisionnement.
Sur place, dans l’hypothèse où le fascisme n’occuperait
pas cette région, nous passons des accords d’échange
pour que l’approvisionnement de nos collectivités se
poursuive.
En rentrant pour Terrassa, nous faisons un détour par l’Andalousie
jusqu’au village de Lopera (Jaén), producteur d’huile
d’olive.
Nous nous occupons de faire ravitailler notre ville et nous négocions
également l’acquisition d’huiles impropres à
la consommation mais très utiles pour l’industrie.
»
Administration autonome
« - En général, quelles sont les difficultés
ou les manques que rencontrent les collectivisations ?
- L’industrie textile que nous avons collectivisée
au début du mois d’août 1936, lorsque nous avons
réintégré nos postes de travail, est formée
d’entreprises qui sont restées indépendantes
et chacune a conservé son unité propre, établie
par la raison sociale de l’ancien régime patronal.
On peut dire que seule la direction des entreprises a changé.
Avant la révolution, les patrons en ont la responsabilité
et prennent les décisions ; après, ces rôles
reviennent aux conseils d’entreprise avec l’aide des
travailleurs.
Pour ce qui est de l’organisation interne de l’administration,
chaque entreprise prend ses propres décisions.
Il faut bien admettre que, de manière générale,
l’administration des collectivités est réussie,
même s’il est vrai qu’elles tendent à se
fermer sur elles-mêmes.
En raison de cette vision assez bornée, qui circonscrit
les conquêtes sociales de la révolution dans les limites
réduites de chaque entité productive, il existe dans
la même branche des collectivités plus riches que d’autres
[19].
L’héritage que chacune d’entre elles reçoit
de l’ancien régime patronal les classe par catégories.
Est-ce que la dualité syndicale dans son concept social divergent
est à l’origine de cette situation ? Cela est possible.
De plus, le décret sur les collectivités de la Généralité
de Catalogne n’a rien réglé.
Il a seulement légalisé les collectivités telles
qu’elles étaient à ce moment-là, et les
a emprisonnées dans les filets de la loi.
[20]
Cette situation ne pouvait satisfaire les militants de la CNT,
lesquels considèrent les collectivités comme le premier
pas vers une véritable socialisation qui doit apporter l’égalité
économique pour tous.
Les réunions des militants et les assemblées générales
de la fédération locale des syndicats de l’industrie
prennent de l’ampleur, ce qui contribue à améliorer
le fonctionnement des collectivités.
Toutefois, nous devons considérer le fait que nous n’étions
pas seuls.
L’UGT, très peu développée au début
du mouvement, a relativement grossi lorsque l’obligation de
se syndiquer a été décidée.
À ce moment-là, tous les « conservateurs »
se sont affiliés à ce syndicat.
Tant que les syndicats de l’UGT de Terrassa sont sous la
direction d’éléments du POUM, une entente plus
ou moins harmonieuse, avec la CNT est possible.
Mais à la veille des faits du mois de mai 1937 [21], les
dirigeants du PSUC [22], parmi lesquels on compte d’anciens
« trentistes » [23], s’approprient des postes
à responsabilités qui rendent les relations avec la
CNT de plus en plus difficiles [24].
Cela n’empêche pas la CNT de proposer à l’UGT
un plan de socialisation de toute l’industrie manufacturière
et textile de Terrassa.
Un compagnon et moi-même, en tant que membres de la Commission
statistique et d’orientations économiques, rédigeons
ce plan.
Celui-ci est présenté et discuté lors de nos
différentes réunions.
Son aspect fondamental est l’abolition de la propriété
privée de toutes les entreprises, grandes et petites, riches
ou pauvres.
Toutes les entreprises doivent disparaître au profit d’une
nouvelle qui serait régie par une seule administration générale
en contact avec le conseil économique si toutefois ce dernier
continuait d’exister.
Après quelques modifications [25], ce plan est approuvé
et soumis à l’UGT.
Ses membres se limitent à dire que le plan est à l’étude
sans jamais se prononcer.
Pendant ce temps, la situation de certaines collectivités
continuent de s’aggraver.
Pourtant, et malgré nos incitations à faire d’autres
propositions, l’UGT laisse la question en suspens.
Il semble évident qu’elle suit les consignes du PSUC
qui, opposé à toute socialisation, n’aurait
sans doute pas hésité à dissoudre les collectivités
s’il en avait eu la possibilité.
Sur ce sujet, la CNT va payer une erreur dont elle est la première
responsable.
»
Redistribuer les bénéfices
« - À quelle erreur faites- vous allusion ?
- Le 14 octobre 1936, le conseil municipal est formé avec
les tendances politiques et les syndicats de la ville.
On y concentre tout ce qui fait référence aux activités
générales de la ville, notamment l’industrie
et l’économie.
C’est une conception qui nous semble aller vers la mise en
place d’une commune libertaire.
La CNT contrôle neuf conseils et dirige celui de l’économie.
De façon incompréhensible, et là est son erreur,
elle abandonne le conseil économique de Terrassa, aussitôt
occupé par l’UGT jusqu’à la fin du mois
de mai 1938.
Le conseil économique contrôlé par l’UGT
devient une énorme entreprise appliquée en premier
lieu à faire des bénéfices sur les matières
premières destinées à la production pour la
guerre.
Ces matières, cédées par le gouvernement à
des prix déterminés ou négociés par
le conseil municipal économique de sa propre initiative,
transformées par l’industrie textile pour les nécessités
de l’arrière, sont facturées à des prix
qui laissent une marge exagérée de bénéfice.
Le conseil municipal économique s’en octroie une partie,
oubliant que ces bénéfices reviennent aux industries
et aux collectivités.
Le bilan est positif avec des millions de pesetas de bénéfice.
Pourtant, certaines entreprises sont obligées d’avoir
recours à une aide auprès de la Généralité
de Catalogne, démarche qui favorise les intérêts
politiques de cette dernière.
En effet, cette aide implique, lorsqu’elle est accordée,
la présence d’un intervenant de l’entreprise,
ce qui, à terme, entraîne l’arrêt de la
collectivité.
La CNT dut faire des concessions jusqu’à ce que les
choses changent au mois de mai 1938.
- Donc, que se passe-t-il avec les collectivités à
partir du mois de mai 1938 ?
- L’instabilité constante du panorama politique, due
à la guerre et à la politique menée par le
PSUC avec la Généralité de Catalogne, provoque
la réduction des pouvoirs économiques que la révolution
a mises en place sous la supervision du conseil municipal.
À leur place, le conseil économique de Terrassa est
créé par décret de la Généralité
de Catalogne le 10 mai 1938, comme étant sa propre délégation.
Un président de l’UGT est nommé et afin de maintenir
un certain équilibre, elle désigne comme vice-président
un membre de la CNT.
Paradoxalement, ce dernier, moi-même, se charge de tout ce
qui concerne la fabrication pour l’industrie de guerre en
relation directe avec les collectivités.
Pour la nouvelle étape, la CNT décide :
- Avec les bénéfices obtenus lors du dernier bilan
financier, le nouveau conseil économique de Terrassa aide
immédiatement les entreprises collectivisées ayant
des difficultés financières et leur donne les moyens
de continuer leurs activités.
À partir de ce moment-là, toutes les entreprises collectivisées
doivent recourir à la Généralité de
Catalogne à travers ce conseil économique.
- Étant donné que le système d’alimentation
en eau de la ville est insuffisant, un million de pesetas est prélevé
sur les bénéfices et transféré au conseil
municipal afin de poursuivre la réalisation du projet de
captation et d’amélioration de la distribution de l’eau,
décidé avant le 19 juillet 1936.
- À compter de ce jour, le conseil économique de
Terrassa ne fait plus de bénéfices.
Les excédents de capital à la fermeture des exercices
administratifs servent aux collectivités et aux travaux urbains
d’utilité publique.
Ce plan, pour l’essentiel, est mené à son terme.
La municipalité peut disposer de son million de pesetas.
Elle aide certaines petites collectivités équipées
de vieilles machines à redémarrer.
Ces dernières avaient été abandonnées
par l’ancien conseil économique en raison d’un
rendement jugé insuffisant.
Pour nous cela ne comptait pas.
L’important était que tous les travailleurs aient des
moyens d’existence décents.
Grâce à ces mesures, le fonctionnement de certaines
choses change et notamment celui de l’activité industrielle
qui redémarre en quelques semaines.
»
Pour la socialisation
« - Si la socialisation doit supprimer le chaos d’inégalités
injustes, tout ne s’est pas toujours déroulé
comme nous l’aurions souhaité.
Nous sommes confrontés, par exemple, au déficit de
l’approvisionnement en courant électrique, nos conditions
de travail sont très pénibles ; notre alimentation
insuffisante, tant en qualité qu’en quantité.
Pourtant, malgré tous ces problèmes, les collectivités
tournent relativement bien.
Si la vraie tragédie se déroule réellement
sur le front, nous devons aussi nous préoccuper de la socialisation.
Toutes les entreprises collectivisées, dans les conseils
desquelles la CNT est majoritaire, sont favorables à la socialisation,
en accord avec le plan établi par notre organisation.
Parmi elles, se trouvent les deux entreprises les plus importantes
de Terrassa.
Ce courant s’est confirmé lors d’une assemblée
générale de conseils d’entreprise tenue à
la mi-septembre 1938 au Théâtre du peuple (ex-Théâtre
principal).
Nous avons continué de travailler dans ce sens, mais malheureusement
le plan de socialisation n’a pu s’appliquer sur le terrain
Quatre mois plus tard, le 26 janvier 1939, les hordes fascistes
entraient à Terrassa.
»
EN CONCLUSION : Après la guerre, les franquistes blâmèrent
les collectivisations et les présentèrent comme de
véritables absurdités.
Mais la réalité vient contredire cette analyse.
Dès le début de l’occupation franquiste, la
production peut reprendre immédiatement et certains magasins
sont mieux approvisionnés qu’en juillet 1936.
Bien qu’il manque encore aujourd’hui une analyse détaillée
des données économiques nous permettant de quantifier
et de faire une évaluation précise des collectivisations,
certains témoignages viennent valider le fait que la production
a pu continuer dans pratiquement toutes les industries et cela en
temps de guerre.
Biographie militante [26]
Frederic Marín Abad est né à Enguera (province
de Valence, Espagne) le 24 décembre 1902.
À quinze ans, en 1917, il adhère à la CNT-AIT.
Entre cette date et juillet 1936, il participe activement aux conflits
sociaux qui ont lieu à Terrassa.
À partir du 15 août 1918 et pendant quatorze semaines,
il apporte son soutien à la grève des industries textiles,
en vue d’obtenir la semaine de cinquante-quatre heures.
La grève rencontre l’opposition du patronat, qui a
recours à des briseurs de grèves et aux autorités.
Les syndicats sont fermés et les membres du comité
syndical incarcérés.
Pour en finir avec ce conflit, les patrons sont contraints d’accepter
les revendications.
En octobre 1918, toujours tisserand à l’usine de «
Paco Roig », Frederic Marín se met en grève
avec d’autres compagnons en raison du refus par les patrons
de leurs revendications, que ces derniers considèrent comme
une provocation.
A la même époque, son ami et compagnon de la CNT, Serafin
Sala, est assassiné [27].
Cette grève précède la grève générale
des mois de mars-avril 1919.
Entre 1919 et 1923, une lutte sans merci s’engage entre les
syndicats et les patrons, qui embauchent des pistoleros (tueurs
à gages) pour se débarrasser des responsables syndicaux.
Pendant cette période, accusé à tort de porter
une arme sur lui à l’intérieur de l’usine,
Frederic Marín s’exile pendant plus d’un an,
tout d’abord à Barcelone puis à Sabadell (province
de Barcelone).
Son père, Federico Marín Vincent [28], refusant de
livrer quelques informations sur son fils, est incarcéré
pendant deux mois à la prison de Terrassa.
Sa contribution à la FAI fut tout aussi courageuse et conséquente.
À partir de 1927, il appartient à des groupes de l’organisation
spécifique, ceux qui après la création de la
FAI en 1927, formèrent la fédération locale
des groupes de Terrassa.
S’ensuivent les événements de 1933 : le Bienio
Negro (les deux années noires) avec la droite qui prend le
pouvoir ; des mouvements de mécontentement dans toute l’Espagne
et à Terrassa, l’occupation de la mairie par des ouvriers
appartenant à la CNT-FAI, notamment pour riposter contre
les mauvais traitements infligés aux mineurs en grève
de Figols (bassin minier de Berga).
À cette époque, Frederic Marín a deux garçons
en bas âge, sa famille l’occupe beaucoup et bien qu’appartenant
toujours à la CNT-FAI, ils participent moins activement aux
activités militantes.
Dès les premiers jours de la révolution, après
le 19 juillet 1936, totalement engagé dans la lutte révolutionnaires,
il part à Alicante (sans ordre de mission de la CNT), pour
faire partie de la colonne qui doit se rendre sur le front d’Andalousie
où opère déjà celle du cénétiste
andalou Maroto.
Finalement, leur tentative pour monter au front est un échec,
et après un mois de bombardements par les phalangistes, ils
sont contraints de retourner à Terrassa.
En août 1936, Frederic Marín est nommé par
la fédération locale de la CNT de Terrassa responsable
de la Commission statistique et d’orientations économiques.
En juin 1937, il devient adjoint au maire des transports et des
travaux publics de l’administration locale.
En mars 1938, il est nommé, en tant que délégué
de la CNT, vice-président du conseil économique de
Terrassa.
En octobre 1938, il rejoint la 119e brigade mixte, premier bataillon,
première compagnie de la 26e division, dont il devient peu
après « commissaire politique ».
Sur le terrain, entre deux offensives ennemies, il anime quelques
conférences [29].
Le 13 février 1939, il passe la frontière française
à Puigcerda pour un exil qui va durer cinquante cinq ans.
Parqué dans les camps de rétention de Septfons et
Vernet d’Ariège, il connaît comme ses camarades
souffrances et humiliations.
Vers la fin de l’année 1941, sous le gouvernement
de Pétain, la répression s’accroît.
[30] Arrêté à deux reprises, Frederic Marin,
parvient à s’évader.
Commence pour lui une vie de « survie » dans la clandestinité.
A partir de 1945, il reprend légalement ses activités.
Avec quelques compagnons, il est à l’origine de la
création de la Commission de relations et de solidarité
des cénétistes de Terrassa dans l’exil.
Durant les quarante ans d’existence et d’activités
de la Commission, il en fut un membre actif.
En 1948, il devient secrétaire de la fédération
locale de la CNT de Houilles (département des Yvelines) durant
plus de trente ans et secrétaire du comité régional
de la zone Nord (de la CNT en exil), jusqu’au début
des années 1960.
Membre depuis 1966 de la Commission internationale des relations
(CIR), il participe à la Commission préparatoire du
congrès des fédérations anarchistes (CRIFA)
qui se tient à Carrare (Italie) en 1968.
Il retourne pour la première fois en Espagne en 1976, après
la mort de Franco.
Lorsque, dans les années 1960, celui-ci disait : «
les anarchistes peuvent revenir, j’ai pardonné ».
Frederic Marin rétorquait : « Moi, je n’ai pas
pardonné ».
Seul son âge avancé lui fait arrêter ses activités
militantes au sein de la CNT.
Analysant les erreurs du passé, Frederic Marín, durant
toutes ses années de militantisme à la CNT, n’a
de cesse de condamner la participation de la CNT au gouvernement
républicain.
Cette erreur est pour lui fondamentale et ne doit plus, à
l’avenir, se reproduire.
Il décède à quatre-vingt-onze ans, le 21 janvier
1994, à Sartrouville (Yvelines).
Valérie Minerve Marin
[1] CNT : Confédération nationale du travail créé
en 1911 en Espagne et affiliée depuis toujours à l’AIT
contrairement à la CNT dites des Vignoles qui en a été
exclue en 1993.
Nous parlons donc bien tout au long de ce texte de la CNT-AIT.
[2] FAI : Fédération anarchiste ibérique.
Entre 1923 et 1930, sous la dictature de Primo de Rivera, la CNT
entre dans la clandestinité.
Parallèlement, se crée la FAI (en juillet 1927 à
Valence), dont l’objectif, en tant que société
secrète révolutionnaire, est d’unifier les activités
anarchistes et syndicales en Espagne et au Portugal et de contribuer
à la lutte contre la dictature.
À partir de 1931, elle devient le lieu où se rassemblent
les cénétistes qui s’opposent au caractère
de plus en plus révisionniste de la Confédération.
Minoritaire dans la CNT jusqu’en 1931, son influence au sein
de celle-ci va devenir majoritaire, et en 1932 les tendances syndicalistes
représentées par Pestaña et Peiró (Manifeste
des trente) sont exclues de la CNT.
De plus, il est important de souligner que si, au début,
les faïstes apparaissent comme moins « économistes
» que les syndicalistes, cela ne dure pas. Par ailleurs, ils
ont intériorisé une morale et une éthique très
forte. Source : Courant alternatif, sup. février 1996, p.
6, et la CGT-SR et la Révolution espagnole.
De l’espoir à la désillusion, Jérémie
Berthuin, Editions CNT-RP, novembre 2000.
[3] ERC : Esquerra Republicana de Catalunya (Gauche républicaine
de Catalogne)
[4] POUM : Parti ouvrier d’unification marxiste.
[5] Source : Jérémie Berthuin, la CGT-SR et la Révolution
espagnole.
De l’espoir à la désillusion, op. cit.
[6] « A les masses populars en general » in Terme :
Centre d’Estudis Històrics.
Arxiu Històric Comarcal. « La Guerra Civil a Terrassa
». Monogràfic. Terrassa, novembre 1986.
[7] George Orwell, en 1938, expose de manière assez juste
ce que souhaitait la CNT-FAI sur ce point : « [.
.
.
] 3) hostilité sans compromis à l’égard
de la bourgeoisie et de l’Eglise [. . . ].
Les anarchistes étaient à l’opposé de
la majeure partie des soi-disant révolutionnaires : si leur
politique était assez vague, leur haine du privilège
et de l’injustice était d’une intransigeante
sincérité. » Source : Courant alternatif, «
Il y a 60 ans.. . Espagne 1936 : Guerre ou révolution ? »
op. cit., p. 26.
[8] UGT : Union générale des travailleurs (syndicat
socialiste dominé à cette époque par les communistes).
[9] L’Acció.
12 agost 1936, Espartacus Puig : « Dignifiquem la revolució
» in Terme : Centre d’Estudis Històrics. Arxiu
Històric comarcal. « La guerra civil a Terrassa ».
Monogràfic. Terrassa, novembre 1986, p. 21.
[10] Biographie militante en fin d’interview.
[11] Al Vent.« Conversa amb el cenetista Frederic Marín.Les
col.lectivitzacions i la socialització d’empreses :
Guerra i Revolució 1936-1939 ».Terrassa, n° 90,
1986 (propos recueillis par Jordi F.Fernández).
[12] La socialisation consistant à regrouper toutes les
entreprises d’une même branche.
[13] À l’intérieur du mouvement révolutionnaire
CNT-FAI, le mot compañero (« compagnon ») était
usité à la place de camarada d’origine marxiste
et surtout utilisé par les phalangistes.
[14] Le nouveau système de production modifiait le titre
des entreprises mais ne réorganisait pas la production.
Chaque entreprise collectivisée continuait à travailler
pour son propre compte.
[15] À l’époque, le travail hebdomadaire s‘élève
à plus de cinquante quatre heures par semaines.
En France, le passage au 35 heures ne date que de l’année
2000 et le travail de nuit n’est pas encore aboli.
De plus, la législation autorise certaines entreprises à
ouvrir le dimanche.
[16] Il ne s’agit pas d’appliquer une hiérarchie
des salaires.
Il est nécessaire de modifier le système progressivement,
d’autant plus que la CNT doit composer avec l’UGT, ce
qui rend très difficile le passage à l’autogestion.
[17] L’avortement n’existait qu’en Catalogne,
encore que la ministre de la Santé de novembre 1936 à
mai 1937 ait appartenu à la CNT.
[18] Cette obligation imposée par le gouvernement bourgeois
catalan s’explique par le fait que, pour ce gouvernement,
les syndicats doivent pouvoir parler au nom de tous les travailleurs.
[19] L’évolution de la guerre génère
une nouvelle demande, l’article militaire, et pour le cas
de Terrassa, surtout des couvertures.
Ainsi, les problèmes de production viennent des difficultés
de s’approvisionner en assortiment de laine en provenance
de l’Estrémadure et du sud de l’Aragon.
Dans cette perspective, le rôle du comité d’industries
est très important : il devient l’intermédiaire
naturel entre les commandes d’articles militaires de l’administration
et la production industrielle.
Aussi parce qu’il permet l’obtention des matières
premières, ce comité d’industries intégre
ensuite le conseil économique.
[20] Certaines collectivités connaissaient également
des problèmes de ravitaillement en matières premières.
[21] L’ERC, le PSUC (Parti socialiste unifié de Catalogne,
créé en juillet 1936, dirigé par les communistes
et affilié à la IIIe Internationale) et l’UGT
se posent en défenseur de la petite-bourgeoisie et demandent
un décret sur les collectivisations et les normes élaborées
par la Généralité de Catalogne.
[22] Le PSUC, qui n’a pratiquement pas de militants à
Terrassa en juillet 36 (ni d’ailleurs dans le reste de la
Catalogne), devient l’arbitre de l’évolution
politique, notamment en introduisant par le biais de l’UGT
et au détriment du POUM, ses hommes de confiance dans le
conseil municipal.
Au sein de l’UGT, des conflits se produisirent entre le POUM
et le PSUC.
Ces derniers prennent prétexte de l’assassinat d’un
de leurs militants pour intensifier une campagne contre le POUM.
Une véritable « chasse aux sorcières »
s’ensuit, expulsant tous les hommes du POUM.
Pour se protéger, de nombreux militants intégrent
le front militaire.
D’autres sont protégés par la CNT, qui retrouv
une certaine initiative politique à partir de 1938 quand
elle reprend la mairie.
[23] « Trentistes » : anciens membres de la CNT, scissionnistes
emmenés par Pestaña, favorables à un accord
avec les partis de gauche.
[24] Le PSUC qui défend alors la petite bourgeoisie, fait
parallèlement campagne en faveur des municipalisations se
démarquant ainsi de la campagne de socialisation portée
par la CNT et le POUM.
Après mai 1937, la situation de la mairie est chaotique,
la CNT perd du pouvoir et l’ERC municipalise certains services
(eaux, autobus, pompes funèbres) qui jusque-là étaient
collectivisés et contrôlés par la CNT.
La CNT s’oppose fermement à tout ce processus qui témoigne
d’un recul dans sa perspective des transformations économiques
et qui non seulement éloigne la socialisation mais aussi
de la propre collectivisation de la production.
Le PSUC sait que la force décisive est la CNT qui compte,
pour l’année 1936, 11 000 adhérents, alors que
l’UGT n’en compte que 3 000.
Tenir tête à la CNT est le véritable objectif
du PSUC et pour cela il a besoin de dominer l’UGT.
Afin de freiner la CNT, le PSUC s’allie avec l’ERC et
si, finalement, les cénétistes récupérèrent
la mairie, le PSUC sait qu’il a une influence au moins similaire
à celles des anarchosyndicalistes.
Qui plus est, dès 1937, le PSUC, farouche partisan de l’institutionnalisation
de l’ordre public, a redonné un certain pouvoir à
la police qui dispose de nouveau du droit d’intervention.
[25] La double volonté de moderniser et rationaliser l’industrie
s’affirme : rénovation de l’outillage des machines,
élimination de la concurrence commerciale, etc. Il s’agit
de dépasser une économie coordonnée pour arriver
à une économie planifiée.
[26] Sources : Francisco Pérez, CNT-Espagnole, et Frederic
Marín, Récit familial, 1984.
[27] Sources : Francisco Sabat, Los anarcosindicalistas tarrasenses
en el exilio, 1979, p. 20., et Frederic Marin, Récit familial,
op. cit.
[28] Ce dernier est président du groupe culturel anarchiste
la Colmena (la Ruche) à Cullera (province de Valence) dans
les années 1900-1911.
Dans son village, il fonde une petite École moderne, dans
laquelle il met en œuvre les méthodes de Francisco Ferrer.
N’étant pas rémunéré, il doit
fermer l’école et reprendre son travail de nuit à
la boulangerie dans laquelle il effectue un travail de petite comptabilité
et aide le boulanger à faire le pain.
En 1911, durant la grève générale contre la
guerre au Maroc, il est arrêté et passe six mois en
détention à la prison modèle de Valence.
[29] Nous n’avons trouvé aucune information concernant
ces conférences.
Sans doute portent-elles sur l’avenir d’une société
plus juste et le plus libre possible avec le communisme libertaire,
et servent-elles aussi à remonter le moral des militants
sur le front.
[30] La Gestapo et Pétain se font forts de remettre à
Franco les libertaires de 1936.
C’est ainsi que Juan Peiró, qui réintègre
la CNT en 1936 après avoir été « trentiste
», est fusillé à Valence en 1942.
Source : Courant alternatif, op. cit., p. 5.
Mis en ligne par libertad, le Mardi 13 Septembre 2005, 22:39 dans
la rubrique "Pour comprendre".
La CNT : une conception anarchiste du syndicalisme
origine : http://endehors.org/news/4905.shtml
Lu sur Indymédia Paris : "Naissance d'un courant anarcho-syndicaliste
en France : Pour comprendre la conception du syndicalisme de la
CNT et ce qui la distingue des autres organisations syndicales,
il est nécessaire de revenir sur la Charte d'Amiens.
Dans cette charte on peut lire l'extrait suivant : "le Congrès
affirme l'entière liberté pour le syndiqué,
de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles
formes de lutte correspondant à sa conception philosophique
ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité,
de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu'il professe
au dehors".
Ce principe de simple neutralité à l'égard
du politique qui est en réalité une sorte de consensus
entre les différents courants de la CGT de 1905 s'est rapidement
montré inopérant.
Si l'on prête souvent un rôle influent aux anarchistes
dans la rédaction de la charte d'Amiens celle-ci n'exprimait
que partiellement leur point de vue, notamment au sujet de l'anti-étatisme,
thème absent de la Charte.
Ce manque conduisit après la guerre 14-18, puis après
le congrès de Saint-Etienne, de nombreux militants à
reformuler les conceptions syndicalistes révolutionnaires
dans une optique explicitement anarcho-syndicaliste (se démarquant
par là même du syndicalisme révolutionnaire
de Monatte).
Au congrès fondateur de la CGTU de Saint-Etienne en 1922,
l'on assiste à l'opposition de deux motions, celle de Pierre
Besnard et celle de Gaston Monmousseau.
L'opposition de ces deux motions reposait sur un point idéologique,
à savoir la place du parti politique, en l'occurrence ici
celle du PCF, dans la révolution.
La motion de Besnard dépassait le principe de neutralité
du syndicalisme à l'égard des partis politiques dans
la mesure où elle s'opposait aux partis en leur ôtant
tout rôle révolutionnaire.
A l'inverse, celle de Monmousseau reconnaissait au parti un rôle
dans la révolution aux côtés du syndicat.
Derrière ces deux motions, se cachaient en réalité
deux conceptions du syndicalisme : l'une pour laquelle l'indépendance
du syndicalisme à l'égard des partis ne peut être
efficace que si elle se traduit par une opposition à ceux-ci,
et l'autre pour qui le syndicalisme doit être l'instrument
du parti.
La motion de Besnard ne fut pas votée d'une part à
cause de l'affaire peu glorieuse du « pacte secret »
qui fut ressortie lors du congrès et d'autre part par le
ralliement des syndicalistes révolutionnaires menés
par Pierre Monatte à la motion de Monmousseau et qui allaient
livrer ainsi la nouvelle CGTU au PCF.
La motion de Besnard à ce congrès marque d'une certaine
manière la naissance de l'anarcho-syndicalisme en France.
Elle traduit en effet le souci de dépasser les faiblesses
de la charte d'Amiens qui, par neutralité, n'avait pas su
préserver le principe d'indépendance du syndicalisme.
Pour Besnard, seule l'opposition du syndicalisme aux partis politiques
était garante de cette indépendance.
Ne pouvant rester à la CGTU et retourner à la CGT,
ceux que l'on peut désormais appeler anarcho-syndicalistes
créent souvent des syndicats autonomes, notamment dans la
région lyonnaise.
Il faut attendre 1926 pour qu'ils se regroupent au sein de la CGT-SR.
Faute de n'avoir pu faire valoir leurs idées au sein des
autres centrales, il leur est paru nécessaire d'avoir leur
propre organisation.
La Charte de la CGT-SR, dite charte de Lyon, marque une nouvelle
étape dans formation du courant anarcho-syndicaliste en France.
Outre les thèmes de syndicalisation des moyens de production,
le rôle révolutionnaire du syndicalisme, la charte
de Lyon se démarque de celle d'Amiens par une opposition
claire aux partis et par un anti-étatisme clairement affiché.
Elle traduit le souci de concilier les principes anarchistes avec
le syndicalisme, autrement dit elle définit la centrale comme
une organisation syndicale anarchiste.
L'anarcho-syndicalisme consiste désormais à associer
une pratique syndicaliste à l'anarchisme.
Si à sa création en 1946, la CNT reprend le même
modèle d'organisation, son identité anarchiste ne
va pas cependant nécessairement de soi.
Elle a en effet été maintes fois discutée et
remise en cause.
Cette identité s'est manifestée de différentes
manières, mais a également évolué de
manière à être parfois totalement occultée.
Le mythe de l'unité syndicaliste : L'association de l'anarchisme
au syndicalisme de la CNT eut pour première traduction le
refus de l'unité syndicaliste.
Pour de nombreux syndicalistes, la division syndicale se traduit
par un affaiblissement du mouvement syndical et par conséquent
du mouvement ouvrier.
Et c'est pour éviter cet affaiblissement que l'unité
syndicale doit être préservée.
A la Libération, l'on pourrait penser que les anarcho-syndicalistes,
essentiellement des anciens de la CGT-SR manifestaient un intérêt
pour cette unité en adhérent à la CGT.
En réalité, il n'en est rien.
S'ils s'organisent de mars 1945 à mai 1946 au sein de la
Fédération syndicaliste de France (tendance anarcho-syndicaliste
de la CGT) et au sein des Comités de défense syndicaliste,
c'est très probablement pour mieux préparer la création
de la CNT, qui n'est autre qu'une CGT-SR bis.
Briser l'unité syndicale n'était donc pas un problème
dans la mesure où pour la CNT, elle ne correspond à
rien.
Partant du constat que "toute conjugaison des forces ouvrières
groupées dans les différentes confédérations
syndicales pour une lutte révolutionnaire apparaît
inutile et vaine en raison de l'opposition fondamentale des buts
que se sont assignés les divers fractions du syndicalisme",
la CNT, dans la Charte de Paris, conclut qu'elle "ne peut unir
ses efforts à ceux des autres confédérations
syndicales que sur le terrain de l'action quotidienne", autrement
dit, toute unité organique est exclue de par le fait que
la finalité communiste libertaire de la CNT s'oppose à
la politique réformiste de la CGT.
Ce refus de l'unité syndicale se distingue très nettement
des positions de nombreux anarchistes pour qui il faut aller là
où sont les masses, donc dans les grandes confédérations.
Ces derniers pensent qu'il est en effet possible d'y développer
une dynamique révolutionnaire, effort jugé vain par
la CNT.
Ce refus de l'unité organique avec des organisations jugées
réformistes conduit ainsi les anarcho-syndicalistes à
s'organiser dans une centrale se réclamant de l'anarcho-syndicalisme
et dont la finalité clairement affirmée est le communisme
libertaire ou "libre" tel que c'est écrit dans
la charte de Paris.
Cette nécessité de s'organiser dans ce type de centrale
est propre à toutes les sections de l'AIT fondée à
Berlin en 1922.
Deux ans après sa création, la position de la CNT
par rapport à l'unité se manifeste clairement au sein
du Cartel d'Action d'Unité Syndicaliste (CAUS).
Ce cartel a été créé suite à
l'appel du comité national de coordination des syndicats
autonomes à une conférence nationale sur le thème
du regroupement syndical, les 20 et 21 novembre 1948.
La C.N.T. était représentée par Edouard Rotot
du syndicat des métaux et Maurice Joyeux.
Etaient également présents à cette conférence
la minorité F.O.
représentée par Le Bourre, la tendance trotskiste
de l'Unité Syndicale avec Pierre Lambert et l'Ecole Emancipée,
tendance de la F.E.N.
A l'issue de cette conférence, plusieurs comités
locaux se mettent en place auxquels la C.N.T. participe souvent.
Cependant, le Cartel d'Unité d'Action Syndicaliste n'avait
pas beaucoup de finalité, étant donné que l'unité
organique était exclue.
La CNT n'y participa en réalité que dans l'espoir
de faire venir à elle les autonomes relativement proches
de ses positions telle que la Fédération syndicaliste
des PTT.
Le retrait de la CNT de ce cartel s'explique par l'impossibilité
pour elle de s'unir avec des groupes qu'elle jugeait "naïve"
, "inculte aux idées progressistes", propos qui
signifient surtout que ces groupes n'étant pas en accord
avec les bases de la CNT, toute unité était exclue.
Ce refus de l'unité avec les composantes du cartel n'est
que la conséquence d'une logique interne à la CNT
que l'on pourrait résumer ainsi : ils ne sont pas communistes
libertaires, nos intérêts sont donc opposés.
La place de l'idéologie libertaire définit en effet
les relations de la CNT avec les autres organisations syndicales,
mais aussi ses pratiques syndicales, notamment celles liées
aux élections professionnelles.
L'opposition à la « collaboration de classe »
: La CNT a en effet toujours adopté une position hostile
aux élections des comités d'entreprises et des délégués
du personnel, organisme qu'elle qualifie d'"organisme de collaboration
de classe".
Ce n'est pas tant par anti-électoralisme qu'elle ne participe
pas à ces élections, mais plus par un refus de l'intégration
du syndicalisme aux rouages de négociation.
Selon la CNT, on ne peut se revendiquer de la lutte des classes
et s'asseoir à la même table des patrons ou des représentants
de l'Etat.
Dans le même registre elle dénonce les négociations
entre syndicat, patronat et l'Etat sur les conventions collectives
nationales, ou bien encore la cogestion de la sécurité
sociale entre représentants du patronat et représentants
syndicaux.
Ainsi, à la fin des années quarante, si ces nouveautés
pour le monde du travail sont présentées par la plupart
des organisations ouvrières comme des acquis sociaux, elles
sont en revanche condamnées par la CNT dans la mesure où
elles visent à freiner la lutte des classes et à casser
les mouvements sociaux qui étaient dans ces années
d'après-guerre nombreux et très conflictuels.
Dans les années quatre-vingt et surtout dans les années
quatre-vingt-dix, la position de la CNT à l'égard
des organisme de cogestion connaît néanmoins une évolution
qui ne se fera pas sans difficulté.
Le débat apparaît au sein de la CNT dans les années
quatre-vingt avec la multiplication des sections syndicales.
Celles-ci sont en effet souvent confrontées à la
répression patronale.
Les différents congrès, à partir de 1987 ont
donc accepté une utilisation des élections des délégués
du personnel lorsque les droits de la section syndicale n'étaient
pas reconnus, tout en condamnant la collaboration de classe que
constituent ces élections.
Les divergences apparaissent lorsqu'une section se présente
aux élections de comité d'entreprise, et que d'autres
sections se présentent pour les avantages que peut accorder
le poste de délégué du personnel ou bien encore
pour se faire connaître des travailleurs.
C'est en partie sur ce problème des élections professionnelles
que la CNT connaît une scission entre 1993.
A l'issue de cette scission, les deux organisations portent l'étiquette
CNT, avec d'un côté la CNT-Vignoles favorable aux élections
et la CNT-AIT qui y est opposée .
Pour la CNT-Vignoles, ces élections peuvent parfois faciliter
l'implantation des sections dans le privé.
Si elle ne recours pas systématiquement à ces élections
dans le privé, celles du public sont en revanche exclues
.
Derrière ce conflit sur ces élections, se dessine
un autre débat, celui du modèle de développement
de l'organisation.
Selon la CNT-Vignoles, il est nécessaire de multiplier les
sections syndicales, même si celles-ci ne correspondent à
aucune réalité militante (par exemple deux adhérents
suffisent à déclarer une section).
Si par le biais de ces sections elle a pu accroître le nombre
de ses adhérents, il lui est reproché par la CNT-AIT
d'abandonner l'idéologie et de ne recruter que des militants
« non-conscients », c'est à dire des militants
qui n'adhèrent pas à la CNTsur les bases de l'anarcho-syndicalisme.
La CNT-AIT, quant à elle, préfère consolider
des groupes de militants « conscients » avec une base
cohérente avec les idées anarcho-syndicalistes.
Cette différence entre les deux CNT repose en réalité
sur la place qu'occupe l'idéologie anarchiste.
De cette référence explicite ou non à l'anarchisme
découle deux conceptions opposées de ce que doit être
la CNT, à savoir un syndicat anarchiste ou un syndicat indépendant
de toute idéologie.
La place de l'idéologie anarchiste : Les militants qui créent
la CNT en 1946 et qui étaient auparavant à la CGT-SR
avaient comme conviction que la finalité du syndicalisme
devait être liée à celle de l'anarchisme.
Une centrale anarcho-syndicaliste pourrait donc se définir
comme une organisation dont la finalité est le communisme
libertaire dont l'instrument pour y parvenir est le syndicalisme.
Malgré ce constat, l'affirmation de l'anarchisme au sein
de la CNT a souvent été niée, remise en cause,
et l'est encore.
A son congrès fondateur de décembre 1946, le débat
autour de la nature de la C.N.T. se manifeste autour de l'article
7 des statuts.
Cet article stipulait au départ que le syndicalisme est
indépendant de tout parti politique, de toute secte philosophique
ou religieuse.
Les militants qui étaient adhérents à la F.A.
refusèrent l'adoption de cet article.
Henri Bouyé, lors du congrès constitutif, affirma
que « si nous acceptons l'article 7 dans sa teneur actuelle,
il est impossible à un camarade de la Fédération
anarchiste d'être responsable de la confédération.
Nous ne pouvons l'admettre.
» Les responsables des provinces étant le plus souvent
adhérent à la F.A.
, ils eurent la majorité et modifièrent cet article
qui devenait : « La confédération est indépendante
de tout parti politique, sectes philosophiques ou religieuses ne
se réclamant pas de la lutte des classes », ce qui
revenait à rompre l'indépendance de la confédération
à l'égard de la F. A., mais surtout à l'égard
de l'idéologie anarchiste.
Cette décision entraîna le départ d'un des
fondateurs de la C.N.T. et ancien de la CGT-SR, Julien Toublet.
Dans une lettre adressée à la C.N.T. datée
du 14 décembre, il écrit : « Ils (les délégués
anarchistes) n'ont pas su résister à la tentation
de faire de la C.N.T. naissante, une C.N.T. anarchiste.
» Selon Toublet, l'article 7 a été rédigé
de telle sorte que les responsables de la F.A. puissent accumuler
leur poste avec un poste responsable de la C.N.T.
Cette décision ne peut que conduire la C.N.T. à l'isolement
étant donné « la tradition syndicale dans ce
pays, toute axée sur la notion de l'indépendance du
syndicalisme ».
Toublet décida alors de créer l'Union Fédéraliste
du Syndicalisme Indépendant.
Dans une seconde lettre, il écrit que « pas un minoritaire
apolitique de la C.G.T.
ne peut accepter le texte que vous avez adopté ».
Ainsi, ce que Toublet affirme, c'est que la C.N.T. ne peut recruter
que des adhérents déjà acquis aux idées
anarcho-syndicalistes .
Mais au congrès de 1950, il est décidé de
modifier l'article 7 tel qu'il avait été présenté
au congrès constitutif de décembre 1946.
A ce congrès, il est aussi question de savoir s'il faut
coller l'étiquette anarcho-syndicaliste à la C.N.T..
Toublet affirme que ce serait le fait d'avoir coller l'étiquette
anarcho-syndicaliste à la C.N.T. qui l'aurait vidé
de ses adhérents.
La tendance syndicaliste révolutionnaire menée par
Toublet et Aimé Capelle était plus modérée
que les anarcho-syndicalistes ou « anarchistes syndicalistes
», puisqu'elle reconnaissait l'utilité de la représentativité
de la C.N.T. dans les différents organismes comme les comités
d'entreprises et délégués du personnel.
Pour ces adhérents catalogués comme "modérés"
ou "réformistes", le syndicat doit être révolutionnaire
dans sa finalité, mais réformiste dans son action
journalière.
Cette tendance du fait de ses positions plus modérées
étaient d'ailleurs proche du groupe syndicaliste révolutionnaire
de la revue Révolution prolétarienne.
C'est ce qui leur vaudra d'ailleurs d'être exclus en 1957,
période pendant laquelle la CNT, du fait de sa marginalisation,
tombe dans un dogmatisme et un sectarisme qui transformera rapidement
l'organisation en coquille vide.
Au congrès de 1954, l'identité anarchiste de la CNT
avait été remise en cause.
Pour les modérés tel que Aimé Capelle, l'influence
anarchiste serait un danger pour la CNT, ce à quoi il leur
ai répondu qu' « il est à remarquer que les
camarades qui se dressent contre l'influence anarchiste sont ceux-là
mêmes qui tendent à orienter notre confédération
vers le réformisme [...] » .
Une fois la tendance modérée exclue, la CNT est alors
entre les mains de quelques dogmatiques dont les déclarations
au congrès de 1960 résument assez bien la pensée
: « la sélection doit être faite pour éviter
l'action néfaste des réformistes et des soi-disant
révolutionnaires », « nous n'atteindrons notre
but que par la lutte des classes et le danger de noyautage et d'absorption
justifie la sélection » .
La CNT n'est plus alors une organisation anarcho-syndicaliste mais
un groupe spécifiquement anarchiste où les adhérents
doivent être « 100% anarchiste ».
La CNT ne se releva de ce dogmatisme qu'après les évènements
de mai 68.
Dans les années soixante-dix, une jeune génération
prend l'organisation en main pour mener un long travail de reconstruction.
Le problème de l'identité anarchiste ne se pose pas
étant donné que les nouveaux militants ont adhéré
sur des bases libertaires.
Dans les années quatre-vingt, ces militants développent
le syndicalisme de la CNT sur des bases anarchistes.
Mais à la fin des années quatre-vingt, début
des années quatre-vingt-dix, l'on assiste à une croissance
des effectifs de la CNT.
Or ces adhérents sont le plus souvent issus des grands syndicats,
notamment de la CFDT, et ne viennent pas à la CNT par rapport
à ses idées libertaires, mais souvent par dépit,
par rejet du syndicalisme traditionnel.
Ces adhésions ne se font donc pas en accord avec les principes
de la CNT.
A partir de 1993, suite à la scission, la place de l'idéologie
va être très différente dans les deux CNT.
La CNT-Vignoles est en effet très représentative
de la génération de militants qui adhérent
au début des années quatre-vingt-dix, dans la mesure
où elle délaisse de plus en plus l'idéologie.
On peut lire à ce sujet, dans la brochure intitulée
La CNT aujourd'hui , cette réponse à la question «
la CNT est-elle anarchiste ? » : « Non, car la CNT est
une organisation syndicale […].
Aucune exigence n'est formulée pour y adhérer […].
Non, parce que les solidarités de classe transcendent les
divisions partisanes […]. » Elle nuance en revanche
ces propos en disant qu'elle est tout de même anarchiste de
par son affiliation historique à l'anarchisme.
Cette négation de l'idéologie anarchiste se concrétise
dans la pratique lors des élections présidentielles
2002.
Avant le premier tour, la CNT-Vignoles n'appelle pas à l'abstention
en dénonçant le système électoral prétextant
qu'une organisation syndicale se doit d'être indépendante
du politique ! Entre les deux tours avec la présence de Le
Pen, la CNT-Vignoles adopte une position floue avec des déclarations
telles que « chacun fera ce qui lui semble bon de faire »
ou bien encore « Le Pen doit être combattu par tous
les moyens possibles ».
Elle laisse ainsi sous-entendre la possibilité de voter
pour Chirac.
Elle ne dénoncera en effet jamais les appels à voter
Chirac.
Dans Un autre Futur , revue de la fédération culture
de la CNT-Vignoles, on peut également lire que « la
CNT aurait fait une erreur en prônant l'abstention »
ou bien encore qu' « il est peut être temps de dire
que le bulletin de vote peut parfois se montrer utile ».
Cette négation des principes anarchistes ne signifie pas
pour autant l'absence d'idéologie au sein de la CNT-Vignoles.
Mais il s'agit d'un flou idéologique permettant à
des personnes d'adhérer sur aucunes bases, ce qui permet
par exemple d'avoir entre autre des adhérents Verts à
la CNT -Vignoles.
La CNT-AIT, régulièrement qualifiée de «
sectaire », « dogmatique » ou de « psycho-rigide
», par la CNT-Vignoles et d'autre organisations libertaires,
concède à l'idéologie une place importante
et dénonce cet abandon de la dimension idéologique
chez la CNT-Vignoles.
Il ne s'agit pas pour autant comme dans les années cinquante
et soixante de ne recruter que des anarchistes purs et durs en délaissant
l'action syndicale.
La volonté de la CNT-AIT est de se développer doucement,
car c'est pour elle le seul moyen de faire adhérer des personnes
sur des principes clairs et donc sur le long terme.
Il ne s'agit pas d'adhésions dues à un effet de mode
ou sur un coup de tête à la suite d'un mouvement dans
lequel la CNT aurait joué un rôle important.
Il s'agit d'adhésions réfléchies.
Pour la CNT-AIT, l'idéologie et la pratique doivent être
intimement liées.
Elle part du principe qu'il n'existe pas de mouvement social sans
idéologie.
Or, selon elle, ceux qui veulent désidéologiser le
mouvement social ont tout de même une idéologie qui
se rattache à une famille politique, et cette tentative de
dissimuler l'idéologie cacherait en réalité
un jeu de politiciens.
Ainsi, pour la CNT-AIT, son affiliation à l'anarchisme est
clairement affirmée et ce sans devenir pour autant un groupe
purement anarchiste dans la mesure où elle parvient à
préserver sa spécificité syndicaliste.
La tendance anarcho-syndicaliste représentée par
la CNT (ou plutôt les CNT) a connu et connaît encore
aujourd'hui de nombreuses interrogations sur son identité.
Si pour les personnes extérieures à la CNT, il est
clair que cette organisation est anarchiste, cette affiliation idéologique
a souvent été objet de débat, mais surtout
de conflit.
Or la compréhension de cette dimension idéologique
est indispensable si l'on veut saisir la conception du syndicalisme
de la CNT ; indispensable également car c'est elle qui détermine
les pratiques syndicales que ce soit ses relations avec les autres
organisations ou sa participation ou non au jeu institutionnel.
Il serait enfin intéressant de savoir si la place de l'idéologie
est un déterminant de la composante militante.
Julien LONCLE
texte paru dans Dissidences
auteur du mémoire de maîtrise "Histoire d’un
courant anarcho-syndicaliste français : la C.N.T. de 1945
à 1995" d'après un commentaire paru sur Indymédia
en dessous du texte (note du webmaster )
Mis en ligne par libertad, le Dimanche 25 Avril 2004, 22:39 dans
la rubrique "Pour comprendre".
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