Message Internet Subject: Interview de Susie Bright
Date: Mon, 23 Août 2004
par Mathilde, feministes.net : http://www.feministes.net/interview_susie_bright.htm
* Bonjour Susie pouvez vous vous présenter et dire aux
féministes françaises qui vous êtes ?
- A l'époque où j'habitais dans le Languedoc, quand
ma fille était encore bébé, mes amis dans le
village me présentaient en disant "c'est cette fille
assez gentille, qui fait des livres sur le sexe ... vous savez,
pour les américains". L'expression sur leur visage me
donnait l'impression que j'aidais les Américains a surmonter
leur "handicap".
Ça me faisait rire, parce que c'est vrai, mais je n'étais
pas totalement de connivence, parce que la France ne m'avait pas
l'air d'une sorte d'utopie de la libération sexuelle ou de
l'égalité des sexes ! Un tel endroit n'existe pas
sur terre, malheureusement.
J'écris des livres sur le sexe, et la politique sexuelle.
J'édite et je rédige une collection de référence
de littérature érotique. Je suis une militante politique
de gauche dans beaucoup de domaines. Je produis et je présente
une émission radio qui s'appelle "In Bed with Susie".
En tant qu'écrivaine et enseignante, je suis critique de
pornographie, et j'ai apporté de nouvelles idées en
ce qui concerne la critique culturelle de la représentation
sexuelle. J'ai lancé le premier magazine lesbien dans les
années 80, On Our Backs, qui était assez révolutionnaire
à l'époque. Je suis bisexuelle, je vis avec un homme,
mon partenaire, et ma fille adolescente.
* Pourquoi avoir choisi de parler de sexe ?
- Ce n'était que la continuation logique de mon militantisme
politique, qui a commencé au lycée dans les années
70. J'étais une féministe adolescente, je me battais
pour la contraception, le droit à l'avortement, et pour que
les jeunes femmes obtiennent leur indépendance sexuelle vis-à-vis
du contrôle parental... Au fur et à mesure que le mouvement
a pris de l'ampleur, les femmes ont commencé à parler
d'autres problèmes liés au sexe. Au début tout
le monde était tellement intéressé par les
idées de base, comment avoir un orgasme, ou prendre le pas
sur l'homme sexuellement, etc. Mais ensuite nous avons commencé
à parler de ce qui nous excite, nos imaginaires sexuels,
et c'est devenu bien plus sujet à controverse! Je me suis
rendue compte qu'il y avait des éléments dans le féminisme
qui ne tenaient pas compte de la sexualité humaine, et qu'un
véritable débat sur ce que pouvait être le véritable
pouvoir sexuel des femmes était. Vous savez, je suis tellement
vieille aujourd'hui, que ma passion m'a amenée sur différents
chemins. J'ai essayé de les résumer sur susiebright.com,
allez y jeter un coup d'oeil !
http://www.susiebright.com/
* Vous dites qu'il faut éduquer les adultes au sexe. Ne
pensez-vous pas que c'est déjà tard et que mieux vaut
commencer avec les enfants et les ados ?
- Je vous concède qu'on peut avoir un impact plus important
sur la vie des gens lorsqu'ils sont jeunes, j'avais bien sûr
cela à l'esprit quand j'ai élevé ma propre
fille. Mais j'ai été élevée dans une
tradition catholique, très craintive et honteuse de tout
ce qui a trait au sexe. Je suis tellement heureuse d'avoir rencontrée
des gens et lu des livres qui ont changé tout ça dans
mon adolescence ! Mes expériences les plus puissantes et
les plus enrichissantes sont arrives à l'âge adulte.
La maturité intellectuelle, la sagesse ... tout cela vient
quand on vieillit. Donc il n'est jamais trop tard !
* Vous parlez du puritanisme américain et avez choisi
de le combattre. Pensez vous que votre combat soit nécessaire
dans des pays comme la France apparemment plus ouverts sur le sujet,
et moins répressif ? vous dites : "Sexual expression
is THE most repressed form of American speech". Selon vous,
pourquoi réprimer et interdire le fait de parler de sexe
? Sont-ce des raisons religieuses et/ou politiques ?
- Je comprends les aspects protestants et très américains
du puritanisme. Mais ça va plus loin que cela ! Une des caractéristiques
fondamentales du Puritanisme est le sexisme, et le point de vue
patriarcal que le PèRE doit être à la tête
de la famille, que les femmes et les enfants sont ses sujets qu'il
doit diriger et contrôler. C'est une idée très
ecclésiastique, comme vous le savez...
De la même façon, le capitalisme, en tant que système
social, est vraiment catastrophique pour la sexualité, et
pour les envies créatrices en général.
Notre éthique de travail incite à la compétition
poussée à l'extrême, et considère le
plaisir comme une simple commodité.
J'aimerais m'exprimer sur ce que j'observe à propos de la
France, sans vouloir jouer les je sais tout, justement parce que
je ne sais pas tout! Comprenez que ce sont mes commentaires en toute
humilité.
Bien sûr j'ai apprécié la façon détendue
dont les Français ne rejettent pas des choses comme la nudité,
ou la façon dont les gens acceptent qu'on puisse avoir des
relation sexuelles dans la vie de tous les jours. Les parents peuvent
faire des blagues en face de leurs enfants, ce n'est pas un problème.
J'ai apprécié le fait que personne n'ait essayé
de tuer un ou une autre parce qu'il ou elle a des relations sexuelles.
Les hommes étaient plus à l'aise avec d'autres hommes,
physiquement, même se montraient affectueux.
J'adorais ça ! Néanmoins, j'étais attristée
de voir toutes ces femmes organiser leur rythme de vie au bon vouloir
et autour des disponibilités de leurs maris, à un
tel point que les possibilités et les rêves des femmes
passaient au deuxième plan, bien bien après ...
Les filles et les femmes ne sont que des citoyennes de second rang,
point final, et ce genre de choses est accepté. On attend
d'elles qu'elles se préoccupent de leur féminité
et de leur beauté et qu'elles soient au service des hommes.
Elles ne sont pas sensées se plaindre si on ne vante que
les qualités intellectuelles de leur frère ou si leur
mari est un gros bébé qui a besoin qu'on l'entretienne
constamment. Elles doivent être une copine plaisante, ou une
mère aimante ... oh, ça me rendrait folle ! Et les
femmes ont du mal avec la sororité en dehors de la famille,
parce qu'il n'y a pas de bases matérielles pour ça
... les femmes ne soutiennent pas les autres femmes.
Alors, est-ce que les hommes sont sexistes aux USA ? Bien sûr.
Mais de plus en plus de gens se rendent comptent de l'injustice,
et que les femmes n'ont pas à s'en accommoder en souriant.
Les femmes sont plus "arrogantes" si vous voyez ce que
je veux dire... plus rebelles contre le rôle traditionnellement
imposé aux femmes.
Tiens, j'ai une question pour vous ... l'année dernière,
un livre français a été publié aux USA,
et tous les journaux en ont parlé. C'étaient les "mémoires"
d'une célèbre critique d'art française, qui
avouait avoir baisé un million d'hommes, partouze après
partouze. C'était sensé être érotique.
Je n'ai jamais rien lu de moins "érotique" ! Cette
pauvre femme allant de lit en lit, sans avoir d'orgasme ou le moindre
plaisir sexuel ! Pourquoi elle a fait ça, elle ne le dit
pas. Même si elle était masochiste, et qu'elle avait
décrit ça, ça aurait au moins été
intéressant ! Qui était cette femme ???? C'est ça
la libération sexuelle en France ? ça m'a vraiment
dégoûté.
* J'ai tendance a trouver les films pornos extrêmement
puritains. Chaque acte y est montré comme sale et transgressif,
comme si on tendait de culpabiliser les gens de regarder ce genre
de films et d'aimer ce qui s'y fait. Que pensez vous du porno ?
pensez-vous qu'il y ait du porno peut-être moins connu et
moins commercial qui mériterait d'être mis en avant
?
- J'ai moi aussi ressenti cela devant les premiers pornos que j'ai
vus. Mais quand j'ai commencé à les étudier,
et que j'avais visionné des centaines d'exemples de différentes
époques, différentes origines, différents réalisateurs
... je me suis rendu compte qu'il y avait une variété
énorme, et qu'il est impossible, voire naïf, de tout
ranger dans le même groupe. Ça reviendrait à
dire que toute la nourriture du monde est mauvaise, parce qu'on
est allé une fois au McDonalds.
Certains films érotiques sont bases sur la titillation,
d'autres sur l'anti-titillation. Certains sont de la satire, d'autres
sont discrets, certains faits par des femmes d'autres par des militantes,
des groupes qui se sentent mis de coté ... c'est tout ça.
Malheureusement, on pioche les pièces les plus banales dans
les grosses productions, tout comme dans la mode on ne voit que
quelques créateurs, Hollywood ne met en avant que quelques
célébrités ennuyeuses ... Les bonnes choses
sont plus indépendantes ...
* Beaucoup de féministes pensent que le sado masochisme
n'est jamais réellement consentant et n'est que l'impression
d'un conditionnement. Par la même, même si une femme
a du plaisir en étant soumise, elles estiment qu'elle doit
se débarrasser de ce genre de conditionnement. Qu'en pensez
vous ?
- Pour comprendre le SM, il faut avoir des bases en sexologie,
psychologie, théâtre, et persuasion. Bien sûr
que personne de sain d'esprit ne peut être vraiment excité
par des abus non-consentants. On peut créer une scène
avec une sensibilité forte, des émotions bien réelles,
avec du respect et des limites pour qu'une conclusion heureuse soit
atteinte. Le SM érotique est écrit à l'avance,
et précis ... ce n'est pas quelque chose dans lequel on se
laisse emporter sans de vrais accords ou de vraies limites.
Ce n'est pas une dérive abusive ou dégradante des
conventions hétérosexuelles dans laquelle la femme
doit se mettre à disposition de son mari sans le moindre
recours ou la moindre mot à dire.
Les gens qui pensent que le sexe coquin est incompréhensible
doivent être éduquées, et ouvrir un peu leur
esprit ou leur coeur. C'est comme les hétéros qui
trouvent l'homosexualité "perverse". Ils n'en savent
rien, mais leurs préjugés l'emportent ! Quand quelqu'un
n'est pas comme moi sexuellement, j'essaie de comprendre d'où
ils vient. Je ne ferais pas de raccourcis en jugeant ses fantasmes.
* Vous avez posé comme modèle. Cela vous a-t-il
valu des critiques de la part d'autres féministes ? Qu'auriez
vous à leur répondre ?
- C'est amusant, on ne m'avait jamais qualifié de "modèle"
auparavant! J'ai été sujet de photographies bien sûr,
mais ça a été en général avec
des collègues ou des gens avec qui je travaillais. Je me
préfère derrière l'objectif en fait ! J'aime
créer des photographies, surtout avec des images que je trouves
nouvelles, qui disent des choses qui me concernent.
Je n'ai vraiment été 'modèle' qu'UNE seule
fois, et c'est une expérience si mauvaise que j'en suis restée
choquée ... avec Vanity Fair. Je me suis rendue compte que
c'était juste comme ça que sont les choses, et j'étais
surtout choquée parce que j'avais travaillé avec d'autres
artistes/pairs/féministes plus évolués avant
cela. Cette session avec Vanity Fair, ils ne m'ont rien demandé,
rien dit, ils m'ont utilise comme un accessoire. Le photographe
s'est assis sur ma poitrine, et a commencé à me raconter
des blagues racistes.
Je n'ai pas pu dire quoique ce soit ... je l'ai envoyé paître,
et je suis partie. C'était dégoûtant. Si ça
c'est être un "modèle", je les emmerde.
On ne m'a jamais ô grand jamais traitée comme ça
dans une séance de photos érotiques. Je me considère
comme partie intégrante de la prise des photos autant que
du résultat final.
* Certaines féministes, comme Monique Wittig, mettent
l'hétérosexualité ou le straight mind comme
pivot centre de la domination des femmes. Qu'en pensez-vous ? Que
pensez-vous de la célèbre phrase de Wittig "lesbians
are not women" ?
- Je ne connais pas trop cette phrase, qu'est-ce que cela signifie
? Est-ce qu'elle veut dire par là que les lesbiennes se sont
sorties du carcan d'avoir à toujours demander l'accord de
l'homme ? Etre lesbienne libère vraiment les femmes de l'idée
de "vertu" comme une récompense dans leur vie.
Elle ne risque plus d'être considérée comme
une vierge ou une pute. Elle vit bon nombre de concepts sexuels
libérateurs, qu'elle pourrait en fait apporter au lit avec
un homme si elle le voulait. Je ne pense pas que "les femmes
qui baisent les hommes" soit le problème, physiquement
parlant. Je ne pense pas que l'attirance hétérosexuelle
soit le problème non plus ! C'est le sexisme, l'inégalité,
le patriarcat, c'est ça qui fait mal ! C'est une telle institution
que beaucoup de gens l'acceptent comme un fait. Je ne suis pas de
ces gens-là. Je me délecte des façons dont
les hommes et les femmes trouvent des moyens de s'échapper
de ce piège, de refuser les vieilles traditions.
* Dernière question; aucun de vos livres ne semblent
traduits en français.
Pensez vous qu'ils s'adressent a un public avant tout américain
ou n'avez vous pas encore eu l'opportunité de les faire publier
en France ?
- J'aimerais aussi en connaître les raisons ! Ça a
été très difficile de résumer ma vie
et ma philosophie dans cette petite interview ... ça ne me
rend pas justice.
Certains de mes travaux n'auraient pas grande signification pour
les Français, parce que c'est écrit pour les Américains
... mais beaucoup seraient bien acceptés, je pense, et susciteraient
probablement un certain intérêt.
J'aimerais bien trouver un éditeur français qui travaillerait
avec moi à choisir les histoires les plus intemporelles et
les plus adaptées à la culture française.
J'ai beaucoup appris en France à propos de l'amitié,
de la beauté, de bien vieillir et de la grâce. Les
gens avaient une idée du temps et du lieu tellement expressive
et sage. Tout ce qui est lié à l'art est tellement
plus respecté que cela ne l'est ici. Ça me manque
terriblement ! Mes amis aussi me manquent ... ils étaient
si patients avec moi ...
Les articles du site Féministe.net : http://www.feministes.net/articles.htm
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