Date : 08/09/2003
Objet : Article "de Cantat à Benasayag et inversement"
Editorial de Joëlle Palmierie sur le site www.penelopes.org/
" De Cantat à Benasayag, et inversement "
Bertrand Cantat, auteur-compositeur-interprête du groupe de
rock français le plus populaire, a cogné sa maîtresse
à tel point qu'elle en est morte.
Il est aujourd'hui en prison à Vilnius, en Lituanie alors qu'il
devait aller interpréter quelques-unes de ses ouvres au grand
rassemblement du Larzac2003. Parce que le chanteur milite dans une mouvance
qu'on qualifie alertement de gauche alternative. Il lutte contre le
capitalisme. Il est devenu, qu'il le veuille ou non, une des idoles
d'un mouvement qui a choisi de poser les bases d'un autre monde. A partir
de lui, on peut dessiner une boucle, celle de militants, illustres ou
anonymes, qui, dans leur majorité, tout en voulant changer le
monde, continuent inexorablement à placer la « vie privée
» dans une « case à part », un espace, une
sphère, un cachot pourquoi pas ! qu'il faut bien se défendre
de rendre publique et donc encore moins de réfléchir comme
un lieu d'oppression. Un lieu donc où apparemment tout est permis
puisque cela ne regarde personne. Une zone de non-droit en quelque sorte.
A contrario, en dehors de cette poche, que je me permettrai de désigner
par son nom, « le privé », tout peut devenir objet
de critiques, système d'oppression, lieu de discrimination, carrefour
de toutes les inégalités et j'en passe ! Ce domaine public
ne garantit pas l'action collective, mais il peut en devenir le théâtre,
une scène où l'individu-e est en représentation
et la personne dans le trou du souffleur. Car enfin, comment peut-on
distinguer le Bertrand Cantat « chanteur engagé »,
« frère d'écriture, de conviction et de cour »
et le Bertrand Cantat « lié plus que jamais à Marie.
Unis et indissociables. Si ce n'est qu'elle est morte, et lui, vivant
», comme le qualifient Hélène Chatelain, Claude
Faber et Armand Gatti ? L'amour, la passion, la relation de couple,
la copulation, seraient-ils autant de circonstances atténuantes
pour le meurtre que le rockeur a commis ? Si ce n'est qu'elle est morte.
J'hallucine ! Les acteurs de ce même cercle, de cette même
boucle de transformateurs, sont-ils prêts à accorder les
mêmes circonstances à ces individus, tous reconnus coupables
des pires crimes : Messier, Sirven, . ou encore au patron de Total,
complice de la junte birmane, à Bush, grand ordonnateur du monde,
à Poutine, génocideur des Tchétchènes, .
? Ou encore, sont-ils capables d'ignorer les 350 mortes de Ciudad Juarez
et, plus généralement, les disparues des maquiladoras
au Mexique, les milliers de femmes « acidées » ou
brûlées vives, les milliers de femmes, encore, tuées
en toute impunité au nom de l'honneur. ? Sans parler des infanticides
de petites filles en Chine, en Inde ou ailleurs, les millions de viols
de femmes, de jeunes filles et d'enfants dans tous les pays en guerre
ou en situation de post-conflit armé ou en Afrique du Sud où
le sida tue, des milliers de femmes prostituées.
Je ne peux pas en faire la liste. Ça me tue. à petits
feux. Juste un exemple, pour tenter d'atténuer ma colère.
En quelle taille de caractère faut-il afficher sur tous les murs
de la planète qu'il y a sept fois plus de décès
comptabilisés chez les femmes russes, victimes des coups de leurs
maris ou conjoints, que chez les morts de la guerre en Tchétchénie
? Car enfin, comme le souligne la Fédération Nationale
Solidarité Femmes, « la relation de couple entre l'auteur
et la victime est une circonstance aggravante et non atténuante
». En France, les violences conjugales tuent une femme tous les
cinq jours, en blessent grièvement deux millions par an. Comment
peut-on oser imaginer que les victimes soient complices de leur propre
sort, qu'elles adoptent des attitudes ou comportements qui les transforment
en collaboratrices et donc en coupables ? Que le « drame passionnel
» - j'adore ! -, l'absorption d'alcool ou de drogue, soient les
déclencheurs du passage à l'acte ? La violence des hommes
à l'égard des femmes n'a pas besoin de tous ces artifices
pour s'exprimer, pour la simple et bonne raison qu'elle est tolérée,
voire suggérée - je ne développe pas ici sur la
pub -, recommandée pour une bonne tenue virile et donc une bonne
intégration sociale !
Je suis assez d'accord avec Miguel Benasayag : "Nous sommes au
cour d'une époque obscure. Nous faisons partie d'une toute petite
et frémissante contre-offensive. Il faut construire en intensité
l'alternative. Un autre monde est possible par d'autres choix de vie.
Nous sommes à une époque de laboratoires sociaux",
a-t-il déclaré au Larzac. Acteur de la boucle des altermondialistes
que j'ai mentionnée plus haut, il fait partie des rares à
reconnaître publiquement que le crime de Cantat s'apparente à
la classique violence conjugale. Alors Miguel ? A quand un laboratoire
sur le patriarcat et la domination masculine, piliers de tous les systèmes
d'oppression, lieu-même où la déconstruction de
l'individu-e doit s'opérer pour voir éclore des groupes
constitués de personnes libres ?
Au fait ! J'ai pas vu les coquards de Bertrand. et vous ?
Joelle Palmieri - 30 août 2003
Le lien d'origine : http://www.penelopes.org/xarticle.php3?id_article=3735