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On meurt de désespoir au travail, après y avoir mal vécu. La caricature du capital. Danielle Bleitrach

Origine : http://socio13.wordpress.com/2007/07/20/on-meurt-de-desespoir-au-travail-apres-y-avoir-mal-vecula-caricature-du-capital/

Un salarié du groupe automobile PSA a été retrouvé pendu lundi 16 juillet sur son lieu de travail à Mulhouse. Ce qui porte à six le nombre de suicides de salariés du groupe depuis le début de l’année et à 5 sur le seul site de Mulhouse. Hier c’était un cadre d’Areva qui se défenestrait. Il y avait eu trois suicides en quatre mois au technocentre Renault à Guyancourt (Yvelines), six en trois ans chez EDF dans les environs de Chinon dans le Loiret. A Renault, l’inspection du travail a décidé le transfert des dossiers d’enquête sur les 3 morts au procureur de Versailles. La responsabilité de l’entreprise est mise en cause. Le tout dans un contexte de précarité et de chômage (le patronat appelle cette “flexibilité” de ses voeux et le gouvernement envisage le licenciement massif de ses fonctionnaires).

Et si nous étions dans un système généralisé où l’exploitation, la mise en concurrence, la peur et l’angoisse, règnent en maître, de la vie quotidienne de l’individu à la gestion de la planète, le capitalisme à son stade sénile et meurtrier isole chacun comme le prisonnier dans son sarcophage de silence qui rend fou ? C’est pourquoi l’interrogation d’Angela Davis ci-dessous : “qu’est-ce que militer aujourd’hui ?” est très importante. Elle répond qu’il faut réapprendre à créer des organisations stables, des communautés de solidarité, des organisations permanentes, dont la finalité n’est pas la seule manifestation et le spectaculaire. Je suis d’accord avec elle.

Des méthodes d’isolement

Ces suicides que l’on veut nous présenter comme des cas isolés doivent être mis en regard du contexte de chômage, de précarité mais aussi de dépersonnalisation du travail. Les méthodes de management ont réussi à individualiser à l’extrême les collectifs de travail, à faire reposer sur chaque individu une pression accrue. Ces méthodes de management ont été appliquées au technocentre Renault, l’environnement y est toujours plus “rationnel” et impersonnel. Le journal Libération du 18 juillet sous le titre “souffrir et mourir au travail” fait état d’un rapport des médecins du travail concernant IBM. Ce rapport est accablant: réduction des effectifs, surcharge de travail, rationalisation excessive du management, quasi-disparition des relations entre collègues.

Le rapport concerne les 3500 salariés de l’immeuble Descartes à la Défense. Pour la seule année 2006, 29 dépressions, 9 “burn out” ou épuisement mental lié au travail, 185 urgences médicales “pour lesquelles les facteurs professionnels ont le plus souvent un rôle déclenchant”. Pour les deux premiers mois de l’année voici la litanie du rapport :”Un commercial présente une parésie du bras gauche, il est hospitalisé. Un cadre présente une douleur d’infarctus, il est hospitalisé. Un cadre a des troubles de l’équilibre puis un important malaise. Le SAMU attribue ces symptômes, rapidement régressifs, à un spasme artériel provoqué par un stresse intense et prolongé”

IBM est une entreprise sous tension dans une industrie extrêmement compétitive a reconnu Tim Stevens, le DRH France IBM qui a reconnu la validité des statistiques. Depuis 2005, 865 postes ont été supprimés en France, beaucoup de tâches délocalisées. En 2006, toujours à IBM, crise cardiaque d’un cadre recevant son évaluation, un consultant se suicide, la sécurité a reconnu une maladie professionnelle. IBM a fait appel. En 2006, les médecins du travail ont constaté que chez IBM, “les deux tiers des salariés présentent un niveau de stress susceptible d’avoir des conséquences néfastes sur leur santé, une progression de 34% en trois ans. “

Sont mis en cause en priorité: l’individualisation du travail et sa rationalisation excessive, notamment le “PBC” ou personnal Business Commitment, la notation made IBM. Chaque début d’année. Les salariés s’engagent par écrit à remplir des objectifs qu’ils se fixent eux-mêmes. A la fin de l’année ils sont notés de 1 à 4. Deux appréciations 3 en deux ans se traduisent par “une mise en garde”. Le seul sujet de conversation dans les lieux collectifs comme la cantine est l’OP (opportunities), les TU (taux d’utilisation) qui calculent le nombre de jours facturés à un client par rapport au nombre de jours travaillés).

Le management est mondialisé, on insiste pour que les salariés travaillent chez eux, ou dans des bureaux impersonnels, de passage. Il n’y a plus d’équipe de travail.

Il est à noter que la description de cet univers concerne les cadres, les employés, ce n’est plus seulement le monde de l’usine mais celui des bureaux. Tant qu’on occulte la réalité du travail en France et cette réalité n’est jamais représentée, elle est absente par exemple de la télévision où les seuls collectifs de travail qui semblent exister sont ceux des commissariats de police. Pourtant ces faits montrent ce qu’il y a derrière le “enrichissez-vous” présidentiel, toujours “le travail rend libre” et la rationalisation bureaucratique dont le degré ultime fut le camp de concentration. Dans quelles conditions réelles se pose le problème du recours aux heures supplémentaires préconisé comme la panacée… La dictature patronale est là et elle tue. Le harcèlement, la peur du lendemain, les vies brisées, qui en parle ? Qui sera en mesure d’accepter ou de refuser des heures supplémentaires d’un patron qui refuse d’embaucher de nouveaux salariés ?

La série des assassinats du travail sur le site de PSA Mulhouse concerne des ouvriers, ils étaient considérés comme sérieux, bien notés. La pression est très dure là aussi, en cas de maladie le salarié reçoit une lettre l’accusant de “perturber la production”. Pour gagner en productivité, la chasse aux temps morts est lancé, via les nouvelles méthodes de travail copiées sur Toyota: “la méthode a pour but de supprimer les postes lourds, mais paradoxalement on supprime au ssi les postes légers ce qui pose problème aux collègues âgés ou handicapés (…) avant on donnait des objectifs à des équipes, aujourd’hui, on les donne à des individus. On est en train de perdre l’esprit de groupe ou d’unité”. (Article cité dans Libération 18 juillet 2007).

On voit que le diagnostic et les méthodes sont les mêmes pour les cols bleus et les cols blanc, l’individualisation, la pression s’exerce sur l’individu isolé. C’est la technique de l’isolement à travers laquelle on fait craquer le prisonnier. Ce qui se passe dans les prisons n’intéresse pas grand monde, l’univers carcéral est ignoré, mais beaucoup moins désormais que celui du travail…

A qui profite le crime ?

Le capital a réussi l’exploit que personne ne s’intéresse plus à ce qui se passe dans le monde du travail. La classe ouvrière aurait disparue et aucune caméra ne pénètre plus sur les lieux de travail. Quand il est question des pauvres, c’est chez eux, dans leur logement, dans le voisinage, mais jamais dans l’atelier. Qui sait dans quelle condition s’exerce le droit syndical dans l’entreprise aujourd’hui ? La part essentielle de la vie humaine qu’est le travail n’est plus représentée.
Et pendant ce temps là, le salarié pris dans les “rationalisations” bureaucratiques du management capitaliste est de plus en plus seul.

Comment avons-nous pu, comment une gauche complètement irresponsable a-t-elle pu céder du terrain à la droite, au capital, en laissant se développer l’idée d’une efficacité quelconque de ce système ? Comment en sommes-nous arrivés à l’idée qu’il est juste, rentable de supprimer la moitié des postes de fonctionnaires et d’appliquer à ceux qui restent de telles méthodes. Efficaces pour qui ?

Les seuls qui en bénéficient sont les actionnaires, les PDG qui partent avec des stocks options, une poignée alors même que dans l’armée du capital, dès le niveau des officiers, c’est la destruction des êtres humains, une pression insoutenable.

Faute d’avoir la moindre idée sur ce contexte là, de n’en avoir que des échos furtifs, celui des suicides à PSA, celui de temps en temps sur le coût des conditions de travail sur la sécu, les Français champion du monde de la consommation d’antidépresseurs, on peut mener une offensive contre “la bureaucratie” et préconiser la disparition programmée des dizaine de milliers de fonctionnaires. Quel est le rapport? C’est simple, l’efficacité exigerait la fin d’un système que l’on décrit comme bureaucratique, lourd, n’aboutissant pas à la décision indispensable, pléthorique en personnel autant qu’en formulaires inutiles, un coût trop lourd pour l’impôt…

Pourquoi sommes-nous convaincu que “l’efficacité” y compris présidentielle passe par un management politique où l’intéressé paraît dopé à la cocaïne… sans vouloir tirer trop loin l’analogie qui ne perçoit pas la logique de cette individualisation à outrance avec sa caricature de pouvoir personnel transformée en star du people grâce aux médias possédées par les mêmes…

La forme bureaucratique, inefficace, absurde, existe plus encore dans le secteur privé avec de surcroît le sadisme de l’exploitation ? Si l’opacité était désormais nécessaire aux profits, aux stock-options, aux délits d’initiés? Si la bureaucratie c’était la très concurrentielle Union Européenne ?

Efficace pour qui ? Pas pour l’usager… Donc si la bureaucratie signifie le pouvoir despotique d’une administration anonyme celle du secteur privé, des grandes multinationales, non seulement existe mais va beaucoup plus loin dans l’arbitraire que tout ce qu’on peut imaginer en matière étatique. Non seulement pour les salariés mais pour les usagers, si vous avez eu un procès avec une grande compagnie d’assurance ou si vous vous êtes heurtés à une plateforme d’intervention située aux Bahamas ou au Maroc en cas de panne d’ordinateur vous avez une vague idée de la chose. Et devant les nouvelles mœurs des télécommunications privatisées, qui n’a pas regretté l’employée des PTT hostile derrière son guichet des temps jadis. Donc la bureaucratie ne rime pas nécessairement avec l’Etat, elle décrit encore plus le monde anonyme et meurtrier des grandes multinationales.

Par quelle fiction est-on arrivé à attribuer au seul socialisme, à la fonction publique la nécessité de dégraisser le mammouth ? De quoi parle-t-on ?

Quand on parle de bureaucratie c’est comme quand on parle de « totalitarisme », ou dans un autre ordre d’idée de « populisme », on joue à manier le concept mais en fait on utilise comme le médecin de Molière des notions creuses, des faux diagnostics, qui justifient la saignée… La finalité est, sous des allures savantes, de stigmatiser le socialisme ou tout gouvernement proche du peuple du sceau du despotisme. Pour opérer un tel glissement de sens, un tel racolage, il faut par exemple passer de démagogue à populiste, identifier des systèmes aussi incompatibles que le communisme et le fascisme pour dire qu’ils prétendent changer “la totalité” de la vie pour créer le “totalitarisme”. Un besoin urgent s’impose : savoir de quoi on parle exactement quand on agite des “idées reçues”. Oui c’est la totalité de la vie qu’il faut changer: au capital qui isole, individualise, détruit, il faut opposer une nouvelle place des êtres humains dans le collectif et dans la nature.

Recréer le militantisme comme solidarité et comme partage de visions du monde

Face à ce système d’individualisation, d’isolement, un travail médiatique est fait pour disqualifier des exigences légitimes comme le besoin de solidarité, de communauté, ou de sécurité. A été utilisé le fait que la classe dominante pour s’imposer à un peuple mécontent ne peut pas se contenter de proclamer qu’elle va développer son exploitation par la répression. La classe dominante va créer une hégémonie en reprenant les valeurs des exploités, leur besoin de solidarité, de liberté, de communauté, de patrie. Donc elle va caricaturer l’exigence de socialisme, c’est le cas du fascisme. Ce moment de confusion des valeurs et des espérances existe dans toutes les contre-révolutions, y compris celle conservatrice du reaganisme et du sarkozysme. Il s’agit de renvoyer à l’archaïsme toutes les valeurs progressistes et toutes les aspirations au socialisme pour ne laisser plus que la liberté du marché, le libre renard dans le libre poulailler mais cela ne peut emporter l’adhésion que parce que la classe dominante a su récupérer des valeurs méprisées par la gauche et les a détourné vers l’autoritarisme, la répression, la haine de l’Autre, l’étranger.

L’individualisme, la pression, l’angoisse du lendemain développent un besoin de sécurité qui va être détourné vers l’homme fort, la répression, la tolérance zéro, la haine des faibles, de ceux qui encombrent, et nuisent à la “productivité”, nous freinent dans la mondialisation conçue elle-même comme une mise en concurrence, une guerre sans limite.

La gauche stigmatise ce besoin de sécurité, et quand elle accepte de reconnaître les besoins élémentaires des populations, c’est pour adopter les solutions répressives de la droite, pour caricaturer ses solutions. Comme la même gauche croit faire “sérieux” en revendiquant une capacité gestionnaire qui emprunte ses “méthodes” au capitalisme. La modernité ce serait de ressembler toujours plus au capital et d’adopter ses recettes.

Je n’en suis toujours pas revenue, oserais-je vous l’avouer de l’enthousiasme, la fierté même des socialistes saluant la candidature de DSK au FMI. Que cet organisme qui est le gardien des investissements capitalistes dans les pays du Tiers-monde, qui a accompli en matière de destruction des êtres humains et de l’environnement les pires exactions, cet organisme tenu par les “voyous” étasuniens et européens, soit considéré par les socialistes français comme une institution si respectable que cela est un honneur pour l’un des leurs de le diriger, montre où en est le parti hégémonique de la gauche française.

Que la candidate du PS (sans parler de ceux et celle des groupuscules) ait pu mouliner du vent durant toute la campagne alors que se mettait en place une révolution néo-conservatrice, que les militants et les femmes de gauche aient préféré des candidats uniquement sur leur look(1), sur n’importe quoi, alors que la France subit un des assauts les plus rudes de son histoire, alors qu’il s’agit de transformer durablement ce pays, d’en détruire les valeurs, d’empêcher toute protestation collective, d’individualiser à outrance, montre à quel point la gauche, direction du PCF comprise est en pleine forfaiture et a offert à ce capital les clés de la citadelle.

Nous n’aurons jamais le pouvoir médiatique ou alors c’est que nous sommes “l’opposition de sa majesté”, celle qui partage sa conception politique, qui adhère au même capitalisme, son sens du sensationnel, son individualisme forcené… La seule solution c’est de retisser un maillage militant, un travail de proximité, d’avoir le courage de dénoncer avec des arguments parfois de bon sens les idées reçues. Il faut que nous changions de conception militante. Avec la confusion idéologique, syndicats, associations, partis, sont devenus des lieux de division, de jalousie, de haines, il faut reconstruire des solidarités mais cela ne pourra se faire qu’avec une vision claire de ce pourquoi nous nous battons, et pas des petits jeux tactiques stupides, des candidats faits pour les médias et qui n’ont pas la confiance de leurs camarades… Le capital isole, nous devons créer société…

Danielle Bleitrach

(1) sans parler de ceux, vous en connaissez tous, qui après avoir voté Non à la Constitution européenne sont allés voter Bayrou parce qu’ils n’aimaient pas Ségolène Royal, tirant un peu plus l’échiquier politique vers la droite…

Publié 20 juillet 2007 La France