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Origine : http://socio13.wordpress.com/2007/07/20/on-meurt-de-desespoir-au-travail-apres-y-avoir-mal-vecula-caricature-du-capital/
Un salarié du groupe automobile PSA a été
retrouvé pendu lundi 16 juillet sur son lieu de travail à
Mulhouse. Ce qui porte à six le nombre de suicides de salariés
du groupe depuis le début de l’année et à
5 sur le seul site de Mulhouse. Hier c’était un cadre
d’Areva qui se défenestrait. Il y avait eu trois suicides
en quatre mois au technocentre Renault à Guyancourt (Yvelines),
six en trois ans chez EDF dans les environs de Chinon dans le Loiret.
A Renault, l’inspection du travail a décidé
le transfert des dossiers d’enquête sur les 3 morts
au procureur de Versailles. La responsabilité de l’entreprise
est mise en cause. Le tout dans un contexte de précarité
et de chômage (le patronat appelle cette “flexibilité”
de ses voeux et le gouvernement envisage le licenciement massif
de ses fonctionnaires).
Et si nous étions dans un système généralisé
où l’exploitation, la mise en concurrence, la peur
et l’angoisse, règnent en maître, de la vie quotidienne
de l’individu à la gestion de la planète, le
capitalisme à son stade sénile et meurtrier isole
chacun comme le prisonnier dans son sarcophage de silence qui rend
fou ? C’est pourquoi l’interrogation d’Angela
Davis ci-dessous : “qu’est-ce que militer aujourd’hui
?” est très importante. Elle répond qu’il
faut réapprendre à créer des organisations
stables, des communautés de solidarité, des organisations
permanentes, dont la finalité n’est pas la seule manifestation
et le spectaculaire. Je suis d’accord avec elle.
Des méthodes d’isolement
Ces suicides que l’on veut nous présenter comme des
cas isolés doivent être mis en regard du contexte de
chômage, de précarité mais aussi de dépersonnalisation
du travail. Les méthodes de management ont réussi
à individualiser à l’extrême les collectifs
de travail, à faire reposer sur chaque individu une pression
accrue. Ces méthodes de management ont été
appliquées au technocentre Renault, l’environnement
y est toujours plus “rationnel” et impersonnel. Le journal
Libération du 18 juillet sous le titre “souffrir et
mourir au travail” fait état d’un rapport des
médecins du travail concernant IBM. Ce rapport est accablant:
réduction des effectifs, surcharge de travail, rationalisation
excessive du management, quasi-disparition des relations entre collègues.
Le rapport concerne les 3500 salariés de l’immeuble
Descartes à la Défense. Pour la seule année
2006, 29 dépressions, 9 “burn out” ou épuisement
mental lié au travail, 185 urgences médicales “pour
lesquelles les facteurs professionnels ont le plus souvent un rôle
déclenchant”. Pour les deux premiers mois de l’année
voici la litanie du rapport :”Un commercial présente
une parésie du bras gauche, il est hospitalisé. Un
cadre présente une douleur d’infarctus, il est hospitalisé.
Un cadre a des troubles de l’équilibre puis un important
malaise. Le SAMU attribue ces symptômes, rapidement régressifs,
à un spasme artériel provoqué par un stresse
intense et prolongé”
IBM est une entreprise sous tension dans une industrie extrêmement
compétitive a reconnu Tim Stevens, le DRH France IBM qui
a reconnu la validité des statistiques. Depuis 2005, 865
postes ont été supprimés en France, beaucoup
de tâches délocalisées. En 2006, toujours à
IBM, crise cardiaque d’un cadre recevant son évaluation,
un consultant se suicide, la sécurité a reconnu une
maladie professionnelle. IBM a fait appel. En 2006, les médecins
du travail ont constaté que chez IBM, “les deux tiers
des salariés présentent un niveau de stress susceptible
d’avoir des conséquences néfastes sur leur santé,
une progression de 34% en trois ans. “
Sont mis en cause en priorité: l’individualisation
du travail et sa rationalisation excessive, notamment le “PBC”
ou personnal Business Commitment, la notation made IBM. Chaque début
d’année. Les salariés s’engagent par écrit
à remplir des objectifs qu’ils se fixent eux-mêmes.
A la fin de l’année ils sont notés de 1 à
4. Deux appréciations 3 en deux ans se traduisent par “une
mise en garde”. Le seul sujet de conversation dans les lieux
collectifs comme la cantine est l’OP (opportunities), les
TU (taux d’utilisation) qui calculent le nombre de jours facturés
à un client par rapport au nombre de jours travaillés).
Le management est mondialisé, on insiste pour que les salariés
travaillent chez eux, ou dans des bureaux impersonnels, de passage.
Il n’y a plus d’équipe de travail.
Il est à noter que la description de cet univers concerne
les cadres, les employés, ce n’est plus seulement le
monde de l’usine mais celui des bureaux. Tant qu’on
occulte la réalité du travail en France et cette réalité
n’est jamais représentée, elle est absente par
exemple de la télévision où les seuls collectifs
de travail qui semblent exister sont ceux des commissariats de police.
Pourtant ces faits montrent ce qu’il y a derrière le
“enrichissez-vous” présidentiel, toujours “le
travail rend libre” et la rationalisation bureaucratique dont
le degré ultime fut le camp de concentration. Dans quelles
conditions réelles se pose le problème du recours
aux heures supplémentaires préconisé comme
la panacée… La dictature patronale est là et
elle tue. Le harcèlement, la peur du lendemain, les vies
brisées, qui en parle ? Qui sera en mesure d’accepter
ou de refuser des heures supplémentaires d’un patron
qui refuse d’embaucher de nouveaux salariés ?
La série des assassinats du travail sur le site de PSA Mulhouse
concerne des ouvriers, ils étaient considérés
comme sérieux, bien notés. La pression est très
dure là aussi, en cas de maladie le salarié reçoit
une lettre l’accusant de “perturber la production”.
Pour gagner en productivité, la chasse aux temps morts est
lancé, via les nouvelles méthodes de travail copiées
sur Toyota: “la méthode a pour but de supprimer les
postes lourds, mais paradoxalement on supprime au ssi les postes
légers ce qui pose problème aux collègues âgés
ou handicapés (…) avant on donnait des objectifs à
des équipes, aujourd’hui, on les donne à des
individus. On est en train de perdre l’esprit de groupe ou
d’unité”. (Article cité dans Libération
18 juillet 2007).
On voit que le diagnostic et les méthodes sont les mêmes
pour les cols bleus et les cols blanc, l’individualisation,
la pression s’exerce sur l’individu isolé. C’est
la technique de l’isolement à travers laquelle on fait
craquer le prisonnier. Ce qui se passe dans les prisons n’intéresse
pas grand monde, l’univers carcéral est ignoré,
mais beaucoup moins désormais que celui du travail…
A qui profite le crime ?
Le capital a réussi l’exploit que personne ne s’intéresse
plus à ce qui se passe dans le monde du travail. La classe
ouvrière aurait disparue et aucune caméra ne pénètre
plus sur les lieux de travail. Quand il est question des pauvres,
c’est chez eux, dans leur logement, dans le voisinage, mais
jamais dans l’atelier. Qui sait dans quelle condition s’exerce
le droit syndical dans l’entreprise aujourd’hui ? La
part essentielle de la vie humaine qu’est le travail n’est
plus représentée.
Et pendant ce temps là, le salarié pris dans les “rationalisations”
bureaucratiques du management capitaliste est de plus en plus seul.
Comment avons-nous pu, comment une gauche complètement irresponsable
a-t-elle pu céder du terrain à la droite, au capital,
en laissant se développer l’idée d’une
efficacité quelconque de ce système ? Comment en sommes-nous
arrivés à l’idée qu’il est juste,
rentable de supprimer la moitié des postes de fonctionnaires
et d’appliquer à ceux qui restent de telles méthodes.
Efficaces pour qui ?
Les seuls qui en bénéficient sont les actionnaires,
les PDG qui partent avec des stocks options, une poignée
alors même que dans l’armée du capital, dès
le niveau des officiers, c’est la destruction des êtres
humains, une pression insoutenable.
Faute d’avoir la moindre idée sur ce contexte là,
de n’en avoir que des échos furtifs, celui des suicides
à PSA, celui de temps en temps sur le coût des conditions
de travail sur la sécu, les Français champion du monde
de la consommation d’antidépresseurs, on peut mener
une offensive contre “la bureaucratie” et préconiser
la disparition programmée des dizaine de milliers de fonctionnaires.
Quel est le rapport? C’est simple, l’efficacité
exigerait la fin d’un système que l’on décrit
comme bureaucratique, lourd, n’aboutissant pas à la
décision indispensable, pléthorique en personnel autant
qu’en formulaires inutiles, un coût trop lourd pour
l’impôt…
Pourquoi sommes-nous convaincu que “l’efficacité”
y compris présidentielle passe par un management politique
où l’intéressé paraît dopé
à la cocaïne… sans vouloir tirer trop loin l’analogie
qui ne perçoit pas la logique de cette individualisation
à outrance avec sa caricature de pouvoir personnel transformée
en star du people grâce aux médias possédées
par les mêmes…
La forme bureaucratique, inefficace, absurde, existe plus encore
dans le secteur privé avec de surcroît le sadisme de
l’exploitation ? Si l’opacité était désormais
nécessaire aux profits, aux stock-options, aux délits
d’initiés? Si la bureaucratie c’était
la très concurrentielle Union Européenne ?
Efficace pour qui ? Pas pour l’usager… Donc si la bureaucratie
signifie le pouvoir despotique d’une administration anonyme
celle du secteur privé, des grandes multinationales, non
seulement existe mais va beaucoup plus loin dans l’arbitraire
que tout ce qu’on peut imaginer en matière étatique.
Non seulement pour les salariés mais pour les usagers, si
vous avez eu un procès avec une grande compagnie d’assurance
ou si vous vous êtes heurtés à une plateforme
d’intervention située aux Bahamas ou au Maroc en cas
de panne d’ordinateur vous avez une vague idée de la
chose. Et devant les nouvelles mœurs des télécommunications
privatisées, qui n’a pas regretté l’employée
des PTT hostile derrière son guichet des temps jadis. Donc
la bureaucratie ne rime pas nécessairement avec l’Etat,
elle décrit encore plus le monde anonyme et meurtrier des
grandes multinationales.
Par quelle fiction est-on arrivé à attribuer au seul
socialisme, à la fonction publique la nécessité
de dégraisser le mammouth ? De quoi parle-t-on ?
Quand on parle de bureaucratie c’est comme quand on parle
de « totalitarisme », ou dans un autre ordre d’idée
de « populisme », on joue à manier le concept
mais en fait on utilise comme le médecin de Molière
des notions creuses, des faux diagnostics, qui justifient la saignée…
La finalité est, sous des allures savantes, de stigmatiser
le socialisme ou tout gouvernement proche du peuple du sceau du
despotisme. Pour opérer un tel glissement de sens, un tel
racolage, il faut par exemple passer de démagogue à
populiste, identifier des systèmes aussi incompatibles que
le communisme et le fascisme pour dire qu’ils prétendent
changer “la totalité” de la vie pour créer
le “totalitarisme”. Un besoin urgent s’impose
: savoir de quoi on parle exactement quand on agite des “idées
reçues”. Oui c’est la totalité de la vie
qu’il faut changer: au capital qui isole, individualise, détruit,
il faut opposer une nouvelle place des êtres humains dans
le collectif et dans la nature.
Recréer le militantisme comme solidarité
et comme partage de visions du monde
Face à ce système d’individualisation, d’isolement,
un travail médiatique est fait pour disqualifier des exigences
légitimes comme le besoin de solidarité, de communauté,
ou de sécurité. A été utilisé
le fait que la classe dominante pour s’imposer à un
peuple mécontent ne peut pas se contenter de proclamer qu’elle
va développer son exploitation par la répression.
La classe dominante va créer une hégémonie
en reprenant les valeurs des exploités, leur besoin de solidarité,
de liberté, de communauté, de patrie. Donc elle va
caricaturer l’exigence de socialisme, c’est le cas du
fascisme. Ce moment de confusion des valeurs et des espérances
existe dans toutes les contre-révolutions, y compris celle
conservatrice du reaganisme et du sarkozysme. Il s’agit de
renvoyer à l’archaïsme toutes les valeurs progressistes
et toutes les aspirations au socialisme pour ne laisser plus que
la liberté du marché, le libre renard dans le libre
poulailler mais cela ne peut emporter l’adhésion que
parce que la classe dominante a su récupérer des valeurs
méprisées par la gauche et les a détourné
vers l’autoritarisme, la répression, la haine de l’Autre,
l’étranger.
L’individualisme, la pression, l’angoisse du lendemain
développent un besoin de sécurité qui va être
détourné vers l’homme fort, la répression,
la tolérance zéro, la haine des faibles, de ceux qui
encombrent, et nuisent à la “productivité”,
nous freinent dans la mondialisation conçue elle-même
comme une mise en concurrence, une guerre sans limite.
La gauche stigmatise ce besoin de sécurité, et quand
elle accepte de reconnaître les besoins élémentaires
des populations, c’est pour adopter les solutions répressives
de la droite, pour caricaturer ses solutions. Comme la même
gauche croit faire “sérieux” en revendiquant
une capacité gestionnaire qui emprunte ses “méthodes”
au capitalisme. La modernité ce serait de ressembler toujours
plus au capital et d’adopter ses recettes.
Je n’en suis toujours pas revenue, oserais-je vous l’avouer
de l’enthousiasme, la fierté même des socialistes
saluant la candidature de DSK au FMI. Que cet organisme qui est
le gardien des investissements capitalistes dans les pays du Tiers-monde,
qui a accompli en matière de destruction des êtres
humains et de l’environnement les pires exactions, cet organisme
tenu par les “voyous” étasuniens et européens,
soit considéré par les socialistes français
comme une institution si respectable que cela est un honneur pour
l’un des leurs de le diriger, montre où en est le parti
hégémonique de la gauche française.
Que la candidate du PS (sans parler de ceux et celle des groupuscules)
ait pu mouliner du vent durant toute la campagne alors que se mettait
en place une révolution néo-conservatrice, que les
militants et les femmes de gauche aient préféré
des candidats uniquement sur leur look(1), sur n’importe quoi,
alors que la France subit un des assauts les plus rudes de son histoire,
alors qu’il s’agit de transformer durablement ce pays,
d’en détruire les valeurs, d’empêcher toute
protestation collective, d’individualiser à outrance,
montre à quel point la gauche, direction du PCF comprise
est en pleine forfaiture et a offert à ce capital les clés
de la citadelle.
Nous n’aurons jamais le pouvoir médiatique ou alors
c’est que nous sommes “l’opposition de sa majesté”,
celle qui partage sa conception politique, qui adhère au
même capitalisme, son sens du sensationnel, son individualisme
forcené… La seule solution c’est de retisser
un maillage militant, un travail de proximité, d’avoir
le courage de dénoncer avec des arguments parfois de bon
sens les idées reçues. Il faut que nous changions
de conception militante. Avec la confusion idéologique, syndicats,
associations, partis, sont devenus des lieux de division, de jalousie,
de haines, il faut reconstruire des solidarités mais cela
ne pourra se faire qu’avec une vision claire de ce pourquoi
nous nous battons, et pas des petits jeux tactiques stupides, des
candidats faits pour les médias et qui n’ont pas la
confiance de leurs camarades… Le capital isole, nous devons
créer société…
Danielle Bleitrach
(1) sans parler de ceux, vous en connaissez tous, qui après
avoir voté Non à la Constitution européenne
sont allés voter Bayrou parce qu’ils n’aimaient
pas Ségolène Royal, tirant un peu plus l’échiquier
politique vers la droite…
Publié 20 juillet 2007 La France
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