Message Internet sur la liste ATSX
Date: 24 Septembre 2003
Sujet: [atsx] Lettre ouverte contre le renforcement des stéréotypes
masculins à l'école québécoise
Un des nombreux textes innovateurs regroupés sur le site SISYPHE.
«Renforcer les stéréotypes masculins ne résoudra
pas les difficultés des garçons à l'école»
Jean-Claude St-Amant
Lettre ouverte au ministre de l'Éducation du Québec
C'est avec une certaine stupéfaction que nous avons appris par
le biais du journal Le Devoir du 8 septembre dernier, la tenue d'une journée
intitulée "Le gars show", organisée par l'école
la Ruche à Magog, et surtout votre appui et votre participation
à cet événement désolant. Quel modèle
masculin choisit-on de proposer aux garçons en faisant ce mauvais
jeu de mot avec le nom de l'événement? Quel modèle
masculin choisit-on de proposer aux garçons en faisant ce mauvais
jeu de mot avec le nom de l'événement? Un gars chaud serait
séduisant pour les gars? Pour tous les gars? L'image à laquelle
l'expression renvoie fournit un bon modèle d'homme ou de père?
C'est ce à quoi le garçons doivent tendre dans leur quête
de maturité et d'épanouissement? Et le rôle de l'école
est de les aider à y parvenir ? Navrant !
En gardant la même "logique éducative", peut-on
imaginer que les filles que l'on sort de l'école contre leur gré
devront obligatoirement voir la pièce de théâtre "
Broue ", afin de se prendre de nostalgie pour le temps où
les tavernes étaient réservées aux hommes, où
les "gars chauds" étaient si bien entre eux ?
La version de la masculinité mise de l'avant par le type d'activités
choisies à la Ruche repose sur une vision extrêmement limitative
de ce que sont les garçons. Qui plus est, elle se réfère
à un modèle unique et contraignant de masculinité,
alors que l'ouverture à la diversité constitue la meilleure
façon d'améliorer leur rapport à l'école et
de les préparer à la vie en société, mixte
faut-il le rappeler. (...)
Lire l'article intégral qui suit ci-après sur cette page
:
http://sisyphe.org/article.php3?id_article=639
« Renforcer les stéréotypes masculins ne résoudra
pas les difficultés des garçons à l'école
», par Jean-Claude St-Amant, chercheur à l'Université
Laval
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Lundi 22 septembre 2003
Renforcer les stéréotypes masculins ne résoudra
pas les difficultés des garçons à l'école
Lettre ouverte au ministre de l'Éducation du Québec
par Jean-Claude St-Amant, chercheur, Université Laval
Les journaux nous apprenaient au début de septembre que l'École
secondaire de la Ruche, située à Magog, au Québec,
organisait une journée d'activités appelé Le Gars
Show « pour donner le signal aux garçons que l'école
peut être intéressante ». Au cours de cette journée,
les « gars » pourront exprimer leur virilité en jouant
avec un tank de l'armée ou une pelle mécanique dans la
cour de l'école pendant que les filles, qu'on met de force en-dehors
de l'école, pourront aller au cinéma ou voir un spectacle
dans un établissement de la ville. Il y a apparemment des gens
qui croient régler les problèmes d'adaptation des garçons
à l'école et de l'école aux garçons par
de tels moyens. Jean-Claude St-Amant, spécialiste en éducation
et membre d'une équipe de recherche sur les écarts de
réussite scolaire selon le sexe, écrit au ministre de
l'Éducation du Québec qui a encouragé la tenue
de cette activité.
Québec, le 15 septembre 2003
M. Pierre Reid,
Ministre de l'Éducation,
1035, rue De la Chevrotière
Québec (Qc)
G1R 5A5
Monsieur le ministre,
C'est avec une certaine stupéfaction que nous avons appris par
le biais du journal Le Devoir du 8 septembre dernier, la tenue d'une
journée intitulée "Le gars show", organisée
par l'école la Ruche à Magog, et surtout votre appui et
votre participation à cet événement désolant.
Notre équipe fait de la recherche sur les écarts de réussite
scolaire selon le sexe depuis une dizaine d'années et si nous
avions tenté de réunir en un seul exemple tout ce qu'il
ne faut pas faire au sujet des difficultés scolaires des garçons,
je ne crois pas que nous y serions arrivés aussi bien que les
organisateurs de cette journée. Il nous semble urgent de vous
soumettre quelques considérations et de signaler quelques résultats
de recherche qui montrent que les effets prévisibles d'une telle
activité seront de nuire plutôt que d'aider, et ce tant
aux garçons qu'aux filles de cette école.
Quel modèle masculin choisit-on de proposer aux garçons
en faisant ce mauvais jeu de mot avec le nom de l'événement
? Un gars chaud serait séduisant pour les gars ? Pour tous les
gars ? L'image à laquelle l'expression renvoie fournit un bon
modèle d'homme ou de père ? C'est ce à quoi le
garçons doivent tendre dans leur quête de maturité
et d'épanouissement ? Et le rôle de l'école est
de les aider à y parvenir ? Navrant !
En gardant la même "logique éducative", peut-on
imaginer que les filles que l'on sort de l'école contre leur
gré devront obligatoirement voir la pièce de théâtre
" Broue ", afin de se prendre de nostalgie pour le temps où
les tavernes étaient réservées aux hommes, où
les "gars chauds" étaient si bien entre eux ?
La version de la masculinité mise de l'avant par le type d'activités
choisies à la Ruche repose sur une vision extrêmement limitative
de ce que sont les garçons. Qui plus est, elle se réfère
à un modèle unique et contraignant de masculinité,
alors que l'ouverture à la diversité constitue la meilleure
façon d'améliorer leur rapport à l'école
et de les préparer à la vie en société,
mixte faut-il le rappeler. En clair, l'école propose une vision
très stéréotypée de l'identité masculine,
ce qui ne correspond d'aucune façon à la variété
des modèles existants. Or, nos travaux ont montré qu'une
meilleure réussite scolaire passe précisément par
l'affranchissement des stéréotypes sexuels, ce que ne
parviennent à faire qu'une petite proportion de garçons
québécois - par rapport aux filles. Certains garçons,
particulièrement en milieu dit défavorisé, se construisent
une identité de sexe très traditionnelle, les distanciant
simultanément de l'école. Il y a fort à parier
que les activités de cet après-midi du 24 septembre auront
exactement cet effet.
Si un des membres de notre équipe était parent d'un garçon
fréquentant l'école secondaire la Ruche, il porterait
plainte à la Commission des droits de la personne en invoquant
le fait que par son action, l'école diminue les chances de son
garçon quant à la réussite scolaire, qu'elle réduit
les possibilités qu'il a de s'épanouir pleinement en tant
qu'être humain, qu'elle sacrifie son intégrité au
nom d'une vision étriquée et débilitante de ce
que sont les garçons, bref que l'action de son école compromet
à la fois son instruction et son éducation. Nous ferions
la preuve que les connaissances scientifiques aujourd'hui disponibles
suffisent amplement à démontrer que l'école a non
seulement fait fausse route, mais qu'elle l'a fait par négligence.
Il existe en effet sur cette problématique de nombreux outils
: un guide d'intervention destiné au personnel scolaire du secondaire
que l'on peut se procurer facilement, un cours de deuxième cycle
disponible partout au Québec et intitulé "Comprendre
et intervenir pour réduire les écarts de réussite
scolaire entre garçons et filles", de même que plusieurs
résultats de recherche largement diffusés qui montrent
que c'est en réduisant le recours aux stéréotypes
sexuels que les chances de réussite scolaire s'améliorent.
Cette dernière assertion s'applique tant aux garçons qu'aux
filles.
Quel type de "lien affectif" avec l'école veut-on
instiller chez les garçons en excluant les filles et quel est
le message sous-jacent à cette mesure ? Que les filles sont responsables
des difficultés des garçons ? Que les activités
scolaires intéressantes se font sans les filles et les femmes
? Que dans certaines circonstances, l'exclusion de force des filles
et des femmes se justifie ? Que les agents du système scolaire
sont prêts à tout pour que les résultats des garçons
dépassent ceux des filles ? Nous ne pouvons croire qu'à
titre de ministre de l'Éducation, vous puissiez vous engager
dans cette voie.
Autres questions tout aussi pertinentes : quels messages envoie-t-on
aux filles en les excluant de l'école contre leur gré
? Qu'elles n'y sont pas à leur place ? Que l'école, ce
n'est pas aussi important pour elles ? Qu'elles nuisent aux garçons
? Que les interventions éducatives menées par divers intervenants
scolaires de la province pour contrer l'exclusion et la marginalisation
- processus souvent au cœur des difficultés scolaires -,
sont en réalité de la frime et que, quoiqu'on en dise,
ce sont des efforts qui ne valent que pour les garçons ? Que
les métiers qui sont présentés aux gars cet après-midi
de classe de septembre ne leur conviennent pas, parce qu'elles sont
des filles ? Qu'aucune fille, particulièrement le quart d'entre
elles qui éprouvent des difficultés à l'école,
ne mérite un coup de pouce supplémentaire ?
Si l'un de nous était parent d'une fille fréquentant
l'école secondaire la Ruche, il porterait aussi plainte à
la Commission des droits de la personne. Il invoquerait la discrimination
basée sur le sexe dont sa fille et ses consoeurs sont victimes,
expulsées comme des indésirables, privées sciemment
par l'école de la possibilité d'enrichir leurs connaissances
et d'ouvrir leurs horizons et rendues en bout de ligne responsables
des difficultés scolaires des garçons.
"Le gars show" n'est ni la seule ni la première activité
organisée par une commission scolaire québécoise
qui, en visant l'amélioration de la réussite scolaire
des garçons, choisit des moyens qui vont exactement à
l'encontre des objectifs visés. Nous pourrions vous en fournir
bon nombre d'exemples. Depuis quelques années, votre ministère,
peut-être piégé en ça par les médias
qui entretiennent la fièvre, a mis une pression énorme
sur le personnel enseignant, notamment à l'ordre d'enseignement
primaire où on retrouve une majorité de femmes, pour améliorer
la réussite scolaire des garçons. Cependant, le personnel
scolaire est laissé à lui-même quant aux mesures
concrètes à mettre en place. Il doit improviser, trop
souvent à partir d'informations erronées, construites
sur le sens commun plutôt que sur des bases scientifiques solides.
L'exemple malheureux de la Ruche montre à l'évidence que
la bonne volonté ne suffit pas. Non seulement cette activité
devrait-elle être annulée, mais encore le personnel scolaire
devrait-il être invité à se documenter davantage.
Songeons au nombre de conférences, de livres et d'ateliers que
la somme investie dans cette seule demi-journée pourrait procurer
à l'ensemble du personnel scolaire de la commission scolaire.
Un investissement dont les résultats auraient pu être bénéfiques
pendant plusieurs années. Voilà un projet-pilote qui pourrait
faire une différence !
Peut-être l'information vous a-t-elle échappé,
monsieur le ministre, mais votre ministère a tenu en avril dernier
un "chantier sur la réussite des garçons". Nous
vous signalons plus particulièrement les présentations
de madame Louise Landry et de madame Huguette Gagnon : l'efficacité
de leurs interventions sur le terrain a été mesurée
dans les deux cas, chacune de celles-ci vise l'ensemble des jeunes en
difficulté plutôt qu'un groupe de sexe seulement et aucune
des deux ne recourt à des conceptions sclérosées
et débilitantes des identités de sexe. Le document de
travail contient également des textes produits par cinq chercheurs
et chercheuses universitaires de même que le résumé
de l'avis du Conseil Supérieur de l'éducation Pour une
meilleure réussite scolaire des garçons et des filles.
Nous restons à votre disposition, monsieur le ministre, si besoin
était d'élaborer davantage.
Jean-Claude St-Amant
Professionnel de recherche
Chaire d'étude Claire-Bonenfant sur la condition des femmes
Université Laval
Mise en ligne sur Sisyphe, le 22 septembre 2003
Suggestion de Sisyphe « Hommes en désarroi et déroutes
de la raison », par Francis Dupuis-Déri, Le Devoir, 24
septembre 2003
Sisyphe 2002-2003 Jean-Claude St-Amant, chercheur, Université
Laval
Jean-Claude St-Amant est professionnel de recherche à l'Université
Laval depuis 1992, rattaché au Centre de recherche et d'intervention
sur la réussite scolaire (CRIRES) ainsi qu'à la Chaire
d'étude Claire-Bonenfant sur la condition des femmes. Historien
de formation, il a été professeur-chercheur pendant une
dizaine d'années avant de se consacrer entièrement à
la recherche. Intéressé par le rôle de l'éducation
dans la réduction des inégalités, ses travaux récents
ont porté sur la réussite scolaire en milieu autochtone,
sur les dynamiques scolaires dans les familles de milieu populaire et
sur les écarts de réussite entre garçons et filles.
Il prépare maintenant une enquête sur les difficultés
scolaires selon le sexe vues par le personnel scolaire québécois.
Le lien d'origine : http://sisyphe.org/article.php3?id_article=639