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Origine http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20040816.html
L'incertitude fait partie de la condition humaine et on étalerait
une bien puérile immaturité si l'on exigeait en toutes
choses la garantie du succès et une sécurité
blindée. La mort fait partie des rendez-vous indiscutables
et elle apparaît d'autant plus redoutable qu'on n'en connaît
pas l'heure. Comme disait Borgès : « Je ne sais à
peu près rien de moi. La preuve, c'est que je ne sais même
pas quand je vais mourir... » À cette réalité
implacable s'ajoutent les aléas de l'emploi, le flou des
relations avec autrui, l'inquiétude à propos des êtres
chers... L'existence humaine doit composer avec ces risques et ces
doutes. Rien n'oblige cependant à encourager la méfiance
et l'inquiétude à force de tricheries. Les doutes
inévitables suffisent déjà amplement. Pourquoi
alors permettre au mensonge d'empoisonner le monde de la politique,
du sport, des droits fondamentaux?
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Lorsque j'ai publié, il y a déjà huit ans,
un pamphlet intitulé « Pour en finir avec l'olympisme
», on m'a souvent demandé pourquoi je l'avais commis.
Ma réponse fut toujours double : « Parce que j'aime
le sport et parce que je déteste le mensonge. » Pendant
que se déroulent les jeux d'Athènes, les mêmes
réticences me reviennent en mémoire, avec cependant
des nuances : le sport a subi une telle contamination commerciale
qu'il a perdu beaucoup de son attrait et de ses mérites,
tandis que la sempiternelle possibilité du mensonge empêche
le public de s'abandonner à la magie des prouesses. Le doute
s'est installé et chacun attend, avant de s'enthousiasmer,
la fin des tests antidopage. Dans la célébration olympique
du sport, la sécurité et le dopage occupent désormais
l'avant-scène.
Des progrès ont été accomplis, me dira-t-on,
aussi bien dans l'assainissement des moeurs du CIO que dans la lutte
au dopage. Progrès fort limités, me semble-t-il. Le
CIO constitue toujours un club privé qui ne rend de compte
à personne et qui coopte ses membres à la manière
de la famille régnante saoudienne. Le CIO continue d'exercer
un véritable pouvoir de taxation sur les pays, tout en leur
abandonnant les risques. Il empoche une part croissante des bénéfices,
mais se lave les mains des déficits toujours possibles. Le
choix des disciplines ne correspond pas aux besoins physiques des
humains, mais aux préférences des conglomérats
fondés sur le spectacle commercial et le vedettariat propice
aux ventes des produits dérivés. On prétend
glorifier les athlètes, mais on maintient les hymnes nationaux,
les classements chauvins, le dédain pour tous ceux qui ratent
les médailles. Quant au dopage, sa menace plane toujours,
car l'industrie pharmaceutique est plus créatrice en produits
dopants qu'en méthodes de détection. Le doute persiste
et fait son oeuvre.
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Chaque fois que j'entends un reportage en provenance de l'Irak,
je me demande où est le journaliste qui me décrit
la situation. Dans sa chambre d'hôtel à écouter
CNN? Dans une des salles où les militaires étatsuniens
tiennent leurs « points de presse »? Dans un pays limitrophe?
Et je songe alors à la remarquable honnêteté
professionnelle de la journaliste du Globe & Mail qui, à
l'époque de Tien-Anmen, attachait une mise en garde à
chacun des reportages qu'elle expédiait de Beijing : «
Ce texte a pu faire l'objet de coupures ou de retouches ».
Je voyais là de l'humilité, mais surtout la pratique
d'une remarquable éthique. Si l'objectif de ce métier
est d'informer, le premier effort doit consister à calibrer
l'information, à aider le lecteur à porter jugement
ou à douter sainement, non à faire semblant d'avoir
vu.
Dans l'Irak d'aujourd'hui, que voit le journaliste? Pour un Robert
Fisk qui patrouille cette partie du monde depuis plus de trente
ans et qui, sans jouer les matamores, circule plus que la moyenne,
combien y en a-t-il qui répercutent exclusivement la propagande
des troupes d'occupation? Je n'oblige personne à risquer
sa vie, mais je n'aime pas que les journalistes nous racontent depuis
Bagdad ce qui se passe à cinquante ou cent kilomètres
de là et qu'ils n'ont pu vérifier. Pourquoi pas une
modeste addition disant « Cet article est fondé sur
les affirmations de l'armée d'occupation »? Tant que
l'ego des journalistes les empêchera de s'avouer mal renseignés,
c'est l'information en général et le journalisme comme
tel qui susciteront le doute.
À cet égard, l'endossement que Reporters sans frontière
accordait sans en rien connaître à la cause de CHOI-FM
concorde tristement avec la philosophie de Robert Ménard,
mais il devrait répandre le doute sur la fiabilité
de ce croisé. Lire Ménard ne fait d'ailleurs qu'amplifier
le doute :
Le siège du secrétariat international est établi
à Montpellier, dans les locaux de la section française.
L'autonomie des sections étrangères est très
relative : elles sont surtout là pour diffuser l'information
transmise par le siège, car j'estime nécessaire que
nous nous exprimions d'une seule voix. Je ne souhaite pas non plus
que les sections commentent l'actualité de leur propre pays.
Imaginons, pour prendre l'exemple espagnol, que la section locale
traite le dossier basque : elle le fera nécessairement avec
un grand luxe de nuances et de restrictions. Or, nos rapports ne
doivent pas être trop nuancés : ils doivent être
directs, sans fioritures. C'est notre force : si l'on tient compte
de trop de paramètres, on n'écrit plus rien et on
ne critique plus personne. Tant pis si cela a pour conséquence
que nous soyons l'un des derniers endroits où sévit
le " centralisme démocratique "!
Ériger cela en modèle et en caution montre qu'on
ne l'a jamais lu.
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Aux États-Unis, la course à la présidence
reproduit dans ce qu'elle présentait de pire la récente
campagne électorale canadienne. La question ne consiste plus
à savoir ce que souhaite la nation américaine, mais
où se situe sa « moindre perplexité ».
Tout comme les Canadiens ont récemment voté à
reculons, en tentant d'abord de se prémunir contre le pire.
Les deux candidats suscitent un tel doute et font lever si peu d'espoir
qu'un pourcentage énorme de l'électorat se désintéresse
de leurs propos. Les deux camps veulent le pouvoir, mais aucun n'en
propose un usage stimulant. Certes, le programme de John Kerry se
distingue parfois des politiques républicaines, surtout en
ce qui a trait à la fiscalité et aux responsabilités
sociales de l'État, mais le parti démocrate est si
empressé à copier le parti républicain dans
l'agression contre l'Irak, l'appui à Israël et le délire
sécuritaire que l'électorat remarque les similitudes
plus que les différences. À l'heure actuelle, de nombreux
citoyens des États-Unis, incapables de départager
clairement les deux candidats, tirent la conclusion désabusée
: « Dans le doute, abstiens-toi... » Quand le choix
n'existe plus, il n'y a plus de démocratie.
On ne s'étonnera donc pas si les « pragmatiques »
qui entourent George Bush envisagent le plus sérieusement
du monde la suppression du scrutin de novembre. Certes, ils invoquent
la menace terroriste pour tester cette hypothèse honteuse.
Ce n'est quand même pas leur véritable motif. En leur
âme et conscience, ils pensent, avec une certaine justesse,
que le scrutin ne rime à rien. Surtout, ils croient que Dieu
les a choisis pour implanter aux États-Unis et sur la planète
un gouvernement éternellement républicain. Tout comme
ils avaient besoin des armes de destruction massive pour justifier
l'invasion de l'Irak, peut-être prendront-ils prétexte
du terrorisme appréhendé ou inventé de toutes
pièces pour décréter l'état d'urgence
et escamoter le rituel électoral... Vision apocalyptique?
Bien sûr, mais si le Dieu que cite la Maison-Blanche veut
l'apocalypse, qui nous en protégera?
Le doute parvient ainsi aux racines mêmes de la démocratie.
Puisqu'il n'y a plus de différence perceptible entre les
deux partis, un mensonge de plus pourrait rendre futile le rituel
électoral.
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Revenons un instant au Canada où le gouvernement minoritaire
de Paul Martin fait de son pire pour que s'amplifie le doute sur
son aptitude à gérer honnêtement. Voilà,
en effet, que le ministre McCallum, responsable de la Société
des Postes, accepte la démission du PDG de l'organisme comme
si le départ d'André Ouellet devait faire oublier
ses années de népotisme et de gestion échevelée.
Impliqué dans le scandale des commandites, bénéficiaire
de presque deux millions en frais de voyage inexpliqués,
personnellement impliqué dans des contrats boiteux de plus
d'une trentaine de millions, l'ex-ministre libéral recyclé
en gestionnaire s'est conduit en despote tribal. Mais le gouvernement
de Paul Martin, qui promettait la transparence, ne voit pas pourquoi
il devrait sévir. Étrange façon de lever le
doute sur la corruption érigée en nom de famille par
le clan libéral.
Laurent Laplante
RÉFÉRENCES :
* Pour en finir avec l'olympisme, Laurent Laplante, Boréal,
1996.
* Surprise : on triche!, Dixit Laurent Laplante, 24 avril 2003.
* 'Can't Blair see that this country is about to explode? Can't
Bush?', Robert Fisk, The Independent, 1er août 2004.
* Robert Ménard, Ces journalistes que l'on veut faire taire,
Albin Michel, 2001.
* Une station de radio censurée au Québec, Reporters
sans frontières, 22 juillet 2004.
* Les vautours de Reporters sans frontières, PLPL, juin-août
2001.
* Democratic Party Platform Shows Shift to the Right on Foreign
Policy, Foreign Policy in Focus, 5 août 2004.
* Exclusive: Election Day Worries, Newsweek, édition du 19
juillet 2004.
* Surprise!, Tom Dispatch.com, 9 août 2004.
* On the Road, Bush Fields Softballs From the Faithful, New York
Times, 16 août 2004.
* How They Could Steal the Election This Time, The Nation, édition
du 16 août 2004.
* André Ouellet justifie sa démission, Radio-Canada,
12 août 2004.
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