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Origine : http://mouvement.critique.du.sport.chez.tiscali.fr/pages/presse_c.htm
Plus que jamais le sport sature notre espace et notre temps. Or,
malgré ses centaines de millions de licenciés sur
la planète, ses milliards de téléspectateurs,
son importance dans le commerce mondial, ses complicités
politico-financières et son pouvoir hégémonique
sur les corps, il est souvent présenté comme un jeu.
Si l'on s'entendait une fois pour toutes sur la définition
même du mot, si l'on arrêtait de confondre un match
entre enfants tapant dans une boîte de conserve et une finale
de Coupe du monde, ou un footing entre amis au bord de la Loire
et la finale mondiale du 1500 mètres, la question du sport
n'apparaîtrait plus si dérisoire et si innocente que
ça. Car en lui s'investit une vision du monde. Le sport n'est
ni un jeu, ni une simple activité physique.
Hommes politiques, intellectuels et militants glissent sur l'institution
sportive et sur ses fonctions de peur de se désolidariser
d'activités massives dites festives. Personne ne s'interroge
réellement en termes d'utilité collective sur le budget
des Mondiaux organisés à Paris (60 millions d'euros
dont 50% environ à la charge des partenaires institutionnels),
sur la transformation de la Cité Universitaire en camp retranché,
sur la mise en place d'un réseau parallèle de la RATP
et sur le déploiement d'un " dispositif de sécurité
hors du commun ". Est-ce donc mépriser le peuple que
de chercher à réfléchir et à désenchanter
le monde du sport ? Si l'on tient pour acquis que l'intelligence
devient paresseuse lorsqu'une société devient consensuelle,
on comprend mieux pourquoi le sport ne fait pas l'objet de connaissances
mais de croyances, d'adoration aveugle ou de rejet irréfléchi.
Dans le sillage des champions, les journalistes ont encore une
fois authentifié les performances (et avec quelle démesure
sur les chaînes publiques !) sans poser les questions de fond.
Pourquoi le sport a-t-il pris une place aussi considérable
? Qu'est-ce qui fait courir les foules derrière des athlètes
et des équipes ? Comment expliquer que tant de salariés
s'identifient à des champions qui gagnent en trois mois ce
qu'eux-mêmes ne gagneront pas durant toute leur vie ? Pourquoi
les inégalités, les mensonges et la corruption violemment
condamnées ailleurs sont-elles si facilement tolérées
dans le milieu sportif ? Pourquoi ce " fait social total "
reste-t-il un impensé ?
Dès son origine, le sport est un spectacle relayé
par la presse qui, autour de lui, bricole une dramaturgie, manipule
le suspense, emphatise le drame commun des humains. A cet égard,
la folle histoire de Marie-José Pérec, depuis son
départ précipité de Sydney jusqu'à son
faux retour orchestré pour " faire mousser " l'événement
parisien, est exemplaire. La popularité du sport a plusieurs
raisons : d'abord, il fait naître des émotions et nul
doute que la chute d'une star sur la dernière haie suivie
du réconfort de sa petite famille, mari et enfants rassemblés,
fera pleurer dans les chaumières. Ensuite, il est un univers
simple, binaire, immédiatement parlant : en athlétisme,
chaque champion " vaut quelque chose " (des centimètres,
des dixièmes de secondes) et personne ne vient discuter cette
hiérarchie parallèle sauf en cas de dopage avéré
ce qui peu probable tant il est impossible d'avoir des contrôles
efficaces. Comme au Tour de France, un seul sportif bouc émissaire
(la championne des 100 et 200 mètres Kelli White) a éveillé
les soupçons. Enfin, selon le discours de la sociologie officielle,
le sport " théâtralise les valeurs fondamentales
de notre société " (justice, mérite),
crée du lien social et résout le problème de
la quête de sens. Même s'il n'en revêt pas tous
les caractères, le sport est devenu la religion des temps
modernes. Comme elle, il fonctionne suivant un pôle de valeurs
indiscutables et un ensemble de pratiques à prétention
universelle.
Au Stade de France comme ailleurs, la fonction essentielle du spectacle
sportif fut la manipulation des émotions de masse. C'est
par le jeu des identifications collectives, de la contemplation
dormitive d'exploits, qu'opère " l'opium du peuple ".
Dans son refus de s'engager, le supporter sportif se crée
un paradis artificiel à l'intérieur même d'une
société qui le déçoit. Le sport console,
apaise, volatilise la lutte des classes ; il est un " briseur
de soucis ". Mais, à quelle œuvre féconde
la foule sportive emploie-t-elle son activité ?
En se présentant comme une zone de neutralité et
non comme une institution sociale complexe, le sport évacue
un peu vite tout ce qui n'est pas directement sportif. Or, traversé
par les enjeux d'une conjoncture historique donnée, il est
toujours politique. Mais plus encore, il est un projet politique
porteur de représentations du monde et de valeurs inconsciemment
incorporées. Royaume du corps et de la pensée uniques,
il reste malheureusement à l'abri des oppositions de points
de vue qui agitent les autres institutions. Né avec le capitalisme,
le sport en défend l'idéologie et les principes. Or,
les sportifs comme les non-sportifs se placent naïvement au-dessus
de la mêlée. Plus grave encore, et on l'a constaté
encore avec les Mondiaux d'athlétisme, les militants de gauche
et d'extrême gauche se réfugient dans un silence complice.
En oubliant qu'analyser le sport c'est aussi analyser la Société.
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