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L'essentiel, c'est de ne pas critiquer
(2 articles de la revue Regards http://www.regards.fr)

Origine :http://mapage.noos.fr/paris-2012/Regards.pdf

Médias, politiques et entreprises chantent à l'unisson les vertus des Jeux Olympiques. Une machine à produire du consensus. Des voix discrètes s'élèvent et réclament davantage de débat. Par Rémi Douat

A-t-on le droit de s'interroger sur l'opportunité de la candidature de Paris aux J.O? Guy Drut (1), dans trois pages du Parisien (2) à la gloire des Jeux, illustre bien l'injonction de se conformer à la « dynamique nationale » : « Cette candidature est devenue un véritable phénomène de société. (...) les Français rêvent d'organiser les Jeux », s'avance-t-il. Les animateurs télé arborent des pin's et donnent à tout va du « nous » patriotique, l'Assemblée nationale est barrée d'une banderole « l'Amour des jeux » et le débat ambiant est aussi consensuel que les arguments posés par TF1 pour le compte de Bouygues, partenaire des Jeux, sont en béton.

L'information s'habille en communication. Un club des entreprises Paris 2012 a pour mission de soutenir la candidature. Son président ? Lagardère, détenteur de 245 titres publiés dans 36 pays soit 1 milliard d'exemplaires. Lesdits titres ont donc toute liberté de ne pas s'interroger sur la pertinence de la candidature. Gare à celui qui n'a pas l'«Olympique Attitude», comme l'a résumé le ministre des sports Jean-François Lamour, parodiant Jean-Pierre Raffarin et sa muse Lorie chanteuse pré adolescente adoubée philosophe du gouvernement. Pertinentes ou non, les voix dissonantes sont un peu isolées.

Charlotte Nenner, élue des Verts à Paris évoque les cartes de voeux officielles de la mairie, agrémentées du logo de la candidature. « On est prié de se taire si notre avis diverge. Cet absence de débat démocratique est insupportable ». Elle regrette l'argument des JO vecteurs de progrès urbain. « C'est un peu hasardeux d'attendre d'un événement sportif une orientation municipale. Nous n'avons pas à attendre un village olympique pour faire du logement social. Mais il y a un tabou très fort » Pourquoi ce tabou? « En politique, on doit caresser le sport dans le sens du poil, au prétexte que c'est populaire ! Pourtant, favoriser la pratique au quotidien, c'est un travail de fond qui n'a rien à voir avec le sport spectacle ».

« Le discours du « toute la France derrière les Jeux n'est pas digne d'un pays démocratique ». Pour Michel Caillat, le sport est un phénomène idéologique et politique. Professeur d'économie et de droit, et sociologue du sport (3), il est l'auteur depuis février dernier de « La Lettre anti-olympique du mouvement critique du sport » et plaide pour un débat argumenté sur l'Olympisme et sur « ses prétendues valeurs ». « L'olympisme et les valeurs qu'il prétend porter sont pur échafaudage idéologique. On entend un discours ahurissant sur la loyauté, la beauté, l'honnêteté... Cela rend taboue toute critique. Qui va critiquer des valeurs aussi consensuelles et humanistes ? » Au contraire, pour le sociologue, le sport véhicule des valeurs dominantes violentes : « L'histoire montre que le sport a toujours été de connivence avec les pouvoirs les plus durs. Aujourd'hui, il est le juste reflet de notre société : compétition, rendement, productivité.

Le sport permet de supprimer de manière un peu magique l'inquiétude du monde. Pendant ce temps là, les mesures de régression sociales continuent. C'est ce qui me gêne dans la présence des entreprises. Elles sont là pour redorer leur blason ». Le prof d'éco n'est guère plus emballé que le sociologue : « Ces Jeux seraient créateurs de 40 000 emplois dont 15 000 seulement seront pérennes. Cela ne représente rien à côté des 300 000 ou 400 000 emplois que tout le monde s'accorde à attribuer aux 35 h, qui sont d'ailleurs attaquées par le gouvernement. Derrière les JO, il faut se souvenir qu'il y a le Medef et le club des entreprises ».

Les Amis de la Terre, association environnementale, sollicitée par Paris 2012 pour l'établissement d'une charte de développement durable n'est guère plus convaincue. « Nous sommes dans un consensus forcé et beaucoup d'éléments sont verrouillés à l'avance, explique Patrick Teil, président de l'association. Un exemple significatif du fonctionnement de cette candidature : la présence de Mac Donald est imposé aux organisateurs ». Pour l'heure, les Amis de la Terre refusent de participer à la Charte, jugée ni suffisamment contraignante ni assez audacieuse. Gros soucis pour l'association, les relations avec les entreprises partenaires : « la responsabilité sociale doit être globale et non ponctuelle et médiatique », précise Patrick Teil. Enfin, du côté de l'environnement urbain, l'association résistance à l'agression publicitaire (RAP) dénonce, de concert avec Paysages de France qui a déjà contacté la mairie, l'infraction avec le code de l'environnement que constituent les oriflammes l'Amour des jeux disposé dans Paris. « Nous assistons à une vaste propagande, explique Jean-Christophe Vandevelde pour RAP. On veut faire avaler aux parisiens qu'il n'y a même pas besoin de se poser la question de l'opportunité de la présence des Jeux. On nous explique déjà que ces Jeux seront éthiques. Ethiques comme Lagardère, marchand de canons ? Comme Suez, qui participe à la privatisation de l'eau? Ou comme Coca Cola et ses multiples attaques contre le droit syndical ? »

R.D

(1) Député UMP de Seine et Marne, membre du CIO, ancien ministre des sport et médaillé olympique
(2) Le Parisien du vendredi 7 janvier 2005 (3) Auteur de Idées reçues sur le sport (Editions Cavalier Bleu, mai 2002)


Entretiens

Albert Jacquard, est généticien. Auteur d'une soixantaine d'ouvrages il a récemment publié Halte aux Jeux (1).
« La compétition véhicule les valeurs du libéralisme »

Qu'est-ce qui vous pose problème dans la tenue des Jeux Olympiques à Paris ?

Je ne m'oppose pas particulièrement aux Jeux de Paris mais au principe même de ce qui sous-tend ces rendez-vous sportifs : la compétition. « L'important, c'est de participer », disait Pierre de Coubertin. La phrase est devenue l'emblème des Jeux, mais relève d'une hypocrisie totale. Les faits nous montrent que l'important, c'est de gagner. Il suffit de voir la tristesse du quatrième d'un podium pour s'en rendre compte. Le moteur devrait être l'émulation. Il y a dans l'émulation la notion de devenir meilleur ensemble, en s'appuyant mutuellement. C'est l'opposé de la compétition, où il doit n'en rester qu'un. Au- delà du sport, il s'agit de deux projets de société opposés.

On parle aussi beaucoup de dopage sans s'interroger sur ses causes. Or, l'existence de palmarès est grandement responsable. Nous avons une notion très restrictive du dopage. En fait, la suractivité physique est déjà une forme de dopage. Ce n'est pas naturel pour un homme d'avoir une pratique sportive 6 ou 8 heures par jour, comme le font les professionnels. Quand on fabrique des petits champions, c'est du détournement de mineur. Tout cela pour servir la compétition.

Le terme de compétition n'est-il pas à comprendre différemment lorsqu'il s'agit de sport ?

Je n'ai rien contre le fait de voir mes congénères s'entraîner à sauter haut ou courir vite, mais la compétition véhicule les mêmes valeurs que le libéralisme. Actuellement, j'écris un article sur la Constitution européenne, qui nous promet « une concurrence libre et non faussée » et une économie de marché « hautement compétitive ». Moi, je n'ai aucunement envie d'être hautement compétitif. Par rapport à qui ? Et surtout au détriment de qui ? Cela montre bien que les lois du marché sont celles de la compétition, le vocabulaire se charge de le rappeler. C'est une voie contraire à l'humanisme. La base même du libéralisme, c'est la lutte des Hommes qui luttent contre les Hommes. L'alternative c'est de se construire ensemble. J'aime par exemple la démarche d'une équipe de rugby sénégalaise qui s'appelle les « senfoulescore ». Ils jouent uniquement pour le plaisir.

Au-delà du sport et de la compétition, les Jeux peuvent favoriser le progrès urbain, comme la construction de logements sociaux ou d'équipements...
Peut-être, mais si l'argent existe pour faire du logement social pourquoi attendre les Jeux ? Il s'agit de prétextes pour justifier des dépenses faramineuses. Autour du Stade de France, en Seine-Saint-Denis, les aménagements qui ont été effectués après la Coupe du Monde de 1998 ne sont pas franchement une preuve de civilisation. Et puis ce stade, c'est l'inverse de l'humanité. Ça m'évoque les arènes aux lions. Construire un stade de 80 000 places pour encourager une équipe n'est pas une avancée humaine. C'est en tout cas bien éloigné de la construction de petits équipements sportifs qui permettent aux gamins d'avoir une activité sportive. Les J.O n'ont pas le monopole de cette philosophie. Je vais d'ailleurs participer à une action contre la formule 1. Brûler de l'essence pour tourner en rond le plus vite possible, c'est ridicule. C'est de l'infantilisme collectif.

Propos recueillis par Rémi Douat (1) Stock, 10 euros, 2004