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Origine : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20030424.html
On aimerait faire croire que le monde olympique est rudement secoué
par les révélations récentes au sujet de tests
antidrogues incriminant 114 athlètes américains sur
une période de douze ans. La secousse serait d'autant plus
forte que de grands noms, comme celui de Carl Lewis, apparaîtraient
dans la liste des tricheurs pris en défaut et pourtant protégés
par le Comité olympique des États-Unis. En réalité,
on sait depuis longtemps au sujet du dopage tout ce qu'il est utile
de savoir : il fait partie des tentations auxquelles succombe couramment
le monde olympique, les tests et les listes d'interdits sont toujours
d'une génération en retard sur la mise au point de
nouveaux produits dopants ou masquants, les fédérations
sportives font plus souvent partie du problème que de la
solution... Le problème se situe donc ailleurs que dans la
description brute du fléau : dans les politiques gouvernementales,
dans l'importance démesurée accordée aux médailles,
dans le chauvinisme des médias et des amateurs, dans le manque
d'éthique de plusieurs professionnels de la santé,
dans le vampirisme des compagnies pharmaceutiques... C'est dire
qu'une révélation de plus ou de moins ne changera
rien.
Une triste amélioration s'est quand même produite
dans la perception que le public se fait du dopage : on le sait
présent. Il s'en trouve même pour penser que le dopage
fait partie des moeurs usuelles des sportifs de haut vol. C'est
excessif et, bien sûr, démoralisant pour les athlètes
« propres ». Les athlètes, quant à eux,
protestent tous de leur innocence, mais affirment du même
souffle qu'il est impossible de faire bonne figure au palier international
si l'on ne consomme aucune drogue. Ils s'étonnent aussi de
ce que les athlètes américains soient si rarement
pris en faute. On en déduit deux hypothèses : d'une
part, l'industrie pharmaceutique américaine est mieux équipée
pour aider l'athlète à tromper les tests de dépistage;
d'autre part, le Comité olympique des États-Unis parvient
plus aisément que le Timor-Oriental à protéger
ses athlètes fautifs. Dans ces conditions, apprendre que
les porte-couleurs américains ont triché une dizaine
de fois par année depuis belle lurette devrait provoquer
moins de surprise que de scepticisme. Le chroniqueur Jean Dion a
raison, en effet, de juger le nombre « suspicieusement bas
». D'ailleurs, si l'on a lu le rapport Dubin (Commission d'enquête
sur le recours aux drogues et aux pratiques interdites pour améliorer
la performance athlétique, 1990), on sait vers quels camps
d'entraînement américains ou européens il convient
de diriger les soupçons et auprès de quels instructeurs
les tricheurs canadiens ont appris quelques trucs.
Malgré le caractère public et même officiel
de ces informations, nos gouvernements continuent à financer
les athlètes selon le critère de leurs performances
de niveau international. Dès 1990, le juge Dubin s'était
fait expliquer par des haltérophiles canadiens la pression
que ce mode de financement exerce sur les athlètes :
Ils se sont plaints que les normes fixées par le gouvernement
du Canada pour le versement d'une aide financière étaient
liées aux normes internationales qui, à leur avis,
étaient trop élevées puisqu'elles reposaient
sur les performances des haltérophiles qui consommaient des
stéroïdes (p. 167).
Dans un monde pur et parfait, les athlètes ne vivraient
pas de tels déchirements cornéliens : tous concourraient
honnêtement et respecteraient scrupuleusement le serment olympique.
Comme la réalité est moins idyllique, que nombre de
pays et d'athlètes trichent et que certains comités
olympiques nationaux peuvent ignorer les tests, il devrait être
clair aux yeux de tous qu'un financement fondé sur la performance
internationale incite à la tricherie. Quant, de surcroît,
une presse sportive chauvine et myope pousse les hauts cris quand
le Canada n'obtient pas autant de médailles que l'Australie,
un financement hypocrite et dangereux trouve de nouveaux appuis.
S'il faut des médailles à tout prix, accroissons le
financement fondé sur des normes en bonne partie frauduleuses.
Soyons contre le dopage, mais préservons le système
qui y conduit!
Parmi les solutions, on nous vante celle-ci : parier sur la compétence
technique et la droiture d'agences antidopages. J'avoue ne pas pousser
la naïveté jusque-là : l'olympisme est en conflit
d'intérêts dès l'instant où il lui incombe
d'encadrer les athlètes qui font son renom et sa fortune.
L'olympisme ne renonce quand même pas à intervenir
dans la lutte contre le dopage. Or, la preuve n'est plus à
faire que la machine olympique ne veut ni ne peut talonner d'assez
près l'industrie pharmaceutique pour qu'un révélateur
adéquat soit disponible dès que naît une nouvelle
tentation. On pourrait en dire autant des ligues de hockey, de baseball
ou de football : elles se savent contaminées par le dopage,
mais elles n'investiront jamais des millions pour démasquer
les tricheurs qui les font prospérer.
Et les athlètes? Il leur faut bien du courage pour demeurer
« propres ». Dans certaines disciplines, comme ce fut
le cas en haltérophilie et dans plusieurs épreuves
de lancer, le livre des records n'est qu'une liste de fraudes. En
cyclisme, le Tour de France a si longtemps pratiqué l'hypocrisie
que les jeunes générations ont compris... que le dopage
est inévitable. Dans son effort pour faire mieux que ses
prédécesseurs, le jeune athlète est confronté
à l'impossible. D'autre part, l'argent est là qui
permet l'entraînement ou qui récompense la médaille.
Encore là, le juge Dubin cite les athlètes pris en
défaut :
Je n'ai pu m'empêcher d'avoir l'impression que s'ils en
avaient l'occasion, la majeure partie d'entre eux (les tricheurs),
sinon la totalité, auraient une fois de plus recours aux
stéroïdes anabolisants s'ils étaient persuadés
que c'était la seule façon de rivaliser avec les haltérophiles
de calibre international (p. 168).
En rapportant que 193 des 198 athlètes américains
interrogés à ce sujet s'étaient dits prêts
à tricher, la National Academy of Sports Medicine de Chicago,
que cite Jean Dion, ne nous apprend donc pas grand-chose. On se
doutait bien que l'héroïsme est peu répandu.
On en arrive ainsi, bon gré mal gré, à demander
des comptes aux pouvoirs publics. Pouvoirs publics toujours critiqués
et dont on préférerait se passer, mais seuls capables
de protéger du dopage le sport et les jeunes. Qu'ils soient
capables de cette performance ne signifie malheureusement pas qu'ils
soient prêts à se montrer cohérents. Si un ministre
responsable des sports n'a pas le courage de placer la propreté
des athlètes plus haut que le nombre de médailles,
la cause est perdue. Si la politique de soutien financier aux athlètes
s'aligne sur des performances internationales douteuses, il devient
inutile de rêver d'un assainissement. Si des villes et des
gouvernements continuent de solliciter la candidature olympique
sans exiger que la lutte antidopage sorte de ses conflits d'intérêts,
on doit comprendre que l'argent du spectacle sportif importe plus,
même pour les élus, que la propreté des athlètes.
Laurent Laplante
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