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Origine : http://toutsurlachine.blogspot.com/2011/06/souriez-vous-etes-flique-oui-vous-aussi.html
Au travail, dans les rues, sur le Net et jusque dans votre réfrigérateur,
la société de surveillance s'impose comme la nouvelle
norme. Chaque citoyen est aujourd'hui profilé, fiché,
filmé et pisté. Officiellement pour son bien et sa
sécurité. Vraiment ?
Alertez les bébés ! Depuis le 25 février,
policiers et gendarmes peuvent s'inviter autour du berceau. Sur
simple réquisition, ils peuvent désormais connaître
vos faire-part de naissance sur Yahoo, le récit de l'accouchement
sur Facebook, le premier biberon sur Dailymotion et le billet numérique
que vous avez offert aux grands-parents sur sncf.com. L'Etat français,
deuxième du podium européen de l'atteinte aux libertés
publiques derrière l'Angleterre, selon l'ONG britannique
Privacy International, vient en effet d'imposer aux fournisseurs
d'accès et aux hébergeurs de conserver pendant un
an toutes ces menues bricoles qui font l'essence même de la
vie privée sur Internet : l'identifiant de votre connexion,
les dates et les heures auxquelles vous vous êtes connecté,
la nature des opérations que vous avez effectuées,
vos pseudos, vos adresses postales, vos numéros de téléphone,
le montant, la référence et la date de vos paiements
en ligne...
Jérôme Thorel, responsable de Privacy France, l'un
des contestataires les plus virulents du Net, estime que ce flicage
du Web "dépasse de loin les méthodes de la Stasi
en Allemagne de l'Est". Il est tout aussi remonté contre
le Conseil constitutionnel. Le 10 mars dernier, les sages de la
Rue de Montpensier ont taillé à la hache dans la loi
Loppsi 2, le dernier fourre-tout sécuritaire sarkozyen. Ils
n'en ont pas moins préservé l'article 4 qui autorise
le filtrage du Net sans contrôle judiciaire.
Collecte de données
Quasi inexistantes il y a encore une quinzaine d'années,
la surveillance et la collecte systématiques des données
personnelles - à des fins de contrôle, d'influence,
de marketing ou de gestion - font désormais partie du paysage
quotidien. Elles façonnent notre société, bien
au-delà de l'imaginable. Prenez le passe Navigo, ce sésame
des transports en région parisienne qui permet de connaître
l'heure, la date et le trajet de vos trois derniers déplacements.
"Navigo est un parfait outil pour les conjoints jaloux ou les
patrons soupçonneux", ironise Gildas Avoine. Ce professeur
de sécurité informatique à l'Université
catholique de Louvain-la-Neuve s'interroge : "La fraude a bon
dos. Le Syndicat des transports d'Ile-de-France [Stif] a-t-il vraiment
besoin de stocker toutes ces informations-là et pourquoi
?"
Les poseurs de questions ne sont pas légion, les rebelles
non plus. Abandonner les mails, le téléphone mobile,
la carte bancaire et le métro sous prétexte de ne
plus laisser de traces ? Vous n'y pensez pas ! Le silence des citoyens
profilés, fichés, filmés et pistés est
assourdissant. La société de surveillance s'est banalisée.
Elle est devenue une norme de moins en moins remise en cause, où
la collecte tous azimuts des informations personnelles est considérée
comme une fatalité, sinon une nécessité. C'est
vrai, peut-on refuser le passeport biométrique alors que
l'horreur des Twin Towers est encore dans les mémoires ?
Ou mettre en doute l'utilité des fichiers policiers alors
que le président de la République lui-même ne
cesse de dénoncer l'insécurité, l'impunité
des délinquants et la récidive des pervers sexuels
? Quel piètre citoyen s'opposerait à la lutte contre
la fraude fiscale, l'escroquerie à la protection sociale,
l'absentéisme à l'école ou la récidive
des pédophiles ? Au Canada, le sociologue David Lyon, gourou
de l'économie de la sécurité, confirme : "Nous
sommes entrés dans une culture de la suspicion." Jean-Jacques
Hazan, le président de la Fédération des conseils
de parents d'élèves - qui a fini par neutraliser Base
élèves, le fichier tentaculaire de l'école
primaire -, martèle : "Nous vivons dans la défiance
de l'autre. Quel autre pays voit des délinquants dans des
gamins de 3 ans ?" Et d'ajouter : "Je paye des impôts
pour que la puissance publique serve la collectivité. Certainement
pas pour qu'elle ne pense qu'à la faire obéir, au
mépris de la vie privée."
Pour les digital natives - comprenez ceux qui sont nés avec
une souris au bout des doigts -, tout serait une question de génération.
"La vie privée est-elle une affaire de vieux cons ?"
interroge, provocateur, Jean-Marc Manach. Pour ce journaliste spécialisé,
responsable d'Owni (Objets du Web non identifiés), la réponse
est positive : "Les jeunes internautes ont compris que tout
ce qui était sur le Net était de la vie publique.
Pour le reste, ils savent protéger leur vie privée."
Manach se trompe. Une nouvelle société est en train
de naître : celle du visible à tout prix. Interrogée
par le Monde, Nicole Aubert, psychologue et sociologue, coordinatrice
des Tyrannies de la visibilité : être visible pour
exister ? (éditions Erès), explique : "Nous avons
besoin d'exposer notre intimité aux autres pour la faire
exister." Je suis vu, donc j'existe : nombre d'utilisateurs
du Web se moqueraient donc de ce qu'ils balancent sur la Toile pourvu
qu'ils le balancent. Peu importe si la photo ou l'info concernent
des tiers à qui l'on n'a pas demandé leur avis. La
Cnil (Commission nationale informatique et libertés) estime,
elle, qu'une majorité des clients du Net ne connaît
ni les enjeux ni l'utilisation possible de ce qu'ils fournissent.
Profilage des consommateurs
Les entreprises qui font leur beurre avec les milliards de données
qui circulent sur la Toile - Google et Yahoo, mais aussi les sociétés
de collecte spécialisées et les réseaux sociaux
- regardent avec attention cette mine d'or qui paraît inépuisable.
Les hommes du marketing, suivis par les publicitaires, les banquiers
et les assureurs, ont été les premiers à découvrir
le juteux filon du profilage des consommateurs, de leur segmentation
en groupes de plus en plus précis. La chair à canon
des programmes de commercialisation. La cible des publicités
millimétrées. Comme d'habitude, les sociétés
nord-américaines sont les plus en pointe. Ainsi, Mobile Direct
se vante, ouvertement, de son portefeuille de 63 millions de consommateurs,
segmentés selon leur origine ethnique, leur religion, leur
statut familial, leur famille politique, leurs finances, leurs choix
sexuels ou leur endettement.
Aucune de ces entreprises n'arrive cependant à la cheville
des grands moteurs de recherche. Omer Tener, membre du centre Internet
et société de l'université de Stanford et consultant
du gouvernement israélien, explique : "L'historique
de vos recherches [sur Google] affiche des informations concernant
vos finances, vos idées politiques, votre sexualité
et vos problèmes de santé." Au fil des clics
ou des cookies, Google - mais aussi bien Yahoo ou MSN - fabrique
une image et un profil de chaque consultant. Stockés, semaine
après semaine, dans la mémoire indestructible de ses
ordinateurs. Nourris par des algorithmes qui ignorent tout de la
subtilité des individus, de leur histoire, de leur psychologie
ou de leur profession. L'étudiant en histoire qui recherche
"assassinat président Etats-Unis" n'est pas forcément
un suppôt d'Al-Qaida. Pas plus que la mère de famille
qui s'interroge sur "culture cannabis" n'est un dealer
en puissance. Ainsi se construit (et se vend) un autre nous-même,
qui nous ressemble autant qu'une marionnette à son marionnettiste.
Les trésors des moteurs de recherche et le savoir-faire
des profileurs intéressent bigrement les gouvernements et
leurs services. Aux Etats-Unis, l'américain ChoicePoint,
qui se vante de posséder 17 milliards de renseignements individuels
et commerciaux, travaille déjà pour le FBI et le fisc
américain. Et Google a créé une cellule juridique
spéciale pour traiter de la recevabilité des innombrables
demandes des polices du monde entier désireuses d'enrichir
leurs propres fichiers. "La police a toujours disposé
de fichiers. Sans eux, elle perd ses moyens. L'informatique lui
a simplement permis d'aller plus loin et plus vite", souligne
Delphine Batho. Avec Jacques-Alain Bénisti, son collègue
UMP du Val-de-Marne, la jeune députée PS des Deux-Sèvres
a enquêté sur ce secteur opaque. Une chose est sûre
: la montée des préoccupations sécuritaires
s'est traduite par une prolifération des fichiers policiers
ou judiciaires. En 2006, la commission de contrôle présidée
par le criminologue Alain Bauer en comptait 34. Trois ans plus tard,
la mission parlementaire en a recensé, elle, 56. Le dernier
client sérieux au scandale national date de 2008. Nom de
code : Edvige. Ce petit bijou qui devait fusionner les fichiers
des Renseignements généraux et de la Direction de
la surveillance du territoire cumulait toutes les tares : il prévoyait
de recueillir les données relatives à la santé,
à la vie sexuelle, aux origines raciales et ethniques, et
aux activités politiques, religieuses, philosophiques ou
syndicales. Enorme tollé et disparition d'Edvige, remplacée
par Edvirsp.
Sur le fond, seuls deux fichiers posent de vrais problèmes.
Le premier est le Stic. En 2008, le Système de traitement
des infractions contrôlées contenait les noms de 5,5
millions d'individus mis en cause et de 28,3 millions de victimes,
ainsi que des indications sur les procédures judiciaires
en cours. L'enquête de la Cnil le concernant est accablante
: sur 1 385 vérifications, seulement 20 % étaient
exactes, 17 % ont été supprimées du fichier
et 63 % modifiées. Un brin léger quand l'inscription
au Stic peut ruiner une embauche ou démolir une carrière.
Les exemples abondent, comme celui de ce jeune homme de 24 ans qui
s'est vu refuser le concours de la magistrature pour un emprunt
de bicyclette quand il était mineur. Au total, 2 millions
de personnes seraient concernées par un fichier que certains
qualifient au mieux de "mal tenu", au pis de "pourri".
Maud Kornman, avocate et fine connaisseuse des fichiers policiers,
explique : "Un mauvais fichier comme le Stic bat en brèche
les grands principes de la réinsertion et de l'effacement
de la dette une fois payée."
Le plus pervers est certainement le Fnaeg, le Fichier national
automatisé des empreintes génétiques. Rien
à dire sur son sérieux, un modèle scientifique
en Europe. Le problème est son développement tous
azimuts. Réservé au départ, en 1995, aux auteurs
d'infractions sexuelles, il contient quinze ans plus tard 1,2 million
de références, certaines prélevées au
cours d'une simple garde à vue. La loi Sarkozy de 2003 l'a,
en effet, étendu aux simples vols, aux tags, aux dégradations
ou aux fauchages d'OGM et prévoit de ficher les personnes
non condamnées mais simplement "gravement" suspectées.
Résister peut vous coûter jusqu'à un an de prison
et 15 000 e d'amende. Sur le bureau de Ghislaine Hoareau, deux dossiers
chauds de responsables syndicaux condamnés à de la
prison avec sursis et qui ont refusé le prélèvement
ADN parce qu'ils ne voient pas ce qu'ils ont de commun avec des
violeurs. La conseillère juridique de la CGT dénonce
le manque de mesure du fichier : "Aujourd'hui, un affichage
sauvage peut vous coller directement dans le Fnaeg." Nicolas
Sarkozy pense que l'on peut faire mieux. Sa référence
est le modèle britannique et ses 3 millions d'encartés.
La puissance des outils informatiques modernes nourrit le rêve
éveillé des mégafichiers et l'éternelle
tentation - sous prétexte d'efficacité - des croisements
des renseignements détenus par les différentes administrations,
également convoités par les entreprises du Medef.
On imagine les assureurs mettre la main sur le dossier médical
personnalisé ou les banquiers être associés
aux échanges entre Pôle emploi, l'assurance vieillesse,
les allocations familiales et le fisc. Lionel Tardy, député
de Haute-Savoie, un des rares grands connaisseurs d'Internet au
Parlement, souligne : "Il faut être vigilant. Il ne se
passe pas de session sans que le Medef tente de rentrer en douce."
Fiché dès la maternelle
Signe des temps, 80 % des 4 200 à 5 000 plaintes annuelles
que la Cnil reçoit concernent le secteur privé. Mais,
avec un budget de 13 millions d'euros, le gendarme français
est le plus pauvre d'Europe. En 2009, il n'a pu procéder
qu'à 300 contrôles, qui se sont traduits par 4 avertissements,
91 mises en demeure et seulement 5 sanctions financières.
Il est vrai qu'avec ses 160 salariés la commission n'a pas
vraiment les moyens de couvrir son vaste terrain de manoeuvre. Comment,
par exemple, contrôler les 10 000 nouvelles caméras
de rue que Claude Guéant, ministre de l'Intérieur,
veut voir installer en 2011 (35 000 caméras en 2010 et un
objectif avoué de 60 000 en 2012) ?
Equiper - proportionnellement - chaque ville sur le modèle
de Nice, ses 620 caméras et son mur d'écrans, les
industriels en rêvent chaque nuit. Alors que, selon la revue
En toute sécurité, le marché global de la vidéosurveillance
en France frôle le milliard d'euros, le chiffre d'affaires
réalisé dans le secteur public (20 % du total) ne
cesse de croître. Encore faut-il rassurer les élus
et leurs électeurs que cette frénésie sécuritaire
pourrait inquiéter. Jamais les chefs d'entreprise n'ont autant
parlé d'éthique et de respect des droits. Bel exemple
de novlangue, l'Association nationale des villes vidéosurveillées
s'est muée en Association nationale de la vidéoprotection.
Ce club un peu spécial, qui a même créé
une "université d'été de la tranquillité
publique", multiplie les rencontres entre les patrons du secteur,
les élus locaux et les installateurs. Au-delà de cette
convivialité bon enfant, la filière électronique
et numérique a montré son véritable visage
dans son Livre bleu de 2004. Un petit chef-d'oeuvre distingué
par le jury des Big Brother Awards, réuni sous la houlette
de Jean-Marc Manach et de Jérôme Thorel. On y lit,
notamment, qu'il conviendrait de développer la biométrie
(la reconnaissance par les empreintes) "de manière conviviale"
dès l'école maternelle. Par ailleurs, les responsables
politiques sont invités à assouplir une législation
jugée trop contraignante, contraire à la croissance
de la sécurité électronique et informatique.
"On nous enfume. Leur unique but, c'est la surveillance",
accuse Elizabeth de Vismes. Cette militante de la Ligue des droits
de l'homme, responsable de Ravif (Réseau antividéosurveillance
d'Ile-de-France), constate un peu amère : "Les élus
et les patrons peuvent faire ce qu'ils veulent, personne ne se sent
concerné..." A Breuillet (Essonne), 8 000 habitants,
ce couple âgé qui promène son chien sur la piste
piétonnière n'a aucun état d'âme vis-à-vis
des quatre caméras que Bernard Sprotti, le maire UMP, a installées
en 2009 pour surveiller les bâtiments culturels et les parkings.
Il déplore seulement que ces équipements "coûtent
cher et ne servent qu'après l'infraction et encore..."
Difficile de savoir exactement quelle est la part des caméras
ou de la présence sur le terrain de la gendarmerie dans la
baisse (- 26 %) des délits à Breuillet. Sprotti lui-même
se veut prudent. La cour des comptes régionale de Rhône-Alpes
s'est penchée sur Lyon et ses 200 yeux. Loin des chiffres
officiels de délits divisés par deux dans les villes
vidéosurveillées, sa conclusion est sans appel : "Relier
directement la vidéosurveillance et la baisse de la délinquance
est pour le moins hasardeux."
Il y a peut-être plus grave. "Si vous savez que vous
êtes surveillé, inconsciemment, vous changerez votre
façon d'agir", explique de Vismes. Ainsi, plus ou moins
lentement, entrerions-nous dans la société décrite
par le philosophe Gilles Deleuze, celle qui peut se passer de la
contrainte physique et du contrôle direct, parce que tout
le monde se contraint et se contrôle soi-même. Plus
angoissant encore, dans la Sécurité de l'individu
numérisé (sous la direction de Stéphanie Lacour,
L'Harmattan), Antoinette Rouvroy, de l'université de Namur,
questionne : "La peur d'être jugé plus tard pour
des faits, gestes et opinions, dont nous ne savons pas, actuellement,
comment ils seront interprétés dans l'avenir, ne risque-t-elle
pas d'engendrer un conformisme encore plus contraignant ?"
Les salariés se rebiffent
Paradoxalement, la levée de fourches vient des entreprises.
Avec un taux de chômage de 10 %, on aurait pu croire les salariés
repliés sur eux-mêmes, soumis. Il n'en est rien. La
Cnil constate une augmentation notable du nombre de plaintes concernant
la surveillance sur les lieux de travail. Thomas Dautieu, responsable
du service des contrôles, a son explication : "L'employé
est déjà tellement sous pression et son univers, tellement
encadré, que le flicage né de la suspicion lui devient
insupportable." Géolocalisation, vidéosurveillance,
accès aux mails, détection automatique de sites Web
sans rapport avec l'activité de la société
ou collecte de données biométriques : les patrons
font feu de tout bois. La sécurité de cette entreprise
de commerce de vêtements militaires justifiait-elle le relevé
des empreintes digitales du personnel et de leur conservation dans
une base centrale ? Ce commercial dénoncé par son
GPS alors qu'il s'était garé dans un quartier "chaud"
pendant ses heures de boulot méritait-il d'être viré
? "Avec les nouvelles technologies, les transporteurs ont découvert
que certains chauffeurs allaient aux putes. Un vrai scoop",
ironise un expert. "En général, ce sont les petits
chefs qui franchissent la ligne jaune", explique Bruno Rasle,
délégué général de l'AFCDP, l'Association
française des correspondants à la protection des données
à caractère personnel, l'autre nom des 2 000 correspondants
informatique et liberté (CIL). Il revient à ces salariés
exposés et courageux de recadrer leur entreprise défaillante.
Ils ne sont pas les seuls. Comme s'ils n'avaient pas encore pris
conscience de l'enjeu, les syndicats sont curieusement absents du
débat au niveau national. Les plaintes restent traitées
au plan local. Pendant ce temps, les savants Cosinus mettent leurs
projets les plus dingues au service des patrons les plus fous. Microsoft
a ainsi déposé le brevet d'un système de contrôle
dont les capteurs placés sur les salariés permettront
de vérifier, grâce à des algorithmes, leur productivité.
A chaque décennie, sa couche de méfiances. Dans les
années 70, il fallait craindre l'Etat. Dans les années
80, c'était IBM. Dans les années 2000, Google. "Aujourd'hui,
ce sont les individus. Demain ce seront les objets", analyse
Stéphanie Lacour. Ce qui inquiète le plus cette chargée
de recherches au CNRS, responsable de l'équipe "Normativité
et nouvelles technologies", ce sont les puces RFID (Radio Frequency
Identification, c'est-à-dire identification par fréquence
radio), consultables à distance, et les nanotechnologies,
leur déclinaison dans le domaine de l'infiniment petit, appliquées
aux produits de grande consommation. Très bientôt,
le fichage destiné à tracer leur itinéraire
sur la chaîne de production ou dans les stocks des hypermarchés
sera ringard. Place au Web des objets ! L'idée est que tous
ces objets devenus intelligents soient reliés au réseau.
Chacun aura une identité et émettra, si on l'interroge,
un certain nombre d'informations. Par exemple, votre pack de yaourts
vous informera de sa date de péremption mais il fournira
également des indications précieuses aux services
de marketing des industriels de l'agroalimentaire et aux grandes
surfaces. Souriez, vous êtes cernés ! Le marché
potentiel mondial - 100 000 milliards d'objets à étiqueter
- donne le tournis. Lacour explique : "Les industriels et les
patrons de grande surface ont vite compris que ceux qui ne participeraient
pas au codage des puces seraient les perdants." C'est pourquoi
ils ont rejoint EPCglobal Inc., une multinationale américaine
au nom très Big Brother qui propose les systèmes d'encodage.
"Mais imaginez le problème si vos médicaments
peuvent révéler à distance et à n'importe
qui que vous suivez une trithérapie", pointe Lacour.
D'autant que les puces, sans batterie et demain invisibles, sont
immortelles.
"Chaque fois qu'une technologie arrive sur le marché,
une autre la remplace presque immédiatement. Nous manquons
cruellement de recul", commente Alex Türk, sénateur
du Nord divers droites et patron de la Cnil, qui reconnaît
que celle-ci n'a pas brillé jusqu'ici par son anticipation.
Il vient doncv de créer un département de la prospection
qui, outre les ingénieurs et les juristes maison, fera appel
au Commissariat à l'énergie atomique mais aussi à
des sociologues et à des médecins. Objectif : aider
les pouvoirs publics à légiférer. Lionel Tardy
hausse les épaules, fataliste : "La loi aura toujours
une guerre de retard sur la technologie." Lui préfère
miser sur l'éducation citoyenne, dès l'école,
et l'application rigoureuse des textes existants, notamment le droit
d'accès aux données personnelles et celui à
l'oubli. Le chemin est encore long. Comme dit l'humoriste américain
Dave Barry dans ses Chroniques déjantées d'Internet
: "Les ordinateurs ont le pouvoir de transformer notre monde
en un monde qui nous est totalement étranger." CQFD.
G.D.
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