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Désobéir, ça s'apprend !
Entretien avec Daniel Marcelli
Propos recueillis par Martine Fournier


Origine : http://www.scienceshumaines.com/index.php?&lg=fr&id_article=24725

« Il est permis d’obéir ! » Pour Daniel Marcelli, l’obéissance ne doit cependant pas reposer sur la soumission mais sur un lien de confiance qui permet à l’enfant de se construire.

Fort de quarante ans de pratique en pédopsychiatrie, Daniel Marcelli a vécu les évolutions radicales intervenues dans l’éducation, ces dernières décennies.

Et, à l’en croire, il n’est pas de ceux qui idéalisent le passé… Mais accompagner l’enfant dans sa découverte du monde et dans la construction de sa personnalité, respecter sa liberté et ses choix – ses objectifs prioritaires aujourd’hui – est-il aussi simple ? Aussi idyllique et « rousseauiste » que voudraient nous le faire croire les préceptes de l’idéologie dominante en matière d’éducation ? Les parents qui se croient obligés de se montrer interventionnistes, voire autoritaires, ont-ils tout faux ? Parfois oui, lorsqu’il s’agit de projeter un destin trop ambitieux et personnel sur sa progéniture, parfois non, lorsqu’il s’agit de le protéger de risques qu’il est encore trop jeune pour mesurer…

Autrement dit, il faut quelquefois demander aux enfants d’être obéissants ! Mais comment faire ? Pas si simple, nous explique D. Marcelli. Car le grand défi de nos sociétés actuelles est de pouvoir guider l’enfant sans faire preuve d’un autoritarisme inutile et néfaste. De trouver la bonne distance, qui fasse de l’obéissance un lien de confiance plutôt qu’un outil de sujétion. C’est tout le problème de l’autorité qui est soulevé par ce psychiatre. Comment trouver la voie d’une autorité bienveillante et constructive, « une autorité qui autorise », comme il l’explique, plutôt qu’elle interdit ?

A priori, le mot obéissance renvoie à une éducation traditionnelle et vieillotte. Pourtant, c’est un tout autre modèle d’obéissance que vous présentez dans votre livre…

Mon livre est parti d’un constat : sur Google, lorsque je tape « éducation + obéissance », je tombe à 90 % sur l’éducation des chiens ! En même temps, on trouve sur ces mêmes blogs des questions de parents : « Comment faire obéir mon enfant ? » Il y a là un silence sociétal qui est un symptôme.

Il y a une quarantaine d’années, beaucoup d’enfants rencontraient des difficultés à s’exprimer, n’osaient croiser le regard des adultes, étaient dans l’évitement. Les névroses (obsessionnelles, phobiques) qui en découlaient venaient de l’excès d’inhibition et du refoulement.

Le principe essentiel qui guidait l’éducation était l’interdiction : « Ne fais pas ça », « Ne touche pas », et surtout « Ca ne se fait pas », phrase sésame qui signifiait que les enfants devaient se conformer aux normes sociales de l’époque : chacun devait occuper la place qui lui était assignée, aucune tête ne devait dépasser. L’idée de liberté et de choix individuels n’existait que très peu dans l’espace privé des familles.

Entre 1850 et 1950, on voit triompher l’interdit. Le Moyen Age et la Renaissance ont été des époques plus tolérantes où l’on acceptait les déviations individuelles. Avec l’arrivée du monde industriel, il y a eu une rigidification de l’éducation et je dirais, une sorte de jouissance de l’interdit. Ce n’est pas par hasard d’ailleurs si ce sont dans ces mêmes années que l’on découvre la psychanalyse, la névrose et le rôle du surmoi.

Cet excès d’autorité a conduit à l’autoritarisme et son corollaire, la soumission. Alice Miller (1) montre bien cette période où règne une « pédagogie noire » qui voit l’enfant comme un être fondamentalement rebelle, dangereux, qu’il faut brider, une plante qu’il faut redresser… Il existait heureusement une autre vision de l’enfance dans certaines familles, et aussi avec les adeptes de la pédagogie nouvelle, mais ils n’avaient qu’une audience réduite. L’éducation reposait en majorité sur la soumission et était très coercitive.

Comment concevez-vous l’autorité et la nécessité d’obéissance dans les modèles éducatifs contemporains ?

Dans ce modèle, la valeur fondamentale, mise en avant par les sociologues, est l’autonomie. Plus d’autorité supérieure à laquelle il faudrait se soumettre, en dehors des lois communes qui doivent permettre aux individus de vivre ensemble. Le souci des parents est de permettre à l’enfant de faire ses expériences, d’exprimer au mieux son potentiel langagier, moteur, relationnel…

Et d’ailleurs, chacun peut constater que les bébés d’aujourd’hui sont beaucoup plus éveillés ; simplement parce qu’on leur parle, on répond à leurs sollicitations, ils sont portés par cette introduction à l’humanisation précoce qui profite à leur épanouissement.

Dans ce cadre, l’autorité devient ce qui consiste à autoriser. Une autorité qui ne fait qu’interdire est une autorité pathologique, ou plutôt de l’autoritarisme.

L’autorité permet d’accompagner l’enfant dans sa conquête du monde. Dès la petite enfance, dans les apprentissages moteurs par exemple, entre 1 et 2 ans. Conscient de sa vulnérabilité relative, l’enfant est alors sans cesse dans une quête du regard de l’adulte pour savoir s’il peut se lancer – lorsqu’il commence à marcher par exemple. Cette quête relationnelle lui apporte la confiance qui va lui permettre de se développer.

Mais il faut bien parfois interdire, ne serait-ce que de traverser la rue…

C’est sur fond d’autorisation régulière que peuvent alors se poser certaines limites, aussi bien sur des risques objectifs que des risques plus personnels, lorsqu’il s’agit par exemple de ne pas casser un objet précieux auquel tiennent les parents. Et parce que ces non-autorisations n’arrivent que dans certains cas précis, l’enfant ne les vit pas comme une amputation à sa liberté.

Mais il faut préciser que cet apprentissage de l’« autorité-obéissance » concerne le plus jeune âge, entre 10 mois et 4-5 ans (et non l’adolescence). La grande erreur éducative qui survient souvent est de confondre les niveaux de développement.

A cette période, il faut demander à l’enfant d’obéir (par exemple de poser le couteau dont il s’est emparé sur la table) avant de lui expliquer pourquoi. L’explication est la récompense par laquelle on le remercie d’avoir posé l’objet. Il est fondamental de donner l’explication après, lorsque l’enfant ne possède pas le langage et qu’il ne sait pas encore ce que signifie obéir. En revanche, quand il est plus âgé, il est normal de faire appel à ses capacités de jugement et lui expliquer les raisons d’une exigence avant de lui demander d’obéir. Ce qui est difficile dans l’éducation, c’est que le même principe peut être positif ou négatif selon le niveau de développement de l’enfant.

Mais la désobéissance peut aussi faire partie des apprentissages de la vie notamment à l’adolescence ?

L’éducation consiste à faire en sorte que l’enfant, au fur et à mesure de l’acquisition de son autonomie, soit un jour capable de désobéir tout en se protégeant. C’est à partir de ces petites désobéissances qu’il va explorer le monde. L’enfant qui, vers 7 ou 8 ans, traverse la rue pour aller s’acheter des bonbons sait qu’il désobéit. Et dès lors, il fait attention et se prend en charge. Au contraire, lorsqu’il est habitué à se soumettre, il risque un jour de traverser la rue en s’échappant et donc en se mettant en danger. La soumission conduit à la révolte et à une attaque directe du pouvoir.

On désobéit pour soi, on se révolte contre l’autre. Cette capacité de jugement, et de possibilité de désobéir qu’il acquiert en grandissant, va être extrêmement précieuse à l’adolescence. L’adolescent incapable de désobéir risque de devenir névrosé pour la vie, ou d’entrer dans une révolte chaotique. Le fait d’avoir appris l’obéissance dans l’enfance est un facteur protecteur.

Une autorité parentale bienveillante, est-ce toujours si facile à mettre en œuvre ?

Le modèle pouvoir-soumission est presque naturel, alors que le modèle autorité-obéissance est beaucoup plus compliqué à mettre en œuvre. C’est en quelque sorte un produit culturel – issu de nos sociétés démocratiques – et qui nécessite certains apprentissages de la part des parents pour exercer une autorité bienveillante, fondée sur la confiance.

Il faut souligner aussi que le rapport autorité-obéissance demande du temps, le temps de la réflexion de l’enfant. Vouloir que ses enfants obéissent au doigt et à l’œil, c’est revenir à un rapport de soumission.

NOTE :

(1) Alice Miller, C’est pour ton bien. Racines de la violence dans l’éducation de l’enfant, Aubier 1985.

Daniel Marcelli

Daniel Marcelli, pédopsychiatre, professeur à la faculté de médecine et chef du service de psychiatrie infantojuvénile du CHU de Poitiers.Il vient de publier Il est permis d’obéir. L’obéissance n’est pas la soumission, Albin Michel, 2009.