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Origine : http://www.scienceshumaines.com/quatre-formes-de-soumission_fr_24920.html
Courtisans : De l’art de la servilité
« Pourquoi le pouvoir de l’un est-il plus grand que
ceux des uns ? », se demande Etienne de La Boétie (1530-1563)
dans son Discours de la servitude volontaire. Un groupe humain a
choisi d’évoluer et d’atteindre ses objectifs
individuels en se soumettant volontairement au pouvoir d’un
seul dans ce que l’on appelle « l’esprit de cour
». Sous Louis XIV, la cour concerne à peine 6 % des
nobles. C’est un vrai travail pour courtisanes et courtisans,
mobilisés dès la cérémonie du lever
du roi jusqu’au coucher de la divinité vivante. Ce
groupe cherche à obtenir les « faveurs » (invitations
exceptionnelles). Ils feignent tous le bonheur permanent. Les plus
habiles, les plus flatteurs, les plus stratèges parviennent
à se fixer. Mais le roi est aussi prisonnier de cette cour,
et doit composer sans cesse. Dans Essai sur l’art de ramper,
à l’usage des courtisans, une sorte de manuel parodique,
le baron d’Holbach (1723-1789) y propose une véritable
ethnographie du lèche-bottes : « L’homme de cour
est sans contredit la production la plus curieuse que montre l’espèce
humaine. C’est un animal amphibie dans lequel tous les contrastes
se trouvent rassemblés. » Plus politiquement précis
que Voltaire et plus pratique que Denis Diderot selon l’historien
Daniel Mornet, d’Holbach, athée de choc et pamphlétaire
fougueux, percevait chez ces courtisans le scandale vivant d’une
société injuste.
Norbert Elias a écrit un ouvrage classique sur la société
de cour. Il y fait un portrait typique d’un microcosme régi
par l’étiquette, l’ordre de préséances
et le comportement du courtisan, modèle qui peut s’étendre
bien au-delà de Louis XIV et que l’on pourrait retrouver
dans les sociétés contemporaines…
Ulysse La pire soumission à soi-même
« Je le fais, mais je sais bien que je ne devrais pas…
» ou, au contraire, « je devrais, mais je ne le fais
pas… » Pourquoi accomplissons-nous sciemment ce qui
va se retourner contre nous, ou différons-nous ce qui nous
ferait du bien ? Pourquoi l’imagination, la passion, l’émotion
l’emportent-elles sur la raison, comme chez le philosophe
décrit par Montaigne ou Pascal, incapable de franchir un
précipice sur une planche alors qu’il a largement la
place de cheminer ? Professeur au Collège de France, le philosophe
Jon Elster dissèque cette « faiblesse de volonté
» qui nous fait perpétuellement renoncer à un
bénéfice important, mais lointain et abstrait, au
profit d’une satisfaction moins gratifiante, mais immédiate.
Bien sûr, on peut incriminer des facteurs extérieurs
: on m’a offert un verre que je n’ai pas eu à
cœur de refuser, alors que je m’étais promis de
rester à jeun. J’aurais pu décliner si je m’étais
fixé une loi privée, inflexible, ne souffrant aucune
exception. Mais il est humain de céder aux tentations. Et
le plus souvent, le temps seul est l’ennemi des bonnes résolutions,
qui chaque année ne durent guère au-delà du
2 janvier. Je peux alors demander à d’autres de me
forcer à respecter une règle. C’est la stratégie
utilisée par Ulysse, dans l’Odyssée : pour résister
à l’appel des sirènes, qui risqueraient de le
faire plonger par-dessus bord et se noyer, il ordonne qu’on
l’attache au mât de son navire. Mais il pourrait tout
aussi bien, avec la même autorité légitime,
ordonner qu’on le délie. A défaut, la société
doit-elle assumer ce contrôle ? Un Etat paternaliste agira
pour ce qu’il considère comme le bien général,
mais brimera la minorité qui, par exemple, refuse de renoncer
au tabac en toute connaissance de cause. Et l’Etat n’est
pas infaillible, ni toujours raisonnable, de même qu’aucune
loi n’est parfaite, ni définitive. En définitive,
nous n’avons d’autre choix que de lutter contre nous-mêmes.
Le syndrome de Stockholm : Aimer qui nous soumet
En 1973, des clients retenus en otage pendant six jours lors du
braquage d’une banque de Stockholm prennent fait et cause
pour les gangsters, à la fois pendant leur arrestation et
leur procès. En 1978, le psychiatre Frank Ochberg nommera
« syndrome de Stockholm » la sympathie, voire l’identification,
d’un otage à son ravisseur, sans manipulation de la
part de ce dernier. Le cas le plus célèbre est celui
de Patricia, petite-fille du magnat de la presse américaine
William Randolph Hearst, enlevée par un groupe d’extrême
gauche en 1974. Non contente d’adhérer à la
cause de ses kidnappeurs, elle les assiste de son plein gré
pour des braquages, tout en dénonçant publiquement
sa famille et son milieu d’origine. Elle sera elle-même
amenée à prendre des otages, et les brutalisera. Elle
se verra condamnée à sept ans de prison, ramenés
à deux par le président Jimmy Carter, un doute subsistant
quant à son degré réel d’implication.
Plus récemment, l’Autrichienne Natascha Kampusch, séquestrée
pendant huit ans, a déclaré porter le deuil de son
ravisseur, suicidé après qu’elle a fini par
s’échapper. Comment explique-t-on ce syndrome ? Mal
! Pour la psychanalyse, il pourrait s’agir d’un mécanisme
de défense. Il semble favorisé chez les femmes, plutôt
jeunes, à l’égard d’un ravisseur se présentant
lui-même comme victime de la société, et s’abstenant
de violence physique autre que la rétention. Le confinement
créerait une intimité aboutissant à une forme
de dépendance. Mais tous ces mécanismes demeurent
d’autant plus obscurs qu’il paraît impossible
d’examiner le poids des différents facteurs en contexte
expérimental. Des phénomènes voisins sont parfois
rapportés chez les victimes d’abus sexuels ou les anciens
déportés. Le cas inverse est également observé
: il arrive que des ravisseurs relâchent leurs captifs sans
nécessité, par sympathie pour eux, se privant ainsi
de leur planche de salut. On parle alors de syndrome de Lima, du
nom d’une prise d’otages de 1996.
Masochisme : Le plaisir d’être dominé
En 1886, le psychiatre allemand Richard von Krafft-Ebing invente
le terme « masochisme » pour décrire une perversion
sexuelle typique : un sujet éprouve du plaisir à se
soumettre et à se faire humilier et brutaliser par un autre
individu, souvent du sexe opposé.
Krafft-Ebing a décrit le trouble à partir du cas
de l’écrivain autrichien Leopold von Sader Masoch (1838-1895)
qui, dans ses romans, mettaient en scène des femmes dominatrices
et des hommes s’humiliant à leurs pieds (La Vénus
à la fourrure).
La pratique masochiste masculine est souvent associée à
des mises en scène prototypiques : une maîtresse, vêtue
de cuir, avec un fouet, humilie et frappe sur les fesses un individu
à quatre pattes. Dans tous les cas, la douleur est associée
à la soumission et à l’humiliation.
Sigmund Freud a proposé une interprétation du masochisme
qui cherche à associer la libido et la pulsion de mort (la
pulsion de mort serait retournée contre le moi). Par la suite,
d’autres psychanalystes ont proposé leur propre interprétation
(Theodor Reick, Evelyne Kestemberg, Jacques Lacan, Paul-Laurent
Assoun). Le thème a été abondamment commenté
pour essayer de résoudre l’énigme : comment
peut-on associer plaisir et douleur, soumission et satisfaction
sexuelle ?
Les liens obscurs qui se nouent entre les relations de pouvoir
et la sexualité dans l’intimité des couples,
dans la fantasmagorie personnelle laissent entrevoir que la soumission
(ou la domination) touche à des pulsions très archaïques
et qu’il se joue un jeu bien curieux dans les tréfonds
du psychisme humain.
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