L'adhésion à une secte entraîne souvent chez les nouveaux
adeptes un changement radical de comportement. Tandis que leur entourage
s'en étonne et y voit la marque d'une influence extérieure,
les intéressés s'affirment libres et indemnes de toute contrainte.
Deux chercheurs français expliquent cette contradiction par le
recours à des méthodes de manipulation mentale.
Lorsque quelqu'un "entre" dans une secte (ou, plus exactement,
se fait "harponner" par une secte), son entourage immédiat
est frappé par la radicalité du changement de ses propos
et de son comportement. On ne le reconnaît plus ; ce n'est plus
le même. Et dans le même temps, le nouvel adepte s'affirme
libre et dégagé de toute contrainte, "Personne ne
m'oblige à faire quatre heures de sauna par jour" (pendant
deux semaines !), disait un jeune scientologue pendant sa période
de "purification"...
Les sectes utilisent, c'est bien connu, des techniques très
élaborées de "mise en condition", et qui ont
fait leurs preuves. On peut, hélas, le constater. Mais on aimerait
comprendre "comment ça marche" et pourquoi certains
sont toujours dans la secte après plusieurs années alors
que d'autres ont décroché au bout de quelques mois...
* Psychologie de la soumission
* La manipulation mentale
* Deux exemples de stratégies comportementales
Premier exemple : "le pied
dans la porte"
Deuxième exemple : "l'amorçage"
* Les effets des stratégies comportementales
* Théorie de l'engagement
* Une soumission librement consentie
Psychologie de la soumission
Quels sont les mécanismes et les facteurs qui font que des personnes
en arrivent à faire, en toute liberté, ce que d'autres
souhaitent qu'elles fassent ?
Les recherches théoriques sur la psychologie de la soumission
appartiennent à des courants de pensée différents
et se sont beaucoup développées, aux États-Unis
notamment, depuis plusieurs décennies. Deux Français,
chercheurs en psychologie sociale et professeurs d'université,
Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, ont tenté
d'en faire la synthèse.
Ils sont les auteurs, entre autres ouvrages, d'un Petit traité
de manipulation à l'usage des honnêtes gens (1), livre
savoureux et impressionnant qui remet en cause les schémas traditionnels
du fonctionnement psychologique. Ils ont également publié
dans La Recherche (2) un article intitulé ii La psychologie de
la soumission », contribution solide et d'une lecture facile qui
ouvre des horizons dans l'approche théorique de la manipulation
mentale. Nous en donnons ici les idées essentielles dans les
termes mêmes de l'article.
(1) : Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois - Petit traité
de manipulation à l'usage des honnêtes gens - Presses universitaires
de Grenoble - 1987.
(2) : La Recherche - N° 202 - Septembre 1998.
La manipulation mentale
De nombreuses expériences, longuement décrites par Joule
et Beauvois, permettent d'affirmer que "lorsque l'on veut obtenir
d'autrui qu'il modifie ses idées ou change ses comportements,
plutôt que d'adopter une stratégie reposant sur la persuasion,
il est souvent plus efficace d'opter pour une stratégie dite
comportementale qui consiste à obtenir d'entrée des comportements
préparatoires à ce changement".
Ces stratégies "comportementales" sont des stratégies
de manipulation puisqu'elles permettent par des moyens détournés
d'infléchir les comportements d'autrui comme de peser sur ses
idées et ses convictions.
La théorie de l'engagement permet de comprendre les mécanismes
psychologiques sur lesquels repose l'efficacité de ces stratégies
comportementales.
Deux exemples de stratégies comportementales
Premier exemple : "le pied dans la porte"
Principe : demander peu dans un premier temps pour tenter d'obtenir
beaucoup ensuite.
Exemple : demander l'heure à un passant avant de lui demander
deux francs pour téléphoner.
Il est vérifié que la réalisation d'un comportement
préparatoire peu coûteux (généralement accepté
par la quasi-totalité des personnes sollicitées) augmente
significativement la probabilité que ces personnes réalisent
ensuite le comportement visé. A noter que les décisions
sont prises dans une totale liberté.
Deuxième exemple : "l'amorçage"
Principe :
1. amener une personne à prendre la décision de réaliser
un comportement dont on lui cache provisoirement le coût réel
(information différée) ;
2. quand la décision est prise, on complète l'information
(ce qui rend la décision moins attrayante) ;
3. on dit à la personne qu'elle peut revenir sur sa décision
;
4. l'effet d'amorçage se traduit par le fait que la personne
tend à maintenir sa décision en dépit des dernières
informations.
Exemple : des étudiants sont invités à participer
à une brève expérience de psychologie. La plupart
acceptent. Ils apprennent ensuite que cette expérience aura lieu
à sept heures du matin. Ils sont alors invités à
confirmer ou à retirer leur engagement.
Les étudiants en question ont accepté une deuxième
fois en bien plus grand nombre que ceux d'un groupe parallèle
(de contrôle) auxquels ont avait dit tout de suite que l'expérience
aurait lieu à sept heures du matin.
Les effets des stratégies comportementales
Sur le plan des actes (effet comportemental), on constate qu'un individu
peut adopter en toute liberté des comportements nouveaux allant
dans le même sens après avoir réalisé ceux
que l'expérimentateur (ou le "formateur") lui a extorqués.
Sur le plan des idées (effet cognitif), ces comportements sont
susceptibles d'engendrer des modifications sur les croyances et les
opinions de celui qui les a réalisés.
On imagine facilement tout le profit que les sectes peuvent tirer
de ces mécanismes psychologiques, principalement au plan de l'autoprogrammation
!...
Théorie de l'engagement
Cette théorie a été présentée par
C.A. Kiesler de l'université du Kansas en 1971. Elle repose sur
la notion de persévération d'une décision.
L'engagement, c'est le lien qui existe entre un individu et ses actes.
C'est un phénomène d'adhérence de l'acte à
celui qui l'émet. Seuls nos actes nous engagent et seules les
décisions s'accompagnant d'un sentiment de liberté donnent
lieu à des effets de persévération, conséquence
de l'engagement.
On peut moduler les degrés de l'engagement en jouant sur certains
facteurs :
* le sentiment de liberté qui est associé à l'acte,
* les justifications fournies par l'environnement sous forme de menace
ou de récompense. Ill va de soi qu'aux plus fortes menaces ou
récompenses sont associés les plus faibles degrés
d'engagement),
* le caractère privé ou public de l'acte,
* la répétition du même acte,
* le sentiment de l'individu qu'il peut ou ne peut pas revenir sur le
comporte- ment qu'il est sur le point d'émettre,
* le caractère plus ou moins coûteux de l'acte.
Être engagé s'oppose à s'engager. Ce n'est jamais
l'individu qui s'engage de lui-même dans un acte mais c'est bien
l'expérimentateur (ou le "formateur") qui, en manipulant
les circonstances dans lesquelles l'acte va être accompli, engage
ou n'engage pas l'individu dans l'acte qu'il réalise. De même,
être engagé dans un acte s'oppose à s'engager dans
une cause.
Une soumission librement consentie
Les expériences rapportées dans cette étude autorisent
à conclure que "l'on peut obtenir d'autrui qu'il se comporte
comme on le souhaite, sans avoir recours à l'autorité,
aux pressions, ni même à la persuasion. On peut donc exercer
une telle influence sur autrui sans que celui-ci ait à mettre
en doute cette liberté qu'il a appris à considérer
comme l'un de ses attributs essentiels".
L'individu engagé est un individu libre ou qui se sent
libre.
C'est la raison pour laquelle Joule et Beauvois ont proposé pour
désigner ce phénomène le concept paradoxal de soumission
librement consentie.
Ces expériences de psychologie sociale et les théories
qui en découlent bouleversent les schémas traditionnels
qui donnent la primauté au cognitivisme (à la persuasion)
pour modifier avec succès les comportements des individus.
Et pourtant, depuis longtemps déjà, la sagesse populaire
nous en avait avertis : il y a risque à "mettre le doigt
dans l'engrenage" !...
Le lien d'origine : http://prevensectes.com/manip1.htm