Des choix que nous croyons poser en toute liberté sont en vérité
souvent influencés par des contraintes ou des pièges qui
nous sont tendus à notre insu. Il arrive même que ces pièges,
on se les tende à soi-même…
Des choix que nous croyons poser en toute liberté sont en vérité
souvent influencés par des contraintes ou des pièges qui
nous sont tendus à notre insu. Il arrive même que ces pièges,
on se les tende à soi-même…
Les psychologues français Robert-Vincent Joule et Jean-Léon
Beauvois étudient la manipulation depuis plusieurs années.
À partir de nombreuses expériences et observations empiriques,
ils ont considérablement développé la théorie
de l'engagement de Charles Kiesler (1). En 1987, dans leur ouvrage intitulé
Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes
gens, ils ont offert aux lecteurs français un tour d'horizon
de la psychologie sociale expérimentale, champ d'étude
jusque-là principalement développé par des chercheurs
anglo-saxons et peu accessible au lectorat francophone. Dix ans plus
tard, ils reprennent et peaufinent la théorie de l'engagement
dans un second ouvrage intitulé La soumission librement consentie.
Dans le premier de deux articles sur le sujet, nous proposons un regard
sur les pièges de l'esprit et la manipulation qui sont à
la base de leur théorie, tels qu'ils sont présentés
par Joules et Beauvois dans ces deux ouvrages.
Les pièges de l'esprit ou l'auto-manipulation
Nous avons tendance à croire que les gens ont un comportement
consistant, c'est-à-dire qu'ils agissent de façon similaire
dans des circonstances comparables. La notion de consistance comportementale,
selon laquelle les gens agissent d'après leur personnalité,
nous permet également de comprendre pourquoi, dans une situation
donnée, certaines personnes se conduisent différemment
de d'autres. Malheureusement, de nombreuses expériences prouvent
qu'on ne peut absolument pas prédire le comportement d'un individu
en se référant à ses comportements antérieurs,
à ses attitudes ou à sa personnalité. Au contraire,
on observe que la différence se retrouve dans la situation, dans
le contexte de l'action.
Par exemple, vous êtes à la plage en train de relaxer quand
un homme arrive et s'installe à proximité de vous. Après
quelques instants, il s'approche et vous demande si vous avez du feu
pour allumer sa cigarette, spécifiant qu'il est seul et qu'il
a oublié ses allumettes. Après avoir fumé, il laisse
ses affaires et va se baigner. Pendant son absence, un autre homme s'approche
subrepticement et s'enfuit avec la radio portative de votre voisin,
alors que vous observez la scène en maugréant contre la
malhonnêteté des gens. Quelques jours plus tard, une situation
similaire se produit, à une petite différence près.
L'homme, avant d'aller se baigner, s'approche de vous et vous demande
s'il vous est possible de surveiller ses affaires du coin de l'œil
pendant quelques minutes. Cette fois, quand un suspect met la main sur
la radio portative, vous n'hésitez pas et criez "au voleur!".
Cet exemple se base sur des expériences répétées
à la plage ou dans d'autres contextes. Sans une requête
explicitement formulée, les gens interviennent dans 12,5% à
20% des cas pour arrêter le voleur. Lorsque la requête est
formulée, c'est 95% à 100% des gens qui interviennent.
Cet exemple illustre principalement deux choses. Premièrement,
ce qui explique que les gens interviennent ou non pour arrêter
le voleur n'est pas leur personnalité, mais la demande explicite
qui a été formulée. Les gens qui interviennent
ne sont pas plus généreux ou altruistes, ils ont simplement
pris la décision d'intervenir avant même que la situation
ne se produise. La deuxième chose que cet exemple nous apprend,
c'est que les gens sont consistants avec leurs décisions, ce
que Kurt Lewin (2) a appelé l'effet de gel.
L'effet de gel peut nous amener à tomber dans un piège
abscons, une dépense gâchée ou une escalade d'engagement,
trois expressions qui désignent plus ou moins un même phénomène.
Il s'observe "chaque fois qu'un individu reste sur une stratégie
ou une ligne de conduite dans laquelle il a préalablement investi
(en argent, en temps, en énergie) et ceci au détriment
d'autres stratégies ou lignes de conduites plus avantageuses"
(3). L'escalade d'engagements se caractérise plus spécifiquement
par une série de décisions de plus en plus coûteuses
dans un même cours d'action infructueux.
Voici un exemple de piège abscons. Vous sortez d'une soirée
et vous courrez afin d'attraper le dernier autobus pour rentrer à
la maison. Vous arrivez à l'arrêt quelques minutes avant
l'heure de passage, mais il est possible qu'à cette heure tardive
l'autobus soit en avance. Dix minutes se sont écoulées
quand il se met à pleuvoir. Un taxi passe près de vous,
mais vous décidez d'attendre l'autobus encore un peu, car il
est également possible qu'il ait du retard. Après vingt-cinq
minutes, vous vous rendez à l'évidence : vous avez raté
l'autobus. Vous rentrez donc à pied, éreinté, sous
la pluie battante, seul dans la nuit. Il aurait été bien
plus agréable de rentrer en taxi, mais vous avez choisi de persévérer
dans votre première décision qui était de prendre
l'autobus.
Joule et Beauvois nous donnent ensuite un exemple de dépense
gâchée : vous vous inscrivez pour une fin de semaine de
ski dans le Vermont. Le voyage est complètement organisé
et il vous en coûte 100 $ pour bénéficier du forfait.
Plus tard, un groupe d'amis vous demande si vous êtes intéressé
à vous joindre à eux pour un forfait similaire dans les
Laurentides. Vous acceptez immédiatement et payez les 50 $, avant
de constater que les deux excursions ont lieu la même fin de semaine.
Comme il est impossible de se faire rembourser l'un ou l'autre des séjours,
vous devez choisir entre les deux. Le séjour dans les Laurentides
est plus intéressant, car vous pourriez skier avec des amis plutôt
qu'avec des étrangers, mais vous avez déboursé
le double pour le voyage au Vermont. Vous choisissez ce dernier, comme
le faisait la majorité des personnes placées dans une
situation similaire dans une expérience américaine, en
vous disant qu'il vaut mieux gaspiller 50 $ plutôt que 100 $.
Pourtant, étant donné que votre fin de semaine vous coûtera
150 $ d'une manière ou d'une autre, pourquoi ne pas choisir le
séjour avec vos amis qui vous apparaissait beaucoup plus prometteur
?
Voici enfin un exemple d'escalade d'engagement basé sur une expérience
qui a été tentée aux États-Unis dans les
années 1970. Dans une situation fictive, on demandait à
des étudiants en management de jouer le rôle d'un cadre
d'une compagnie et de prendre la décision d'affecter un fonds
spécial de développement à l'une ou l'autre des
filiales d'une entreprise. On demandait ensuite aux étudiants
d'imaginer que quelques années s'étaient écoulées
et qu'ils avaient à prendre une décision semblable afin
d'affecter un fonds à l'une des deux mêmes filiales. On
les informe cependant que la filiale dans laquelle ils avaient préalablement
investi n'a pas rencontré les objectifs de développement;
au contraire, sa situation s'est dégradée. Curieusement,
les étudiants choisissent majoritairement de réinvestir
dans la même filiale, malgré les résultats antérieurs
décevants. Ils ont choisi d'adhérer à leur première
décision, même si ce n'était pas la bonne, même
si elle était moins rationnelle. En effet, cette décision
apparaît absurde, surtout si on la compare à celle des
étudiants qui n'avait qu'à prendre la deuxième
décision. On demandait à ces derniers, dans une situation
tout aussi fictive, de remplacer le cadre qui avait pris la première
décision quelques années plus tôt. Majoritairement,
ils ont choisi d'affecter le fonds à l'autre filiale. Ce qu'on
constate, c'est que "les gens adhèrent plus au choix qu'ils
ont fait qu'aux raisons ayant présidé à ce choix
" (4).
Les pièges abscons, les dépenses gâchées
et les escalades d'engagement possèdent cinq caractéristiques
qui les rendent aussi insidieux que perfides : "1) L'individu a
décidé de s'engager dans un processus de dépense
(en argent, en temps ou en énergie) pour atteindre un but donné.
2) Que l'individu en soit conscient ou pas, l'atteinte du but n'est
pas certaine. 3) La situation est telle que l'individu peut avoir l'impression
que chaque dépense le rapproche davantage du but. 4) Le processus
se poursuit sauf si l'individu décide activement de l'interrompre.
5) L'individu n'a pas fixé au départ de limite à
ses investissements" (5). C'est dans ce type de piège que
sont pris l'étudiant qui n'aime pas sa discipline mais qui décide
quand même de terminer pour avoir son diplôme, le vieux
couple qui reste uni par habitude, la personne qui s'engage dans une
psychanalyse, celle qui investit une fortune en réparation dans
une vieille voiture à l'agonie, le joueur qui essaie de se refaire
dans un casino, le Président américain qui continue d'envoyer
des hommes au Viêt-nam, etc.
L'effet de gel nous enseigne donc que nous nous retrouvons piégés
par nos propres décisions. Nous sommes piégés dans
des décisions que nous prenons pourtant, du moins en apparence,
en toute liberté. Mais est-il possible que nous ne soyons pas
aussi libres que nous le croyons quand nous prenons certaines décisions
? Est-il possible que certaines personnes, consciemment ou non, nous
influencent ? Est-il possible que nous soyons manipulés ?
La manipulation
Comme nous venons de le voir, l'effet de gel nous entraîne dans
de nombreux pièges. Cependant, Joule et Beauvois soulignent que
le comportement repose parfois sur une décision qui en vérité
n'en est pas une. Dans l'exemple du voleur à la plage, ce qui
a toute l'apparence d'une question est en fait une requête tellement
anodine qu'elle est, dans les faits, impossible à refuser. Ainsi,
des questions comme "pouvez-vous me donner l'heure ?" ou "pouvez-vous
surveiller mes affaires quelques instants ?" nous donnent l'impression
de prendre une décision alors qu'en vérité nous
n'avons pas le choix, si on se fie à la logique des relations
interpersonnelles. Selon toute vraisemblance, sans cette simple requête
que nous ne pouvions refuser, nous ne serions pas intervenus pour arrêter
le voleur. Comment se fait-il que notre comportement se soit si radicalement
modifié ?
L'activité de décision n'est jamais totalement libre.
Il existe une multitude de pressions qui s'exercent sur nous : des contraintes
ou des règles sociales, des routines, des habitudes, etc. (6).
Cependant, il existe également des "technologies comportementales"
qui nous amènent à prendre des décisions qui transforment
directement nos comportements. Elles peuvent être utilisées
consciemment ou non par des individus pour obtenir d'autrui, en toute
liberté, un comportement qui n'aurait pas été obtenu
autrement. Grâce à ces technologies comportementales, "les
gens en arrivent le plus souvent à "décider"
de faire ce qu'en d'autres temps on leur aurait imposé de faire"
(7). Le mode de gestion très démocratique de certaines
entreprises, qui ne change pourtant rien au fait que les employés
font bel et bien ce qu'on leur demande, s'explique peut-être par
le fait que le management moderne est à la fine pointe des connaissances
en termes de manipulation.
Joule et Beauvois nous proposent de nombreux exemples pour illustrer
quatre types de manipulation : l'amorçage, le leurre, le pied-dans-la-porte
et la porte-au-nez.
L'amorçage consiste à amener quelqu'un à prendre
une décision sans lui fournir toute l'information nécessaire
pour qu'il soit réellement conscient de sa décision. Prenons
encore une fois l'exemple d'une expérience américaine.
Dans certaines universités américaines, les étudiants
en psychologie sont obligés de participer à un certain
nombre d'expériences, ce pourquoi ils obtiennent des crédits.
Les chercheurs d'une université recrutaient des étudiants
pour participer à une expérience qui devait avoir lieu
très tôt dans la matinée. Ils ont communiqué
avec des étudiants et 31% de ceux qui ont été sollicités
ont accepté de participer, mais seulement 24% se sont effectivement
rendus au laboratoire à l'heure prévue. Les chercheurs
ont donc procédé à un amorçage : ils ont
demandé de nouveau à des étudiants de participer
à l'expérience en la leur expliquant de la même
façon, mais en omettant de mentionner l'heure à laquelle
elle se déroulait. À ceux qui acceptaient, on disait ensuite
qu'ils devraient se rendre au laboratoire un matin à sept heures.
On leur demandait ensuite de prendre une nouvelle décision. Alors
que seulement 31% des étudiants avaient accepté dans le
premier cas, 56% ont accepté grâce à l'amorçage.
Mieux encore, 53% des étudiants se sont effectivement présentés
au laboratoire.
L'amorçage peut prendre une forme tout à fait banale et
il n'est pas nécessairement le fruit d'une manipulation délibérée.
Lorsqu'un ami vous demande "peux-tu me rendre un petit service
?", vous ne disposez pas de toute l'information nécessaire
pour prendre une décision éclairée. Votre ami peut
vous demander de tenir son sac un instant pendant qu'il renoue son lacet,
mais il peut également vous demander de l'aider à déménager
pendant toute une journée. L'homme qui s'arrête sur le
bord de l'autoroute pour embarquer une jolie auto-stoppeuse, et qui
voit au même moment deux gars sortir des buissons et courir la
rejoindre, se fait aussi prendre dans un amorçage. C'est aussi
le cas en publicité quand on annonce, par exemple, un article
en vente à moitié prix. Sur la même annonce, écrit
en tout petits caractères, on peut lire que c'est à l'achat
d'un article identique à prix régulier, les lundis et
mardis seulement, etc.
Dans les exemples que nous avons donné, il n'y a pas de mensonge
mais une omission d'une partie de la vérité. On peut procéder
autrement et amener la personne à prendre une décision
sur la base d'informations fausses en faisant miroiter des avantages
fictifs. La vérité n'est rétablie qu'une fois la
décision prise, ce qui la rend beaucoup moins avantageuse. Par
exemple, des chercheurs américains offrent à des étudiants
le choix de participer à une expérience fastidieuse pour
3 crédits ou de participer à une expérience agréable
pour un seul crédit. Après que des étudiants aient
accepté de participer à l'expérience fastidieuse,
on leur annonce qu'elle ne vaut en vérité qu'un seul crédit,
comme l'autre expérience. On a réussi grâce à
cet amorçage à attirer deux fois plus de participants
à l'expérience fastidieuse que si on avait dit la vérité
d'entrée de jeu.
Le leurre ressemble beaucoup à l'amorçage. Il consiste
à faire prendre à quelqu'un une décision qu'il
juge avantageuse avant de lui annoncer qu'il ne pourra pas la concrétiser.
On lui offre alors une décision de substitution. Par exemple,
un manteau exposé dans la vitrine d'un magasin est offert à
un prix dérisoire. Vous entrez dans le magasin bien décidé
à profiter de l'aubaine mais le vendeur vous explique qu'il s'agit
d'un modèle de l'année précédente et qu'il
ne lui reste qu'une seule taille qui ne vous convient manifestement
pas. Il vous propose en revanche le modèle de l'année,
bien plus à la mode mais, malheureusement, à prix régulier.
Le vendeur espère que vous allez persévérer dans
votre décision d'acheter un manteau dans son magasin. C'est un
piège commun et connu, mais dans lequel nous tombons néanmoins
car, sans le leurre, nous ne serions probablement pas entrés
dans le magasin.
Le pied-dans-la-porte se résume à demander peu afin d'obtenir
beaucoup. Par exemple, vous êtes dans la rue et vous avez besoin
d'une pièce de monnaie pour téléphoner. Si vous
demandez directement aux passants, seulement une personne sur dix sera
généreuse avec vous (selon une expérience). Par
contre, si vous demandez l'heure, tout le monde vous la donnera, du
moins tous ceux qui ont une montre. Alors, si vous commencez par demandez
l'heure avant de demander une pièce de monnaie, quatre personnes
sur dix vous permettront de faire votre téléphone. Si
les gens acceptent davantage de donner une pièce de monnaie,
"ce n'est pas parce que leur personnalité ou leur caractère
les portent naturellement à le faire, mais parce qu'ils ont été
préalablement conduits à accéder à une première
requête si peu coûteuse qu'il n'est venu à personne
l'idée de la refuser" (8).
Le principe est donc très simple : il s'agit d'obtenir un comportement
peu coûteux de quelqu'un dans le but d'en obtenir un plus coûteux
ultérieurement. Le premier comportement prédispose la
personne à effectuer le deuxième. Plusieurs expériences
ont été menées pour vérifier les effets
du pied-dans-la-porte. Les résultats sont convainquants. En voici
deux exemples patents qui datent des années 1960.
Une équipe de chercheurs, prétextant une enquête
sur la consommation, souhaitaient obtenir la permission de ménagères
américaines pour fouiller pendant deux heures les tiroirs et
armoires de leur maison afin de recenser les objets de consommation
courante. Seulement 22,2% ont accepté spontanément. Avec
un autre groupe, ils ont tout d'abord contacté les ménagères
pour une courte enquête téléphonique. Ils ont de
nouveau communiqué avec elles quelques jours plus tard pour leur
demander de recevoir les enquêteurs pendant deux heures et elles
ont accepté dans une proportion de 52,8%. Dans une autre expérience,
le prétexte était une campagne de sensibilisation à
la prudence au volant. Les chercheurs ont demandé à des
ménagères d'installer un panneau inesthétique devant
leur résidence, ce que seulement 16,7% d'entre elles ont accepté
spontanément. Les chercheurs ont demandé à un autre
groupe de ménagères d'installer un autocollant incitant
à la prudence au volant sur la voiture familiale. Quand plus
tard ils leur ont demandé d'installer un panneau identique, elles
ont accepté à 76%.
La dernière technique de manipulation que nous présentent
Joule et Beauvois est la porte-au-nez. Elle repose sur une logique complètement
opposée à celle du pied-dans-la-porte. Il s'agit désormais
de demander énormément afin d'obtenir peu. Pour exécuter
une porte-au-nez efficace, on doit tout d'abord formuler une requête
exorbitante, inacceptable, tout simplement irréaliste. Par exemple,
des chercheurs américains ont sollicité des étudiants
afin qu'ils parrainent bénévolement de jeunes délinquants
à raison de deux heures par semaine pendant deux ans. Évidemment,
tous ont refusé. Ils leur demandaient ensuite s'il était
possible pour eux de consacrer deux heures à ces jeunes délinquants
pour une excursion au zoo, et ce à une seule et unique occasion.
La moitié des étudiants ont accepté. Seulement
16,7% des étudiants ont accepté lorsqu'ils étaient
directement sollicités pour accompagner les délinquants
au zoo, sans porte-au-nez. Vous aurez compris que le comportement recherché
était l'accompagnement au zoo, et qu'il n'a jamais été
question pour les chercheurs de recruter quelqu'un pour faire du bénévolat
pendant deux ans.
Pour qu'une porte-au-nez fonctionne, il faut demander l'impossible.
Il faut que la première requête soit refusée par
100% des gens. Cette technique est également bien présente
dans notre quotidien et fait partie des techniques de ventes depuis
fort longtemps. Vous refuserez probablement de vous procurer cette encyclopédie
de plus de 1 000 $, mais le joli petit atlas qu'on vous offre ensuite
pour 40 $ apparaît comme une dépense bien modeste. De même,
un enfant qui commence par demander à ses parents d'aller à
Walt Disney World en Floride a bien plus de chance de se voir accorder
sa deuxième requête : une excursion à La Ronde.
Voilà une porte-au-nez bien innocente !
Les techniques de manipulation permettent d'obtenir d'autrui des comportements
qu'ils n'auraient pas adoptés autrement, et ce en toute liberté.
Elles sont beaucoup moins aléatoires que l'argumentation ou la
séduction, et beaucoup plus accessibles que le pouvoir, qui n'est
pas donné à tout le monde, étant donné que
la majorité de nos relations interpersonnelles sont égalitaires.
Il est difficile de déterminer laquelle de ces techniques est
la meilleure, bien que l'amorçage semble obtenir les résultats
les plus spectaculaires. Cependant, aucune technique ne permet d'obtenir
des résultats à 100% ou de contrôler totalement
le comportement d'autrui. Néanmoins, ce que nous apprennent les
nombreuses expériences, c'est que l'effet de gel et les techniques
de manipulation ont des effets significatifs sur notre comportement.
Les raisons qui font que ces techniques fonctionnent ne sont pas évidentes,
car si les effets expérimentaux sont parfois spectaculaires,
les explications théoriques restent bien souvent insuffisantes.
Dans le prochain article intitulé "La manipulation et la
théorie de l'engagement", nous jetterons un coup d'œil
sur ce que nous proposent Joule et Beauvois pour comprendre le fonctionnement
de ces techniques que nous venons de présenter.
* Les informations et les exemples contenus dans cet article
sont tirés ou inspirés directement des ouvrages cités
de Robert-Vincent Joules et Jean-Léon Beauvois.
(1) Les bases de la théorie de l'engagement ont tout d'abord été
posées par l'Américain Charles Kiesler dans son ouvrage
The psycology of commitment. Experiments linking behavior to belief, New
York, Academic Press, 1971.
(2) C'est en effet Kurt Lewin qui fut le premier à observer et
à nommer l'effet de gel dans son texte "Group decision and
social change", publié dans l'ouvrage de T. Newcomb et E.
Hartley, Readings in social psycology, New York, Holt, 1947.
(3) Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, Petit traité
de manipulation à l'usage des honnêtes gens, Grenoble,
Presses Universitaires de Grenoble, 1987, page 34.
(4) Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, La soumission
librement consentie, Paris, Presses Universitaires de France, 1998,
page 36.
(5) Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes
gens, op. cit., page 37.
(6) Joule et Beauvois parlent de scripts, de scénarios ou encore
de modèles impérieux de conduite qui sont très
difficiles à transgresser.
(7) Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes
gens, op. cit., page 12.
(8) La soumission librement consentie, op. cit., page 42.
Ao! Espaces de la parole
Vol. VII - n°1 et 2 (Été 2001), pp. 75-78
Éditions de l'Épisode, 2001
http://www.ao.qc.ca/archives/nos/7-12hf/manipulation.htm
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