"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google

La manipulation et les pièges de l'esprit
par Jean-François Lepage, militant au Canada



Des choix que nous croyons poser en toute liberté sont en vérité souvent influencés par des contraintes ou des pièges qui nous sont tendus à notre insu. Il arrive même que ces pièges, on se les tende à soi-même…

Des choix que nous croyons poser en toute liberté sont en vérité souvent influencés par des contraintes ou des pièges qui nous sont tendus à notre insu. Il arrive même que ces pièges, on se les tende à soi-même…

Les psychologues français Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois étudient la manipulation depuis plusieurs années. À partir de nombreuses expériences et observations empiriques, ils ont considérablement développé la théorie de l'engagement de Charles Kiesler (1). En 1987, dans leur ouvrage intitulé Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens, ils ont offert aux lecteurs français un tour d'horizon de la psychologie sociale expérimentale, champ d'étude jusque-là principalement développé par des chercheurs anglo-saxons et peu accessible au lectorat francophone. Dix ans plus tard, ils reprennent et peaufinent la théorie de l'engagement dans un second ouvrage intitulé La soumission librement consentie. Dans le premier de deux articles sur le sujet, nous proposons un regard sur les pièges de l'esprit et la manipulation qui sont à la base de leur théorie, tels qu'ils sont présentés par Joules et Beauvois dans ces deux ouvrages.

Les pièges de l'esprit ou l'auto-manipulation

Nous avons tendance à croire que les gens ont un comportement consistant, c'est-à-dire qu'ils agissent de façon similaire dans des circonstances comparables. La notion de consistance comportementale, selon laquelle les gens agissent d'après leur personnalité, nous permet également de comprendre pourquoi, dans une situation donnée, certaines personnes se conduisent différemment de d'autres. Malheureusement, de nombreuses expériences prouvent qu'on ne peut absolument pas prédire le comportement d'un individu en se référant à ses comportements antérieurs, à ses attitudes ou à sa personnalité. Au contraire, on observe que la différence se retrouve dans la situation, dans le contexte de l'action.

Par exemple, vous êtes à la plage en train de relaxer quand un homme arrive et s'installe à proximité de vous. Après quelques instants, il s'approche et vous demande si vous avez du feu pour allumer sa cigarette, spécifiant qu'il est seul et qu'il a oublié ses allumettes. Après avoir fumé, il laisse ses affaires et va se baigner. Pendant son absence, un autre homme s'approche subrepticement et s'enfuit avec la radio portative de votre voisin, alors que vous observez la scène en maugréant contre la malhonnêteté des gens. Quelques jours plus tard, une situation similaire se produit, à une petite différence près. L'homme, avant d'aller se baigner, s'approche de vous et vous demande s'il vous est possible de surveiller ses affaires du coin de l'œil pendant quelques minutes. Cette fois, quand un suspect met la main sur la radio portative, vous n'hésitez pas et criez "au voleur!".

Cet exemple se base sur des expériences répétées à la plage ou dans d'autres contextes. Sans une requête explicitement formulée, les gens interviennent dans 12,5% à 20% des cas pour arrêter le voleur. Lorsque la requête est formulée, c'est 95% à 100% des gens qui interviennent. Cet exemple illustre principalement deux choses. Premièrement, ce qui explique que les gens interviennent ou non pour arrêter le voleur n'est pas leur personnalité, mais la demande explicite qui a été formulée. Les gens qui interviennent ne sont pas plus généreux ou altruistes, ils ont simplement pris la décision d'intervenir avant même que la situation ne se produise. La deuxième chose que cet exemple nous apprend, c'est que les gens sont consistants avec leurs décisions, ce que Kurt Lewin (2) a appelé l'effet de gel.

L'effet de gel peut nous amener à tomber dans un piège abscons, une dépense gâchée ou une escalade d'engagement, trois expressions qui désignent plus ou moins un même phénomène. Il s'observe "chaque fois qu'un individu reste sur une stratégie ou une ligne de conduite dans laquelle il a préalablement investi (en argent, en temps, en énergie) et ceci au détriment d'autres stratégies ou lignes de conduites plus avantageuses" (3). L'escalade d'engagements se caractérise plus spécifiquement par une série de décisions de plus en plus coûteuses dans un même cours d'action infructueux.

Voici un exemple de piège abscons. Vous sortez d'une soirée et vous courrez afin d'attraper le dernier autobus pour rentrer à la maison. Vous arrivez à l'arrêt quelques minutes avant l'heure de passage, mais il est possible qu'à cette heure tardive l'autobus soit en avance. Dix minutes se sont écoulées quand il se met à pleuvoir. Un taxi passe près de vous, mais vous décidez d'attendre l'autobus encore un peu, car il est également possible qu'il ait du retard. Après vingt-cinq minutes, vous vous rendez à l'évidence : vous avez raté l'autobus. Vous rentrez donc à pied, éreinté, sous la pluie battante, seul dans la nuit. Il aurait été bien plus agréable de rentrer en taxi, mais vous avez choisi de persévérer dans votre première décision qui était de prendre l'autobus.

Joule et Beauvois nous donnent ensuite un exemple de dépense gâchée : vous vous inscrivez pour une fin de semaine de ski dans le Vermont. Le voyage est complètement organisé et il vous en coûte 100 $ pour bénéficier du forfait. Plus tard, un groupe d'amis vous demande si vous êtes intéressé à vous joindre à eux pour un forfait similaire dans les Laurentides. Vous acceptez immédiatement et payez les 50 $, avant de constater que les deux excursions ont lieu la même fin de semaine. Comme il est impossible de se faire rembourser l'un ou l'autre des séjours, vous devez choisir entre les deux. Le séjour dans les Laurentides est plus intéressant, car vous pourriez skier avec des amis plutôt qu'avec des étrangers, mais vous avez déboursé le double pour le voyage au Vermont. Vous choisissez ce dernier, comme le faisait la majorité des personnes placées dans une situation similaire dans une expérience américaine, en vous disant qu'il vaut mieux gaspiller 50 $ plutôt que 100 $. Pourtant, étant donné que votre fin de semaine vous coûtera 150 $ d'une manière ou d'une autre, pourquoi ne pas choisir le séjour avec vos amis qui vous apparaissait beaucoup plus prometteur ?

Voici enfin un exemple d'escalade d'engagement basé sur une expérience qui a été tentée aux États-Unis dans les années 1970. Dans une situation fictive, on demandait à des étudiants en management de jouer le rôle d'un cadre d'une compagnie et de prendre la décision d'affecter un fonds spécial de développement à l'une ou l'autre des filiales d'une entreprise. On demandait ensuite aux étudiants d'imaginer que quelques années s'étaient écoulées et qu'ils avaient à prendre une décision semblable afin d'affecter un fonds à l'une des deux mêmes filiales. On les informe cependant que la filiale dans laquelle ils avaient préalablement investi n'a pas rencontré les objectifs de développement; au contraire, sa situation s'est dégradée. Curieusement, les étudiants choisissent majoritairement de réinvestir dans la même filiale, malgré les résultats antérieurs décevants. Ils ont choisi d'adhérer à leur première décision, même si ce n'était pas la bonne, même si elle était moins rationnelle. En effet, cette décision apparaît absurde, surtout si on la compare à celle des étudiants qui n'avait qu'à prendre la deuxième décision. On demandait à ces derniers, dans une situation tout aussi fictive, de remplacer le cadre qui avait pris la première décision quelques années plus tôt. Majoritairement, ils ont choisi d'affecter le fonds à l'autre filiale. Ce qu'on constate, c'est que "les gens adhèrent plus au choix qu'ils ont fait qu'aux raisons ayant présidé à ce choix " (4).

Les pièges abscons, les dépenses gâchées et les escalades d'engagement possèdent cinq caractéristiques qui les rendent aussi insidieux que perfides : "1) L'individu a décidé de s'engager dans un processus de dépense (en argent, en temps ou en énergie) pour atteindre un but donné. 2) Que l'individu en soit conscient ou pas, l'atteinte du but n'est pas certaine. 3) La situation est telle que l'individu peut avoir l'impression que chaque dépense le rapproche davantage du but. 4) Le processus se poursuit sauf si l'individu décide activement de l'interrompre. 5) L'individu n'a pas fixé au départ de limite à ses investissements" (5). C'est dans ce type de piège que sont pris l'étudiant qui n'aime pas sa discipline mais qui décide quand même de terminer pour avoir son diplôme, le vieux couple qui reste uni par habitude, la personne qui s'engage dans une psychanalyse, celle qui investit une fortune en réparation dans une vieille voiture à l'agonie, le joueur qui essaie de se refaire dans un casino, le Président américain qui continue d'envoyer des hommes au Viêt-nam, etc.

L'effet de gel nous enseigne donc que nous nous retrouvons piégés par nos propres décisions. Nous sommes piégés dans des décisions que nous prenons pourtant, du moins en apparence, en toute liberté. Mais est-il possible que nous ne soyons pas aussi libres que nous le croyons quand nous prenons certaines décisions ? Est-il possible que certaines personnes, consciemment ou non, nous influencent ? Est-il possible que nous soyons manipulés ?

La manipulation

Comme nous venons de le voir, l'effet de gel nous entraîne dans de nombreux pièges. Cependant, Joule et Beauvois soulignent que le comportement repose parfois sur une décision qui en vérité n'en est pas une. Dans l'exemple du voleur à la plage, ce qui a toute l'apparence d'une question est en fait une requête tellement anodine qu'elle est, dans les faits, impossible à refuser. Ainsi, des questions comme "pouvez-vous me donner l'heure ?" ou "pouvez-vous surveiller mes affaires quelques instants ?" nous donnent l'impression de prendre une décision alors qu'en vérité nous n'avons pas le choix, si on se fie à la logique des relations interpersonnelles. Selon toute vraisemblance, sans cette simple requête que nous ne pouvions refuser, nous ne serions pas intervenus pour arrêter le voleur. Comment se fait-il que notre comportement se soit si radicalement modifié ?

L'activité de décision n'est jamais totalement libre. Il existe une multitude de pressions qui s'exercent sur nous : des contraintes ou des règles sociales, des routines, des habitudes, etc. (6). Cependant, il existe également des "technologies comportementales" qui nous amènent à prendre des décisions qui transforment directement nos comportements. Elles peuvent être utilisées consciemment ou non par des individus pour obtenir d'autrui, en toute liberté, un comportement qui n'aurait pas été obtenu autrement. Grâce à ces technologies comportementales, "les gens en arrivent le plus souvent à "décider" de faire ce qu'en d'autres temps on leur aurait imposé de faire" (7). Le mode de gestion très démocratique de certaines entreprises, qui ne change pourtant rien au fait que les employés font bel et bien ce qu'on leur demande, s'explique peut-être par le fait que le management moderne est à la fine pointe des connaissances en termes de manipulation.

Joule et Beauvois nous proposent de nombreux exemples pour illustrer quatre types de manipulation : l'amorçage, le leurre, le pied-dans-la-porte et la porte-au-nez.

L'amorçage consiste à amener quelqu'un à prendre une décision sans lui fournir toute l'information nécessaire pour qu'il soit réellement conscient de sa décision. Prenons encore une fois l'exemple d'une expérience américaine. Dans certaines universités américaines, les étudiants en psychologie sont obligés de participer à un certain nombre d'expériences, ce pourquoi ils obtiennent des crédits. Les chercheurs d'une université recrutaient des étudiants pour participer à une expérience qui devait avoir lieu très tôt dans la matinée. Ils ont communiqué avec des étudiants et 31% de ceux qui ont été sollicités ont accepté de participer, mais seulement 24% se sont effectivement rendus au laboratoire à l'heure prévue. Les chercheurs ont donc procédé à un amorçage : ils ont demandé de nouveau à des étudiants de participer à l'expérience en la leur expliquant de la même façon, mais en omettant de mentionner l'heure à laquelle elle se déroulait. À ceux qui acceptaient, on disait ensuite qu'ils devraient se rendre au laboratoire un matin à sept heures. On leur demandait ensuite de prendre une nouvelle décision. Alors que seulement 31% des étudiants avaient accepté dans le premier cas, 56% ont accepté grâce à l'amorçage. Mieux encore, 53% des étudiants se sont effectivement présentés au laboratoire.

L'amorçage peut prendre une forme tout à fait banale et il n'est pas nécessairement le fruit d'une manipulation délibérée. Lorsqu'un ami vous demande "peux-tu me rendre un petit service ?", vous ne disposez pas de toute l'information nécessaire pour prendre une décision éclairée. Votre ami peut vous demander de tenir son sac un instant pendant qu'il renoue son lacet, mais il peut également vous demander de l'aider à déménager pendant toute une journée. L'homme qui s'arrête sur le bord de l'autoroute pour embarquer une jolie auto-stoppeuse, et qui voit au même moment deux gars sortir des buissons et courir la rejoindre, se fait aussi prendre dans un amorçage. C'est aussi le cas en publicité quand on annonce, par exemple, un article en vente à moitié prix. Sur la même annonce, écrit en tout petits caractères, on peut lire que c'est à l'achat d'un article identique à prix régulier, les lundis et mardis seulement, etc.

Dans les exemples que nous avons donné, il n'y a pas de mensonge mais une omission d'une partie de la vérité. On peut procéder autrement et amener la personne à prendre une décision sur la base d'informations fausses en faisant miroiter des avantages fictifs. La vérité n'est rétablie qu'une fois la décision prise, ce qui la rend beaucoup moins avantageuse. Par exemple, des chercheurs américains offrent à des étudiants le choix de participer à une expérience fastidieuse pour 3 crédits ou de participer à une expérience agréable pour un seul crédit. Après que des étudiants aient accepté de participer à l'expérience fastidieuse, on leur annonce qu'elle ne vaut en vérité qu'un seul crédit, comme l'autre expérience. On a réussi grâce à cet amorçage à attirer deux fois plus de participants à l'expérience fastidieuse que si on avait dit la vérité d'entrée de jeu.

Le leurre ressemble beaucoup à l'amorçage. Il consiste à faire prendre à quelqu'un une décision qu'il juge avantageuse avant de lui annoncer qu'il ne pourra pas la concrétiser. On lui offre alors une décision de substitution. Par exemple, un manteau exposé dans la vitrine d'un magasin est offert à un prix dérisoire. Vous entrez dans le magasin bien décidé à profiter de l'aubaine mais le vendeur vous explique qu'il s'agit d'un modèle de l'année précédente et qu'il ne lui reste qu'une seule taille qui ne vous convient manifestement pas. Il vous propose en revanche le modèle de l'année, bien plus à la mode mais, malheureusement, à prix régulier. Le vendeur espère que vous allez persévérer dans votre décision d'acheter un manteau dans son magasin. C'est un piège commun et connu, mais dans lequel nous tombons néanmoins car, sans le leurre, nous ne serions probablement pas entrés dans le magasin.

Le pied-dans-la-porte se résume à demander peu afin d'obtenir beaucoup. Par exemple, vous êtes dans la rue et vous avez besoin d'une pièce de monnaie pour téléphoner. Si vous demandez directement aux passants, seulement une personne sur dix sera généreuse avec vous (selon une expérience). Par contre, si vous demandez l'heure, tout le monde vous la donnera, du moins tous ceux qui ont une montre. Alors, si vous commencez par demandez l'heure avant de demander une pièce de monnaie, quatre personnes sur dix vous permettront de faire votre téléphone. Si les gens acceptent davantage de donner une pièce de monnaie, "ce n'est pas parce que leur personnalité ou leur caractère les portent naturellement à le faire, mais parce qu'ils ont été préalablement conduits à accéder à une première requête si peu coûteuse qu'il n'est venu à personne l'idée de la refuser" (8).

Le principe est donc très simple : il s'agit d'obtenir un comportement peu coûteux de quelqu'un dans le but d'en obtenir un plus coûteux ultérieurement. Le premier comportement prédispose la personne à effectuer le deuxième. Plusieurs expériences ont été menées pour vérifier les effets du pied-dans-la-porte. Les résultats sont convainquants. En voici deux exemples patents qui datent des années 1960.

Une équipe de chercheurs, prétextant une enquête sur la consommation, souhaitaient obtenir la permission de ménagères américaines pour fouiller pendant deux heures les tiroirs et armoires de leur maison afin de recenser les objets de consommation courante. Seulement 22,2% ont accepté spontanément. Avec un autre groupe, ils ont tout d'abord contacté les ménagères pour une courte enquête téléphonique. Ils ont de nouveau communiqué avec elles quelques jours plus tard pour leur demander de recevoir les enquêteurs pendant deux heures et elles ont accepté dans une proportion de 52,8%. Dans une autre expérience, le prétexte était une campagne de sensibilisation à la prudence au volant. Les chercheurs ont demandé à des ménagères d'installer un panneau inesthétique devant leur résidence, ce que seulement 16,7% d'entre elles ont accepté spontanément. Les chercheurs ont demandé à un autre groupe de ménagères d'installer un autocollant incitant à la prudence au volant sur la voiture familiale. Quand plus tard ils leur ont demandé d'installer un panneau identique, elles ont accepté à 76%.

La dernière technique de manipulation que nous présentent Joule et Beauvois est la porte-au-nez. Elle repose sur une logique complètement opposée à celle du pied-dans-la-porte. Il s'agit désormais de demander énormément afin d'obtenir peu. Pour exécuter une porte-au-nez efficace, on doit tout d'abord formuler une requête exorbitante, inacceptable, tout simplement irréaliste. Par exemple, des chercheurs américains ont sollicité des étudiants afin qu'ils parrainent bénévolement de jeunes délinquants à raison de deux heures par semaine pendant deux ans. Évidemment, tous ont refusé. Ils leur demandaient ensuite s'il était possible pour eux de consacrer deux heures à ces jeunes délinquants pour une excursion au zoo, et ce à une seule et unique occasion. La moitié des étudiants ont accepté. Seulement 16,7% des étudiants ont accepté lorsqu'ils étaient directement sollicités pour accompagner les délinquants au zoo, sans porte-au-nez. Vous aurez compris que le comportement recherché était l'accompagnement au zoo, et qu'il n'a jamais été question pour les chercheurs de recruter quelqu'un pour faire du bénévolat pendant deux ans.

Pour qu'une porte-au-nez fonctionne, il faut demander l'impossible. Il faut que la première requête soit refusée par 100% des gens. Cette technique est également bien présente dans notre quotidien et fait partie des techniques de ventes depuis fort longtemps. Vous refuserez probablement de vous procurer cette encyclopédie de plus de 1 000 $, mais le joli petit atlas qu'on vous offre ensuite pour 40 $ apparaît comme une dépense bien modeste. De même, un enfant qui commence par demander à ses parents d'aller à Walt Disney World en Floride a bien plus de chance de se voir accorder sa deuxième requête : une excursion à La Ronde. Voilà une porte-au-nez bien innocente !

Les techniques de manipulation permettent d'obtenir d'autrui des comportements qu'ils n'auraient pas adoptés autrement, et ce en toute liberté.

Elles sont beaucoup moins aléatoires que l'argumentation ou la séduction, et beaucoup plus accessibles que le pouvoir, qui n'est pas donné à tout le monde, étant donné que la majorité de nos relations interpersonnelles sont égalitaires. Il est difficile de déterminer laquelle de ces techniques est la meilleure, bien que l'amorçage semble obtenir les résultats les plus spectaculaires. Cependant, aucune technique ne permet d'obtenir des résultats à 100% ou de contrôler totalement le comportement d'autrui. Néanmoins, ce que nous apprennent les nombreuses expériences, c'est que l'effet de gel et les techniques de manipulation ont des effets significatifs sur notre comportement.

Les raisons qui font que ces techniques fonctionnent ne sont pas évidentes, car si les effets expérimentaux sont parfois spectaculaires, les explications théoriques restent bien souvent insuffisantes. Dans le prochain article intitulé "La manipulation et la théorie de l'engagement", nous jetterons un coup d'œil sur ce que nous proposent Joule et Beauvois pour comprendre le fonctionnement de ces techniques que nous venons de présenter.

* Les informations et les exemples contenus dans cet article sont tirés ou inspirés directement des ouvrages cités de Robert-Vincent Joules et Jean-Léon Beauvois.
(1) Les bases de la théorie de l'engagement ont tout d'abord été posées par l'Américain Charles Kiesler dans son ouvrage The psycology of commitment. Experiments linking behavior to belief, New York, Academic Press, 1971.

(2) C'est en effet Kurt Lewin qui fut le premier à observer et à nommer l'effet de gel dans son texte "Group decision and social change", publié dans l'ouvrage de T. Newcomb et E. Hartley, Readings in social psycology, New York, Holt, 1947.

(3) Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1987, page 34.

(4) Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, La soumission librement consentie, Paris, Presses Universitaires de France, 1998, page 36.

(5) Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens, op. cit., page 37.

(6) Joule et Beauvois parlent de scripts, de scénarios ou encore de modèles impérieux de conduite qui sont très difficiles à transgresser.

(7) Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens, op. cit., page 12.

(8) La soumission librement consentie, op. cit., page 42.

Ao! Espaces de la parole

Vol. VII - n°1 et 2 (Été 2001), pp. 75-78

Éditions de l'Épisode, 2001

http://www.ao.qc.ca/archives/nos/7-12hf/manipulation.htm