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Introduction
I/ Le leitmotiv de la performance : un environnement concurrentiel
tentaculaire préjudiciable à la solidarité
professionnelle
A° Le refrain de la rentabilité et de la “ flexibilité
à outrance ” comme couperets sociaux
Le formatage comme prélude à la soumission : une
fidélisation “ sectaire ” ?
Le diktat de la performance et de l’excellence : l’apologie
du rendement au cœur du management contemporain
La flexibilisation nocive mettant à l’épreuve
l’adaptabilité : vers la polyvalence et le nomadisme
professionnel ?
La polémique de la mondialisation et du chômage accentuée
par une législation nationale “ consentante ”
à la fluidité du marché du travail
B° La montée des individualismes comme symptôme
d’une dégénérescence sociale
Le besoin viscéral de reconnaissance et de valorisation
comme dynamo sociale
La pratique insidieuse de la dévalorisation : vers une crise
identitaire latente ?
L’irruption des comportements déloyaux : vers la déstructuration
du vivre ensemble ?
La décrépitude de l’esprit collectif comme
conséquence inhérente aux aspirations gestionnaires
II/ Les aspects délétères de la pression :
une “ instrumentalisation stigmatisante ” nocive à
l’état psychique de la sphère salariale
A° La figure prédatrice du management contemporain à
travers le spectre du harcèlement moral et la prolifération
de la violence
La prolifération de la violence au cœur des relations
humaines et professionnelles
Le harcèlement moral comme manifestation perverse de la
“ domination ”
La placardisation : vers une “ néantisation sociale
” des salariés marginaux ?
La délicate dénonciation entre tabou, silence et
peur des représailles : une complicité sous-jacente
?
B° L’omniprésence du stress et de l’urgence
dans la sphère professionnelle : une composante à
géométrie variable
L’intégration pernicieuse du facteur temps : le culte
de l’urgence et du compactable
L’angoisse face à un univers professionnel en mouvance
permanente : entre pamphlet et éloge du changement et du
progrès technique
Les polémiques autour d’un fléau contemporain
: entre effet dopant et effet toxique
Les “ pathologies du surmenage ” : une sphère
salariale consumée de l’intérieur
III/ La souffrance au travail comme épiphénomène
métamorphosé en affection médiatique : entre
analyse psychodynamique et prescriptions “ salvatrices ”
A° La recrudescence des “ dérives comportementales
” comme réponse mal-être ambiant
La transmutation de la pénibilité et ses effets sur
la “ cellule familiale ”
La fuite face à un univers professionnel à l’hostilité
grandissante
Les cataplasmes sociaux : entre effet placebo et effet annihilant
Les comportements suicidaires : une collectivité de travail
“ épuisée ” par des pratiques managériales
oppressantes
B° La lutte contre la souffrance au travail sous le prisme
d’une approche clinique et sociétale rénovée
L’insatisfaction au travail: vers l’obsolescence de
la notion d’amour au travail et l’augmentation de la
souffrance ?
La prévention et la pluridisciplinarité comme procédés
thérapeutiques adéquats : vers de “ nouveaux
préventeurs ” de la santé au travail ?
L’effet apaisant de l’écoute des ressentis :
entre prévention et réinsertion
La nécessaire “ introspection ” et responsabilisation
des entreprises face au phénomène de souffrance au
travail
Conclusion
Bibliographie
**************
La dramaturgie médiatique de la détresse professionnelle
donne à cette affection une dimension sociale éminente
puisqu’il semble que la souffrance mentale au travail soit
devenue synonyme de problème récurrent dans les relations
professionnelles contemporaines.
Le travail n’est autre que l’activité déployée
par les hommes et les femmes pour faire face à ce qui n’est
pas déjà donné par l’organisation prescrite
du travail 1
. Le salarié travaille pour une organisation qui le rétribue
financièrement mais il fait souvent l’office de victime
sacrificielle car l’aléa économique et la concurrence
mondiale éclipsent généralement le capital
humain. Le marché du travail peut être dépeint
comme un champ de bataille où combattent les entreprises
dans l’espoir que le camp adverse s’essoufflera le premier.
Le nerf de la guerre n’est autre que la quête de compétitivité
et de performance. Les salariés revêtent alors le costume
de fantassins qui exécutent les ordres et subissent la pression
de leurs supérieurs. La gestion et le contrôle des
“ troupes ” doivent faire l’objet d’une
analyse attentive en ce qu’elle est déterminante dans
l’adoption d’une stratégie défensive.
La gestion se définit comme un ensemble de techniques destinées
à rechercher “ l’organisation de la meilleure
utilisation des ressources financières, matérielles
et humaines ” pour assurer la pérennité de l’entreprise.
En outre, il s’agit de l’ensemble des pratiques managériales
mises en place par la direction d’une entreprise ou d’une
organisation pour atteindre les objectifs qu’elle s’est
fixée. A titre d’illustration, ces pratiques managériales
ont un effet sur les conditions de travail, sur la nature des rapports
hiérarchiques, sur le système d’évaluation
et de contrôle des résultats ainsi que sur les politiques
de gestion du personnel.
L’organisation du travail place la productivité et
le rendement au cœur de ses préoccupations ce qui se
répercute sur la collectivité salariale. En effet,
on peut déceler un lien de causalité entre l’idéologie
gestionnaire contemporaine et la souffrance au travail comme le
démontre la psychodynamique du travail. Cette dernière
étudie la souffrance psychique résultant de la confrontation
de l’homme à l’organisation du travail qui ordonnance,
surveille et contrôle les activités. Le mal-être
ou le “ mal-vivre ensemble ” est un état émotionnel
en lien avec le contexte organisationnel et relationnel. Une inquiétude
des salariés sur leur avenir, des modes dégradés
de relations de travail, une perte de repères des salariés
sur la place qu’ils occupent dans l’organisation, une
difficulté à faire face à des situations d’instabilité
sont autant de causes qui ternissent le bien-être de la masse
salariale.
Avec l’exigence d’excellence en toile de fonds, le
salarié doit se surpasser pour son entreprise et le dépassement
de soi est de mise pour éviter les vexations et la perte
de son emploi. Le salarié, tel un athlète, doit être
prêt à relever des challenges et à subir maintes
pressions pour gagner l’estime de son entreprise. Toutefois,
la soif de reconnaissance n’est que rarement étanchée
car les entreprises semblent réfractaires à rétribuer,
autrement que par une rémunération, les personnes
qui l’aident à pérenniser et à développer
son activité. Le travail, étant une donnée
prépondérante dans le registre de l’identité,
s’il n’est pas reconnu et valorisé, entraîne
une frustration considérable. Ce besoin viscéral et
naturel de reconnaissance de l’être humain peut le conduire
à instaurer une compétition éliminatoire avec
ses collègues de travail voire même à se livrer
à des pratiques frauduleuses de manipulation des résultats.
Cette concurrence internationale et interne provoque la “
désintégration ” de la solidarité professionnelle
déjà entamée par les évolutions historiques
et conjoncturelles. La montée de l’individualisme voire
de l’égoïsme semble inévitable dans un
contexte concurrentiel alimenté par les ardeurs managériales.
La mondialisation et la globalisation sont en partie responsables
de l’atmosphère oppressante qui pèse sur la
collectivité de travail exposée de plus en plus au
risque des délocalisations. La dimension économique
prend de plus en plus le pas sur le capital humain instrumentalisé
au profit de l’amélioration des chiffres de l’entreprise.
L’actualité regorge d’illustrations de dégradation
du climat socioprofessionnel qui semblent amener la thèse
d’un “ esclavagisme ” moderne. L’accélération
vertigineuse des rythmes du travail est le corollaire évident
d’une organisation de travail avide de performance et qui
essaye de répondre aux sollicitations toujours plus exigeantes
de ses clients.
Le progrès technique peut également être pointé
du doigt car il a entraîné une modification des comportements
et une rénovation des compétences qui déstabilisent
les salariés. Toutefois, il est nécessaire de combattre
l’immobilisme qui risque de creuser le fossé avec l’économie
américaine voire mondiale ce qui complexifie l’approche
du progrès technique.
De plus, la mobilité et la flexibilité deviennent
monnaie courante pour fluidifier le marché du travail ce
qui donne aux salariés l’impression de n’être
que des pions sur l’échiquier social.
Les salariés, meurtris par une exigence d’excellence,
sont de plus en plus confronté à un univers professionnel
impitoyable et fluctuant qui dénigre trop souvent la souffrance
des salariés. La peur provient inévitablement de la
perspective de ne pas être à la hauteur de sa tâche
et des exigences toujours plus accrues.
Le terme travail provient de “ tripalium ”, un instrument
de torture à trois pieux, ce qui laisse penser que la souffrance
est une donnée inévitable dans le rapport au travail.
La souffrance physique, sans disparaître, est occultée
progressivement par la souffrance mentale. Le malaise au travail
et les altérations de la santé mentale au sein de
la collectivité de travail sont devenus, en quelques années,
des sujets de prédilection des politiques sociales en ce
qu’ils semblent atteindre, telle une épidémie,
de plus en plus de salariés. En effet, leur place dans le
champ social est présumée grandissante en raison de
l’évolution effrénée de la société
vers de nouveaux enjeux comme la flexibilité du travail et
le leitmotiv de la performance. La santé est définie
par l’OMS comme “ état complet de bien-être
physique, mental et social (…) permettant (au salarié)
de faire face à son environnement ”. Cette définition
montre explicitement que l’état psychologique doit
être protégé au même titre que la santé
physique puisqu’il semble que l’organisation et les
conditions de travail, étant au cœur de l’exécution
normale du contrat de travail, affectent le bien-être des
salariés.
La reconnaissance de la santé mentale des salariés
s’inscrit dans un processus de longue durée qui est
amorcé par une politique jurisprudentielle protectrice de
la collectivité de travail. Le rôle palliatif de la
jurisprudence et les cris d’alarme des auteurs et des psychologues
poussent le législateur à intégrer la notion
de santé mentale au cœur du système normatif.
La détresse de la sphère salariale, loin d’être
caricaturale, est sans nul doute un fléau professionnel contemporain
qu’il faut endiguer par un traitement de choc laissé
au soin des médecins du travail et des “ nouveaux préventeurs
” de la santé au travail.
La société semble être atteint de la “
maladie de la gestion ” et il est donc judicieux de se demander
dans quelle mesure les pratiques managériales, mises en lumière
par la nouvelle organisation du travail, conduisent-elles à
l’efflorescence des nouvelles “ pathologies ”
au travail ?
Il est nécessaire de mettre l’accent sur l’intransigeance
du marché du travail lié à la concurrence mondiale
qui a permis l’émergence d’une organisation du
travail nocive pour le bien-être de la collectivité
salariale. L’entreprise essaye de fidéliser et de conformer
ses “ serviteurs ” aux valeurs qu’elle tente de
véhiculer comme le dépassement de soi. La productivité
et la rentabilité sont des données capitales pour
analyser l’attitude “ conquérante ” de
l’entreprise. L’exigence de performance n’est
que le revers d’une compétition acharnée entre
des entreprises qui répercutent la pression sur des salariés
entraînés, malgré eux, dans une guerre économique.
Dans cette optique guerrière, la sphère salariale
doit se conformer à de nouvelles donnes comme la flexibilité
et la mobilité qui occasionnent la précarisation de
l’emploi et l’imprévisibilité.
De plus, le projet quantophrénique 2 des entreprises s’immisce
dans les relations socioprofessionnelles en provoquant la désintégration
de l’esprit collectif au profit d’une rivalité
entre des salariés qui cherchent à conquérir
le cœur de leur entreprise et à prouver leur valeur
(I).
La percée de l’individualisme n’est pas la seule
conséquence de cette organisation du travail contemporaine
qui instrumentalise voire déshumanise les travailleur en
faisant primer la logique économique et financière
sur la dimension humaine. Le lieu de travail devient un univers
de plus en plus impitoyable dans lequel certaines directions d'entreprise
n'hésitent pas à mettre en œuvre des modes de
gestion du personnel agressifs dans une quasi-optique de sélection
naturelle du travailleur. Le progrès technique et les changements
incessants perturbent l’équilibre psychologique des
salariés qui sont soumis au jeu de la compression-extension
du temps. De plus, la masse salariale est de plus en plus exposée
au harcèlement moral et aux facteurs stressogènes
qui minent les relations socioprofessionnelles et participent à
la dégradation des conditions de travail (II).
Ainsi, les pratiques managériales sont perçues comme
“ responsables ” de l’efflorescence de nouvelles
pathologies et de nouvelles lésions au travail. La pénibilité
physique du travail est éclipsée par la souffrance
psychologique d’une collectivité salariale fragilisée
par des attentes démesurées et une gestion déshumanisante
qui est une porte ouverte à des actes de désespoir.
L’obsolescence de la notion d’amour au travail reflète
parfaitement le malaise qui s’instaure dans la “ communauté
” de travail. La cicatrisation des plaies est une entreprise
de longue haleine car il est nécessaire de mettre en place
une écoute aiguisée des ressentis et de prodiguer
aux “ malades de la gestion ” des soins attentifs et
adaptés dans une optique de réinsertion socioprofessionnelle.
Cette prise de conscience a permis l’approfondissement du
rôle du médecin du travail et le développement
d’une écoute clinique favorisant la pluridisciplinarité.
La société et les entreprises sont également
invitées à contrecarrer les dérives managériales.
En définitive, il est primordial de faire barrage à
la souffrance au travail sous peine d’assister à l’avènement
d’une “ épidémie ” (III)
I/ Le leitmotiv de la performance : un environnement concurrentiel
tentaculaire préjudiciable à la solidarité professionnelle
Les entreprises, en tentant de s’adapter à la concurrence
mondiale et aux fluctuations du marché, recherchent la rentabilité
et la performance. En ce sens, le nerf de la guerre n’est
autre que le développement de la compétitivité
qui nécessite un traitement particulier. Les entreprises
essayent d’inculquer des valeurs à des salariés
qui doivent, sans cesse, se surpasser pour leur employeur. L’ouvrier
doit s’adapter à un environnement fluctuant qui prône
la flexibilité favorable aux entreprises mais synonyme de
précarité pour la masse salariale. La mondialisation
et la pression des marchés financiers inspirent le pessimisme
en ce qu’elles laissent entrevoir l’instabilité
et l’imprévisibilité professionnelle (A).
Cette gestion oppressante, ne valorisant pas assez les compétences
et les efforts des salariés, provoque un affaissement voire
un éclatement de la solidarité entre les individus
qui évoluent dans une société ou le travail
occupe une place centrale dans la dynamique de l’identité.
L’organisation du travail atomisée met les individus
en compétition ce qui ruine l’esprit collectif. (B)
A° Le refrain de la rentabilité et de la “
flexibilité à outrance ” comme couperets sociaux
Le formatage comme prélude à la soumission : une fidélisation
“ sectaire ” ?
L’entrée dans une entreprise peut être vulgarisée
par l’entrée dans un environnement sectaire dans le
sens où le formatage est de plus en plus mis en avant pour
fidéliser la masse salariale notamment aux valeurs véhiculées
par l’entreprise. Certaines entreprises (généralement
les multinationales) en viennent à “ marquer ”
le salarié de leur sigle (par exemple Nike 3 ) ou à
leur fournir divers objets à l’effigie de la marque
comme un bracelet. En effet, quoi de mieux que de demander à
ses salariés d’exhiber les outils marketing car de
manière sous-jacente la collectivité salariale est
une proie facile pour la publicité “ gratuite ”.
Cette pratique est très répandue d’ailleurs
l’usine Peugeot offre des T-shirts avec l’enseigne du
constructeur automobile qui, non seulement montre l’adhésion
du salarié qui les porte, mais qui est en même temps
un fabuleux moyen de faire de la “ propagande ”. En
ce sens, l’entreprise fait d’une pierre deux coups car
elle a pour objectif implicite d’enrôler le salarié
réceptif pour mieux l’apprivoiser. L’obéissance
servile et la docilité semblent être des comportements
que l’entreprise affectionne particulièrement.
Ces divers éléments, d’apparence innocente,
peuvent être perçus comme une immixtion pernicieuse
de l’entreprise dans la sphère privée du salarié
et qui insidieusement le fait rentrer dans le cercle prestigieux
des “ collaborateurs privilégiés ” A titre
d’illustration, l’arrivée dans une nouvelle structure
professionnelle s’accompagne, dans nos sociétés
de plus en plus empreintes à la modernité, par la
fourniture d’un ordinateur : un cadeau systématisé
qui converge vers l’interpénétration problématique
des sphères privées et professionnelles.
En effet, l’outil informatique peut susciter bon nombre de
difficultés car l’employeur “ malveillant ”
pourrait s’en servir pour épier le moindre des faits
et gestes de ces subordonnés. Ceci remet sur le devant de
la scène le problème de la “ cybersurveillance
” et du dépassement du pouvoir de direction. En effet,
il semble que, ces dernières années, le concept de
vie privée du salarié a le vent en poupe notamment
par la protection de la communication électronique des salariés
4 . La licéité d’une intrusion patronale dans
l’intimité du travailleur n’est tolérée
que dans des cas limitatifs notamment lorsqu’il existe un
risque ou un évènement particulier comme la suspicion
avérée d’une utilisation illicite (pornographie)
voire d’un espionnage industriel mais l’employeur doit
en informer le salarié intéressé. 5 L’autre
désagrément de l’informatique n’est autre
que la désocialisation du salarié car il semble que
l’utilisation croissante des nouvelles technologies dans les
entreprises est préjudiciable à l'aisance relationnelle.
6
De surcroît,on peut ajouter la volonté florissante
de certaines entreprises de menotter le salarié notamment
par les “ clauses de concurrence ” : cette disposition
écrite et insérée dans le contrat de travail
interdit au salarié de travailler pour un de ses adversaires,
un ancien client ou un fournisseur…. Cette clause n’est
valable que si elle poursuit l’objectif de protection des
intérêts de l’entreprise et elle doit préciser
le secteur géographique qu’elle concerne ainsi que
la durée de l'interdiction de concurrence. Récemment,
la jurisprudence s’est accordée pour dire que ces clauses
doivent désormais comporter une contrepartie pécuniaire
au profit du salarié ayant notamment pour objectif de compenser
les limites imposées par la clause de non concurrence lors
de la recherche d’un nouvel emploi.
En définitive, l’entreprise met le plus de chances
de son côté pour fidéliser et solidariser le
salarié et même si cette démarche peut apparaître
comme sectaire, elle est rarement expliciter comme telle. On se
gardera de pousser l’analogie mais il existe néanmoins
des ressemblances troublantes dans les méthodes de renforcement
d’appartenance entre entreprise et groupe sectaire. En effet,
la construction programmée de l’acquiescement permet
d’affirmer que les firmes sont assimilables à des sectes.
Dans le contexte actuel, l’emploi “ servile ”
se module en considération des façons de vivre et
des nouveaux besoins suscités par le progrès économique.
Le diktat de la performance et de l’excellence : l’apologie
du rendement au cœur des pratiques managériales
La société moderne, encline au narcissisme, est obnubilée
par les résultats. L’engagement de “ donner sans
compter ” est considéré comme un comportement
citoyen attendu par l’organisation 7 . La conjonction de la
raréfaction du travail, liée au progrès technique
et de la surabondance de jeunes générations avides
de réussite a fait monter les exigences 8 .
Toutefois, les entreprises, soucieuses d’améliorer
leur position concurrentielle, ne se préoccupent guère
des meurtrissures des salariés consécutives à
l’exigence d’excellence.
Il existe une alliance entre les managers qui font des choix de
production et les actionnaires qui attendent des dividendes. En
effet, on assiste à la dictature du chiffre qui surplombe
la dimension humaine du travail antérieurement privilégiée.
La conquête de nouvelles parts du marché exige un haut
niveau de circonspection et de combativité en matière
de compétitivité. On ressent un certain effet de “
cascade ” en ce que l’incertitude marchande est reportée
sur la sphère salariale. En effet, un manager se doit de
faire cohabiter les deux pôles antagoniques que sont : le
travail et le capital 9 . On assiste à l’avènement
du court terme et de la volatilité par la recherche permanente
de l’efficience et de la rentabilité. Le travailleur
est devenu un pion sur l’échiquier social et cette
apologie du rendement s’accompagne inéluctablement
d’une conception utilitariste du travail.
Les salariés ont de plus en plus le sentiment d’être
une machine spécialement lorsqu’il s’agit d’un
travail à la chaîne. La combativité du travailleur
est une donnée prépondérante dans cette organisation
de travail avide de résultats. La figure du travailleur est
celle d’une personne, vouée au dépassement d’elle-même,
qui cultive les défis et l’immédiateté.
De plus, le résultat ne s’obtient pas sans une pression
morale omniprésente. Les entreprises, dans un souci de performance
et de rapidité, établissent des standards de travail
qui se concrétisent par le découpement d’une
activité en unité de temps. Cette modélisation
des comportements est préjudiciable au salarié qui
ne se fond pas dans le moule du “ bon petit soldat ”
car ce dernier risque d’être dénigré,
mis au placard, humilié voire licencié. L’entreprise
tente de responsabiliser au maximum ses salariés en matière
de performance en lui agitant sous le nez une “ obligation
de résultat ” dont le manquement est sanctionné
principalement par un système d’évaluation “
vexatoire ”. Le développement des “ briefs ”
en est une explicitation opportune notamment dans le secteur des
ventes ou des opérations par téléphone. La
progression des salariés est sans cesse à l’étude
et la moindre baisse n’est pas envisageable. L’évaluation
des salariés peut avoir un rôle non négligeable
dans l’évincement ou la “ placardisation ”
des individus. En effet, la pratique des évaluations individualisées
est un instrument de mesure et de notation pour le manager qui passe
les résultats et les qualités du salarié au
peigne fin. Par ce biais, l’implication, le dévouement,
la disponibilité, le comportement et le chiffre d’affaire,
érigés en critères d’appréciation,
sont destinés, pernicieusement, à catégoriser
les salariés. En effet, sous l’apparence d’une
discussion “ enrichissante ”, ces entretiens individualisés
ont comme finalité sous-jacente de repérer les “
bons élèves ” c’est-à-dire les
salariés les plus productifs et les plus opérationnels.
Cette obsession des chiffres est étroitement liée
avec un certain culte de la qualité qui s’immisce sur
les marchés. En effet, la recette de la réussite est
la somme de divers ingrédients que sont : le progrès,
la performance, l’engagement, la satisfaction des besoins
et la responsabilisation 10 . La qualité est un vrai sujet
de luttes de pouvoir, de dominations alimentées par les experts
qui recherchent la convergence d’intérêts des
membres de l’entreprise. Il est judicieux de se demander où
s’arrêtera ce souhait permanent du “ toujours
plus ” qui n’a de cesse d’opprimer les travailleurs.
Les spéculations sur les résultats sont aberrantes
car on ne peut pronostiquer parfaitement la réussite ou la
banqueroute d’une entreprise. Les entreprises, en cherchant
à s’adapter à la concurrence par la recherche
de gains de productivité avec le fonctionnement en flux tendus,
reportent sur les salariés tout le poids de l’incertitude
marchande qui se manifeste par les changements de rythme dans la
production. L’inconvénient indéniable de cette
gestion basée sur les chiffres et la réactivité
à court terme tend à privilégier la fluidité
de l’emploi.
La flexibilisation nocive mettant à l’épreuve
l’adaptabilité : vers la polyvalence et nomadisme professionnel
?
La course effrénée à la performance participe
à la précarité des emplois. En effet, la flexibilité
est devenue une norme et contraint l’individu à rompre
avec son milieu d’origine et lui fait perdre ses repères.
Laurence Parisot fait l’éloge de la précarité
et signale que "la vie, la santé, l'amour sont précaires.
Pourquoi le travail échapperait-il à cette loi?"
11 cela met en évidence le caractère inévitable
de la flexibilisation du marché du travail.
Depuis 20 ans la précarité ne cesse de se renforcer
dans les entreprises et les services publics et on perçoit
une certaine densification du travail c’est-à-dire
une exigence de plus en plus accrue de polyvalence et d’autonomie
de la sphère salariale. Cette tendance à l’accroissement
de l’autonomie touche toutes les catégories, y compris
les ouvriers non qualifiés. L’explication de cette
autonomie est à aller chercher du côté des nouvelles
politiques de gestion des ressources humaines des entreprises. Le
salarié est installé sur un siège éjectable
au profit des évolutions économiques et conjoncturelles
comme le démontre l’efflorescence des emplois précaires
comme le CDD, l’intérim et les contrat aidés
... Si, pour certains, flexibilité rime avec compétitivité,
croissance et emploi, pour beaucoup, flexibilité rime avec
précarité et cumul de petits boulots. Généralement,
le terme flexibilité, connoté négativement,
est associé à la notion de licenciement et de salariés
corvéables à merci et jetables. Cette imprévisibilité
est difficile à accepter car, désormais, le fait d’avoir
un emploi “ ne met plus forcément à l’abri
ni de la pauvreté matérielle, ni de la détresse
psychologique” 12 . La flexibilité est celle qui enfante
la précarisation de l’emploi : “ le point noir
” que le salarié essaye de combattre avec les maigres
outils dont il dispose.
A titre d’illustration, on peut citer le conflit social de
la lutte contre le CPE (contrat première embauche contenant
en germe la remise en cause du statut salarial) qui a secoué
la politique française et qui, pour bon nombre de travailleurs
et d’étudiants, n’est qu’une manière
de plus de fragiliser leur emploi d’où l’utilisation
de sobriquets comme “ contrat poubelle embauche ” ou
“ contrat premières embûches ”. La précarité
et la flexibilité sont généralement associées
à des phases d’instabilité professionnelle et
de changements qui s’accompagnent indéniablement de
l’incertitude. Pour de nombreux économistes ou sociologues,
la précarité, définie comme l’instabilité
de l’emploi, est la rançon du progrès économique
secrétée par le système d’économie
de marché. Les législations rendent le marché
du travail de plus en plus fluide et la perspective d’un contrat
unique révocable à l’amiable n’est pas
du goût de tous les acteurs sociaux 13 .La baisse des coûts
salariaux n’est pas l’unique cause de la flexibilité
du travail car, pour certaines personnes dont le réseau syndical
INTERPRO, l’objectif inavoué de cette “ élasticité
professionnelle ” est de briser les quelques bribes de résistance
collective. La précarisation de l’emploi est devenu
le pain quotidien du travailleur qui est sacrifié sur l’autel
du rendement et des profits économiques. Le salarié
est également exposé à une mobilité
grandissante subie ou volontaire et cet état de fait ne pourra
sans doute que se confirmer par l’avenir. L’avenir du
travail sera comme une navigation libre “ entre des périodes
d’emploi sédentaire, d’emploi nomade et de formation
” 14 .En effet, pour rester “ employable ” il
faudra montrer ses qualités de voyageur 15 . C’est
à dessein que l’on peut parler ici de la constante
progression du taux de mobilité externe : 4% en 1997 et 12%
en 2000 16 . La garantie de sécurité de l’emploi
réside et résidera de plus en plus dans la détention
d’une compétence professionnelle rare et reconnue,
d’expériences accumulées et d’une aptitude
à d’adapter et à se mouvoir dans des organisations
complexes sans cesse maintenues à jour . Cette situation
d’instabilité est génératrice d’une
insécurité juridique de plus en plus palpable. “
La sécurité de l’emploi désigne ainsi
le fait, pour une personne, de demeurer employée sans interruption
“ durable ”, même s’il y a changement d’entreprise
” 17 .Cette sécurité n’est plus un bouclier
pour les salariés ayant de l’ancienneté car,
désormais, ils sont exposés au spectre du chômage
comme tous les autres. L’effet pervers de cette nouvelle organisation
du travail n’est autre que l’amplification du stress
et la montée de la souffrance au travail.
La polémique autour de la mondialisation et du chômage
accentuée par une législation nationale “ consentante
” à la fluidité du marché du travail.
Certaines entreprises très capitalistiques et disposant
d’atouts compétitifs sont avantagées dans la
concurrence internationale alors que d’autres sont en mauvaise
posture face à des pays à bas salaire. Malheureusement,
il semble que le chômage et l’exclusion font partie
intégrante de la logique de performance 18 . L’ennemi
n’est plus seulement national mais il est transfiguré
par de pays “ lointains ” exploitant des hommes et des
femmes voire des enfants faiblement rémunérés.
Avec la mondialisation en toile de fonds, le monde patronal et le
monde salarial semblent être deux univers parallèles
caractérisés par l’antagonisme. On peut déceler,
entre eux, la présence sous-jacente d’un dialogue de
sourd et muet. En effet, quand l’employeur instaure la flexibilité,
le salarié comprend que ses acquis sociaux sont en danger.
La rentabilité des entreprises est perçue par la masse
salariale comme l’inévitable réduction des effectifs
ponctuée d’une charge de travail toujours plus accrue.
Lorsque la direction souhaite diminuer les coûts, l’ouvrier
est conscient du risque des délocalisations dans des pays
où la main-d’œuvre est bon marché et beaucoup
plus malléable. Le salarié a peur d’être
atteint par le chômage lié aux difficultés économiques
de son employeur ou aux délocalisations. On peut citer le
cas de Delphi-Harrison Calsonic située à Flers en
Escrebieux qui s’expatrie dans les pays de l’Est où
les ouvriers seront rémunérés dix fois moins
cher qu’en France. L’actualité est particulièrement
féconde en matière de délocalisations. Les
secteurs concernés se sont multipliés : le textile
(Levistrauss ou Aubade), la sidérurgie, l’électroménager
(Moulinex), la puériculture (Bébé Confort)
et désormais l’automobile se retrouve sur la sellette
car Peugeot et Renault risquent de s’expatrier. La crainte
du licenciement pousse la collectivité de travail à
accepter l’inacceptable car le licenciement économique
est un fléau pour les salariés.
Pour éviter un contexte conflictuel, la législation
consacre une anticipation des modalités du licenciement économique
par des accords de méthode qui risquent d’instrumentaliser
les organisations syndicales par l’intervention de la négociation.
A titre d’illustration, on peut citer le Plan de Sauvegarde
de l’emploi qui n’est autre que la dénomination
donnée au programme que doit dresser l'employeur en collaboration
avec les institutions représentatives du personnel, en vue
de déterminer les éventuels reclassements ou l'ordre
des licenciements. Cette technique d’encadrement du licenciement
est souvent perçue comme un trompe-l’œil 19 .
En effet, il semblerait que les restructurations, quoique sauvant
des emplois, reflètent l’idée que tous les postes
ne pourront être épargnés. La finalité
des plans sociaux est d’amortir le choc des licenciements
mais cet objectif, bien que louable, sera pervertie par un impact
non négligeable sur l’aide à la mobilité.
En effet, les instances étatiques vont inciter financièrement
les entreprises ayant recours à des plans sociaux ce qui
pousse les entreprises à aller vers ce choix alors qu’il
existe des meilleures choses pour les salariés.
Le contexte macro-économique et sociétal a des conséquences
directes mais souvent sous-estimées sur le travail quotidien
des salariés et sur les relations qui se nouent ou qui se
brisent au sein de la “ communauté de travail ”.
B° La montée des individualismes comme symptôme
d’une dégénérescence sociale
Le besoin viscéral de reconnaissance et de valorisation comme
dynamo sociale
Le travailleur espère que sa contribution et son travail
soient reconnus à leur juste valeur mais l’ère
moderne ne peut l’amener qu’au désenchantement.
En effet, la reconnaissance, quand elle n’est pas existante,
n’est pas à la hauteur des espoirs du salarié.
Avec une idéologie écolière en toile de fond,
les entreprises apparaissent réfractaires à “
rétribuer ” leur main-d’œuvre : sans doute
ont-elles peur que la récompense n’amenuise la productivité
ou que le salarié ne se repose sur ses acquis. Les employeurs
ont tendance à passer à la trappe la dimension humaine
et à considérer que la rémunération
est une rétribution suffisante.
Loin d’être une attente marginale, cette reconnaissance
est décisive dans la dynamique de la mobilisation subjective
de l’intelligence et de la personnalité dans le travail.20
La reconnaissance est devenue un enjeu de confiance, de respect
et d'estime de soi : c’est un moteur puissant pour le maintien
de l’équilibre humain 21 .
En ce sens, elle apparaît vitale pour la “ survie ”
du salarié dans son enceinte professionnelle même si
ce dernier ne l’affiche pas clairement. Concrètement,
la reconnaissance passe par le besoin de gratification qui s’accompagne
naturellement de la valorisation des connaissances, des compétences
et de la qualification de celui qui exécute la tâche.
Le salarié ressent le besoin viscéral de se sentir
apprécié, valorisé et reconnu par les autres.
Parfois, le seul diplôme d’un salarié est son
corps comme une femme de ménage qui porte en elle l’espoir
que son travail ne passe pas inaperçu et qui attend désespérément
une remarque positive de son employeur qui ne viendra peut-être
jamais. 22
La souffrance physique du labeur est alors dominée par un
malaise psychologique intrinsèquement lié au défaut
de reconnaissance. Selon la théorie économiste “
du don et du contre don ” 23 , le salarié qui exécute
son travail correctement attend que ses efforts soient récompensés
par l’entreprise par une sorte de contrepartie verbale (des
félicitations, des remarques positives) ou pécuniaire
(incarnée par un salaire d’efficience).
La reconnaissance par les collègues et les collaborateurs
est également un ingrédient capital dans la recette
de la motivation et de la satisfaction au travail. La reconnaissance
qui intervient généralement en fin de carrière
ou par la remise d’une médaille du travail n’est
pas suffisante et ne privilégie pas le rapport humain. En
effet, les individus ont régulièrement besoin d’un
“ feed-back ” c’est-à-dire de retour sur
la qualité de leur travail 24 . L’absence de reconnaissance
ou une reconnaissance insuffisante au regard des espoirs placé
par le travailleur renforce la sombre idée que l’homme
est une marchandise et donc un élément parmi d’autres
du rouage professionnel. Toutefois, une mécanique ne doit-elle
pas être huilée pour ne pas tomber en panne ?
Une contribution salariale confrontée au mutisme, à
l’ignorance voire même à la dénégation
est susceptible de se muer en souffrance mentale. D’une manière
rationnelle, le travailleur se motive par la potentialité
de monter dans l’échelle sociale, d’avoir une
promotion, d’être reconnu par ses pairs et le manque
de reconnaissance peut être source d’usure professionnelle
25 et d’incompréhension. Les salariés sont désorientés
dans le sens ou il existe une raréfaction de la reconnaissance
mais pas de la réprimande
La pratique insidieuse de la dévalorisation : vers
une crise identitaire latente ?
Selon une expression courante “ le travail est le père
de la renommée ” ce qui permet d’affirmer que
le versant négatif du manque de reconnaissance est, sans
nul doute, une tendance à l’auto-dévalorisation
destructrice de l’image sociale. La quête inassouvie
de reconnaissance est l’expression d’un besoin de personnalisation
face à des relations abstraites et chimériques 26
. Généralement, le salarié sera parcouru par
un sentiment de faiblesse, d’inutilité voire même
d’échec. La culpabilité d’avoir échoué
dans la bonne exécution de son contrat de travail perturbe
l’état psychique du salarié. Les salariés
ne comprennent pas l’absurdité d’un effort au
travail qui ne donnera pas en retour de satisfaction. La satisfaction
qui dérive d’une “ balance cognitive ”
entre les contributions fournies à l’organisation et
les rétributions qu’elle offre en retour 27 . La frustration
psychologique peut donc s’expliquer donc par l’inaccessibilité
du grade supérieur. En outre, le manque de reconnaissance
porte atteinte au socle identitaire de la personne “ ignorée
” ou “ dénigrée ” car “ l’identité
de l’individu coïncide avec son évaluation sociale
” 28 . Le sujet peut rapatrier sa souffrance et son incompréhension
dans le registre de la construction de son identité 29 .
En effet, l’interpénétration du champ de travail
et de la construction de l’identité personnelle est
constante. La baisse d'estime de soi est le prélude d’une
dépression qui peut affecter tous les aspects de la vie.
Ce constat permet de souligner une analogie avec un enfant qui a
peur de perdre l’amour maternel et qui, pour ce faire, essaye
d’attirer désespérément son attention
et sa confiance. Le rapport positif à soi est intersubjectivement
vulnérable car il peut toujours être remis en cause
par le déni de la reconnaissance et par conséquent,
il est toujours en quête de confirmation. 30 La fierté
pouvant résulter d’une reconnaissance adéquate
est un des points essentiels pour comprendre en quoi la “
souffrance physique ” du travail peut se métamorphoser
en “ plaisir ” de travailler. L’équilibre
entre plaisir et souffrance au travail est difficile à envisager.
La dynamique de la reconnaissance est au cœur de l’équilibre
entre plaisir et souffrance au travail et au centre du maintien
de la santé physique et mentale. En effet, lorsque les efforts
du salarié sont reconnus et légitimés alors
les difficultés et les doutes supportés prennent leur
sens et ceci permet de mettre en exergue un phénomène
sociétal non négligeable : souffrance et plaisir du
travail “ s’équilibrent ” et consolident,
par conséquent, la construction identitaire du travailleur
en cause 31 . Afin de ne pas se laisser submerger par les doutes
et la dévalorisation, le salarié devrait opérer
une sélectivité de l'attente vis-à-vis d’autrui
notamment en choisissant ses horizons de développement identitaire
car l’appétit de reconnaissance peut mener le salarié
à commettre des actes “ déloyaux ” et
à se mettre en compétition avec les autres.
L’irruption des comportements “ déloyaux
” : vers la destructuration du vivre ensemble ?
La pression managériale est relayée par les salariés
qui, insidieusement, répercutent leurs rancoeurs sur leurs
collègues devenus, à leur tour, des boucs émissaires.
Le poids de l’obligation de résultat risque de pousser
les salariés à enfreindre les règles et à
adopter la technique du “ chacun pour soi ”. En effet,
un salarié oppressé aura tendance à fragiliser
ceux qui l’entourent afin que la menace de l’éviction
ou du blâme change de cible. Cette pratique porte une grave
atteinte à la solidarité professionnelle car le temps
du “ serrer les coudes ” devant les difficultés
a laisser place à l’ère de l’individualisme
voire de l’égoïsme. L’exigence de performance
converge vers la destructuration du vivre ensemble car le lieu de
travail est devenu un champ de bataille en raison de la guerre économique
qui perdure sur le terrain de la concurrence mondiale. L’individualisme
serait “ protecteur ” dans le sens ou le salarié
essaye de préserver son emploi et son statut social dans
un contexte conjoncturel de plus en plus instable. La flexibilité
ambiante du travail entretient l’idée que “ plus
le siège paraît éjectable et plus s’entretient
l’illusion qu’en faisant ses preuves, on finira pas
être reconnu comme digne d’intégrer le noyau
dur de l’entreprise ” 32 . Globalement, une certaine
fragilisation a progressivement vu le jour. Les salariés
sont quelque peu désorientés par la perte de repères
au travail qui affecte les relations hiérarchiques et “
amicales ” sur le lieu de travail. Ainsi, une mise en concurrence
transparaît entre les acteurs de la sphère professionnelle,
chacun ayant plus ou moins l’impression de travailler plus
que l’autre.
Le salarié, avide de reconnaissance, pourrait être
amené, même de manière sous-jacente, à
adopter un comportement déloyal envers ses collègues
et envers l’entreprise. En effet, afin d’atteindre les
objectifs fixés par la direction, il est possible qu’un
travailleur manipule les chiffres à son avantage (tricherie
sur la production réelle) et même “ sabote ”
le travail des autres afin de sortir du lot et de conserver sa place.
33
Dans cette optique, le “ mensonge ” et les “
bricolages ” sur la productivité risquent de devenir
monnaie courante. A juste titre, on peut citer les VRP et autres
commerciaux qui sont susceptibles, pour accroître leur rendement,
de se livrer à des manœuvres frauduleuses comme “
l’endoctrinement ” des clients par une publicité
élogieuse voire mensongère d’un produit.
Pour éviter la mise à l’index et pour maintenir
une certaine virilité, le salarié aura tendance à
accepter “ le sale boulot ” qui passe indéniablement
par la fragilisation d’autrui 34 . Ce “ sale boulot
” n’est autre que la rationalisation du mal et la banalisation
de l’injustice sociale et “ comment pourrait-on faire
passer pour une vertu de courage une conduite qui consiste à
faire subir une injustice à autrui …? ” 35 .
A l’instar de la constitution d’une armée, l’entreprise
enrôle des salariés dans son sillage de “ déshumanisation
” car les solidarités sont gommées au profit
d’une compétition implacable. La menace de castration,
par le biais de la perte de position sociale, est donc un levier
puissant qui génère la banalisation du mal fait à
autrui 36
Les managers s’étonnent encore que les solidarités
se désagrègent et que la coopération n’est
plus privilégiée alors qu’ils sont responsables
de cette mise en concurrence.
La montée de l’individualisme, inhérent à
notre société moderne, fait donc vaciller l’ancienne
cohésion sociale ce qui provoque implicitement la dégénérescence
des structures collectives. En ce sens, l’individualité
est la résultante d’une société atomisée
qui ne serait plus que l’addition d’individus désorientés
et non une communauté de travail. Le lieu de travail comme
espace de socialisation est donc une époque “ révolue
”.
La décrépitude de l’esprit collectif comme
conséquence inhérente aux aspirations gestionnaires
L’objectif d’excellence humaine aurait conduit à
une fragmentation de la société. En effet, les soutiens
collectifs ont perdu en force et en légitimité face
à des politiques de ressources humaines et des entreprises
qui institue l’individualisation. Cette individualisation
forcenée du rapport au travail est critiquée car elle
permettrait à l’employeur d’imposer facilement
à l’employé des contrats courts. Celle-ci est
notamment induite par une sollicitation exacerbée des individus
et une compétition mondiale muée en compétition
interne (entre les salariés d’une même entreprise).
En effet, le risque d’exclusion des maillons faibles engendre
un affaissement du collectif qui se concrétise notamment
par le “ chacun pour soi ”. En outre, la désyndicalisation
est le symptôme d’une situation dans laquelle chaque
employé est plus préoccupé d’améliorer
sa situation personnelle ou de sauver sa place que de développer
des solidarités collectives contre un pouvoir insaisissable
alors que le ciment des relations sociales est sans nul doute l’idée
de solidarité qui est la plus à même de dévoiler
et de défendre les intérêts d’un groupe
ou d’une société donné(e). Cette constatation
est notamment perceptible dans le domaine professionnel puisque,
selon Durkheim, “ le travailleur, bien loin de rester courbé
sur sa tâche ” ne doit pas perdre de vue ses collaborateurs
car la société se doit d’être autre chose
que la somme des individualités. En effet, la société
comme le monde du travail doit conjuguer les forces des individus
qui les composent car ce sont des milieux dont la régulation
tient à l'interdépendance de ses constituants. Les
groupements notamment professionnels apparaissent, de tout temps,
comme des instruments de cohésion et de régulation
sociale mais leur effectivité est contrariée face
aux ingérences étatiques et aux évolutions
conjoncturelles souvent rapides qui caractérisent la société
contemporaine.
Le monde professionnel est donc confronté à un effritement
du lien social induit par l’accroissement des inégalités,
les nouvelles technologies, les nouveaux modes de production, la
précarisation des conditions de travail et le chômage
massif. Il y a une donc une rupture des liens qui unissent les salariés
dans le cadre des collectifs de travail. De nos jours, ces “
collectifs de travail ” sont contrariés par les nouvelles
formes d’organisation du travail : CDD, intérim, polyvalence,
sous-traitance…qui entraîne une moindre adhésion
sociale dans le travail car il est plus difficile de partager des
valeurs dans ce contexte.
La fonction du collectif en matière de santé mentale
consiste à mettre en forme et à prendre en charge
une part des conflits qui opposent l'individu aux pressions exercées
par l'entreprise. Dès lors que cette fonction n'est plus
remplie, la pression sur l'individu s'accroît considérablement,
au risque de la rupture. La résurgence de l’individualisme
apparaît donc difficile à contrecarrer et les individus
sont de plus en plus désorientés. Il est nécessaire
de mettre en garde contre l’évaluation individualisée
des performances qui joue un rôle non négligeable dans
la déliquescence des collectifs de travail car elle est sans
doute “ le grand fossoyeur de la solidarité au travail
”. 37 En outre, les individus sont davantage préoccupés
par leur carrière individuelle que par une réflexion
d’ensemble et des actions communes pour défendre leurs
intérêts. Les pouvoirs publics, à travers la
création de ministères “ spécialisés
” sont conscients de ce changement : en effet, le ministre
de l'emploi est aussi celui de la solidarité.
De plus, la médiatisation joue un rôle non négligeable
en ce que la multiplication des reportages sur les exclus dévoile
la perte du sentiment de solidarité dans une société
de plus en plus individualiste et consumériste.
Le pouvoir managérial désamorce la constitution de
collectifs durables mais la déliquescence de l’esprit
collectif, intrinsèquement lié à un univers
professionnel ambitieux et recherchant l’efficience maximale,
n’est pas la seule manifestation du mal-être de la collectivité
de travail. En effet, cette dernière est confrontée
à diverses tensions et pressions qui affectent son bien-être
et mettent en péril son équilibre psychique et sa
vie toute entière.
II/ Les aspects délétères de la pression
: une “ instrumentalisation stigmatisante ” nocive à
l’état psychique de la sphère salariale
La pression des entreprises, de plus en plus virulente et pernicieuse,
a un effet dévastateur sur l’état d’esprit
et le bien-être des salariés. La recrudescence de la
violence au sein des relations professionnelles est une illustration
pertinente pour confirmer l’aspect délétère
du management contemporain. En effet, les brimades, l’ostracisme
et le harcèlement semblent être en plein essor au sein
des entreprises qui dénigrent le capital humain au profit
de la rentabilité. Bien que fortement médiatisés,
ces phénomènes sont rarement dénoncés
par les salariés qui ont peur d’être exclus,
de devenir eux-mêmes des victimes voire de perdre leur emploi
ce qui les enferme dans une complicité “ passive ”
(A).
La dimension temporelle du travail est au cœur des préoccupations
managériales qui tentent d’établir des standards
et faciliter l’immédiateté des réponses.
Ce culte de l’urgence favorise le développement du
stress qui peut galvaniser le salarié ou alors le détruire
psychologiquement. En effet, le stress et le surmenage font désormais
partie intégrante d’un monde professionnel en mouvance
permanente. Les salariés, exposés aux changements
incessants, doivent faire preuve d’adaptabilité et
de remises en question. (B)
A°La figure prédatrice du management contemporain
à travers le spectre du harcèlement moral et la prolifération
de la violence
La prolifération de la violence au coeur des relations humaines
et professionnelles
Le monde du travail n’est pas épargné par la
violence car on perçoit un accroissement des comportements
tyranniques et abusifs des supérieurs hiérarchiques
envers leurs subalternes. L’emploi sous la forme d’un
échange de la capacité de travail contre un salaire
permet la prospérité mais autorise aussi l’aliénation
jusqu’à l’esclavage affiché et dissimulé
des plus vulnérables 38 Le climat persécuteur qu’engendre
la fréquence des avertissements devient un levier traumatique
puissant. Ces dernières années, les relations humaines
se déroulent sous le signe de la tension et de l’agressivité.
Il est à déplorer que la société contemporaine,
affectée par une insécurité et une instabilité
grandissantes des emplois, apparaisse comme un terrain de jeu propice
à la violence. La captation de l’individu, réduit
à un statut d’objet manipulable, débouche sur
toutes les formes de maltraitance possible 39 .
La violence peut revêtir différents visages mais ce
qui caractérise principalement le monde du travail est sans
nul doute les agressions verbales. La violence n’est plus
physique car ce sont les mots qui blessent ce qui ne crée
pas une atmosphère poussant au travail. Les empoignades,
les altercations, les rixes et les débordements ne sont que
très rares car l’entreprise est tout de même
un monde normé et policé qui sanctionne les comportements
violents. Aujourd’hui la sournoiserie et les brimades s’immiscent
dans les rapports professionnels ce qui n’est pas aussi visible
et entrave la prise de mesures appropriées.
Un rapport du B.I.T. à propos d'une enquête sur quinze
états de l'Union européenne en 1996 révèle
que 8% des personnes interrogées se disent victimes de brimades
et d’intimidations. 40 . En outre, il semble opportun de dire
que la communication au travail se déshumanise.
La violence peut être ressentie d’une façon
sourde et comme impersonnelle par l’impossibilité d’atteindre
les objectifs fixés. Elle revêt différentes
formes en ce qu’elle peut être souterraine, répétée,
brutale, soudaine voire traumatisante. Les agressions peuvent être
directes c’est-à-dire qu’elles peuvent viser
l’identité d’une personne, jouer sur la peur
et les angoisses de la “ cible ” voire utiliser les
ressorts de l’affectif. On recense également des agressions
indirectes comme les rumeurs, le dévoilement de la vie privée
voire la mise au placard.
On assiste donc a une prolifération des situations ou des
personnes st maltraitées, menacées ou agressées
dans des circonstances liées à leur travail qui mettent
à l’épreuve leur sécurité, leur
bien-être ou leur santé. Il est à regretter
que les règles de base du savoir-vivre deviennent obsolètes
face à la montée de l’incivilité et de
la violence dont le harcèlement est la forme la plus dure.
Le harcèlement moral comme manifestation perverse de
la “ domination ”
En pratique, le harcèlement moral a pour objectif “
pervers ” de “ briser psychologiquement ” le salarié.
Ce harcèlement peut être défini comme “
la destruction progressive d’un individu ou d’un groupe
par un autre individu ou un groupe, au moyen de pressions réitérées
destinées à obtenir de force de l’individu quelque
chose contre son gré et, ce faisant, à susciter et
entretenir chez l’individu un état de terreur ”
41 . Le harcèlement moral peut être perçu comme
une aliénation sociale dans le travail induite par le poids
de contraintes psychiques sur un sujet exercées par l’organisation
du travail, par les modes de gestion et d’évaluation
ou de direction de l’entreprise 42 . Le terme de “ mobbing
” est souvent employé pour décrire l’enchaînement
sur une assez longue période, de propos et d’agissements
hostiles.
Le harcèlement est nécessairement caractérisé
par la répétition et la durabilité ce qui montre
que les pressions sont généralement des petits assauts
voire des attaques d’apparence anodine mais qui percent la
carapace caractérielle des salariés qui deviennent
de plus en plus vulnérables.
Le harcèlement moral, qui s’apparente à une
discrimination, n’est pas nouveau mais il s’introduit
plus facilement grâce aux interstices creusés par la
destruction de l’esprit collectif. Le harcèlement moral
a plusieurs variantes 43 comme le harcèlement institutionnel
qui dévoile les finalités perverses des méthodes
de gestion et des politiques de ressources humaines qui épuisent
le salarié incarnée, à titre d’illustration,
par le “ stalking ” qui est la surveillance constante
des salariés et la traque de toute perte de productivité
et de rendement.
On recense également le harcèlement stratégique
met en lumière des pressions destinées à faire
partir le salarié sans enclencher la procédure légale
de licenciement qui apparaît contraignante pour les entreprises.
Le harcèlement le plus répandu est celui qui vise
l’humiliation.
Les causes du harcèlement sont donc multifactorielles ce
qui rend la compréhension du phénomène plus
délicate. Toutefois, le caractère abscons et extensif
de la définition de harcèlement moral permet d’assurer
une protection efficace de la collectivité de travail.
On peut mettre en lumière un paradoxe dans le phénomène
de harcèlement car la vie professionnelle répond à
un enjeu de productivité et de rentabilité alors que
harcèlement est contre-productif car il pousse la cible à
l’isolement et à l’autodévalorisation.
Le harceleur est, généralement mais pas automatiquement,
une personne hiérarchiquement supérieure et d’apparence
sociable qui manie les paroles comme des armes.
Il n’existe pas de profil type du harcelé car le harcèlement
moral peut aussi bien concerner les “ grandes gueules ”
44 que les personnes fragiles et vulnérables. De plus, le
harcèlement moral est parfois assimilé à une
“ pathologie de groupe ” qui use de l’ostracisme
pour mettre à l’écart des personnes considérés
comme “ inutiles ” ou “ nuisibles ”.
La placardisation : vers une néantisation sociale des
salariés “ marginaux ” ?
La placardisation d’un individu est un processus d’exclusion
sociale qui induit isolement, solitude et souffrance. Les salariés
sont “ étiquettés ” comme “ indésirables,
inutiles ou gênants ” lorsqu’ils ne véhiculent
pas les valeurs que l’entreprise prône ou encore lorsqu’ils
refusent de s’inscrire dans un rapport hiérarchique
(de dominant/dominé). Ils revêtent alors le rôle
de victime sacrificielle. Il s’agit en quelque sorte d’une
discrimination sociale qui s’introduit de manière pernicieuse
dans les relations professionnelles. Cet ostracisme peut provenir
des pratiques managériales mais il peut également
atteindre la “ communauté de travail ”. La relégation
d’un salarié peut avoir des origines très diverses.
En effet, la modernité et la performance sont des dogmes
préjudiciables aux “ seniors ”, réputés
traditionnellement réticents aux changements et à
la mobilité, qui peuvent alors être mis sur la touche
afin que l’organisation puisse “ injecter du sang neuf
” 45 De plus, la législation sur les retraites à
engendrer un effet pervers car elle a facilité la cessation
prématurée de l’activité et a donc permis
l’organisation de “ portes de sortie ” ce qui
entretient l’idée que le marché du travail doit
être rajeuni. Les directeurs d’agence appliquent généralement
la formule du renouvellement d’équipe lorsque celle
qui est mise en place apparaît “ trop vieille ”.
46 De plus le “ jeunisme ” est priorisé car les
jeunes constituent une main d’œuvre plus malléable
et plus docile. Cet état de fait attise les conflits entre
générations sur le lieu de travail où les “seniors
” perçoivent les “ jeunes ” comme des rivaux.
L’exclusion peut également résultée
d’un handicap physique : en effet, les “ bras cassés
” ou “ les inaptes ” 47 sont mis au rebut car
ils ne peuvent pas assurer la rapidité à laquelle
la direction aspire. De plus, le retour d’un arrêt maladie
ou d’un congés maternité est souvent synonyme
de “ lynchage ” : les collègues se liguent contre
la personne qui s’est octroyée “ du repos ”
notamment car la personne absente n’est pas remplacée
et que donc la charge de travail des personnes restantes s’accroît
48 . Ce règlement de compte peut également être
mis en œuvre par la direction qui risque d’assimiler
un arrêt du travail à des vacances et parfois le supérieur
hiérarchique téléphone à la personne
absente pour, de manière “ courtoise ”, l’inciter
à revenir au plus vite.
Les syndicalistes sont également dans le collimateur des
dirigeants d’entreprise car “ tout sympathisant à
une centrale syndicale autre que celle choisie par la direction
est victimes de brimades et de railleries ” 49 . Leurs fonctions
au sein de l’entreprise font l’objet d’une attention
particulière, ils évoluent dans un climat de suspicion
et on hésite généralement à leur attribuer
certains postes. Les salariés intrépides ou les “
fortes têtes ” 50 qui refusent de se plier aux règles
contraires à leurs convictions ainsi que les salariés
n’ayant pas la même obédience politique que celle
des dirigeants peuvent aussi faire l’objet d’un isolement
social.
Les salariés “ placardisés ” recherchent
les explications d’une telle relégation mais l’impossibilité
de repérer la logique de ce mode de traitement crée
les conditions d’une désorganisation psychique 51 .
En effet, celui qui est victime d’un tel processus de dénégation,
perçu comme “ persona non grata ”, est confronté
à l’ignorance de la “ communauté de travail
”, à la rétention d’information, à
l’isolement social voire même à la transparence.
L’explication de cet ostracisme réside peut-être
dans la volonté de “ se débarrasser ”
de celui qui ne se conforme pas à la culture de l’entreprise
et donc l’argument de l’incompétence est à
mettre aux oubliettes. La perte de solidarité ressurgit dans
de telles situations car “ le placard est un processus de
destruction de l’individualité avec assentiment de
l’entourage ” 52 .
La cohésion sociale est donc bien tombée en décrépitude
alors que, seule, la “ victime ” ne peut pas sortir
indemne de cette atmosphère hostile et contaminée
par la violence.
La délicate dénonciation entre tabou, silence et
peur des représailles : une complicité sous-jacente
?
La violence et l’ostracisme, pratiques de plus en plus courantes,
font difficilement l’objet d’un traitement de fond en
ce que les salariés semblent, sauf cas exceptionnels, être
enfermés dans une communauté du silence qui contribue
à la pérennité de ces modes de gestion dégradants.
Le culte de la “ virilité ” n’améliore
pas la situation en imposant une forme de silence à ces souffrances
et en empêchant la prise en charge précoce de ces troubles.
En effet, la peur de revêtir le costume de victime sacrificielle
et de subir des représailles (lynchage) entretient le mutisme
de la masse salariale qui, par ce biais, devient complice du “
bourreau ”. A titre d’illustration, on peut dire que
la “ placardisation ” est un processus de destruction
de l’individualité avec assentiment de l’entourage
qui, donc, semble cautionner les pressions exercées contre
un collègue.
Il est possible de dresser un parallèle avec les pratiques
de bizutage particulièrement décelables dans l’enseignement
où des personnes laissent se dérouler des actes dégradants
sans réagir et y prennent même partie.
La politique de l’autruche et les œillères sont
comme un consentement passif à la souffrance de l’autre
car l’entourage professionnel reste trop souvent passif, silencieux,
pour ne pas dire complice 53 . Toutefois, la complicité passive
peut se muer en complicité active en ce que le pervers séduit
toujours les membres du groupe les plus dociles, les soudant dans
une critique commune de la personne isolée 54 .
Christophe Dejours a finement démontré les mécanismes
qui régissent le comportement des collaborateurs simplement
consentants ou motivés pour participer à l’oppression
En effet, le “ harceleur ” ou le “ bourreau ”
peut insidieusement faire d’un complice passif un complice
effectif capable de devenir un harceleur en puissance. En outre,
l’expression de la réversibilité des rôles
de bourreau et de victime trouve ici tout son sens. Ceci laisse
penser, à titre d’exemple, que le harcèlement
moral prend racine dans un univers professionnel “ corrompu
” qui donne son autorisation tacite à des pratiques
managériales douteuses.
La relation binaire harceleur-harcelé peut alors se muer
en une véritable pathologie de groupe.
Ce sombre constat dénote une réceptivité du
groupe à la manipulation 55 . Il est également probable
que la complicité soit justifiée par l’appât
du gain dans le sens ou le harceleur d’une personne agite
sous le nez des témoins une quelconque rétribution
comme l’octroi d’une promotion en contrepartie de leur
silence.
Dans une perspective moins caricaturale, il est plausible que les
salariés se refusent à jeter l’opprobre sur
l’organisation pour laquelle ils se sont investis.
Cet attentisme crée une ambiguïté des rôles
nocive à l’expression d’une quelconque solidarité.
Pourtant, la nécessité de stratégies de défense
contre la souffrance semble être décisive dans la lutte
contre le consentement à l’injustice et à la
banalisation du mal. Lorsqu'une personne est en souffrance dans
son travail, une de ses plaintes les plus fréquentes est
de n'être écoutée ni par sa hiérarchie,
ni par ses collègues, ni par les représentants du
personnel.
De plus, le “ complice ” ne semble pas prendre en considération
le fait que sa responsabilité morale voire pénale
puisse être engagée. En effet, le silence face à
des agissements de harcèlement est assimilable à la
non assistance à personne en danger.
Toutefois, à l’instar des personnes jugées
au Procès de Nuremberg pour crimes contre l’humanité
(exterminations des juifs…), il est impossible de se retrancher
derrière le devoir d’obéissance qui est inopérant
pour justifier le “ voyeurisme ” et l’inaction
devant ces “ ignominies ”.
B° L’omniprésence du stress et de l’urgence
dans la sphère professionnelle : une composante à géométrie
variable
L’intégration pernicieuse du facteur temps : le culte
de l’urgence et du compactable
L’établissement de standards de travail est devenue
une pratique commune des managers ce qui induit une vision du travail
découpé en unités de temps. La difficulté
réside dans le fait que ces unités de temps ont tendance
à diminuer en raison d’un environnement mondial de
plus en plus en proie à la concurrence.
Cette modélisation temporelle permet, selon les directeurs
d’entreprise, d’éviter les écueils des
“ pertes de temps ”. Toutefois, environ 57% des salariés
ont l’impression de ne pas avoir assez de temps pour accomplir
le travail qui leur incombe 56 .
Le processus de contraction du temps est une contrainte importante
pour la collectivité de travail qui se voit imposer, au fil
du temps, une pression paradoxale exacerbée par une volonté
de satisfaire “ le client ” pour le peu qu’il
soit solvable.
En effet, le client est un consommateur de biens et de service
mais il est également un salarié en ce qu’il
“ exerce ” une activité professionnelle. Le statut
salarié du client devrait canaliser ses envies car il connaît,
lui aussi, la difficulté de travailler dans l’urgence
mais il semble que ce ne soit pas le cas.
L’urgence est, en partie, due au développement des
réseaux de communication qui permettent de joindre le salarié
à tout moment comme internet (e-mail) ou le téléphone
portable.
L’urgence, nécessaire pour rattraper le retard mondial,
est assimilable à un étau qui se resserre. En effet,
la culture de l’urgence correspond à une intensification
de la mondialisation et de la concurrence. De 1984 à 1998,
la proportion de salariés qui déclarent que leur rythme
de travail est imposé par une demande à satisfaire
immédiatement est ainsi passée de 28 % à 54
% 57 . Le monde professionnel est contaminé par l’incessante
volonté de faire toujours plus dans un laps de temps de plus
en plus réduit. L’urgence devient donc le crédo
des managers qui répercutent les ambitions des actionnaires
sur une masse salariale de plus en plus oppressée. La culture
de l’urgence, inspirée par le modèle américain,
entraîne l’exacerbation du travail par le jeu de la
compression-extension du temps 58 .
L’uniformité des horaires et le contrôle par
les pointeuses est éclipsé par la souplesse caractérisée
notamment par le travail posté, les astreintes et le travail
intermittent…En effet, les salariés évoluent
dans un environnement qui tend à écourter et à
fractionner congés au détriment de la vie privée
et familiale des travailleurs.
L’immédiateté des réponses aux sollicitations
du marché est la ligne de conduite à adopter par toute
entreprise qui, projetée dans la concurrence mondiale, essaye
d’augmenter son rendement le plus rapidement possible. Dans
l’univers hyperconcurrentiel auquel l’entreprise doit
faire face, l’immédiateté des réponses
constitue une règle de survie absolue, d’où
un raccourcissement permanent des délais, une accélération
continuelle des rythmes et une généralisation de la
simultanéité 59 . L’égrènement
temporel est généralement mal perçu par la
masse salariale. En effet, en 2001, 56% des salariés déclarent
travailler à grande vitesse et 60% se disent soumis à
des délais serrés 60
L’urgence induit, à long terme, de la fatigue mais
elle peut également revêtir un caractère funeste
en ce que la sphère patronale est susceptible de se séparer
des éléments qui ne suivent pas la cadence imposée.
L’urgence est donc un facteur stressogène intrinséquement
lié aux changements qui jalonnent le monde professionnel
contemporain.
Il apparaît également naturel que le retour de vacances
d’un ouvrier soit vécu comme une épreuve de
violence car, pendant la période des congés, le temps
ne pèse plus et la pression des supérieurs hiérarchiques
laisse la place au repos physique et moral.
L’angoisse face à un univers professionnel en
mouvance permanente : entre pamphlet et éloge du changement
et du progrès technique
Il semblerait, qu’au sein du monde professionnel contemporain,
les mots appartenant à la sphère du changement sont
omniprésents dans le vocabulaire des décideurs mais
malheureusement la pierre d’achoppement est souvent le facteur
humain 61 . Le changement revêt généralement
une connotation négative pour la collectivité de travail
qui voit ses habitudes bouleversées par un effort d’adaptation
inévitable. Ce constat permet de d’affirmer que le
changement s’accompagne inévitablement d’inconvénients
pour les salariés qui peuvent être déstabilisés
face à un univers en perpétuelle mouvance. En effet,
l’être humain n’est pas programmé pour
vivre dans un univers mouvant qui changerait en permanence 62 car
l’imprévisibilité et l’incertitude notamment
sur les performances engendre une remise en question de l’avenir
et de l’estime de soi. Le trouble de l’adaptation semble
être l’un des troubles psychologiques les plus répandus,
il toucherait entre 5 et 13% des personnes 63
Le changement est, en partie, du à l’interférence
du progrès technique dans les techniques de production. L’obsolescence
des compétences doit impérativement être contrecarrée
par une formation perpétuelle des salariés aux nouvelles
technologies et méthodes de travail. La nécessité
de spécialisation voire d’hyperspécialisation
peut être vécue comme une perte de sens et un appauvrissement
du métier initial. Ce progrès technique peut être
responsable d’un chômage frictionnel (de court terme)
lié au délai d’adaptation nécessaire
voire, dans une perspective pessimiste, un chômage de longue
durée en ce que les entreprises peuvent utiliser le progrès
technique pour baisser la demande de travail. L’argumentation
de la hausse du chômage est souvent avancée par la
collectivité salariale mais, concrètement, on ne recense
pas de relation directe certaine et objective entre le progrès
technique et le chômage. En effet, la théorie économiste
de la “ destruction créatrice ” 64 explicite
le fait qu’au niveau global, on enregistre des suppressions
de poste mais également des créations d’emplois
sur des secteurs qui portent le progrès technique. Il est
important de souligner que le progrès technique augmente
les qualifications demandées par le marché du travail.
Par conséquent, si on ne traite pas ses effets, le progrès
technique peut être source de chômage technologique
en ce que les personnes aux compétences “ obsolètes
” peuvent être durement affectées. Le désoeuvrement
peut engendre du stress chez les salariés qui doivent s’adapter
aux exigences toujours plus accrues de la conjoncture. A titre d’illustration,
le changement de direction est parfois synonyme de déliquescence
en ce qu’il risque d’occasionner un remaniement des
effectifs.
En effet, l’équipe de travail en place peut être
critiquée comme étant “ trop vieille ”
et donc “ pas assez rapide ” ce qui nécessité
d’injecter du sang neuf qui boostera la production et qui
travaillera davantage en considération du temps.
Ce constat permet de mettre en lumière le phénomène
inévitable que génèrent le changement et l’urgence
chez le travailleur, en effet, le stress fait désormais partie
intégrante de l’univers professionnel.
3) Les polémiques autour d’un fléau contemporain
: entre effet dopant et effet toxique
Le terme “ stress ” provient du latin “ stringere
” qui signifier serrer et fait implicitement appel à
la notion de contrainte. Le stress est une réaction de l’organisme
pour s’adapter aux menaces ainsi qu’aux contraintes
de notre environnement. La notion de stress professionnel apparaît
au cours des années 60 65 mais historiquement le terme de
stress émerge au 18ème siècle et signifie “
épreuve ” voire “ affliction ”.
Les individus ne sont pas égaux devant cet état car
certains sont plus enclins à la sensibilité et à
l’anxiété. Ce constat permet d’affirmer
que le stress doit faire l’objet d’une approche individualisée.
En effet, il est utile d’opérer un décryptage
de la dimension subjective de la réaction de stress.
Pour certaines personnes, la production d’adrénaline
induite par la réaction d’urgence et d’alerte
est une donnée essentielle pour se confronter à la
dure réalité du monde professionnel et aux exigences
de performance. Dans cette optique, le stress apparaît comme
une réponse à un challenge 66 . En ce sens, le salarié
est assimilable à un athlète qui se prépare
à une compétition. Le stress semble donc indispensable
notamment aux yeux de ceux qui s’en servent comme d’une
“ drogue ” ou d’un viatique mais il ne faut pas
oublier que, dans la plupart des cas, il est vécu comme un
“ cataclysme social ”.
On parle parfois de “ bon stress “ ou de “ mauvais
stress ” comme on parlerait de bon ou de mauvais cholestérol.
Le “ bon stress ” serait celui qui favorise la performance
et l’apprentissage alors que le “ mauvais stress ”
risque d’altérer les capacités relationnelles
et de déclencher l’apparition de certains troubles.
En effet, le stress est considéré comme fait générateur
de pathologies comme les maladies cardiovasculaires. Au cours de
l’année 1998, 57% des français estimaient accomplir
leur travail dans des conditions stressantes 67 .
Le stress n’est pas catalogué comme maladie mais comme
un élément naturel perçu comme le deuxième
problème de santé au travail 68 . Le stress au travail
n’est pas une élucubration comme en témoigne
certaines études : en effet, en 2002, un salarié sur
quatre estime être en position de surstress 69 . L’ensemble
des contraintes de la vie professionnelle comme la surcharge de
travail est la première source de stress au travail.
Il existe divers modèles qui tentent d’analyser le
stress 70 . On peut citer, entre autres, “ le modèle
de Kasarek ” qui s’attache aux facteurs objectifs de
la situation de travail causant des difficultés d’adaptation
puis des troubles sur la santé. Il considère que le
niveau de demande psychologique en quantité de travail, le
niveau de latitude décisionnelle ou le niveau de soutien
social sont des éléments potentiellement stressants.
On peut également citer “ le modèle de Siegrist
” où le stress apparaît comme le déséquilibre
ressenti entre les efforts consentis pour satisfaire les exigences
du travail et les récompenses attendues par la personne.
De manière complémentaire, le modèle transactionnel
n’est autre que l’analyse du stress résultant
d’un déséquilibre entre les contraintes imposées
par la situation de travail et les ressources dont on dispose pour
y faire face. Le stress peut être perçue comme un mécanisme
d’adaptation biologique passant par une phase d’alarme
permettant la mise en place de défenses par l’organisme,
par une phase de résistance qui dévoile l’adaptation
à une situation et pour finir par une phase d’épuisement
lorsque l’organisme a dépassé ses capacités
d’adaptation.
On recense, de nos jours, environ 300 000 pathologies de stress
71 qui concernent de plus en plus la collectivité de travail.
4) Les “ pathologies du surmenage ” : une sphère
salariale consumée de l’intérieur
La dénégation des signaux extérieurs que sont
le stress et la fatigue va conduire lentement mais sûrement
vers un état dépressif. On peut, sans être trop
virulent, incriminer l’esprit de compétition outrancier
qui anime les entreprises et une partie du corps social. En effet,
les entreprises mais également les services publics sont
touchés par “ les pathologies du surmenage ”.
En outre, dans les services publics comme la Poste ou la Sécurité
sociale, le personnel est soumis au stress de la contrainte de “
productivité ”.
On perçoit inévitablement les prémices du
syndrome d’épuisement dans cet incessant mouvement
de “ toujours plus ”. L’inadéquation entre
les moyens humains et le travail demandé, le travail idéalisé,
le “ zéro défaut ” et l’ambiance
de performance peuvent conduire au stress préfigurant parfois
la dépression.
La sensation de spleen et d’emmurement prend donc le pas
sur la maîtrise du travail et de la vie. En France c’est
un psychiatre nommé Weil qui, en 1969, va développer
le concept épuisement professionnel 72 .
La dépression est généralement issue d’attentes
démesurées. Le “ burn-out ” qui signifie
“ incendie interne ” est une des pathologies dérivant
du stress et s’attaque généralement à
des personnes pourvues de responsabilités et subissant des
pressions croissantes de la part de leur supérieur et de
la société elle-même. Le “ burn-out ”,
appelé communément “ la maladie de la relation
d’aide ”, touche principalement les pompiers, les infirmiers,
les travailleurs sociaux et même les médecins qui dispose
d’un professionnalisme et d’une conscience professionnelle
particulièrement aiguisés. Les professionnels travaillant
dans des établissements sanitaires et sociaux exercent leur
métier dans un secteur où les évolutions de
l’environnement, de la réglementation et de l’organisation
du travail sont permanentes. Ces changements peuvent induire une
perte de sens, un sentiment d’impuissance ou d’échec
personnel et conduire au phénomène d’usure.
Ironiquement, un médecin du travail, un salarié parmi
les autres qui soulage les maux et l’état psychique
des salariés, est également en proie au stress et
au surmenage. En effet, l’organisation du travail oppresse
le salarié, qui en se confiant au médecin du travail,
peut susciter l’empathie de ce professionnel de la santé.
Ainsi, le médecin peut être une victime collatérale
d’une organisation du travail atomisée et oppressante.
Dès 1768, le Docteur Tissot décrit les méfaits
de l’acharnement au travail sur la santé 73 en relation
étroite avec le stress permanent et prolongé. Sommes-nous
sur la voie du Japon qui pousse des salariés, dévoués
corps et âmes à leur travail, à la dépression
voire au suicide ?
“ La mort par surmenage ” liée au stress et
à la dépression est courante dans ce pays et est appelée
“ Karôshi ”. Cette mort subite par accident vasculaire
touche particulièrement les hommes de 25 à 40 ans
ne présentant aucun antécédent cardiovasculaire
et aucun facteur de risque Les japonais sont connus pour leur dévotion
totale à leur travail (valeur primordiale de leur société)
et leurs faibles périodes de repos : en effet, un salarié
sur quatre ne part jamais en vacances et, lorsqu’il y a vacances,
elles ne sont que de courte durée. Le gouvernement Japonais,
qui souhaite mener son pays à la première place économique,
réclame toujours plus des salariés qui, avec des horaires
élastiques et de longs trajets en transport en commun, commencent,
depuis peu, à se révolter. En effet, en décembre
2006, les syndicats protestent contre le non paiement des heures
supplémentaires.
La souffrance au travail, de plus en plus médiatisée,
semble atteindre des proportions alarmantes. Le mal-être conduit
la collectivité de travail à des actes de désespoir
et d’incompréhension qui nécessitent une dose
de prévention et l’établissement d’actions
correctrices voire “ salvatrices ” y compris par les
entreprises.
III/ La souffrance au travail comme épiphénomène
métamorphosé en affection médiatique : entre
analyse psychodynamique et prescriptions “ salvatrices ”
Hier encore, la souffrance physique était au cœur de
la polémique sociale mais ce temps semble “ quasiment
révolu ” par l’émergence du mal-être
de la collectivité de travail. Ces dernières années,
on assiste à une dégradation des conditions du travail
par l’effet de pratiques managériales de plus en plus
exigeantes. Cette souffrance, qui dévore les salariés
de l’intérieur et affecte la cellule familiale, les
épuise et les plonge dans un abîme de non sens. La
sphère salariale, fragilisée par la rigidité
de l’organisation du travail, est en proie à des actes
désespérés qu’il faut analyser comme
une usure et un “ trop plein ” de pression (A). Le combat
sociétal contre les dérives des méthodes de
management contemporaines s’avère délicat dans
les années à venir. Il est primordial de placer la
santé mentale du salarié au centre des préoccupations
de la médecine du travail ainsi que dans une perspective
pluridisciplinaire afin d’éviter l’expansion
de phénomène de souffrance psychologique au travail.
De plus, les entreprises doivent absolument “ repenser ”
leurs stratégies managériales dans un souci de protection
des travailleurs et de leur santé (B)
A° La recrudescence des “ dérives comportementales
” comme réponse au mal-être ambiant
La transmutation de la pénibilité et ses effets sur
“ la cellule familiale ”
La notion de violence au travail est en train d’évoluer
en ce sens que l’on accorde désormais autant d’importance
aux comportements psychologiques qu’aux comportements physiques
74 . Au siècle dernier, les principales sources de stress
étaient l’environnement physique et la pénibilité
des tâches. La pénibilité était incarnée
des conditions de travail difficiles à supporter comme la
promiscuité, l’absence hygiène et de sécurité,
la sous-alimentation et les accidents de travail…Les salariés
luttent quotidiennement pour survivre dans cette atmosphère
écrasante. Au 19ème siècle, on parlait de “
forces du travail ” car les entreprises cherchaient surtout
à mobiliser la force physique mais, de nos jours, le terme
de “ ressources humaines ” semble plus approprié
par la recherche d’une capacité de résistance…L’endurance
psychologique de la masse salariale est parfois “ mesurée
”, “ modélisée ” par des employeurs
qui, avant même la naissance de la relation de travail, testent
la résistance des salariés par divers entretiens,
tests ou questionnaires.
Au fil du temps, l’amélioration des conditions de
travail devient une préoccupation de l’instance étatique
qui essaye notamment de résoudre les problèmes d’hygiène.
La dureté physique est donc progressivement résorbée
alors que la toile de la souffrance mentale se tisse et “
étrangle ” la collectivité de travail. En effet,
les multiples facteurs de stress physique régressent progressivement
alors que les autres sources de stress : pression, changements,
frustrations et relations humaines sont en progression constante
ce qui entraîne une désynchronisation permanente des
rythmes biologiques 75 .
La peinture des conditions de travail difficiles réalisée
par des ouvrages comme l’Assommoir ou Germinal semble désuète.
La pénibilité n’a pas pour autant disparu mais
elle a tout simplement changé de forme. La difficulté
psychologique s’est donc substituée à l’ingratitude
des tâches ce qui démontre que le travail a conservé
son caractère contraignant. Les multiples formes de travail
“ posté ” comme les trois-huit, qui se développent
dans un contexte de flexibilité 76 , modifient profondément
le rapport au travail. Le travail de nuit, par exemple, peut jouer
un rôle non négligeable sur la perversion voire la
destruction de la cellule familiale. En effet, l’argument
selon lequel la rupture vécue sur la scène professionnelle
contamine les relations conjugales, familiales, amicales, prend
tout son sens dans cet univers professionnel oppressant. Il semble
être rentré dans les mœurs que la distinction
traditionnelle entre lieu de travail et domicile, entre temps de
travail et temps de la vie privée s’estompe et s’estompera
de plus en plus. La cellule familiale est donc contaminée
par l’acharnement au travail d’un ou de plusieurs de
ses membres. Cette implosion de la structure familiale est notamment
facilitée par le “ télétravail ”.
La notion de famille peut également revêtir un autre
sens, en effet, elle peut recouvrir l’esprit de convivialité
qui règne ou plutôt qui régnait sur le lieu
de travail. Auparavant, la pénibilité du travail était
plus facilement supportable par une certaine convivialité
entre les salariés mais désormais la franche camaraderie
n’est plus d’actualité. Les collègues
et l’entreprise étaient perçus comme une grande
famille qui savait se serrer les coudes en cas de coups durs.
Aujourd’hui, il semble que ce ne soit plus qu’un vague
souvenir au regard de la destruction de l’esprit collectif,
de la réduction des temps qui permettaient de discuter entre
collègues, du turn-over et du contexte conjoncturel imprévisible.
Les licenciements dans de grandes entreprises comme Moulinex sont
vécues comme une trahison. La durée passée
dans une usine ou dans une entreprise tisse un lien de filiation
voire un lien marital. L’esprit familial est sacrifié
au profit de la logique économique et de la pression des
marchés financiers et, par conséquent, le divorce
peut être mal vécu par les salariés. Le management
familial ou patriarcal peut donc se heurter aux impératifs
de la productivité qui ont évolué. Parfois,
le fondateur d’une entreprise ne supporte pas de voir son
entreprise mise en péril par la concurrence mondiale et en
vient à se suicider comme le créateur de la marque
de chaussures “ Jallatte ”. L’hostilité
de l’univers professionnel peut donc pousser certains travailleurs
à fuir la réalité du travail et se réfugier
dans des solutions parfois destructrices.
La fuite face à un univers professionnel à l’hostilité
grandissante
Dans un univers où la solidarité ne semble plus être
de mise, on recense des formes de ripostes individuelles comme l’arrêt
maladie 77 . Ce dernier peut apparaître comme un moyen temporaire
d’échapper à un environnement professionnel
hostile. En effet, il semble que l’arrêt maladie puisse
être assimilable à un refuge voire à un abri
transitoire 78 . Cette fuite provisoire permet de prendre du cumul
mais ne résout pas les difficultés qui ont poussé
à cet exil. Le retour au travail sera d’autant plus
dur après une période de “ tranquillité
” ou “ d’absence de directives, d’humiliations,
de brimades.. ”.
La recrudescence des contrôles des arrêts de travail
a pour finalité principale de réprimander les salariés
également assurés sociaux qui bénéficient
d’arrêts de travail “ factices ” mais le
contrôle des arrêts de travail est aussi une option
capitale pour les entreprises puisque les employeurs sont autorisés
à procéder à des contre-visites médicales
en missionnant un médecin contrôleur d’un organisme
privé. La licéité de la contre visite médicale
réalisée à l’instigation de l’employeur
est source de polémiques. L’assuré social fait
donc l’objet d’une surveillance de plus en plus accrue
sur la régularité de son arrêt de travail et
de son état de santé. Ces dernières années,
on assiste à une “ traque des faux malades ”.
Généralement, les entreprises ne remplacent pas le
salarié et la charge de travail du “ chaînon
” manquant se retourne contre les autres salariés.
De plus, un salarié absent est un manque à gagner
car il fait “ baisser ” la productivité globale.
Même compréhensible, cette fuite n’est pas une
solution et pénalisent tous les rouages de l’enceinte
professionnelle.
Le salarié désemparé et ne pouvant plus supporter
les pressions qui s’exercent sur lui peut également
donner sa démission. Cette possibilité apparaît
comme l’ultime recours pour s’évader de la pression
ambiante. . L’absentéisme et le désir de changement
de travail achèvent de ternir l’image de l’intéressé.
Ceci est problématique car le “ déserteur ”,
au lieu de lutter, choisit une option qui ne fait qu’accroître
la stigmatisation dont il est victime et ainsi prouver que son “
bourreau ” est arrivé à le déstabiliser
et à lui faire baisser les bras .
La fuite peut également être “ psychologique ”
notamment par la prise de dérivatifs comme l’alcool ou
les anxiolytiques.
Les cataplasmes sociaux : entre effet placebo et effet annihilant
Du temps d’Emile Zola, la classe ouvrière se servait
de l’alcool comme d’un remède contre la souffrance
physique et la dureté des conditions de travails. L’alcool
est un cataplasme qui assure la désinhibition de l’être.
A l’heure actuelle, l’alcool sert de dérivatif
à la peur et à l’angoisse entretenues par la
“ nouvelle ” organisation du travail.
En cette époque, l’utilisation de drogues et de psychotropes
est en plein essor dans le monde du travail pour augmenter le rythme
du travail, pour canaliser son stress et pour oublier les réprimandes
et les dérives organisationnelles. On estime, en 2001, que
180 millions de boîtes de tranquillisants, anti-dépresseurs
et somnifères ont été vendues en France 79
. Même si personne n’en parle, personne n’est
dupe car la flexibilité et le diktat de la performance engendrent
une automédication de tranquillisants et de stimulants qui
peuvent vite devenir un engrenage car les comportements d’accoutumance
et de dépendance entraînent une compulsion à
prendre de façon continue et périodique ces “
produits ”. La personne qui se “ dope ” par l’absorption
de substances médicamenteuses ou autres peut vite perdre
le contrôle de ses actes et de sa vie. Cet empoisonnement
est généralement passé sous silence pour ne
pas laisser paraître que la charge du travail est insupportable
et que le seul moyen de faire face est de se “ doper ”.
La majorité des DRH estime, par ailleurs, que la consommation
d’alcool en entreprise peut avoir des conséquences
importantes sur la qualité du travail, la santé des
salariés et les accidents du travail mais aussi sur d’autres
aspects comme la productivité, les problèmes relationnels,
l’image de l’entreprise, les sanctions, l’ambiance
de travail et l’absentéisme 80
Diverses substances comme les gélules de caféine,
le cannabis, la cocaïne, l'ecstasy et les amphétamines
sont désormais à prendre en considération dans
le monde du travail. Ce fléau qui compte de plus en plus
d’adeptes puise ses racines dans une volonté de gestion
du stress car l’idée est que la drogue est un moyen
de décupler ses facultés. Cette pratique instinctive
peut apparaître fructueuse à court terme mais elle
risque de mener, à long terme, vers la dépendance
et la destruction de l’être. Alcool, psychotropes, drogues
comme les benzodiazépines ou les barbituriques peuvent donner,
un temps, une impression de soulagement alors qu’en réalité
ils emmurent un peu plus le sujet dans la détresse profonde
du syndrome d’épuisement émotionnel.
Cette dépendance et cette pharmacologie “ sauvage
” 81 , bien loin d’améliorer la performance,
peuvent être nuisibles au rendement ou mettre en péril
la santé de la personne et celle de ses collègues
de travail. Ces substances altèrent la précision et
le jugement du salarié. En effet, le salarié dépendant
devient irascible, colérique et maladroit et risque de commettre
ou de provoquer un accident de travail et ainsi causé, involontairement,
un préjudice à autrui (par exemple en oubliant de
vérifier la sécurité d’une machine et
cette négligence peut coûter cher au travailleur qui
la manipule).
Cette béquille médicamenteuse peut être analysée
avec ironie quand on la rapproche de la nouvelle organisation du
travail. En effet, certaines personnes sont “ droguées
” par leur travail à tel point que le lexique de la
performance est identique à celui de la boulimie du travail
: cet état est perceptible dans diverses expressions comme
“ on se défonce pour son travail ” ou encore
“ on se shoote ” 82 . En effet, il existe des accros
du boulot qui sont, par exemple, désignés comme des
“ workaholics ” aux Etats-Unis. Cette dépendance
de type fusionnelle dévoile un désir d’accomplissement
et de réussite professionnelle.
Toutes ces déviances sociétales ne sont pas toutes
mortelles mais le stress au travail peut causer d’autres séquelles
indélébiles voire conduire à des actes désespérés
comme le suicide. Non seulement, le tabac, piètre moyen de
lutter contre le stress, est susceptible de favoriser l’irruption
des syndromes anxio-dépressif mais les individus qui abusent
de substances comme l’alcool ou les drogues “ se suicideraient
” plus que les autres. 83
Les comportements suicidaires : une collectivité de
travail “ épuisée” par des pratiques managériales
oppressantes
La recrudescence des suicides survenus du fait du travail semble
mettre en accusation une organisation du travail ravageuse et insensible
au malaise de la collectivité salariale. Ces comportements
suicidaires ne sont que le haut de l’iceberg d’une vaste
pathologie de la solitude qui est devenue l’une des caractéristiques
du monde contemporain et qui contribue à l’augmentation
des dépressions 84 . Aucune statistique ne permet d’affirmer
la réelle part de responsabilité de l’activité
professionnelle. Toutefois, il y aurait, en 2003, environ 100 000
tentatives de suicides liés au travail. 85
Triste record pour la France, qui vient en tête des pays
dans lesquels le suicide notamment chez les hommes actifs est en
croissance continue depuis 1975. Leur nombre a atteint 11 000 par
an en 2000 “ soit plus de un par heure ” 86 . L’employeur
n’a pas à se faire “ juge ” du caractère
professionnel d’un suicide car ceci relève incontestablement
de la CPAM. En 2007, on estime à environ 300 à 400
le nombre de suicides par an dont 18 sont officiellement reconnus
comme liés au travail et indemnisés par la CPAM comme
des accidents du travail 87 .
La dramaturgie médiatique liée au suicide au travail
donne à cette “ affection ” une signification
particulière. Les suicides liés au travail ne sont
pas nouveaux mais ce qui mérite d’être signalé
est la prolifération de ce phénomène. Le suicide
ou sa tentative est généralement précédé
d’un état dépressif caractérisé
par la tristesse, l’effondrement de l’humeur, la perte
d’intérêt et d’appétit et les troubles
du sommeil.
Les exemples mortifères se multiplient et le suicide affecte
aussi bien les ouvriers que les cadres ainsi que tout secteur professionnel.
En effet, en dix-huit mois, quatre employés du centre Hospitalier
Victor-Provo de Roubaix ont mis fin à leur jour. Une réorganisation
“ sauvage ” du personnel et des horaires postés
serait à l’origine de l’épuisement professionnel
de ces employés 88 . Ces derniers temps, on recense de plus
en plus de cas de suicides ou de tentatives de suicide chez Peugeot
et Renault sans doute suite aux cadences toujours plus accrues et
aux pressions managériales imposées par ces constructeurs
automobiles. En effet, huit cadres et techniciens du Technocentre
de Renault à Guyancourt et de la centrale nucléaire
Electricité de France de Chinon mettent fin à leurs
jours, sur le lieu de travail ou en imputant explicitement leur
suicide au travail.
Ce genre de drame a été, presque systématiquement,
précédé d’un ou plusieurs arrêts
de maladie plus ou moins prolongés. En cas de suicide, la
plupart des entreprises se retranchent derrière l’argument
des causes non inhérentes au travail pour s’affranchir
de la plupart de ses obligations en termes d’analyse, d’enquête
et d’évaluation des causes éventuelles liées
au travail. Toutefois, la méfiance est de rigueur du côté
des employeurs car, sur le plan pénal, “ le fait de
provoquer au suicide d’autrui est puni de trois ans d’emprisonnement
et de 45 000 euros d’amende lorsque la provocation a été
suivie du suicide ou d’une tentative de suicide. ”
De nombreux psychologues et psychanalystes se penchent sur la mécanique
qui conduit au geste fatal comme Christophe Dejours qui intervient
suite aux suicides chez Renault. Pour lui, les salariés sont
tiraillés entre sentiment d’incompétence et
impossibilité de tenir les objectifs “ irréalisables
” fixés par la direction. Selon le Ministre Xavier
Bertrand, “ les drames de ces derniers mois ” doivent
faire l’objet d’une étude attentive par le gouvernement
et les partenaires sociaux. Il annonce, lors d’une conférence
sur les conditions de travail, qu’il serait judicieux de créer
un “ indicateur de stress ” mais cette mesure, dont
la mise en œuvre est renvoyée à des groupes de
travail, est loin de convaincre…et de pouvoir résoudre
le phénomène des suicides liés au travail.
L’aphorisme populaire “ le travail c’est la santé
” est remis en cause par une organisation du travail stigmatisante
dont les causes et les effets doivent être analysés
et encadrés afin de diagnostiquer et de soigner les malades
de la gestion car la prévention des risques psychosociaux
ne va pas toujours de soi.
B° La lutte contre la souffrance au travail sous le prisme
d’une approche clinique et sociétale rénovée
L’insatisfaction au travail : vers l’obsolescence de la
notion d’amour au travail et l’augmentation de la souffrance?
En 2003, une étude relève que deux Français
sur trois travailleraient sans plaisir 89 . Ce constat sociologique
dévoile un réel malaise de la société.
Le rapport au travail est capital car c’est un moteur puissant
de construction de la santé mentale et d'épanouissement.
L’organisation du travail a modifié le rapport des
personnes au travail et il semble que l’amour du travail ne
soit plus ce qui fait travailler les salariés car comme le
souligne Jean-Pierre Levaray “ la notion d'amour du travail
est devenu obsolète ”. 90
Selon une expression caricaturale connue “ celui qui n’aime
pas son travail, il n’aime pas sa vie. Et celui qui n’aime
pas la vie, il est mort ”. Cette mort peut être passionnelle
en raison du travail dilué dans l’anonymat et de l’absence
de reconnaissance mais cette mort peut également être
physique comme le démontre le nombre de suicides liés
au travail. L’insatisfaction résulte d’une discordance
entre les caractéristiques biologiques de l’opérateur
et l’activité qu’impliquent les contraintes de
la tâche. A contrario, la satisfaction dérive d’une
“ balance cognitive ” entre les contributions fournies
à l’organisation et les rétributions qu’elle
offre en retour 91 . Dans le cerveau, l’hypothalamus appelé
“ centre du plaisir ” secrète des émotions
positives ou négatives 92 . En outre, les récompenses
engagent profondément l’activation des émotions
comme le plaisir. Ceci permet d’affirmer que l’absence
de reconnaissance peut nuire au plaisir d’exercer son métier.
Le travail risque donc d’être exécuté
à contrecoeur et la souffrance engrangée et contenue
risque de provoquer des ravages psychologiques et d’enfermer
le salarié dans une sphère de solitude. Le travail
est une confrontation au réel car il peut être source
de plaisir quand la personne peut exercer sa créativité,
dispose d’une certaine autonomie et qu’elle reçoit
une rétribution. Cependant, le travail peut être source
de souffrance si la personne est amputée de son pouvoir d’agir
et qu’elle ne se sent pas valorisée et reconnue à
sa juste valeur. Toutefois, cette vision pessimiste peut être
relativisée dans le sens le travail peut être favorable
à l’équilibre mental et à la santé
du corps, il peut même conférer à l’organisme
une résistance accrue à la fatigue, à certaines
maladies… Il suffit que “ les exigences intellectuelles,
motrices ou psychosensorielles s’accordent avec les besoins
du travailleur considéré ” ou que “ le
contenu du travail soit source d’une satisfaction sublimatoire
” 93 .
Le bonheur et la satisfaction au travail apparaissent comme
des idéaux à atteindre mais en réalité
le chemin qui mène à l’épanouissement et
à l’intégration professionnels est semé
d’embûches.
En 2003, 40% des individus questionnés se déclarent
heureuses dans travail mais ce chiffre tend à dévaluer
comme le signalent les chiffres de 2005 : en effet, seulement un
tiers des personnes se disent heureuses professionnellement parlant
94 .
L’appréciation de la satisfaction au travail passe
par divers éléments comme la mesure de la pénibilité,
la reconnaissance au travail voire l’ambiance sur le lieu
de travail. Les jeunes travailleurs, notamment peu qualifiés,
semblent moins atteints par le phénomène d’insatisfaction
au travail dans le sens où, de plus en plus cantonnés
à des emplois instables, ils ne cherchent qu’à
prouver leur valeur pour décrocher “ le ” travail
attendu.
Malheureusement il n’y a pas de remède miracle à
la maladie de la gestion, il faut donc mener une réflexion
d’ensemble pour éviter la survenance du malaise et
tenter de mettre en place barrages contre d’éventuelles
tensions et violences. Il est également nécessaire
de repenser la dispense des soins pour amorcer des solutions préventives
durables.
La prévention et la pluridisciplinarité comme
procédés thérapeutiques adéquats : vers
de “ nouveaux préventeurs ” de la santé
au travail ?
Ces dernières années, on s’aperçoit
de plus en plus que les contraintes de l’organisation du travail
ont des répercussions sur la santé psychique des salariés.
En effet, la brutalité des récits de certains salariés
met en exergue une nécessité de prévenir les
dérives de l’organisation du travail. Il donc nécessaire
de mettre l’accent sur la prévention de la violence,
du stress, du harcèlement moral...qui connaît encore
actuellement de grosses lacunes sur le terrain. On peut recenser
des bonnes intentions mais ceci n’est pas suffisant car il
faut privilégier les initiatives concrètes. Des actions
préventives cohérentes et ciblées permettent
notamment de réguler les tensions qui empoisonnent les relations
socioprofessionnelles. Les mesures de prévention sont difficiles
à mettre en œuvre car elles doivent prendre en considération
de nombreux paramètres.
La prévention repose généralement sur un triptyque
95 : elle peut être primaire quand elle a pour finalité
de diminuer voire d’enrayer les différents facteurs
de risques présents dans l’entreprise. Elle est secondaire
lorsqu’elle souhaite donner aux salariés les moyens
pour agir individuellement ou collectivement pour combattre les
divers risques. On peut également citer la prévention
tertiaire qui cherche à aider les personnes qui souffrent
psychologiquement à cause de leur travail. Il en ressort
que la prévention primaire est celle qui apparaît la
plus adéquate en ce qu’elle fait appel à divers
champs disciplinaires mais la plus délicate à mettre
en œuvre. La seconde est matérialisée par des
actions concrètes comme des stages de gestion du stress comme
ceux mis en œuvre par la société “ stimulus
” 96 qui se développent et auxquels l’entreprise
fait de plus en plus appel. Cependant, même si ceci peut être
utile, cette technique est insuffisante pour gommer les facteurs
de risques présents sur le lieu de travail du fait du fonctionnement
organisationnel et managérial. Il faut traiter le mal à
sa source et non de manière “ superficielle ”.
Au regard d’un enchevêtrement de questions, la pluridisciplinarité
induite par la prévention primaire semble répondre
aux aspirations contemporaines concernant la lutte contre la souffrance
au travail. Les enjeux de la santé mentale au travail convergent
et plaident pour une mobilisation de tous dans une prévention
des risques psychosociaux.
En effet, l’appel à des personnes spécialisées
dans divers domaines comme la sociologie, la physiologie, la psychologie…
est un moyen judicieux de comprendre les mécanismes psychologiques
des patients et donc de mettre en œuvre des plans d’action
pour combattre efficacement la prolifération de la violence
et du stress dans la sphère professionnelle. La psychologie
permet une compréhension profonde des enjeux du travail et
de ses effets sur les individus, sur les collectifs et les aspects
sociaux.
Le travail pluridisciplinaire n’est pas que de l’addition
d’intervenants de champs différents notamment parce
que les professionnels, ayant la volonté de constituer sur
un objet de travail commun et en charge d’un diagnostic, iront
à la rencontre des différents acteurs de l’entreprise
et non pas seulement des “ victimes ” de l’organisation
du travail.
En effet, l’ergonomie permet l’analyse du poste de
travail par une observation directe voire des mesures d’ambiance
du bruit qui permettent de suggérer une modification de poste
pouvant alléger la charge du salarié. L’intervention
ergonomique, en conciliant santé des travailleurs et objectifs
économiques des employeurs, a pour finalité d’améliorer
les conditions de travail et la santé des travailleurs mais
également l’amélioration du fonctionnement,
de l’organisation, de la gestion des ressources humaines de
l’entreprise.
De manière sous-jacente, elle invite au dialogue social.
L’ergonomie classique de “ correction ” est complétée
par l’ergonomie de “ conception ” qui est plus
rare car elle est du ressort de l’entreprise qui s’occupe
de répartir les tâches. Son diagnostic va concourir
à la mise en œuvre d’actions immédiates
nécessairement élaborées dans un souci de pérennité.
Diverses entités peuvent également être
mises à contribution dans la prévention de la souffrance
au travail comme l’Inspecteur du travail, le CHSCT voire les
partenaires sociaux.
La préoccupation grandissante des partenaires sociaux européens
pour le bien-être des salariés est décelable
à travers l’accord européen du 8 octobre 2004
relatif au stress au travail complété par l’accord
du 26 avril 2007 portant sur le harcèlement et la violence
au travail.
De plus, il est du ressort des organisations syndicales de défendre
les intérêts des travailleurs et donc de se montrer
vigilantes sur l’évolution des pratiques managériales
de plus en plus agressives. Le CHSCT, disposant d’un droit
d’alerte et d’information, est un atout majeur pour
la collectivité de travail. Cette institution représentative
du personnel a comme vocation la protection de la sécurité
et de la santé des travailleurs. Toutefois, le CHSCT, bien
qu’obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés,
n’est pas toujours mis en place et il est nécessaire
de remédier à ce problème d’implantation.
Ces dernières années, ce comité a le “
vent en poupe ” comme en témoigne l’abondance
du contentieux et il est à envisager un approfondissement
de ses missions vers une meilleure protection de la santé
mentale du salarié amorcé par la loi de Modernisation
sociale du 17 Janvier 2002. En effet, cette dernière préconise
un renforcement du rôle du CHSCT dans la prévention
de la souffrance notamment psychologique. De surcroît, la
récente conférence sur les conditions de travail préconise
le doublement du mandat des délégués du CHSCT
qui serait ainsi porté à 4 ans comme pour les délégués
du personnel.
L’inspecteur du travail, quant à lui, dispose certes
de moyens pour “ réprimander ” un employeur malveillant
ou peu soucieux de la santé de ses travailleurs mais le caractère
ponctuel de ses visites n’est pas suffisant pour détecter
le mal-être des salariés et donc remédier à
la situation. Ce dernier n’est donc pas à même
de régler seul le problème de la souffrance au travail.
Seule une démarche concertée, cohérente et
confortée par l’apport de divers moyens de lutte et
de prévention entre les différents intervenants et
acteurs du monde professionnel peut conduire à la résorption
du phénomène.
Il est également nécessaire que la prévention
passe par la formation du personnel pour éviter une escalade
agressive, la notification systématique des évènements
ainsi que par l’instauration de mesures d’ordre organisationnel.
De surcroît, certaines conditions doivent être réunies
pour que la prévention soit un succès. En effet, il
paraît indispensable de pouvoir accéder aux documents
et aux informations sur le processus technique, la qualité,
les résultats de production et de bénéficier
d’un appui logistique ainsi que de moyens de diffusion des
résultats.
Parfois, il est nécessaire de mettre en œuvre une écoute
peut pallier à la défaillance de la prévention
et à l’inertie des directeurs d’entreprises.
En ce sens, Christophe Dejours souligne que " la guérison"
proviendra d’une reprise de la parole, d’une réflexion
sur l’organisation du travail, et non de mesures de prévention
ou d’une réglementation".
L’effet apaisant de l’écoute des ressentis
: entre prévention et réinsertion
La souffrance au travail s'exprime de plus en plus dans les cabinets
médicaux des médecins du travail mais aussi de ceux
des médecins traitants. En ce sens, il apparaît comme
nécessaire d’aider les médecins du travail à
prendre plus largement en compte les causes des pathologies du travail
et les conditions de réponses individuelles ou collectives.
En ce sens on peut parler de “ clinique médicale du
travail ” 97 . Les médecins du travail doivent apprendre
à “ jongler ” entre diverses disciplines et faire
preuve de professionnalisme pour ne pas se laisser submerger par
les difficultés des patients. En effet, l’empathie,
bien que nécessaire à juste dose, ne doit pas obscurcir
le jugement du médecin car un “ surdosage ” risque
d’entraver le processus de “ guérison ”
du patient.
De plus, le médecin risque de perdre son sens critique s’il
“ n’objective pas le subjectif ” et ainsi devenir
une victime potentielle “ traumatisme par procuration ”
98 . Le médecin doit se montrer compréhensif mais
doit également “ mettre des mots sur des maux ”.
Le rôle premier du médecin du travail est de conseiller
le chef d’entreprise ainsi que les salariés dans l’optique
d’améliorer les conditions de travail. Qu'il exerce
au sein d'une entreprise ou dans un service interentreprises, il
a connaissance du poste et des conditions de travail, des conditions
d'ambiances générales. Il peut aider le salarié
à analyser, élaborer et à prendre des décisions
qui concernent sa santé.
De plus, le médecin du travail, de par sa fonction, est
un observateur privilégié des dérives managériales
et il entre dans sa compétence de canaliser voire d’enrayer
le mal-être au travail.
Le secret professionnel, auquel est assujetti le médecin
du travail, permet au salarié de se livrer sans avoir peur
d’éventuelles fuites auprès de la direction.
Cette discrétion souligne son indépendance qui est
généralement controversée au regard de son
statut de salarié.
Les médecins du travail alertent régulièrement
les pouvoirs publics sur les pathologies liées à la
menace de la perte d’emploi. Ils ont un rôle exclusivement
préventif, ils ne soignent pas mais écoutent et conseillent.
Depuis un certain nombre d'années, la violence au travail
et ses répercussions sur la santé font l'objet d'études
menées par les médecins du travail et les médecins
psychiatres. Ils témoignent des pathologies nouvelles qui
touchent aujourd'hui toutes les catégories de salariés:
de l'employé ou l'ouvrier, aux cadres. En outre, la psychopathologie
au travail s'est développée grâce aux observations
des médecins du travail et notamment autour du laboratoire
de psychopathologie du travail du Conservatoire des Arts, des Métiers
et des travaux de Christophe Dejours.
Depuis une dizaine d’années, l’écoute
clinique est devenue un moyen privilégié pour les
salariés en quête de compréhension et de remèdes
à leur souffrance. Les consultations “ souffrance et
travail ” deviennent un lieu d’épanchement. A
titre d’illustration, on peut mentionner les consultations
de l’Hôpital Raymond Poincaré de Garches ou encore
celles du centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre
ouvert en 1995. En effet, l’écoute clinique fait preuve
de disponibilité et prodigue des conseils qui ne basent pas
que sur des tableaux cliniques.
Les professionnels doivent circonscrire le contexte et les causes
du mal-être c’est-à-dire analyser les méthodes
organisationnelles et managériales en se penchant sur l’histoire
de l’entreprise et les changements opérés par
cette dernière. En effet, il est essentiel d’identifier
les points de rupture pour réhabiliter progressivement le
“ plaignant ” au monde du travail. Il est donc nécessaire
d’opérer un retour à la chronologie des événements
qui passe par des techniques de narration et d'écoute. Le
travail de restitution permet de faire prendre conscience au sujet
de l'installation du processus de violence. Il lui permet de comprendre
les mécanismes utilisés contre lui, de décoller
histoire au travail et histoire propre, de verbaliser des affects
réprimés, mais aussi de prendre conscience des voies
de dégagement de la situation d'impasse dans laquelle il
se trouve 99 .
C’est à dessein que l’on peut parler ici du
renforcement de l’information des salariés victimes
qui doit permettre de dépasser le sentiment d’incapacité
et d’auto-dévalorisation notamment dans le cadre du
harcèlement moral.
On peut également mentionner l’influence apaisante
des structures associatives, comme l’association “ Mots
pour Maux au Travail ” située à Paris, qui informent
sur les droits, accompagnent dans les démarches, orientent
vers les services spécialisés. Elles ont pour objectif
la reconnaissance de la victime et de ses droits, l’apaisement
des conflits et la lutte contre leur isolement.
L’entraide entre divers professionnels comme des psychologues
et des médecins, constitués en réseau, tente
de soulager les victimes de l’organisation du travail. La
mobilisation de plusieurs champs disciplinaires vise, en quelque
sorte, à élargir les approches pour davantage d’intelligibilité
des problèmes. De plus, il est urgent de responsabiliser
la société et les entreprises qui ont plus que concouru
à la dégradation de l’état psychique
des salariés
La nécessaire “ introspection ” et responsabilisation
des entreprises face au phénomène de souffrance au travail
L’entreprise est une actrice et une interlocutrice privilégiée
pour mettre en œuvre des actions de prévention mais
il semble que la protection de la santé mentale des salariés
ne soit pas toujours la préoccupation principale. En effet,
seulement 3% des salariés considèrent que leur entreprise
était d’abord préoccupée par leur bien-être
100 .
Le Plan Santé au travail, sur proposition de M Borloo, est
une incitation des entreprises à devenir acteurs de la santé
au travail. Toutefois, certaines entreprises persistent dans le
déni et le silence alors que d’autres tentent timidement
de changer la situation. Au contraire, d’autres firmes ont
ouverts les yeux et essayent de rendre le lieu de travail plus attrayant
ou de mettre en place divers services pour faciliter le salarié
comme des garderies. Parfois, des séjours au ski ou certaines
célébrations sont organisés pour “ décompresser
” et peuvent apparaître comme des moyens de tisser des
liens entre des salariés de plus en plus individualistes.
Toutefois, ces tentatives de cohésion ne sont pas suffisantes
pour remettre debout une “ communauté de travail ”
vacillante et torturée quotidiennement par l’idéologie
gestionnaire. Certaines entreprises permettent aux salariés
de faire des suggestions pour améliorer, par exemple, la
productivité et la qualité de vie au travail 101 et,
par ce biais, la sphère salariale devient protectrice de
son propre bien-être.
D’autres entreprises investissent, quant à elles,
de l’argent en proposant à leurs salariés des
stages de gestion du stress dont on peut déplorer l’impact
dérisoire sur le bien-être du salarié. En effet,
ces stages présentés comme un moyen de lutter contre
le stress sont, en réalité, un moyen de pousser les
salariés à “ doper ” leur performance.
Les sociétés “ pilotes ” qui ont fait
un pari sur l’investissement humain restent encore très
rares ce qui a tendance à faire une mauvaise publicité.
En effet, les entreprises face au suicide et à la souffrance
des salariés font généralement preuve de cécité,
surdité et mutisme. On peut mentionner le cas d’un
médecin du travail chez IBM, veillant sur santé 2100
salariés et quotidiennement témoin de souffrance,
qui alerte sa direction qui reste muette 102 .
De plus, la violence est un thème que les employeurs rechignent
à traiter car ils refusent d’admettre le problème.
Alors que 67% des salariés pensent que leur entreprise a
les moyens de diminuer le stress du personnel 57% estiment ne pas
avoir confiance en elle pour enrayer ce fléau. 103
Les entreprises doivent prendre conscience de l’étendue
du phénomène de souffrance au travail et fournir aux
salariés une aide technique voire un soutien “ affectif
” car il suffit parfois d’un peu d’attention,
de compliments, pour permettre à un individu vacillant sous
le poids du travail de reprendre pied. Le mutisme des directions
pousse parfois des médecins du travail à démissionner
: par exemple, des médecins de Poitou Charente et du Limousin
quittent l’entreprise pour déni de souffrance au travail
104 .
La sphère patronale doit valoriser la place du client en
cohérence avec le travail des salariés et doit entreprendre,
à l’instar des instances étatiques et des professionnels
de santé, une politique de prévention portant sur
la dégradation des relations entre les salariés, les
violences au travail, les harcèlements, les addictions (organisation
de soutien ou de stages de désensibilisation). Les efforts
doivent également se porter sur l’adéquation
entre exigences et compétences détenues par les salariés
tout en instaurant un parcours professionnel valorisé et
sécurisé. Les temps de formation doivent être
utilisés sans réticence et octroyés aux salariés
qui en ont réellement besoin. De plus, la rétribution
du salarié, qu’elle soit pécuniaire ou symbolique,
ne doit pas être négligée dans un souci de motivation
des “ troupes salariales ”. En effet, le stress ayant
pour but de “ pressuriser ” le salarié pour obtenir
de lui un meilleur rendement a comme effet paradoxal d’être
contre-productif. Les entreprises doivent également permettre
à la collectivité de travail de “ souffler ”
par exemple par la mise en place temps de récupération
et l’allongement de la pause “ réglementaire
”. La tendance à chronométrer les temps d’arrêt
de travail (temps de pause par exemple) place le salarié
dans un état de stress permanent comme s’il était
épier à chaque pas. L’entreprise pousse généralement
les salariés à travailler en équipe parfois
sous la direction d’un “ team leader ” pour canaliser
l’esprit compétitif et la mauvaise ambiance entre les
salariés. Toutefois, cette tentative de “ solidarisation
” n’est que purement superficielle voire artificielle
dans le sens où, parallèlement, elle pousse chaque
salarié au dépassement de soi. L’interdépendance
des tâches et des fonctions n’est pas suffisante pour
résorber l’individualisme croissant. Les entreprises
doivent donc repenser le travail d’équipe dans une
perspective cohérente c’est-à-dire encourager
réellement l’esprit d’équipe par la poursuite
d’un objectif commun et non provoquer la compétition
au sein d’un groupe de travailleurs notamment par des évaluations
individualisées. Il est également nécessaire
de repenser la question de l’évaluation au travail
dans un souci de rationalité. En effet, les activités
de production et de fabrication, dont le résultat est facilement
quantifiable, tombent en “ désuétude ”
et laisse de plus en plus la place à des activités
nouvelles axées sur les relations avec les clients et la
tertiarisation. Par conséquent, l’évolution
du marché du travail ne permet plus une aussi bonne visibilité
du rendement de chaque salarié notamment les commerciaux
dont la “ productivité ” est difficile à
évaluer. La visibilité de la contribution de chaque
salarié à la performance globale de l’entreprise
étant brouillée, les entreprises doivent évaluer
leur production avec des techniques appropriées aux évolutions
conjoncturelles.
En définitive, les entreprises doivent mener un véritable
chantier et une politique d’envergure pour éviter les
dérives managériales et donc la banalisation de la
souffrance au travail.
Conclusion
Préoccupante à bien des égards, la problématique
de la santé mentale au travail est devenue un véritable
enjeu de société. En ce sens, la psychodynamique du
travail est perçue comme l’instrument de révélation
et d’analyse de la souffrance au travail insufflée
par les nouvelles formes d’organisation du travail. Son analyse
est renforcée par maintes études épidémiologiques
mettant en exergue les conséquences de la nouvelle organisation
du travail
En effet, la santé psychique apparaît de plus en plus
menacée par l’organisation actuelle du travail et par
les choix managériaux “ rigides ” voire “
agressifs ” qui se banalisent et qui contaminent la vie du
salarié car “ le temps hors travail serait ni libre
ni vierge et constituerait un continuum du temps de travail ”
105 .
Les conditions de travail, tout autant que les relations socioprofessionnelles,
participent à la motivation et au bien-être des salariés.
De plus, la satisfaction au travail est un gage d’une meilleure
considération et de meilleure qualité de vie pour
les salariés mais aussi la “ prédiction ”
d’un meilleur rendement pour les entreprises.
La tentative d’appréhension des risques ne doit pas
induire une condamnation simpliste du système qui permet
et entretient les pratiques de pression car il faut que la souffrance
au travail fasse l’objet d’une prise de conscience collective.
De surcroît, il est nécessaire de faire barrage à
une approche instrumentale, utilitariste et comptable des rapports
entre les hommes sur le lieu de travail et “ d’insuffler
plus de proximité dans le management ” notamment afin
de “ remettre l’humain au cœur du système
” 106
La société et le droit du travail doivent porter
une attention toute particulière, entre autres questions,
à la prévention de la violence physique et psychologique
au travail, à la gestion individuelle et organisationnelle
du stress au travail, à l’évaluation des programmes
de prévention, et au retour au travail consécutif
à une “ lésion professionnelle ”.Un effort
concerté est donc sollicité pour mettre sur le devant
de la scène la nécessité de bien arrimer les
contributions des uns et des autres.
Il reste donc aux acteurs, qui interagissent dans la sphère
professionnelle, d’en prendre acte et de remédier, en
connaissance de cause, à ce phénomène de souffrance
grandissante au travail.
****************
I/ Le leitmotiv de la performance : un environnement concurrentiel
tentaculaire préjudiciable à la solidarité
professionnelle
A° Le refrain de la rentabilité et de la “ flexibilité
à outrance ” comme couperets sociaux
Le formatage comme prélude à la soumission : une
fidélisation “ sectaire ” ?
Le diktat de la performance et de l’excellence : l’apologie
du rendement au cœur du management contemporain
La flexibilisation nocive mettant à l’épreuve
l’adaptabilité : vers la polyvalence et le nomadisme
professionnel ?
La polémique de la mondialisation et du chômage accentuée
par une législation nationale “ consentante ”
à la fluidité du marché du travail
B° La montée des individualismes comme symptôme
d’une dégénérescence sociale
Le besoin viscéral de reconnaissance et de valorisation
comme dynamo sociale
La pratique insidieuse de la dévalorisation : vers une crise
identitaire latente ?
L’irruption des comportements déloyaux : vers la déstructuration
du “ vivre-ensemble ” ?
La décrépitude de l’esprit collectif comme
conséquence inhérente aux aspirations gestionnaires
II/ Les aspects délétères de la pression :
une “ instrumentalisation stigmatisante ” nocive à
l’état psychique de la sphère salariale
A° La figure prédatrice du management contemporain à
travers le spectre du harcèlement moral et la prolifération
de la violence
La prolifération de la violence au cœur des relations
humaines et professionnelles
Le harcèlement moral comme manifestation perverse de la
“ domination ”
La placardisation : vers une “ néantisation sociale
” des salariés marginaux ?
La délicate dénonciation entre tabou, silence et
peur des représailles : une complicité sous-jacente
?
B° L’omniprésence du stress et de l’urgence
dans la sphère professionnelle : une composante à
géométrie variable
L’intégration pernicieuse du facteur temps : le culte
de l’urgence et du compactable
L’angoisse face à un univers professionnel en mouvance
permanente : entre pamphlet et éloge du changement et du
progrès technique
Les polémiques autour d’un fléau contemporain
: entre effet dopant et effet toxique
Les “ pathologies du surmenage ” : une sphère
salariale consumée de l’intérieur
III/ La souffrance au travail comme épiphénomène
métamorphosé en affection médiatique : entre
analyse psychodynamique et prescriptions “ salvatrices ”
A° La recrudescence des “ dérives comportementales
” comme réponse mal-être ambiant
La transmutation de la pénibilité et ses effets sur
la “ cellule familiale ”
La fuite face à un univers professionnel à l’hostilité
grandissante
Les cataplasmes sociaux : entre effet placebo et effet annihilant
Les comportements suicidaires : une collectivité de travail
“ épuisée ” par des pratiques managériales
oppressantes
B° La lutte contre la souffrance au travail sous le prisme
d’une approche clinique et sociétale rénovée
L’insatisfaction au travail: vers l’obsolescence de
la notion d’amour au travail et l’augmentation de la
souffrance ?
La prévention et la pluridisciplinarité comme procédés
thérapeutiques adéquats : vers de “ nouveaux
préventeurs ” de la santé au travail ?
L’effet apaisant de l’écoute des ressentis :
entre prévention et réinsertion
La nécessaire “ introspection ” et responsabilisation
des entreprises face au phénomène de souffrance au
travail
Bibliographie
Livres
La société malade de la gestion de Vincent de Gaulejac
édité chez Seuil
Le stress au travail de Patrick Légeron édité
chez Odile Jacob Poches
L’Homme à l’échine pliée (réflexions
sur le stress professionnel) sous la direction d’Ingrid Brunstein
édité chez Desclée de Brouwer
La violence de l’excellence de Michel Monroy édité
chez Hommes et Perspectives
Travail, usure mentale de Christophe Dejours édité
chez Bayard
Souffrance en France de Christophe Dejours édité
chez Seuil en 1998
Conjurer la violence de Christophe Dejours
Placardisés : des exclus dans l’entreprise de Dominique
Lhulier édité chez Seuil en octobre 2002
Le mal-être au travail de Nicolas Combalbert et Catherine
Riquelme-Sénégou édité chez Presses
de la Renaissance
Le harcèlement moral de Ariane Bilheran
Prévenir le stress et les risques psychosociaux au travail
de Benjamin Sahler, Michel Berthet, Douillet (éditions réseau
ANACT)
Comprendre le travail pour le transformer de Guérin, Laville,
Daniellou,
Duraffourg, Kerguelen (éditions réseau ANACT)
Burn out : quand le travail rend malade du Docteur François
Bauman des éditions J. Lyon en 2006
Le travail : une chaîne sans fin de Frédéric
Tiberghien édité en 2001 chez LPM
Journal d’un médecin du travail (la souffrance au
travail) ” de Dorothée Ramaut
Le deuxième corps de Marie Grenier Pezé aux éditions
La Dispute
L’avenir du travail de Jacques Attali édité
chez Fayard
Le temps de la fatigue : la gestion sociale du mal-être au
travail de Marc Loriol
Le salarié de la Précarité de Serge Paugam
édité chez PUF édité chez Anthropos
en 2000
Putain d’Usine de Jean-Pierre Levaray édité
chez Agone
Carnets d’un inspecteur du travail de Gérard Filoche
édité chez Ramsay
Divers articles
Magazine “ Travail et changement ” de novembre 2004
: La prévention du stress d’origine professionnelle
(bimestriel du réseau ANACT pour l’amélioration
des conditions de travail)
Magazine “ Travail et changement ” de novembre 2002
: Les conditions de travail revisitées ? (rôle du CHSCT)
Magazine “ Travail et Changement ” de décembre
2002 : Spécialisation et polyvalence (les conditions de travail
passées au peigne fin)
Dossier Médico-Technique de l’INRS : stress et risques
psychosociaux : concepts et prévention
Article du journal des psychologues : La prévention du risque
organisationnel pour la santé physique et mentale au travail
de Jean-Claude Valette” n ° 224 de février 2005
Article du journal “Le Monde ” : le stress au travail
peut déclencher des troubles psychiatriques du 21 août
2007
Article de “ la semaine sociale Lamy ” de Pierre-Yves
Verkindt : Travail et santé mentale de 2003
Article INVS d’août 2007 : Prévalence des troubles
de santé mentale et conséquences sur l’activité
professionnelle en France dans l’enquête“Santé
mentale en population générale : images et réalités
Article Le suicide au travail : quels droits pour le salarié
victime ? de Patrick Morvan
Article La reconnaissance au travail : un art à développer
de Lucie Legault
Article Violences au travail par Fanny Guinochet paru dans le n°
86 de Liaisons sociales (novembre 2007)
Article L’entreprise à l’épreuve du suicide
par Anne-Cécile Geoffroy paru dans le n° 86 de Liaisons
sociales (novembre 2007)
Article sur des suicides dans un établissement hospitalier
de Roubaix de La voix du Nord du 17 Octobre 2007.
Témoignage d’un DRH de Renault dans le magazine Liaisons
sociales de Septembre 2007
Documentaires et émissions de télé
Lundi Investigation “ J’ai mal au Travail ”
“ Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés
”
“ Attention danger travail ” de Pierre Carles
Envoyé Spécial “ Le travail, peut-il tuer ?
”
Zone Interdite du 21 octobre 2007
Complément d’enquête sur la santé au
travail du 22 Octobre 2007 “ Travailler tue ”
Fascicules
Les cahiers de L’INTEFP “ la souffrance mentale au
travail ”
Fascicule INRS “ Et s’il y avait du stress dans votre
entreprise ? ” d’ octobre 2006
Fascicule INRS “ Stress au travail : les étapes d’une
démarche de prévention ” de juillet 2007
Fascicule INRS “ Stress et harcèlement moral : aperçu
réglementaire et jurisprudence ” de Novembre 2006
Fascicule INRS “ Harcèlement moral au travail ; généralités
et contexte français ” de janvier 2003
Fascicule ARACT Aquitaine “ Risques psychosociaux : stress,
mal-être, souffrance… ” (guide pour une démarche
de prévention pluridisciplinaire)
Fascicule ARACT Haute-Normandie “ La pénibilité
au travail ”
Rapports
Rapport du Ministère de la solidarité et de l’emploi
d’avril 2002 : “ l’évolution des métiers
en santé mentale : recommandations relatives aux modalités
de prise en charge de la souffrance psychique jusqu’au trouble
mental caractérisé ”
Thèses
Thèse de Loïc Lerouge “ la reconnaissance de
la santé mentale en droit du travail ”
Jurisprudence
Arrêt de la Cour de Cassation “ Nikon ” du 2
octobre 2001
Arrêt de la Cour de Cassation du 7 mai 2007
Arrêt de la Cour de Cassation du 17 mai 2005
Sites internet
Amest (Association Médecine et Santé au Travail de
Lille)
Anact
C dans l’air
Google (illustrations)
Inrs
Invs
Insee
Ipsos
Ligue française pour la santé mentale
Ministère du Travail, des Relations Sociales et de la Solidarité
Notes
1 P. Davèzes, 1991
2 Expression de Vincent de Gaulejac dans “ La société
malade de la gestion ”
3 “ J’ai mal au travail ”
4 Arrêt de la Cour de Cassation “ Nikon ” du 2 octobre
2001
5 Arrêt de la Cour de Cassation du 17 mai 2005
4 6 Arrêt de la Cour de Cassation du 7 mai 2007
7 “ L’homme à l’échine pliée
” sous la direction d’Ingrid Brunstein
8 “ La violence de l’excellence ” de Michel Monroy
9 “ La société malade de la gestion ” de
Vincent de Gaulejac
10 “ La société malade de la gestion ” de
Vincent de Gaulejac
11 Figaro économie du 30 août 2005
12 “ Le salarié et la précarité ”
de Serge Pagam
13 Contrat qui s’inspire du droit commercial où la volonté
des parties prévaut
14 Sociologue Guy Aznar
15 “ L’Avenir du Travail ” de Jacques Attali
16 “ Le stress au travail ” de Patrick Légéron
17 citation du rapport “ La sécurité de l’emploi.
Face aux défis des transformations économiques ”
du Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion
sociale (2005)
18 Pierret et Roustang 1994
19 “ Putain d’Usine ” de Jean-Pierre Levaray
20 Souffrance en France ” de Christophe Dejours
21 Article “ La reconnaissance au travail : un art à
développer ”
22 Documentaire “ J’ai mal au travail ” (“
mon diplôme c’est mon corps ”)
23 Théorie d’Akerlof
24 “ Le stress au travail ” de Patrick Légéron
25 “ Le mal-être au travail ” de Nicolas Combalbert
et Catherine Riquelme-Sénégou
26 “ La société malade de la gestion ” de
Vincent de Gauléjac
27 L’Homme à l’échine pliée ”
28 “ Placardisés : les exclus de l’entreprise ”
de
29 “ Souffrance en France ” de Christophe Dejours
30 Philosophe Allemand Axel Honneth,
31 “ Le deuxième corps ” de Marie Pezé
32 “ Placardisés : les exclus de l’entreprise ”
33 Documentaire “ J’ai mal au travail ”
34 “Souffrance en France ” de Christophe Dejours
35 “Souffrance en France ” de Christophe Dejours
36 “ Le deuxième corps ” de Marie Pezé
37 “ Journal d’un médecin du travail ” de
Dorothée Ramaut
38 Le travail, une chaîne sans fin ? ” de Frédéric
Tiberghien
39 “ Placardisés : les exclus de l’entreprise ”
de Dominique Lhulier
40 La Revue du praticien MG, tome 17, n°626 du 13/10/2003 et sondage
IPSOS in Rebondir
41 “ Le harcèlement moral ” de Ariane Bilheran
42 “ Travail, Usure mentale ” de Christophe Dejours
43 Analyse du Conseil Economique et Social de 2001
44 MF Hirigoyen
45 “ Placardisés : les exclus de l’entreprise ”
de Dominique Lhulier
46 Vu dans “ J’ai mal au travail ”
47 “ Placardisés : les exclus de l’entreprise ”
de Dominique Lhulier
48 “ Journal d’un médecin du travail ” de
Dorothée Ramaut
49 “ Journal d’un médecin du travail ” de
Dorothée Ramaut
50 “ Placardisés : les exclus de l’entreprise ”
de Dominique Lhulier
51 “ Placardisés : les exclus de l’entreprise ”
de Dominique Lhulier
52 “ Placardisés : les exclus de l’entreprise ”
de Dominique Lhulier
53 “ Travail, Usure mentale ” de Christophe Dejours
54 “ Harcèlement moral ” de MF Hirigoyen
55 “ Le harcèlement moral ” d’Ariane Bilheran
56 Sondage SOFRES- CFE/CG d’avril 2000
57 Données issues des enquêtes nationales " conditions
de travail " menées par la Dares
58 “ L’homme à l’échine pliée
” sous la direction d’Ingrid Brunstein
59 “ Le culte de l’urgence ” de Nicole Aubert (2003)
60 Etudes de la fondation de Dublin 2001
61 “ Le stress au travail ” de Patrick Légéron
62 “ Le stress au travail ” de Patrick Légéron
63 “ Le stress au travail ” de Patrick Légéron
64 Shumpeter
65 “ L’homme à l’échine pliée
” sous la direction d’Ingrid Brunstein
66 “ Le stress au travail ” de Patrick Légéron
67 Enquête IFOP d’octobre 98
68 “ Le mal-être au travail ” de Nicolas Combalbert
et Catherine Riquelme-Sénégou
69 Institut de l’anxiété et du stress 2002
70 “ Prévenir le stress et les risques psychosociaux
au travail ” de Benjamin Sahler,Michel Berthet, Douillet
71 Vu dans l’émission “ Complément d’enquête
: travailler tue ” du 22 Octobre 2007
72 “ Burn-out , quand le travail rend malade ” du Docteur
François Bauman
73 “ Burn-out, quand le travail rend malade ” du Docteur
François Bauman
74 Rapport du BIT de 1998
75 “ Le stress au travail ” de Patrick Légéron
76 “ Le stress au travail ” de Patrick Légéron
77 Article “ Violences au travail ” de Fanny Guinocher
: Laisons sociales de Novembre 2007
78 “ Le harcèlement moral ” de Ariane Bilheran
79 Chiffres de l’industrie pharmaceutique
80 Une enquête sur les pratiques addictives en entreprise réalisée
par l’A.N.P.A.A et l’INPES avec la participation de l’ANDCP
81 “ Burn out ; quand le travail rend malade ” du Docteur
François Bauman
82 “ Journal d’un médecin du travail ” de
Dorothée Ramaut
83 “ Le stress au travail ” de Patrick Légéron
84 “ Travail, Usure mentale ” de Christophe Dejours
85 “ Le stress au travail ” de Patrick Légéron
86 Christian Baudelot et Roger Establet, sociologues
87 Emission “ Complément d’enquête ”
du 22 octobre 2007
88 Article de “ la voix du Nord ” du 17 octobre 2007.
89 C. Baudelot, M. Gollac, “ Travailler pour être heureux
? ” Fayard, 2003
90 “ Putain d’Usine ” de Jean-Pierre Levaray
91 “ Travail Usure mentale ” de Christophe Dejours
92 A Routtenberg “ the reward system of the Brain ”
93 “ Travail, usure mentale ” de Christophe Dejours
94 Enquêtes Ipsos
95 “ Prévenir le stress et les risques psychosociaux
au travail ” de Benjamin Sahler, Michel Berthet, Douillet
96 Patrick Légéron intervient dans ce cabinet nommé
“ stimulus ”
97 Philippe Davezies
98 Neumann
99 Opinion de Marie Pezé
100 Sondage IPSOS le Nouvel Economiste n°1174 du 20 avril 2001
101 Par exemple, les “ déclics ” de Peugeot qui
sont des suggestions des salariés pour aménager le lieu
de travail
102 Vu dans l’émission “ Complément d’enquête
: travailler tue ” du 22 Octobre 2007
103 Enquête Liaisons sociales, Manpower –CSA sept 2000
104 Vu au Journal de France 3
105 “ Travail, usure mentale ” de Christophe Dejours
106 Interview d’un DRH de Renault, Liaisons sociales de Septembre
2007
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