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Quelques notes sur les femmes sorcières puis infirmières ...


Cet ensemble de document a été rassemblé pour donner une idée de ce que le livre de Barbra Ehrenreich (The Hearts of Men) et Deirdre English, publié aux Éditions du remue-ménage (Montréal): "Sorcières, sages-femmes et infirmières", abordait. Le lien qui contenait la note de lecture de Martin Dufreesne n'existe plus. Le thème étant : des sorcières aux infirmières !
Il était une fois...
Le Mouvement pour la santé des femmes


Si l’histoire des femmes et du Mouvement pour la santé des femmes avait été écrite, elle commencerait probablement par «il y a de cela très très longtemps...»; car enfin, les femmes ne se sont pas improvisées expertes en santé, elles l’ont toujours été!...

On trouve en effet, à travers les âges et dans presque toutes les sociétés, la présence de femmes qui soignaient et guérissaient. Associées au symbole de fécondité et considérées comme responsables de la reproduction, les femmes ont toujours été proches des manifestations de la vie et de la mort; elles ont acquis tout un savoir concernant l’alimentation, la grossesse, l’accouchement, la contraception, l’avortement, l’hygiène et les soins du corps.

Ces femmes avaient une approche empirique de la santé, c’est-à-dire un savoir basé sur l’expérience plutôt que sur la théorie. Elles se sont, depuis l’Antiquité où elles étaient prêtresses, formées au contact les unes des autres, transmis leurs connaissances oralement, de mère en fille, de voisine à voisine. Les origines des potions-santé, léguées de la même façon par nos grand-mères et arrière-grand-mères remontent, sait-on vraiment, jusqu’où?

Ces prêtresses de l’Antiquité, sorcières ou sages-femmes du Moyen Âge, avaient du pouvoir et l’exerçaient; s’il n’était pas officiel (politique), ce pouvoir non hiérarchique n’en était pas moins important: respectées par la communauté, perçues comme sages, on les consultait volontiers sur des questions de la vie courante. Leur engagement social se réflétait par ailleurs dans leur participation aux assemblées populaires où leur opinion comptait. Le plus souvent autonomes, elles étaient, et de loin, l’antithèse de l’image idéalisée de la femme (soumise, dépendante, dénuée d’objectivité, etc.).

Les choses changeront cependant au cours de l’Histoire. L’institutionnalisation de la famille et, plus tard, l’avènement du christianisme, feront perdre aux prêtresses leur place et leur pouvoir. Associées au culte de la Déesse, aux rituels de la nature, bref, à tout ce qui participait de la culture païenne, ces femmes entraient en contradiction avec le système d’autorité le plus important: l’ordre religieux. Quant aux sorcières, nos «prêtresses du Moyen Âge», elles seront vues comme les rivales des prêtres, la sorcellerie étant aussi reliée aux rites païens.

La chasse aux sorcières sera le fruit d’une association entre l’Église, l’État et le corps médical.

Il faut se rappeler que l’Église catholique occupait, au Moyen Âge, une place prépondérante dans la société; elle dominait, on n’en discutait pas, tout comme on ne remettait pas en question le sexisme de son discours: «Une femme qui pense seule pense au mal» écrivait-elle. Ce sera là l’un des principes de l’Église et sa «contribution» à l’oppression spécifique faite aux femmes...

À l’opposé des sorcières qui travaillaient de façon intuitive et objective, par l’observation, l’expérimentation, par essais et par erreurs, l’église, qui se méfiait de toute manifestation reliée à l’utilisation des sens, avait une attitude complètement anti-empirique. Elle ne voyait pas l’intérêt de chercher les lois physiques ou naturelles de tel ou tel phénomène puisque Dieu était partout, qu’il exerçait sa volonté à tout moment; ce qui nous arrivait était simplement ce qui devait nous arriver, ce que nous méritions. L’esprit de recherche des sorcières entrait en contradiction directe avec le fatalisme de l’Église.

Même les bons traitements des sorcières étaient perçus comme une menace; car enfin, si elles pouvaient utiliser leur savoir et leur pouvoir pour faire le bien, elles risquaient aussi de les utiliser de façon maléfique, à l’encontre de l’Église, contre Dieu et l’ordre établi! Ainsi la magie, considérée par l’Église comme aussi efficace que la prière, représentait un danger; la prière, au moins, était sous son contrôle.

L’État s’inquiétait pour sa part des liens de solidarité qui se créaient entre les paysans attirés par les rassemblements des sorcières. Craignant une éventuelle révolte, il s’associera spontanément à l’Église dans la chasse aux sorcières. Quant au pouvoir médical - les médecins «professionnels» issus de la classe privilégiée qui avaient pu se payer une formation académique interdite aux femmes - il entérinera aussi le discours de l’église. C’était dans l’intérêt des médecins: déjà rétribués par la classe dirigeante qu’ils soignaient, ils désiraient avant tout conserver leur place et leurs privilèges.

Ainsi, en quelques quatre siècles, les femmes soignantes, sorcières ou sages-femmes verront leur pouvoir réduit à néant, leur savoir nié et leurs pratiques interdites. Elles seront tuées par milliers, victimes d’une oppression qui continuera de se manifester à l’égard des femmes par le sexisme des institutions, la professionnalisation de la médecine et, dès le XIXe siècle, par la médicalisaiton dont elles seront l’objet.

Le Mouvement pour la santé des femmes, qui se créera bien des années plus tard, apportera, par son approche féministe et ses alternatives, une réponse claire à l’oppression historique subie par les femmes.

Marleen Provençal

Note: ce texte s’inspire en grande partie d’un ouvrage passionnant publié aux Éditions du Remue-ménage en 1983: Sorcières, sages-femmes et infirmières, Une histoire des femmes et de la médecine, par Barbara Ehrenreich et Deirdre English, traduit de l’américain par Lorraine Brown et Catherine Germain.

présentation faite dans cette publication :
Sans Préjudice... pour la santé des femmes - printemps 1996 - numéro 10

Le lien d'origine : http://www.rqasf.qc.ca/sp/sp10_01.html
Autre extrait qui se réfère au livre : Sorcières, sages-femmes et infirmières, Une histoire des femmes et de la médecine, par Barbara Ehrenreich et Deirdre English, traduit de l’américain par Lorraine Brown et Catherine Germain.

Florence Nightingale

Elle est née le 12 mai 1820 et doit son nom à la cité italienne où elle vit le jour. Florence ne ressemblait pas vraiment aux autres membres de sa famille. Elle n'avait pas réellement le tempérament de son père, William Edward Nightingale, par contre, elle avait son génie. Elle ne ressemblait pas non plus à sa magnifique maman Fanny dont la plus grande ambition était de "briller en société". Sa soeur Parthenope ne partageait avec sa soeur qu'un talent : le pouvoir de devenir malade quand elle était contrariée. Elle voulait asservir Florence, comme Florence voulut plus tard asservir les autres. Il y avait un amour du pouvoir chez les femmes de la famille Nightingale.

En 1838, les parents amenèrent leurs deux filles vivre à l'étranger, Florence étant destinée, semble-t-il à répondre à l'appel matrimonial avec un succès spectaculaire. Grande, svelte, avec une peau blanche, des yeux gris pétillants et une magnifique chevelure chatain clair, elle aurait été parfaite pour accompagner n'importe quel homme public sur le chemin de la gloire et de la fortune. Mais Florence avait besoin d'autres occupations que broder et jouer des quadrilles au piano. Elle convainquit sa mère de lui laisser suivre des cours de mathématiques qui firent d'elle plus tard une spécialiste en statistiques.

La misère causée par la famine des anées 40 en Angleterre, lui fit réaliser au moins que sa vocation se situait quelque part entre les pauvres et les opprimés. Ceci était évident depuis sa visite dans les quartiers défavorisés autour des établissements de son père dans le Hampshire. Fanny offrait de la soupe et un peu d'argent aux déshérités mais elle craignait l'infection, et Florence n'avait la permission que des visites conventionnelles de la "dame de bienfaisance". Il lui était défendu d'entrer dans les maisons quand le besoin était le plus grand car elle aurait pu elle-même tomber malade. Ce fut après son 24e anniversaire qu'elle découvrit sa vraie vocation. Néanmoins, il y eut encore neuf ans à attendre. Le grand délai entre 1844 et son actuel nursing peut être en partie dû à l'inquiétude de Miss Nightingale. Elle décida donc d'investir toutes ses énergies dans le soin des malades parce que c'était une occupation "naturelle" et acceptable pour une femme de son rang et de sa classe.

Au début du XIXe siècle, une "infirmière"était simplement une femme qui s'occupait d'un malade, son enfant ou un proche parent. Il y avait des infirmières dans les hôpitaux mais les hôpitaux à cette époque étaient plutôt des refuges où allaient mourir les pauvres et les soins comme tels n'existaient guère. Pour améliorer les soins hospitaliers, il fallait d'abord transformer le métier d'infirmière et pour rendre ce métier acceptable aux médecins et aux femmes de "bonne réputation", il fallait montrer une autre image au public. Florence Nightingale mit sa marque dans les hôpitaux du front durant la guerre de Crimée. Elle remplaç ait les vieilles cantinières par des femmes d'âge mûr, disciplinées et sobres.

La nouvelle infirmière se dévouant corps et âme au chevet des blessés capta l'imagination populaire. De véritables écoles d'infirmières ouvrirent leurs portes en Angleterre après la guerre de Crimée. Les étudiants en médecine avaient besoin de bons hôpitaux pour leurs études; les bons hôpitaux (les médecins s'en rendaient de plus en plus compte) avaient besoin de bonnes infirmières.

Au début, les médecins étaient un peu sceptiques vis-à-vis des émules de Florence Nightingale, il s'agissait peut-être d'un nouvel essai des femmes pour s'infiltrer dans la médecine. Mais ils furent bien vite conquis par l'obéissance aveugle des nouvelles infrmières (Nightingale était quelque peu obsédée sur ce point). Quand elle arriva en Crimée avec ses nouvelles recrues, les médecins les ignorèrent complètement. En dépit des milliers de soldats malades ou blessés, Nightingale ordonna alors à ses infirmières de ne plus lever le petit doigt tant et aussi longtemps que les médecins n'en donneraient pas l'ordre. Impressionnés, ceux-ci eurent vite fait de revenir sur leur décision. Pour nos médecins du XIXe siècle, attaqués de toutes parts, les infirmières étaient des envoyées de Dieu.

Même aujourd'hui, un siècle plus tard, en dépit de plusieurs études et recommandations pour améliorer le statut des infirmières, la société tend à percevoir le Nursing et les infirmières telles qu'elles étaient initialement.

En 1859, Miss Nightingale écrivit pour ses étudiantes :"Les éléments qui constituent un bon Nursing sont autant la compréhension de la santé que de la maladie". C'est ce genre de philosophie qui contribua à établir la profonde influence de Miss Nightingale sur le Nursing. Ses idées sur la formation Nursing furent connues comme le "système Nightingale". Elle croyait que les infirmières devaient recevoir leur éducation dans des hôpitaux où on dispensait une formation médicale et que la formation devait comprendre de la théorie et de la pratique.

Florence développa une maladie durant la guerre de Crimée qui la laissa semi-invalide pour le reste de sa vie. Elle prit le lit à l'âge de 37 ans et le garda par longs intervalles durant 55 ans. Elle mourut en 1910 à l'âge de 90 ans.

En 1873, le Système Nightingale pour la formation des infirmières fut adopté aux États-Unis.

 Extraits de :

"Eminent Victorian Women" de E. Longford " et de "Sorcières, sages-femmes et infirmières" de B. Ehrenreich et D. English


Le lien d'origine :http://www.vertpomme.net/pages/nursing_en_folie/ a_florence_nightingale.htm
La médecine familiale, les sages-femmes et infirmières

«Pendant des siècles, les femmes ont été des médecins autodidactes sans diplômes; n'ayant pas accès aux livres et aux cours, elles firent elles-mêmes leur propre enseignement, se transmettant leur expérience de voisine à voisine, de mère à fille. Le peuple les appelait "femmes sages" alors que les autorités les traitaient de sorcières et de charlatans. Pour nous les femmes, la médecine fait partie de notre héritage, de notre histoire, elle est en fait presque notre droit légitime.»1

Au début de Moyen-Âge, il n'y a pas de science médicale établie; les soins aux malades sont fournis par les guérisseurs et les guérisseuses du village. Chez les Autochtones d'Amérique du Nord, c'est généralement le «chaman» ou «medecine man» qui soigne les malades de la tribu. Chez les Blancs et plus tard chez the Métis, le rôle de guérisseur est généralement réservé aux femmes. Au fur et à mesure que la médecine se développe, les hommes s'accaparent de plus en plus le droit à la pratique de la médecine. Si bien qu'aujourd'hui, 93 % des médecins, en Amérique du Nord, sont des hommes.

La médecine a toutefois évolué depuis anciennes pratiques familiales. Dans bien des cas, les remèdes d'aujourd'hui ont été découverts autrefois par des femmes: «Elles furent pharmaciennes, cultivant les plantes médicinales et échangeant entre elles les secrets de leurs divers usages. Elles furent aussi sages-femmes, voyageant de maison en maison, de village en village.»2

Au Moyen-Âge, une nouvelle classe médicale masculine apparaît en Europe. Celle-ci est adoptée par la classe dirigeante qui est constituée d'hommes. C'est à ce moment que cette classe dirigeante se lance à la chasse aux sorcières: «... parce que l'Église médiévale, avec l'appui des rois, des princes et des autorités civiles, contrôlait l'enseignement et la pratique médicale. L'Inquisition (la chasse eux sorcières) constitue, entre autres choses, un des premiers exemples de l'opposition du professionnel à admettre les capacités et le droit des non-professionnels de soigner les pauvres.»3

La chasse aux sorcières était donc, selon cet auteur, une façon pour les professionnels (hommes) d'interdire aux non-professionnels (femmes) de pratiquer la médecine auprès des pauvres. Cette chasse aux sorcières commence au XIVe siècle et se poursuit pendant quatre cents ans jusqu'au XVIIe siècle. Des milliers de femmes sont brûlées sur des bûchers comme sorcières tout simplement parce qu'elles ont osé pratiquer la médecine.

Aujourd'hui, dans le milieu médical, la femme se voit souvent réduite à un rôle secondaire: celui d'infirmière. Malgré cela, les femmes constituent toujours environ 70 % des travailleurs de la santé: infirmières, aides-infirmières et diététiciennes.

Mais entre la fin de la chasse aux sorcières du XVIIe siècle et aujourd'hui, les femmes ont continué à exercer leur rôle de guérisseuses auprès des pauvres. C'est le cas au Canada français.

Les sages-femmes en Nouvelle-France

En Nouvelle-France, la sage-femme n'est pas considérée comme une sorcière mais plutôt elle fait partie intégrante de la communauté. Puisque la plupart des colons établis le long du Saint-Laurent sont pauvres et que les services du médecin sont chers, c'est la sage-femme qui s'occupe des naissances et des autres besoins médicaux des Canadiens français.

À cette époque, avant la naissance de l'enfant, la sage-femme a conseillé à la mère d'observer toute une série de rites afin que son bébé naisse en bonne santé. Une série de tabous oblige la mère a être très prudente durant sa grossesse. Elle doit éviter de porter un collier autour de cou, sinon le bébé sera étranglé par le cordon ombilical à la naissance. Mère, père et enfants doivent éviter de bercer le «ber» vide sinon l'enfant sera mort-né. Et, à tout prix, la mère doit éviter de voir un animal mort sinon son enfant sera infirme ou il naître avec le visage d'un monstre.4

D'autre part, si la femme prie Sainte-Gérard-Majella, patronne des femmes enceintes, si elle porte une ceinture d'étoffe ou de laine autour de sa taille et si elle médite pendant la naissance, tout ira bien.

Lorsque le moment de la naissance arrive, le père va chercher la sage-femme. S'il y a d'autres enfants dans la famille, on les envoie chez un voisin. En Nouvelle-France, à cette époque, on n'explique pas aux petits enfants d'où viennent les bébés; on leur raconte des histoires comme «c'est le docteur qui avait laissé le bébé, ou on l'avait trouvé sur le perron ou dans le jardin, ou encore des corneilles l'avait laissé tomber du ciel.»5 Mais, très souvent, puisque la mère doit rester au lit plusieurs jours après la naissance, on dit aux enfants que les Indiens ont attaqué, qu'ils ont battu la mère et que, surprise, ils ont laissé un petit frère ou petite soeur.6

Les superstitions ne semblent pas manquer à cette époque. Les croyances et les superstitions de l'époque en Nouvelle-France et en Acadie donnent naissance à une série de remèdes ou de cures qui sont souvent remis en question de nos jours.7

Parmi ces remèdes et cures douteux transmis par nos ancêtres québécois et acadiens, on retrouve la liste suivante.

Rhumatisme:
Remède québécois: Frictionner avec de l'huile de bête puante;
Remède acadien: Porter une patate crue dans sa poche.

Coqueluche:
Remède québécois: Demander à votre plus proche parent de vous donner un aliment par charité, sans lui dire pourquoi.
Remède acadien: Contre la coqueluche, faire tremper des crottes de brebis et boire l'eau.

Jaunisse:
Remède québécois: Manger des poux en nombre impair.
Remède acadien: Boire sa propre urine.

À cette époque, il y a même des croyances qui permettent d'éviter des malchances. Comment peut-on éviter de devenir bossu? «Pour combattre la malchance qui accompagne la rencontre d'un bossu du même sexe que soi, il faut cracher par terre avant d'être vu par le bossu. Si cela est impossible, tant pire.» Que doit-on faire si une personne est ensorcelée? «Pour désensorceler, faire brûler une chandelle bénite sur le ventre de la personne ensorcelée.» Comment peut-on se débarrasser du hoquet? «Lorsque vous avez le hoquet, pensez à celui ou à celle que vous épouserez; le hoquet s'arrêtera.»8

Par contre, grâce à chacune de ces superstitions, on développe des remèdes utiles. Les femmes apprennent à cueillir les plantes et les feuilles dans les forêts pour la préparation de remèdes pour la famille. Cette tradition de cueillette de plantes accompagne les femmes de l'Ouest canadien de la fin du XIXe siècle au début de XXe.

Le lien d'origine : http://www.sasked.gov.sk.ca/docs/francais/fransk/schumaines/8e/unite4/doc4g1.html

NOTE DE LECTURE
MICHEL POISSON - Origines républicaines d'un modèle infirmier, les éditions hospitalières 1998
152p. 135F

* Le legs de Désiré Bourneville à la profession infirmière
En France, la constitution de la profession d'infirmière s'est amorcée à la fin du 19ème siècle, grâce à l'influence et l'engagement de quelques personnes, dont le docteur Bourneville. Celui-ci dans le contexte politique et social trouble des années 1870 à 1900, a en effet largement contribué à favoriser l'émergence de la profession infirmière en tant que telle, grâce à son action en faveur de la création d'écoles d'infirmières et à la laïcisation de l'Assistance publique de Paris. Présentation, par Marie-Françoise Collière, ethno-historienne des soins infirmiers, (Lyon), de l'ouvrage de Michel Poisson consacré à cet homme (9).

Quel regard porter sur le legs laissé à la profession infirmière par un certain Désiré Magloire Bourneville? Telle est l'une des questions auxquelles s'attache le récent ouvrage de Michel Poisson : Origines républicaines d'un modèle infirmier 1870 - 1900). Investir le champ de l'histoire pour éclairer la situation actuelle, c'est ce que se propose de faire l'auteur, contribuant ainsi à restaurer un pan de la mémoire du corps infirmier, afin de la confronter au présent.

Une identité floue
Force, en effet, lui est de constater qu'à l'aube du 21ème siècle, la profession infirmière qui doit sa titularisation et l'acquisition de son statut professionnel à la formation, demeure toujours en quête d'identité, comme ont pu en témoigner les mouvements de la Coordination infirmière de 1988 et de 1991. L'identité de la profession est-elle l'identité de sa fonction? De sa prestation? Des soins infirmiers? Ou bien encore, marque d'un archaïsme toujours prégnant, d'une identification sexué "à la mère, à la sour", qui se serait imposée grâce au modèle laïc et républicain de la formation, dont le Docteur Bourneville fut le créateur et l'ardent défenseur? Telle est la question majeure qui travers le livre.

La république conquérante
Par cet ouvrage, aboutissement d'un long et patient travail de recherche dans les archives de l'Assistance publique de Paris et les publications médicales de l'époque, Michel Poisson dégage une séquence de l'histoire de la profession en remettant en scène, de façon très vivante, l'un des principaux acteurs de la laïcisation de l'hôpital et l'une des personnalités particulièrement influentes sur l'émergence du mouvement de professionnalisation qui prit naissance , en France , au lendemain de la Commune de Paris.
Tout l'art de l'auteur est d'appréhender et de révéler les liens étroits entre la personnalité de cet officier de santé devenu médecin et la conjoncture technologique et sociopolitique qui inspira ses projets. Avant de s'attacher à l'homme qui fut l'inspirateur et l'instigateur de la circulaire du 28 octobre 1902 faisant obligation absolue de créer des écoles d'infirmières dans toute ville dotée d'une faculté ou d'une école de médecine, Michel Poisson situe le décor de "la république conquérante" qui mène d'un même combat l'instauration de l'école laïque, gratuite et obligatoire et la laïcisation de l'assistance et des soins aux malades, deux objectifs sur lesquels s'appuiera constamment Désiré Bourneville, ce "médecin novateur dans le domaine de l'hygiène, de la santé publique, de la neurologie, de la santé mentale, notamment de la neuropsychiatrie infantile".

La laïcisation de l'Assistance publique
Très fasciné par "cet homme de combat, de terrain, avant d'être un homme de carrière", qu'est ce républicain radical, de surcroît journaliste militant, l'auteur montre comment ce politicien actif ouvre pour la laïcisation des hôpitaux de l'Assistance publique, sans avoir imaginé que la plus grande hostilité qu'il rencontrerait dans cette entreprise viendrait de la bataille que se livraient ses confrères partisans ou adversaires de l'antisepsie et de l'asepsie, fussent-ils de fervents anticléricaux. C'est dans ce climat que Michel Poisson décrit la mise en place progressive des premières écoles de l'assistance destinées aux infirmières (la Salpêtrière en 1878, la Pitié en 1881, Lariboisière en 1895) et aux infirmiers (Bicêtre en 1878). Ces écoles sont conçus à deux niveaux: l'école primaire, tout d'abord, où l'on découvre, non sans étonnement, comment les élèves apprennent à lire et à écrire à partir de manuels traduits de l'anglais, distillant les attitudes et les comportements d'obéissance et de subordination qu'ils doivent acquérir, tandis que l'école professionnelle, ensuite, leur inculque le savoir qui leur est concédé pour "mieux servir le médecin" ou répondre aux exigences de l'administration. c'est sur la base de principes transmis par les écrits des manuels que se modèle l'enseignement pratique, enseignement qui ne consiste pas à découvrir, et encore moins à questionner, mais uniquement à appliquer. Il n'arrive d'ailleurs qu'après une année de formation théorique.

On est là devant une fracture totale d'avec l'acquisition et la transmission des savoir empiriques acquis par la tradition orale. Cet enseignement à partir de manuels, se faisant de l'écrit le réfèrent majeur, exclut l'expérience au profit d'un raisonnement qui, pour se vouloir scientifique, relègue le ressenti, toute émotion étant considérée comme un tabou. (13) En dépit de ces avancées pour mettre en place et faire reconnaître la formation, ce n'est pas sans difficulté, ni sans combats de haute lutte, tant avec ses pairs qu'avec l'administration, que ce républicain loyaliste accomplit la mission dont il se sent investit: soustraire le personnel "secondaire" ou "inférieur" à son statut de tâcheron pour l'élever à un statut d'auxiliaire du médecin en le faisant accéder aux rudiments d'un savoir se voulant rationnel et scientifique.
Telle est la tâche arrassante que s'est proposée d'accomplir durant plus de 20 ans, contre vents et marées, le docteur Bourneville, tâche que Michel Poisson nous invite à redécouvrir avec grand intérêt, pour annoncer en dernière partie un questionnement sur le regard que Bourneville porte, en 1900, sur cette profession dont "il a taillé le profil à coups de scalpel".
Toutefois, en arrivant à cette troisième partie, le regard que pourrait porter Bourneville se dissipe, s'estompe, pour laisser place à la question qui traverse l'ouvrage: d'où vient à Bourneville "la volonté sans cesse répétée de féminiser la fonction qu'il entendait promouvoir".

La féminisation de la profession.
Pour y répondre, Michel poisson tente de confronter "l'inaccessible modèle infirmier anglais" (à partir des textes de l'époque, retrouvées dans le fonds fossoyeux), aux "quelques raisons socioculturelles" ayant pu introduire le profil infirmier esquissé par Bourneville en faveur "d'une fonction infirmière qui se féminise". En d'autres termes, Michel poisson cherche à clarifier ce qui aurait motivé Bourneville à développer une formation qui, après 1878 n'aurait plus tenu compte de la mixité homme-femme du personnel de l'AP pour privilégier la féminisation de la profession.
Cette question demande, en effet, qu'on y prête attention, car à y regarder de plus près, on peut se demander si Bourneville s'est laissé entraîner vers la féminisation du métier ou s'il n'a pas ajusté son projet à ce qui s'inscrivait dans un courant qui s'imposait, en dépit de l'étanchéité de l'institution hospitalière, que ce soit en France ou en Angleterre, même si la conjoncture et les modalités étaient fort différentes. Ce courant était issu de plusieurs provenance, dont l'une avait traversé le siècle et concernait tous les soins que prodiguaient ces femmes (gardes, gardes en couches, gardes malades), avec des savoir transmis par tradition orale et a fortiori sans diplôme, échappant à tout contrôle médical.

C'est essentiellement pour elles que furent écrits les premiers manuels et conçus les premiers projets de cours, (12) afin non seulement d'instruire, mais aussi de contrôler davantage "ces Eusculapes en jupons" comme le réitèrent avec instance les docteurs Fodéré et Marc. Le docteur Bourneville ne pouvait ignorer que ce qu'il instaurait à l'intérieur de l'hôpital se devait de rejoindre ce qui commençait à s'opérer à l'extérieur pour canaliser les gardes malades, à l'instar des sages-femmes. Le titre donné à la première édition en 1878 de son "Manuel pratique de la garde malade" en atteste.
Une autre provenance était Angleterre, mais non par rapport à un long passé de nurses au sein des hôpitaux anglais, comme le suggère l'auteur. les "warehouses", comparables à l'hôpital du grand renfermement, avaient tout comme en France, leur personnel "secondaire", constitué en majorité d'hommes avant que n'y pénètrent quelques nurses. Ce changement s'est imposé de l'extérieur, à la suite de l'innovation opérée par Florence Nightingale à Scutari, (10) osant introduire des femmes dans l'armée pour soigner les blessés, chose jusqu'alors impensable.
A Scutari, en effet, en pleine guerre de Crimée (1855), Florence Nightingale attesta du caractère indispensable de ces soins, essentiels au maintien et au recouvrement de la vie, soins dont les femmes détenaient une longue expérience de par la nécessité des soins aux enfants. Les résultats obtenus à Scutari suscitèrent d'autres tentatives dans les armées britanniques, et aussi en France avec la Société de secours aux blessés militaires fondée en 1866 et durant le Commune de Paris avec l'Union des femmes pour la défense de Paris et des soins aux blessés - organisations que n'a pas pu ignorer le docteur Bourneville. Au-delà des armées, les constations faites à partir de Scutari motivèrent la publication de "Notes on Nursing" (1859) (11) et la pénétration dans les hôpitaux et les institutions d'assistance de nurses ayant reçu une formation au nursing, afin d'améliorer les conditions de vie déplorables de ceux qui y séjournaient.
Ce nursing, que Florence Nightingale tente d'expliciter pour la première fois dans un essai écrit, et qui n'a rien à voir avec un manuel, est inspiré du courant hygiéniste de l'époque, tout autant qu'il emprunte aux savoir empiriques des femmes. Prenant racine dans ce legs des sages femmes qui gardèrent beaucoup plus longtemps qu'en France une maîtrise de leur art, le nursing se distingue de la médecine, avec laquelle on ne saurait le confondre. On peut ainsi se rendre compte de la méprise de cet auteur d'un article du Progrès médical, mentionné par Michel Poisson, lorsqu'il traduit "nursing" par "infirmat" et en fait une branche de l'art médical, ce qui indique une méconnaissance totale de la conception qui inspire le nursing, tout au moins à ses débuts, pour connaître ensuite toutes sortes de dérives.

L'histoire d'un rendez-vous manqué
Alors, le projet de formation du personnel infirmier des hôpitaux aurait-il été, pour Désiré Magloire Bourneville "l'histoire d'un rendez-vous manqué avec les femmes", comme le suggère l'auteur? ou est-ce un rendez-vous manqué avec ces savoir des soins dont l'expérience acquise par les femmes est exclue et reléguée, dépossédées qu'elles sont de leur parole tandis qu'elles doivent faire allégeance, par soumission, à celui qui est investi de la pensée, de la raison et qui détient le pouvoir de l'écrit: le médecin?

En apportant un remarquable éclairage sur l'influence majeure qu'a eu le docteur Bourneville sur le devenir de la profession infirmière en France, nourrie d'une vision à la fois émancipatrice pour la classe laborieuse des hôpitaux, mais en même temps réductrice de toute initiative, de tout élan, de tout questionnement, Michel Poisson convie le lecteur à réfléchir sur le rapport des genres existant dans les situations des soins. Il invite à se poser la question de l'impact identitaire résultant des acteurs hommes et / ou femmes - tant par rapport au (à la) soigné (ée) qu'au (à la) soignant (e) - et du patrimoine de savoir reconnus ou non, ou écartés, qu'apporte l'un ou l'autre sexe dans le domaine des soins. Cet aspect de ce travail incite à la réflexion.


Sources
(1) EHRENREICH S. ENGLISH A. - Sorcières, sages-femmes, infirmières - TempsModernes 1977
(2) Y. KNIBIELHLER - Cornettes et blouses blanches : les infirmières dans la société française, 1880-1980 - Hachette édi. Paris 1984
(3) LEROUX-HIGON V. - L'infirmière au début du 20e siècle : nouveauxmétiers et tâches traditionnelles. - Mouvement Soc. 1987 n° 140 (n° spécial: métier de femmes)
(4) WACJMAN C. - Quelques éléments sur Désiré Magloire Bourneville -Frénésie 1987
(5) LEONARD J. - La médecine entre les pouvoirs et les savoir - Aubiers éd. Paris 1981
(6) PREVOST A.M. - Réflexions sur l'enseignement infirmier (1870 - 1918) - Thèse Marseille 1982
(7) KNIBIEHLER Y. - Femmes et médecins - Hachette éd. Paris 1983
(8) BOURNEVILLE, BLONDEAU, BOYER, BRISSAUD - Manuel pratique de la garde malade et de l'infirmière 4e édition Bureaux du Progrès Médical - Paris 1989
(9) MICHEL POISSON - Origines républicaines d'un modèle infirmier, les 2ditions hospitalières 1998 152p. 135F
(10) MONICA BALY - Florence Nightingale à travers ses écrits - Interéditions 1993
(11) FLORENCE NIGHTINGALE - Notes on nursing - Harrisson, Londres 1859,
réédité par J.B. Lippincott 1946
(12) RENE MAGNON - Entre le sabre, le goupillon et la faculté, pour une histoire des soins et des professions soignantes Cahier de l'AMIEC, 1988
(13) ANNE-MARIE PRESVOT - Réflexions sur l'enseignement infirmier, thèse pour le doctorat de médecine, Marseille, 1982
Le lien d'origine : http://fr.groups.yahoo.com/group/respublica/message/30