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Cet ensemble de document a été rassemblé pour donner une idée de ce
que le livre de Barbra Ehrenreich (The Hearts of Men) et Deirdre English,
publié aux Éditions du remue-ménage (Montréal):
"Sorcières, sages-femmes et infirmières", abordait.
Le lien qui contenait la note de lecture de Martin Dufreesne n'existe plus.
Le thème étant : des sorcières aux infirmières !
Il était une fois...
Le Mouvement pour la santé des femmes
Si l’histoire des femmes et du Mouvement pour la santé des
femmes avait été écrite, elle commencerait probablement par «il
y a de cela très très longtemps...»; car enfin, les femmes ne se
sont pas improvisées expertes en santé, elles l’ont toujours
été!...
On trouve en effet, à travers les âges et dans presque toutes
les sociétés, la présence de femmes qui soignaient et guérissaient.
Associées au symbole de fécondité et considérées comme responsables
de la reproduction, les femmes ont toujours été proches des manifestations
de la vie et de la mort; elles ont acquis tout un savoir concernant
l’alimentation, la grossesse, l’accouchement, la contraception,
l’avortement, l’hygiène et les soins du corps.
Ces femmes avaient une approche empirique de la santé, c’est-à-dire
un savoir basé sur l’expérience plutôt que sur la théorie.
Elles se sont, depuis l’Antiquité où elles étaient prêtresses,
formées au contact les unes des autres, transmis leurs connaissances
oralement, de mère en fille, de voisine à voisine. Les origines
des potions-santé, léguées de la même façon par nos grand-mères
et arrière-grand-mères remontent, sait-on vraiment, jusqu’où?
Ces prêtresses de l’Antiquité, sorcières ou sages-femmes
du Moyen Âge, avaient du pouvoir et l’exerçaient; s’il
n’était pas officiel (politique), ce pouvoir non hiérarchique
n’en était pas moins important: respectées par la communauté,
perçues comme sages, on les consultait volontiers sur des questions
de la vie courante. Leur engagement social se réflétait par ailleurs
dans leur participation aux assemblées populaires où leur opinion
comptait. Le plus souvent autonomes, elles étaient, et de loin,
l’antithèse de l’image idéalisée de la femme (soumise,
dépendante, dénuée d’objectivité, etc.).
Les choses changeront cependant au cours de l’Histoire.
L’institutionnalisation de la famille et, plus tard, l’avènement
du christianisme, feront perdre aux prêtresses leur place et leur
pouvoir. Associées au culte de la Déesse, aux rituels de la nature,
bref, à tout ce qui participait de la culture païenne, ces femmes
entraient en contradiction avec le système d’autorité le plus
important: l’ordre religieux. Quant aux sorcières, nos «prêtresses
du Moyen Âge», elles seront vues comme les rivales des prêtres,
la sorcellerie étant aussi reliée aux rites païens.
La chasse aux sorcières sera le fruit d’une association
entre l’Église, l’État et le corps médical.
Il faut se rappeler que l’Église catholique occupait, au
Moyen Âge, une place prépondérante dans la société; elle dominait,
on n’en discutait pas, tout comme on ne remettait pas en question
le sexisme de son discours: «Une femme qui pense seule pense au
mal» écrivait-elle. Ce sera là l’un des principes de l’Église
et sa «contribution» à l’oppression spécifique faite aux femmes...
À l’opposé des sorcières qui travaillaient de façon intuitive
et objective, par l’observation, l’expérimentation,
par essais et par erreurs, l’église, qui se méfiait de toute
manifestation reliée à l’utilisation des sens, avait une attitude
complètement anti-empirique. Elle ne voyait pas l’intérêt
de chercher les lois physiques ou naturelles de tel ou tel phénomène
puisque Dieu était partout, qu’il exerçait sa volonté à tout
moment; ce qui nous arrivait était simplement ce qui devait nous
arriver, ce que nous méritions. L’esprit de recherche des
sorcières entrait en contradiction directe avec le fatalisme de
l’Église.
Même les bons traitements des sorcières étaient perçus comme une
menace; car enfin, si elles pouvaient utiliser leur savoir et leur
pouvoir pour faire le bien, elles risquaient aussi de les utiliser
de façon maléfique, à l’encontre de l’Église, contre
Dieu et l’ordre établi! Ainsi la magie, considérée par l’Église
comme aussi efficace que la prière, représentait un danger; la prière,
au moins, était sous son contrôle.
L’État s’inquiétait pour sa part des liens de solidarité
qui se créaient entre les paysans attirés par les rassemblements
des sorcières. Craignant une éventuelle révolte, il s’associera
spontanément à l’Église dans la chasse aux sorcières. Quant
au pouvoir médical - les médecins «professionnels» issus de la classe
privilégiée qui avaient pu se payer une formation académique interdite
aux femmes - il entérinera aussi le discours de l’église.
C’était dans l’intérêt des médecins: déjà rétribués
par la classe dirigeante qu’ils soignaient, ils désiraient
avant tout conserver leur place et leurs privilèges.
Ainsi, en quelques quatre siècles, les femmes soignantes, sorcières
ou sages-femmes verront leur pouvoir réduit à néant, leur savoir
nié et leurs pratiques interdites. Elles seront tuées par milliers,
victimes d’une oppression qui continuera de se manifester
à l’égard des femmes par le sexisme des institutions, la professionnalisation
de la médecine et, dès le XIXe siècle, par la médicalisaiton dont
elles seront l’objet.
Le Mouvement pour la santé des femmes, qui se créera bien des
années plus tard, apportera, par son approche féministe et ses alternatives,
une réponse claire à l’oppression historique subie par les
femmes.
Marleen Provençal
Note: ce texte s’inspire en grande partie d’un ouvrage
passionnant publié aux Éditions du Remue-ménage en 1983: Sorcières,
sages-femmes et infirmières, Une histoire des femmes et de la médecine,
par Barbara Ehrenreich et Deirdre English, traduit de l’américain
par Lorraine Brown et Catherine Germain.
présentation faite dans cette publication :
Sans Préjudice... pour la santé des femmes - printemps 1996 - numéro 10
Le lien d'origine : http://www.rqasf.qc.ca/sp/sp10_01.html
Autre extrait qui se réfère au livre : Sorcières,
sages-femmes et infirmières, Une histoire des femmes et de la médecine,
par Barbara Ehrenreich et Deirdre English, traduit de l’américain
par Lorraine Brown et Catherine Germain.
Florence Nightingale
Elle est née le 12 mai 1820 et doit son nom à la cité italienne
où elle vit le jour. Florence ne ressemblait pas vraiment aux autres
membres de sa famille. Elle n'avait pas réellement le tempérament
de son père, William Edward Nightingale, par contre, elle avait
son génie. Elle ne ressemblait pas non plus à sa magnifique maman
Fanny dont la plus grande ambition était de "briller en société".
Sa soeur Parthenope ne partageait avec sa soeur qu'un talent : le
pouvoir de devenir malade quand elle était contrariée. Elle voulait
asservir Florence, comme Florence voulut plus tard asservir les
autres. Il y avait un amour du pouvoir chez les femmes de la famille
Nightingale.
En 1838, les parents amenèrent leurs deux filles vivre à l'étranger,
Florence étant destinée, semble-t-il à répondre à l'appel matrimonial
avec un succès spectaculaire. Grande, svelte, avec une peau blanche,
des yeux gris pétillants et une magnifique chevelure chatain clair,
elle aurait été parfaite pour accompagner n'importe quel homme public
sur le chemin de la gloire et de la fortune. Mais Florence avait
besoin d'autres occupations que broder et jouer des quadrilles au
piano. Elle convainquit sa mère de lui laisser suivre des cours
de mathématiques qui firent d'elle plus tard une spécialiste en
statistiques.
La misère causée par la famine des anées 40 en Angleterre, lui
fit réaliser au moins que sa vocation se situait quelque part entre
les pauvres et les opprimés. Ceci était évident depuis sa visite
dans les quartiers défavorisés autour des établissements de son
père dans le Hampshire. Fanny offrait de la soupe et un peu d'argent
aux déshérités mais elle craignait l'infection, et Florence n'avait
la permission que des visites conventionnelles de la "dame de bienfaisance".
Il lui était défendu d'entrer dans les maisons quand le besoin était
le plus grand car elle aurait pu elle-même tomber malade. Ce fut
après son 24e anniversaire qu'elle découvrit sa vraie vocation.
Néanmoins, il y eut encore neuf ans à attendre. Le grand délai entre
1844 et son actuel nursing peut être en partie dû à l'inquiétude
de Miss Nightingale. Elle décida donc d'investir toutes ses énergies
dans le soin des malades parce que c'était une occupation "naturelle"
et acceptable pour une femme de son rang et de sa classe.
Au début du XIXe siècle, une "infirmière"était simplement une
femme qui s'occupait d'un malade, son enfant ou un proche parent.
Il y avait des infirmières dans les hôpitaux mais les hôpitaux à
cette époque étaient plutôt des refuges où allaient mourir les pauvres
et les soins comme tels n'existaient guère. Pour améliorer les soins
hospitaliers, il fallait d'abord transformer le métier d'infirmière
et pour rendre ce métier acceptable aux médecins et aux femmes de
"bonne réputation", il fallait montrer une autre image au public.
Florence Nightingale mit sa marque dans les hôpitaux du front durant
la guerre de Crimée. Elle remplaç ait les vieilles cantinières par
des femmes d'âge mûr, disciplinées et sobres.
La nouvelle infirmière se dévouant corps et âme au chevet des
blessés capta l'imagination populaire. De véritables écoles d'infirmières
ouvrirent leurs portes en Angleterre après la guerre de Crimée.
Les étudiants en médecine avaient besoin de bons hôpitaux pour leurs
études; les bons hôpitaux (les médecins s'en rendaient de plus en
plus compte) avaient besoin de bonnes infirmières.
Au début, les médecins étaient un peu sceptiques vis-à-vis des
émules de Florence Nightingale, il s'agissait peut-être d'un nouvel
essai des femmes pour s'infiltrer dans la médecine. Mais ils furent
bien vite conquis par l'obéissance aveugle des nouvelles infrmières
(Nightingale était quelque peu obsédée sur ce point). Quand elle
arriva en Crimée avec ses nouvelles recrues, les médecins les ignorèrent
complètement. En dépit des milliers de soldats malades ou blessés,
Nightingale ordonna alors à ses infirmières de ne plus lever le
petit doigt tant et aussi longtemps que les médecins n'en donneraient
pas l'ordre. Impressionnés, ceux-ci eurent vite fait de revenir
sur leur décision. Pour nos médecins du XIXe siècle, attaqués de
toutes parts, les infirmières étaient des envoyées de Dieu.
Même aujourd'hui, un siècle plus tard, en dépit de plusieurs
études et recommandations pour améliorer le statut des infirmières,
la société tend à percevoir le Nursing et les infirmières telles
qu'elles étaient initialement.
En 1859, Miss Nightingale écrivit pour ses étudiantes :"Les
éléments qui constituent un bon Nursing sont autant la compréhension
de la santé que de la maladie". C'est ce genre de philosophie qui
contribua à établir la profonde influence de Miss Nightingale sur
le Nursing. Ses idées sur la formation Nursing furent connues comme
le "système Nightingale". Elle croyait que les infirmières devaient
recevoir leur éducation dans des hôpitaux où on dispensait une formation
médicale et que la formation devait comprendre de la théorie et
de la pratique.
Florence développa une maladie durant la guerre de Crimée qui
la laissa semi-invalide pour le reste de sa vie. Elle prit le lit
à l'âge de 37 ans et le garda par longs intervalles durant 55 ans.
Elle mourut en 1910 à l'âge de 90 ans.
En 1873, le Système Nightingale pour la formation des infirmières
fut adopté aux États-Unis.
Extraits de :
"Eminent Victorian Women" de E. Longford " et de "Sorcières,
sages-femmes et infirmières" de B. Ehrenreich et D. English
Le lien d'origine :http://www.vertpomme.net/pages/nursing_en_folie/
a_florence_nightingale.htm
La médecine familiale, les sages-femmes et infirmières
«Pendant des siècles, les femmes ont été
des médecins autodidactes sans diplômes; n'ayant pas
accès aux livres et aux cours, elles firent elles-mêmes
leur propre enseignement, se transmettant leur expérience
de voisine à voisine, de mère à fille. Le peuple
les appelait "femmes sages" alors que les autorités
les traitaient de sorcières et de charlatans. Pour nous les
femmes, la médecine fait partie de notre héritage,
de notre histoire, elle est en fait presque notre droit légitime.»1
Au début de Moyen-Âge, il n'y a pas de science médicale
établie; les soins aux malades sont fournis par les guérisseurs
et les guérisseuses du village. Chez les Autochtones d'Amérique
du Nord, c'est généralement le «chaman»
ou «medecine man» qui soigne les malades de la tribu.
Chez les Blancs et plus tard chez the Métis, le rôle
de guérisseur est généralement réservé
aux femmes. Au fur et à mesure que la médecine se
développe, les hommes s'accaparent de plus en plus le droit
à la pratique de la médecine. Si bien qu'aujourd'hui,
93 % des médecins, en Amérique du Nord, sont des hommes.
La médecine a toutefois évolué depuis anciennes
pratiques familiales. Dans bien des cas, les remèdes d'aujourd'hui
ont été découverts autrefois par des femmes:
«Elles furent pharmaciennes, cultivant les plantes médicinales
et échangeant entre elles les secrets de leurs divers usages.
Elles furent aussi sages-femmes, voyageant de maison en maison,
de village en village.»2
Au Moyen-Âge, une nouvelle classe médicale masculine
apparaît en Europe. Celle-ci est adoptée par la classe
dirigeante qui est constituée d'hommes. C'est à ce
moment que cette classe dirigeante se lance à la chasse aux
sorcières: «... parce que l'Église médiévale,
avec l'appui des rois, des princes et des autorités civiles,
contrôlait l'enseignement et la pratique médicale.
L'Inquisition (la chasse eux sorcières) constitue, entre
autres choses, un des premiers exemples de l'opposition du professionnel
à admettre les capacités et le droit des non-professionnels
de soigner les pauvres.»3
La chasse aux sorcières était donc, selon cet auteur,
une façon pour les professionnels (hommes) d'interdire aux
non-professionnels (femmes) de pratiquer la médecine auprès
des pauvres. Cette chasse aux sorcières commence au XIVe
siècle et se poursuit pendant quatre cents ans jusqu'au XVIIe
siècle. Des milliers de femmes sont brûlées
sur des bûchers comme sorcières tout simplement parce
qu'elles ont osé pratiquer la médecine.
Aujourd'hui, dans le milieu médical, la femme se voit souvent
réduite à un rôle secondaire: celui d'infirmière.
Malgré cela, les femmes constituent toujours environ 70 %
des travailleurs de la santé: infirmières, aides-infirmières
et diététiciennes.
Mais entre la fin de la chasse aux sorcières du XVIIe siècle
et aujourd'hui, les femmes ont continué à exercer
leur rôle de guérisseuses auprès des pauvres.
C'est le cas au Canada français.
Les sages-femmes en Nouvelle-France
En Nouvelle-France, la sage-femme n'est pas considérée
comme une sorcière mais plutôt elle fait partie intégrante
de la communauté. Puisque la plupart des colons établis
le long du Saint-Laurent sont pauvres et que les services du médecin
sont chers, c'est la sage-femme qui s'occupe des naissances et des
autres besoins médicaux des Canadiens français.
À cette époque, avant la naissance de l'enfant, la
sage-femme a conseillé à la mère d'observer
toute une série de rites afin que son bébé
naisse en bonne santé. Une série de tabous oblige
la mère a être très prudente durant sa grossesse.
Elle doit éviter de porter un collier autour de cou, sinon
le bébé sera étranglé par le cordon
ombilical à la naissance. Mère, père et enfants
doivent éviter de bercer le «ber» vide sinon
l'enfant sera mort-né. Et, à tout prix, la mère
doit éviter de voir un animal mort sinon son enfant sera
infirme ou il naître avec le visage d'un monstre.4
D'autre part, si la femme prie Sainte-Gérard-Majella, patronne
des femmes enceintes, si elle porte une ceinture d'étoffe
ou de laine autour de sa taille et si elle médite pendant
la naissance, tout ira bien.
Lorsque le moment de la naissance arrive, le père va chercher
la sage-femme. S'il y a d'autres enfants dans la famille, on les
envoie chez un voisin. En Nouvelle-France, à cette époque,
on n'explique pas aux petits enfants d'où viennent les bébés;
on leur raconte des histoires comme «c'est le docteur qui
avait laissé le bébé, ou on l'avait trouvé
sur le perron ou dans le jardin, ou encore des corneilles l'avait
laissé tomber du ciel.»5 Mais, très souvent,
puisque la mère doit rester au lit plusieurs jours après
la naissance, on dit aux enfants que les Indiens ont attaqué,
qu'ils ont battu la mère et que, surprise, ils ont laissé
un petit frère ou petite soeur.6
Les superstitions ne semblent pas manquer à cette époque.
Les croyances et les superstitions de l'époque en Nouvelle-France
et en Acadie donnent naissance à une série de remèdes
ou de cures qui sont souvent remis en question de nos jours.7
Parmi ces remèdes et cures douteux transmis par nos ancêtres
québécois et acadiens, on retrouve la liste suivante.
Rhumatisme:
Remède québécois: Frictionner avec de l'huile
de bête puante;
Remède acadien: Porter une patate crue dans sa poche.
Coqueluche:
Remède québécois: Demander à votre plus
proche parent de vous donner un aliment par charité, sans
lui dire pourquoi.
Remède acadien: Contre la coqueluche, faire tremper des crottes
de brebis et boire l'eau.
Jaunisse:
Remède québécois: Manger des poux en nombre
impair.
Remède acadien: Boire sa propre urine.
À cette époque, il y a même des croyances qui
permettent d'éviter des malchances. Comment peut-on éviter
de devenir bossu? «Pour combattre la malchance qui accompagne
la rencontre d'un bossu du même sexe que soi, il faut cracher
par terre avant d'être vu par le bossu. Si cela est impossible,
tant pire.» Que doit-on faire si une personne est ensorcelée?
«Pour désensorceler, faire brûler une chandelle
bénite sur le ventre de la personne ensorcelée.»
Comment peut-on se débarrasser du hoquet? «Lorsque
vous avez le hoquet, pensez à celui ou à celle que
vous épouserez; le hoquet s'arrêtera.»8
Par contre, grâce à chacune de ces superstitions,
on développe des remèdes utiles. Les femmes apprennent
à cueillir les plantes et les feuilles dans les forêts
pour la préparation de remèdes pour la famille. Cette
tradition de cueillette de plantes accompagne les femmes de l'Ouest
canadien de la fin du XIXe siècle au début de XXe.
Le lien d'origine : http://www.sasked.gov.sk.ca/docs/francais/fransk/schumaines/8e/unite4/doc4g1.html
NOTE DE LECTURE
MICHEL POISSON - Origines républicaines d'un modèle
infirmier, les éditions hospitalières 1998 152p. 135F
* Le legs de Désiré Bourneville à la profession
infirmière
En France, la constitution de la profession d'infirmière
s'est amorcée à la fin du 19ème siècle,
grâce à l'influence et l'engagement de quelques personnes,
dont le docteur Bourneville. Celui-ci dans le contexte politique
et social trouble des années 1870 à 1900, a en effet
largement contribué à favoriser l'émergence
de la profession infirmière en tant que telle, grâce
à son action en faveur de la création d'écoles
d'infirmières et à la laïcisation de l'Assistance
publique de Paris. Présentation, par Marie-Françoise
Collière, ethno-historienne des soins infirmiers, (Lyon),
de l'ouvrage de Michel Poisson consacré à cet homme
(9).
Quel regard porter sur le legs laissé à la profession
infirmière par un certain Désiré Magloire Bourneville?
Telle est l'une des questions auxquelles s'attache le récent
ouvrage de Michel Poisson : Origines républicaines d'un modèle
infirmier 1870 - 1900). Investir le champ de l'histoire pour éclairer
la situation actuelle, c'est ce que se propose de faire l'auteur,
contribuant ainsi à restaurer un pan de la mémoire
du corps infirmier, afin de la confronter au présent.
Une identité floue
Force, en effet, lui est de constater qu'à l'aube du 21ème
siècle, la profession infirmière qui doit sa titularisation
et l'acquisition de son statut professionnel à la formation,
demeure toujours en quête d'identité, comme ont pu
en témoigner les mouvements de la Coordination infirmière
de 1988 et de 1991. L'identité de la profession est-elle
l'identité de sa fonction? De sa prestation? Des soins infirmiers?
Ou bien encore, marque d'un archaïsme toujours prégnant,
d'une identification sexué "à la mère,
à la sour", qui se serait imposée grâce
au modèle laïc et républicain de la formation,
dont le Docteur Bourneville fut le créateur et l'ardent défenseur?
Telle est la question majeure qui travers le livre.
La république conquérante
Par cet ouvrage, aboutissement d'un long et patient travail de recherche
dans les archives de l'Assistance publique de Paris et les publications
médicales de l'époque, Michel Poisson dégage
une séquence de l'histoire de la profession en remettant
en scène, de façon très vivante, l'un des principaux
acteurs de la laïcisation de l'hôpital et l'une des personnalités
particulièrement influentes sur l'émergence du mouvement
de professionnalisation qui prit naissance , en France , au lendemain
de la Commune de Paris.
Tout l'art de l'auteur est d'appréhender et de révéler
les liens étroits entre la personnalité de cet officier
de santé devenu médecin et la conjoncture technologique
et sociopolitique qui inspira ses projets. Avant de s'attacher à
l'homme qui fut l'inspirateur et l'instigateur de la circulaire
du 28 octobre 1902 faisant obligation absolue de créer des
écoles d'infirmières dans toute ville dotée
d'une faculté ou d'une école de médecine, Michel
Poisson situe le décor de "la république conquérante"
qui mène d'un même combat l'instauration de l'école
laïque, gratuite et obligatoire et la laïcisation de l'assistance
et des soins aux malades, deux objectifs sur lesquels s'appuiera
constamment Désiré Bourneville, ce "médecin
novateur dans le domaine de l'hygiène, de la santé
publique, de la neurologie, de la santé mentale, notamment
de la neuropsychiatrie infantile".
La laïcisation de l'Assistance publique
Très fasciné par "cet homme de combat, de terrain,
avant d'être un homme de carrière", qu'est ce
républicain radical, de surcroît journaliste militant,
l'auteur montre comment ce politicien actif ouvre pour la laïcisation
des hôpitaux de l'Assistance publique, sans avoir imaginé
que la plus grande hostilité qu'il rencontrerait dans cette
entreprise viendrait de la bataille que se livraient ses confrères
partisans ou adversaires de l'antisepsie et de l'asepsie, fussent-ils
de fervents anticléricaux. C'est dans ce climat que Michel
Poisson décrit la mise en place progressive des premières
écoles de l'assistance destinées aux infirmières
(la Salpêtrière en 1878, la Pitié en 1881, Lariboisière
en 1895) et aux infirmiers (Bicêtre en 1878). Ces écoles
sont conçus à deux niveaux: l'école primaire,
tout d'abord, où l'on découvre, non sans étonnement,
comment les élèves apprennent à lire et à
écrire à partir de manuels traduits de l'anglais,
distillant les attitudes et les comportements d'obéissance
et de subordination qu'ils doivent acquérir, tandis que l'école
professionnelle, ensuite, leur inculque le savoir qui leur est concédé
pour "mieux servir le médecin" ou répondre
aux exigences de l'administration. c'est sur la base de principes
transmis par les écrits des manuels que se modèle
l'enseignement pratique, enseignement qui ne consiste pas à
découvrir, et encore moins à questionner, mais uniquement
à appliquer. Il n'arrive d'ailleurs qu'après une année
de formation théorique.
On est là devant une fracture totale d'avec l'acquisition
et la transmission des savoir empiriques acquis par la tradition
orale. Cet enseignement à partir de manuels, se faisant de
l'écrit le réfèrent majeur, exclut l'expérience
au profit d'un raisonnement qui, pour se vouloir scientifique, relègue
le ressenti, toute émotion étant considérée
comme un tabou. (13) En dépit de ces avancées pour
mettre en place et faire reconnaître la formation, ce n'est
pas sans difficulté, ni sans combats de haute lutte, tant
avec ses pairs qu'avec l'administration, que ce républicain
loyaliste accomplit la mission dont il se sent investit: soustraire
le personnel "secondaire" ou "inférieur"
à son statut de tâcheron pour l'élever à
un statut d'auxiliaire du médecin en le faisant accéder
aux rudiments d'un savoir se voulant rationnel et scientifique.
Telle est la tâche arrassante que s'est proposée d'accomplir
durant plus de 20 ans, contre vents et marées, le docteur
Bourneville, tâche que Michel Poisson nous invite à
redécouvrir avec grand intérêt, pour annoncer
en dernière partie un questionnement sur le regard que Bourneville
porte, en 1900, sur cette profession dont "il a taillé
le profil à coups de scalpel".
Toutefois, en arrivant à cette troisième partie, le
regard que pourrait porter Bourneville se dissipe, s'estompe, pour
laisser place à la question qui traverse l'ouvrage: d'où
vient à Bourneville "la volonté sans cesse répétée
de féminiser la fonction qu'il entendait promouvoir".
La féminisation de la profession.
Pour y répondre, Michel poisson tente de confronter "l'inaccessible
modèle infirmier anglais" (à partir des textes
de l'époque, retrouvées dans le fonds fossoyeux),
aux "quelques raisons socioculturelles" ayant pu introduire
le profil infirmier esquissé par Bourneville en faveur "d'une
fonction infirmière qui se féminise". En d'autres
termes, Michel poisson cherche à clarifier ce qui aurait
motivé Bourneville à développer une formation
qui, après 1878 n'aurait plus tenu compte de la mixité
homme-femme du personnel de l'AP pour privilégier la féminisation
de la profession.
Cette question demande, en effet, qu'on y prête attention,
car à y regarder de plus près, on peut se demander
si Bourneville s'est laissé entraîner vers la féminisation
du métier ou s'il n'a pas ajusté son projet à
ce qui s'inscrivait dans un courant qui s'imposait, en dépit
de l'étanchéité de l'institution hospitalière,
que ce soit en France ou en Angleterre, même si la conjoncture
et les modalités étaient fort différentes.
Ce courant était issu de plusieurs provenance, dont l'une
avait traversé le siècle et concernait tous les soins
que prodiguaient ces femmes (gardes, gardes en couches, gardes malades),
avec des savoir transmis par tradition orale et a fortiori sans
diplôme, échappant à tout contrôle médical.
C'est essentiellement pour elles que furent écrits les
premiers manuels et conçus les premiers projets de cours,
(12) afin non seulement d'instruire, mais aussi de contrôler
davantage "ces Eusculapes en jupons" comme le réitèrent
avec instance les docteurs Fodéré et Marc. Le docteur
Bourneville ne pouvait ignorer que ce qu'il instaurait à
l'intérieur de l'hôpital se devait de rejoindre ce
qui commençait à s'opérer à l'extérieur
pour canaliser les gardes malades, à l'instar des sages-femmes.
Le titre donné à la première édition
en 1878 de son "Manuel pratique de la garde malade" en
atteste.
Une autre provenance était Angleterre, mais non par rapport
à un long passé de nurses au sein des hôpitaux
anglais, comme le suggère l'auteur. les "warehouses",
comparables à l'hôpital du grand renfermement, avaient
tout comme en France, leur personnel "secondaire", constitué
en majorité d'hommes avant que n'y pénètrent
quelques nurses. Ce changement s'est imposé de l'extérieur,
à la suite de l'innovation opérée par Florence
Nightingale à Scutari, (10) osant introduire des femmes dans
l'armée pour soigner les blessés, chose jusqu'alors
impensable.
A Scutari, en effet, en pleine guerre de Crimée (1855), Florence
Nightingale attesta du caractère indispensable de ces soins,
essentiels au maintien et au recouvrement de la vie, soins dont
les femmes détenaient une longue expérience de par
la nécessité des soins aux enfants. Les résultats
obtenus à Scutari suscitèrent d'autres tentatives
dans les armées britanniques, et aussi en France avec la
Société de secours aux blessés militaires fondée
en 1866 et durant le Commune de Paris avec l'Union des femmes pour
la défense de Paris et des soins aux blessés - organisations
que n'a pas pu ignorer le docteur Bourneville. Au-delà des
armées, les constations faites à partir de Scutari
motivèrent la publication de "Notes on Nursing"
(1859) (11) et la pénétration dans les hôpitaux
et les institutions d'assistance de nurses ayant reçu une
formation au nursing, afin d'améliorer les conditions de
vie déplorables de ceux qui y séjournaient.
Ce nursing, que Florence Nightingale tente d'expliciter pour la
première fois dans un essai écrit, et qui n'a rien
à voir avec un manuel, est inspiré du courant hygiéniste
de l'époque, tout autant qu'il emprunte aux savoir empiriques
des femmes. Prenant racine dans ce legs des sages femmes qui gardèrent
beaucoup plus longtemps qu'en France une maîtrise de leur
art, le nursing se distingue de la médecine, avec laquelle
on ne saurait le confondre. On peut ainsi se rendre compte de la
méprise de cet auteur d'un article du Progrès médical,
mentionné par Michel Poisson, lorsqu'il traduit "nursing"
par "infirmat" et en fait une branche de l'art médical,
ce qui indique une méconnaissance totale de la conception
qui inspire le nursing, tout au moins à ses débuts,
pour connaître ensuite toutes sortes de dérives.
L'histoire d'un rendez-vous manqué
Alors, le projet de formation du personnel infirmier des hôpitaux
aurait-il été, pour Désiré Magloire
Bourneville "l'histoire d'un rendez-vous manqué avec
les femmes", comme le suggère l'auteur? ou est-ce un
rendez-vous manqué avec ces savoir des soins dont l'expérience
acquise par les femmes est exclue et reléguée, dépossédées
qu'elles sont de leur parole tandis qu'elles doivent faire allégeance,
par soumission, à celui qui est investi de la pensée,
de la raison et qui détient le pouvoir de l'écrit:
le médecin?
En apportant un remarquable éclairage sur l'influence majeure
qu'a eu le docteur Bourneville sur le devenir de la profession infirmière
en France, nourrie d'une vision à la fois émancipatrice
pour la classe laborieuse des hôpitaux, mais en même
temps réductrice de toute initiative, de tout élan,
de tout questionnement, Michel Poisson convie le lecteur à
réfléchir sur le rapport des genres existant dans
les situations des soins. Il invite à se poser la question
de l'impact identitaire résultant des acteurs hommes et /
ou femmes - tant par rapport au (à la) soigné (ée)
qu'au (à la) soignant (e) - et du patrimoine de savoir reconnus
ou non, ou écartés, qu'apporte l'un ou l'autre sexe
dans le domaine des soins. Cet aspect de ce travail incite à
la réflexion.
Sources
(1) EHRENREICH S. ENGLISH A. - Sorcières, sages-femmes, infirmières
- TempsModernes 1977
(2) Y. KNIBIELHLER - Cornettes et blouses blanches : les infirmières
dans la société française, 1880-1980 - Hachette
édi. Paris 1984
(3) LEROUX-HIGON V. - L'infirmière au début du 20e
siècle : nouveauxmétiers et tâches traditionnelles.
- Mouvement Soc. 1987 n° 140 (n° spécial: métier
de femmes)
(4) WACJMAN C. - Quelques éléments sur Désiré
Magloire Bourneville -Frénésie 1987
(5) LEONARD J. - La médecine entre les pouvoirs et les savoir
- Aubiers éd. Paris 1981
(6) PREVOST A.M. - Réflexions sur l'enseignement infirmier
(1870 - 1918) - Thèse Marseille 1982
(7) KNIBIEHLER Y. - Femmes et médecins - Hachette éd.
Paris 1983
(8) BOURNEVILLE, BLONDEAU, BOYER, BRISSAUD - Manuel pratique de
la garde malade et de l'infirmière 4e édition Bureaux
du Progrès Médical - Paris 1989
(9) MICHEL POISSON - Origines républicaines d'un modèle
infirmier, les 2ditions hospitalières 1998 152p. 135F
(10) MONICA BALY - Florence Nightingale à travers ses écrits
- Interéditions 1993
(11) FLORENCE NIGHTINGALE - Notes on nursing - Harrisson, Londres
1859,
réédité par J.B. Lippincott 1946
(12) RENE MAGNON - Entre le sabre, le goupillon et la faculté,
pour une histoire des soins et des professions soignantes Cahier
de l'AMIEC, 1988
(13) ANNE-MARIE PRESVOT - Réflexions sur l'enseignement infirmier,
thèse pour le doctorat de médecine, Marseille, 1982
Le lien d'origine :
http://fr.groups.yahoo.com/group/respublica/message/30
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