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Origine : http://rsa.revues.org/523
Sylvie Craipeau et Jean-Luc Metzger, « Pour une sociologie
critique de la gestion », Recherches sociologiques et anthropologiques
p. 145-162 [En ligne], 38-1 2007, mis en ligne le 10 mars 2011
Jean-Luc Metzger est sociologue, chercheur associé au Laboratoire
interdisciplinaire pour la sociologie économique (CNAM-CNRS).
Sylvie Craipeau est sociologue, professeur à l’Institut
national des télécommunications, Groupe des écoles
de télécommunication, Cetcopra, Sylvie.<Craipeau
(at) int-evry.fr>
Comment définir et analyser sociologiquement la gestion
? C’est à cette interrogation que cet article propose
des réponses. Dans cette perspective, les auteurs rappellent
que la plupart des activités sociales sont dorénavant
concernées par des dispositifs de gestion ou, à tout
le moins, par des raisonnements qui empruntent à cette discipline.
Aussi, en rendre compte avec les catégories de la sociologie,
dans une visée de connaissance, et non d’aide à
l’action gestionnaire, constitue-t-il un objectif légitime.
C’est pourquoi, les auteurs construisent un programme détaillé
de recherche, en trois axes, tenant compte aussi bien des acteurs,
des visées, que des principes et dispositifs. Ils y voient
un moyen d’apprécier les dynamiques à l’œuvre
dans la gestionnarisation de la société et, peut-être,
d’envisager des conceptions alternatives.
I. Introduction
Depuis quelques années, certains sociologues font de la
gestion leur objet et leur champ de recherche. C’est dans
cette perspective que nous présentons ici plusieurs réflexions
visant à fonder une sociologie critique de la gestion 1,
c’est-à-dire une sociologie qui, conformément
à sa vocation originelle, questionne les évidences
(dé-naturalise) et applique cette démarche à
l’objet gestion, phénomène historiquement situé,
dont la spécificité, notamment par rapport à
d’autres formes de rationalisation, « réside
dans le fait qu’il ne s’agit pas de poursuivre une finalité
choisie par des individus ni une finalité négociée
à l’intérieur d’une collectivité,
mais une finalité imposée de l’extérieur
» (Girin, 1990).
S’intéresser à cet objet est d’autant
plus pertinent qu’il nous semble que la gestion, en tant que
processus spécifique de rationalisation porté par
des principes, des acteurs, des institutions et des dispositifs
techniques basés sur des technologies de l’information
et de la communication (tic), n’est pas cantonnée à
la sphère professionnelle et au monde marchand, pas plus
qu’elle n’est mobilisée seulement par les cadres.
Elle concerne l’ensemble de la société (administrations,
associations, vie privée) et contribue de la sorte à
banaliser certaines façons de voir qui lui sont propres,
comme la recherche de la performance et la primauté accordée
à l’efficacité. Les sciences humaines et sociales
ne sont pas à l’abri de cette banalisation des perspectives
gestionnaires. En effet, par leur mode d’organisation et de
financement, par les méthodes qu’elles valorisent et
les objectifs qu’elles se fixent, elles peuvent épouser
des visées gestionnaires.
Sur cette base, après avoir souligné la filiation
avec la sociologie du travail, nous distinguons, en nous appuyant
sur les réflexions de M. Lallement (2003a), trois façons
d’aborder la connaissance et suggérons qu’une
sociologie critique de la gestion devrait viser un intérêt
de connaissance émancipatoire 2 (contrairement à une
sociologie technique de la gestion), puis nous proposons une définition
de l’objet gestion, ainsi que trois axes d’études
permettant de répondre à cette ambition.
II. La gestion : une première définition
Tout d’abord, de quoi parlons-nous ? Qu’est-ce que
la gestion ? Bien que l’ambition finale de cet article soit
de répondre à cette question, nous pouvons esquisser
un premier cadre de réflexion en confrontant différentes
propositions de définition. Si, dans son sens courant, le
terme recouvre les activités d’administration, d’organisation
et de direction, l’examen de la littérature spécialisée
montre, schématiquement, trois axes de controverses autour
de sa caractérisation : l’identification et le rôle
des gestionnaires (gérer est-ce diriger ?) ; la spécificité
de leurs techniques (comment gère-t-on ?) ; le positionnement
académique de la discipline (quel est le degré de
légitimité scientifique des gestionnaires et de leurs
techniques ?).
En ce qui concerne le premier point, Y. Simon et P. Joffre notent
que le management moderne apparaît entre 1895 et 1905, lorsque
la propriété du capital est dissociée de la
gestion et du contrôle (Simon/Joffre, 1997). A partir du même
constat, G. Duménil et D. Lévy soutiennent qu’il
résulte de cette situation une contradiction entre actionnaires
et managers, la dérégulation des économies
s’opposant au contrôle des entreprises par les gestionnaires
(Duménil/Lévy, 2003). La question du pouvoir est également
au cœur de la conception de la première sociologie du
travail. Ainsi, A. Touraine replace, d’emblée, la gestion
dans le cadre d’une compréhension des transformations
des rapports de pouvoir dans les organisations marchandes (Touraine,
1964). La gestion dépasse alors les seules techniques d’organisation
pour accéder au rang de technique de pouvoir. Face à
cette question, nous adopterons le point de vue de J. Gadrey ou
de V. de Gaulejac : non seulement la financiarisation des économies
s’accompagne d’une plus grande prégnance des
gestionnaires (travaillant pour le compte des actionnaires les plus
importants) sur les décisions stratégiques de gestion
(fusions, restructurations, licenciements), mais encore, étant
associée à des dispositifs facilitant aussi bien l’actionnariat
du personnel que la dépendance des sociétés
vis-à-vis des acteurs boursiers, cette financiarisation conduit
également les salariés à se préoccuper
petit à petit de questions relevant de la gestion de portefeuilles
d’actions (Gadrey, 2001 ; Gaulejac, 2005).
Ceci nous conduit à aborder le deuxième axe de controverse
: la caractérisation de la gestion par ses techniques. J.-P.
Bouilloud écrit que « si les pratiques sont très
anciennes, leur codification l’est moins. Or c’est à
partir de la codification de ces pratiques et de leur instauration
comme normes 3 définies par la loi (plan comptable) ou liées
à l’usage (contrôle de gestion) que l’on
peut parler des techniques de gestion » (Bouilloud/Lecuyer,
1994 :11). Mais ces techniques sont elles-mêmes moins définies
par leur “nature” que par leur finalité : assurer,
voire améliorer sans cesse la bonne marche et le fonctionnement
des organisations. Cette quête de performance a été
définie (Barnard, 1938) comme résultant de la recherche
conjointe de l’efficacité (capacité à
atteindre les objectifs fixés) et de l’efficience (capacité
à réduire les effets non souhaités de l’efficacité).
Mais cette recherche d’équilibre est souvent oubliée
au profit de la seule efficacité (Roux-Dufort, 2004), car
« le paradoxe réside à la fois dans la normalisation
des pratiques de la gestion et dans l’imprécision conquérante
de ses frontières chaque fois repoussées » (Bouilloud/Lecuyer,
1994 :313).
Ces instruments de gestion, dont la liste va grandissante au fur
et à mesure que la recherche d’efficacité gagne
de nouvelles sphères, Y. Simon et P. Joffre nous les présentent
: la comptabilité, la finance, le contrôle, le marketing,
la gestion des ressources humaines, la gestion de la production
et la politique générale (Simon/Joffre, 1997). Il
est intéressant de relever, de ce point de vue, que le Dictionnaire
de gestion d’E. Cohen ne porte aucune définition de
la gestion, alors que l’ouvrage est centré sur les
techniques qu’elle mobilise (Cohen, 2001a). A. Desreumaux,
quant à lui, considère la gestion comme un «
ensemble de savoirs théoriques et opératoires »
(Desreumaux, 1992), tandis que pour P. Lassègue, elle est
« l’application des sciences à la conduite des
organisations, […] le fait pour la conduite des organisations
de recourir aux sciences » (Lassègue, 2003). Une telle
précision, indique Desreumaux « vise à souligner
le fait que la gestion ne se confond pas avec la simple application
de la science à un champ prédéfini, comme c’est
le cas d’autres sciences fondamentales […] mais que
l’amélioration de la conduite des organisations passe
aussi par le détour productif d’une recherche fondamentale
qui ne devrait toutefois pas se laisser prendre au piège
de la connaissance gratuite » (Desreumaux, 1992).
Venons-en au troisième axe de controverse : le caractère
scientifiquement fondé de l’action des gestionnaires
et de leurs techniques. Des théories sont constituées.
Elles permettent d’augmenter la capacité à gérer
les organisations. Ces théories trouvent elles-mêmes
leurs sources dans des sciences constituées dans d’autres
champs de la recherche : sciences de l’ingénieur (avec
les premiers spécialistes en gestion que sont Taylor et Fayol),
sciences sociales et humaines, avec, notamment, l’économie,
la psychologie, la psychosociologie, la sociologie, les sciences
cognitives. Ainsi, un concept récent de la gestion, “l’apprentissage
organisationnel”, propose un cadre conceptuel de compréhension
des organisations. Il propose aussi et surtout, un cadre d’action,
qui repose largement sur les travaux de Ch. Argyris, un psychosociologue
qui s’est orienté vers une approche cognitive.
9En première analyse, on peut considérer que l’objet
gestion concerne l’ensemble des principes et techniques codifiés
visant à améliorer en permanence la performance des
organisations. Par ailleurs, les groupes professionnels qui les
portent cherchent quant à eux à légitimer ces
principes et techniques par l’obtention de fondements scientifiques.
Une telle définition souligne combien la gestion semble à
la fois un moyen et un enjeu du pouvoir (au moins dans les organisations).
Ceci se traduit par le caractère nécessairement expansionniste
de la gestion. Nous examinons cet aspect au point suivant.
III. Pourquoi s’intéresser sociologiquement
à la gestion ?
S’intéresser sociologiquement à la gestion
nous paraît important pour plusieurs ensembles de raisons.
Tout d’abord, en tant que discours et pratique, la gestion
joue un rôle structurant dans les univers professionnels.
C’est en effet en son nom que l’on prend des décisions
concernant, souvent, un nombre considérable d’individus.
L’accroissement du nombre de multinationales et la concentration
simultanée à l’échelle internationale
des entreprises au sein de chaque branche d’activités
font que des décisions de gestion concernent souvent plusieurs
pays et que ces derniers sont considérés au travers
de dispositifs et d’indicateurs identiques. Comme le pointe
J. Gadrey, « non seulement l’information boursière
est devenue omniprésente », mais « le discours
[…] sur la “valeur pour l’actionnaire” s’appuie
sur la diffusion de normes de contrôle de gestion et de mesures
des performances » (Gadrey, 2001 :392-393). Il n’est
pas jusqu’aux syndicats qui n’envisagent cette forme
de gestion comme un moyen d’action au service de la défense
des salariés.
Le sujet est encore plus important si l’on prend en compte
le fait que les services publics et les administrations (quand ils
ne sont pas privatisés) sont également l’objet
de rationalisations gestionnaires inspirées du monde marchand
: éducation (Laval, 2003 ; Noble, 2001), santé (Carré/Lacroix,
2001), social, police, justice, impôts, transports, communications
(Metzger, 2000). L’une après l’autre, ces sphères
d’activités sont l’objet d’expérimentations
visant à considérer l’usager, l’élève,
le contribuable ou le patient comme un client. Le collègue
devient un client interne avec lequel on contractualise ; les tâches
considérées comme hors du “cœur de métier”
(hôtellerie, entretien, gardiennage, comptabilité,
paie…) sont externalisées, favorisant ainsi la marchandisation
de ces activités et leur gestionnarisation.
Pour ces processus également, il faut prendre en compte
la dimension internationale, car les organisations comme la Commission
européenne, l’onu, le fmi, la Banque mondiale, l’omc,
l’iso, l’uit produisent des recommandations, des rapports,
des injonctions qui visent aussi bien les entreprises marchandes
que les services publics et dont bien des aspects s’apparentent
à des pratiques et/ou des discours gestionnaires, y compris
quand il s’agit de promouvoir un développement durable,
de mesurer la fracture numérique ou le degré de pauvreté
(Constantin, 2002 ; Streeten, 1995). L’expert en gestion tend
alors à se substituer au politique, comme l’ingénieur
et l’entrepreneur, dans le projet saint-simonien, devaient
se substituer au politique et comme, dans le projet d’E. Cohen,
les experts des instances arbitrales de régulation produiraient,
au niveau mondial, « par leurs décisions une forme
de droit privé s’appliquant dans la sphère publique
» (Cohen, 2001b).
Par ailleurs, ne “gère”-t-on pas son temps,
sa vie, ses loisirs, la scolarité de ses enfants comme s’il
s’agissait d’investir en cherchant à optimiser
la performance de ces capitaux ? Ainsi, l’individu doit-il
“gérer” ses différents temps sociaux de
manière à concilier efficacement toutes ses ressources
dans une perspective de compétition sans trêve. M.-A.
Barrère-Maurisson montre qu’une majorité d’hommes
salariés envisagent l’organisation de leur temps libre
comme s’il s’agissait de leur temps de travail (Barrère-Maurisson,
2001). V. de Gaulejac note que « la famille devient une petite
entreprise chargée de produire des enfants employables »
(Gaulejac, 2005 :116). N. Aubert souligne que de plus en plus d’individus
investissent leur propre énergie au risque de se consumer
(Aubert, 2004). Les relations sociales deviennent un capital que
l’on doit entretenir à toutes fins utiles dans la perspective
de les activer à bon escient. C’est ce que montrent,
d’une part, P. Bourdieu (Bourdieu, 1980) et d’autre
part, la nouvelle sociologie économique, qui conçoit
le capital social comme l’articulation de la confiance, des
réseaux et de la réciprocité. Une telle approche
laisse penser que l’on peut contrôler sa confiance et
ses échanges les plus informels dans une visée gestionnaire.
Les connaissances, acquises de façon formelle ou informelle,
deviennent des investissements immatériels qu’il faut
faire fructifier tout au long de la vie (Laval, 2003). Les jeux
et les sports font également l’objet d’un traitement
basé sur les performances (Craipeau/Dubey, 2004). Les soins
aux personnes dépendantes, le soutien scolaire, l’adoption
des enfants (Zelizer, 1994) sont envisagés dans une perspective
marchande.
Par ailleurs, les techniques de gestion sont de plus en plus des
techniques informatiques de gestion. Leur champ d’application
recouvre des domaines tels que la gestion des tâches, la gestion
des processus, la gestion des relations sociales dans l’organisation
(Craipeau, 2001). En définitive, cette technologie devient
l’instrument d’un mode de régulation renouvelé
où l’augmentation de l’autonomie s’accompagne
d’un renforcement du contrôle (Durand, 2004). L’utilisation
de ces technologies devient centrale dans l’émergence
« d’un nouveau modèle gestionnaire, consistant
à reconnaître a priori des zones d’autonomie
importantes aux différents opérateurs de l’organisation
» (Moisdon, 1994).
A cela s’ajoute le fait que les usages de dispositifs informatiques
se généralisent dans les sphères privées.
Cette généralisation de la consommation de tic est
aussi bien l’affaire des individus que le résultat
de la volonté des pouvoirs publics d’investir dans
ce média (encouragement au e-learning, informatisation des
données relatives à la santé, volonté
de développer le “e-gouvernement”). Or, les dispositifs
informatiques ont d’abord été développés
dans la perspective de faciliter les calculs des administrations
publiques (Black, 2001) ou privées (comptabilité,
recherche de gains de productivité) ainsi que le travail
des économistes (élaboration de modèles). De
plus, ils sont produits selon des principes considérés
comme optimisés (la ressource humaine qualifiée des
informaticiens étant relativement coûteuse). Dès
lors que l’on admet que les logiciels grands publics supportent
certains principes d’usages et d’organisation implicites
(Alsène, 1990), on peut faire l’hypothèse que
leur utilisation non professionnelle renforce la banalisation des
principes gestionnaires qui ont présidé à leur
élaboration. Ce phénomène est d’ailleurs
accentué par le renouvellement permanent des dispositifs
qui concentre l’attention sur leur maîtrise.
Bref, de plus en plus d’activités sociales deviennent
l’objet d’un raisonnement basé sur des notions
de production et de gestion de la production : tout semble se faire
écho pour rendre propice une gestionnarisation accrue de
la société (Robert, 2004). Il devient délicat
de penser en dehors d’un univers mental structuré par
le souci de la bonne gestion. Et en ce sens, la gestion constitue
un véritable fait social total, au sens qu’en donne
M. Mauss, à savoir le lieu où « s’expriment
à la fois et d’un coup toutes sortes d’institutions
: religieuses, juridiques et morales – et celles-ci politiques
et familiales en même temps ; économiques – et
celles-ci supposent des formes particulières de la production
et de la consommation […] ; sans compter les phénomènes
esthétiques auxquels aboutissent ces faits » (Mauss,
1969 :147).
Enfin, ultime raison justifiant la pertinence d’une sociologie
de la gestion : il existe dorénavant un corpus de textes,
de recherches, d’études, portant sur la gestion, sur
les dispositifs de gestion, sur l’histoire de la gestion et
des entreprises ; ces textes permettent d’appréhender
la gestion en tant que discipline scientifique, en tant qu’institution
scolaire et en tant que profession. Il serait sans doute judicieux
de dresser un premier bilan de ce corpus afin de proposer un état
des connaissances (Beaujolin, 1999 ; Bouilloud/Lecuyer, 1994 ; Boussard/Maugeri,
2003 ; Gaulejac, 2005 ; Maugeri, 2001 ; Moisdon, 1994 ; Robert,
2004).
IV. Une sociologie de la gestion : approche épistémologique
Si la gestion semble un phénomène social total, il
faut pour le moins préciser comment l’entreprise qui
consiste à connaître sociologiquement cet objet se
situe : d’une part, par rapport aux autres sous-disciplines
sociologiques ; d’autre part, par rapport à la gestion
proprement dite, théorique et pratique, scientifique et empirique.
Examinons ces deux dimensions.
A. Sociologie de la gestion et autres sociologies : quelles
articulations ?
Il est classique de chercher à définir un champ de
connaissance en l’articulant avec les disciplines instituées.
Pour fonder un nouvel espace de connaissances, la confrontation
de la discipline postulante aux disciplines instituées peut
porter sur l’objet, sur les catégories d’analyse,
les objectifs, les postures, le rôle social, les modalités
de contrôle du recrutement de leurs membres… Dans la
mesure où les pratiques de gestion les plus abouties et les
plus structurantes appartiennent au monde du travail, on peut considérer
qu’elles relèvent de la sociologie du travail. Mais
on peut également soutenir que les décisions de gestion
étant essentiellement prises au sein des organisations, leur
étude s’inscrit dans le champ de la sociologie des
organisations. D’autres pourraient soutenir que la gestion,
étant une des activités structurantes (voire distinctive)
du groupe des cadres, sa compréhension relève avant
tout de la sociologie des cadres ou de celle des dirigeants (des
élites). On peut également soutenir que la pratique
de la gestion, et plus précisément l’accès
à une position de monopole pour la définition la plus
légitime de ce qu’est la bonne gestion, est un enjeu
dans la construction de la profession gestionnaire et qu’en
cela, elle relève de la sociologie des professions.
Notre interrogation sur le positionnement de cette activité
de connaissance doit être replacée dans l’évolution
de la sociologie du travail. Si, ce faisant, l’on en vient
à multiplier les approches portant, certes, sur le travail,
celui-ci est considéré de façon éclatée
et parcellisée sous l’angle d’une quasi-redécouverte
de l’ergonomie et d’une mobilisation des sciences cognitives,
de la linguistique, de l’interactionnisme. Un tel éclatement
de l’objet risque de faire perdre ce qui constitue l’unité
du social dans toute sa complexité et ce qui donne ses fondements
empiriques à la critique (envisagée comme jugement
de fait) 4. Dès lors, comment éviter que la sociologie
de la gestion ne soit qu’un auxiliaire dans l’approfondissement
des pratiques gestionnaires ? A-t-on l’intention d’accorder
une quelconque capacité d’action à des dispositifs
de gestion envisagés comme des actants d’un univers
fondamentalement a-hiérarchique et interactionniste où
tout individu serait l’acteur d’incessantes constructions
sociales 5 ? Ou préfère-t-on se positionner dans une
visée cumulative vis-à-vis de la sociologie du travail
en considérant que ses fondateurs (en France) avaient clairement
abordé le caractère sociétal du travail (Tréanton,
1986) ? C’est cette dernière option que nous voudrions
défendre.
B. Renouer avec l’ambition de la sociologie du travail
La sociologie de la gestion s’inscrit légitimement
au sein de la sociologie du travail et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, l’ouvrage fondateur de cette discipline
(Friedmann/Naville, 1964) consacre sa quatrième partie à
l’entreprise ; plusieurs sections abordent des questions de
décision et de gestion (Touraine, 1964), ou des problèmes
d’organisation et d’autorité (Reynaud, 1964).
D’autre part, dès l’introduction, G. Friedmann
s’interroge sur la légitimité de la sociologie
du travail à analyser les tâches d’administration
et d’organisation (Friedmann/Naville, 1964 :26-27). Surtout,
P. Naville et P. Rolle analysent comment « les techniques
nouvelles de production étendent directement leurs effets
dans tous les autres domaines de la vie économique : transports
et communications, en particulier. […] Le champ de la consommation
s’en trouve lui aussi affecté ». Pour les auteurs,
« ce ne sont pas seulement les techniques, désormais,
qui prennent ce tour de plus en plus expérimental, c’est
la société tout entière, à l’échelle
de la planète, tout d’abord, et déjà
à l’échelle plus grandiose du système
solaire » (Naville/Rolle, 1964 :370).
Par ailleurs, dans La puissance et la sagesse, G. Friedmann consacre
plusieurs passages aux questions centrales d’une sociologie
critique de la gestion : un chapitre traite de « cybernétique
et surhominisation », une section aborde « l’ère
des ordinateurs » (Friedmann, 1970). L’auteur cherche
à apprécier les effets de l’informatique dans
le processus d’automation. Il note que, si la cybernétique
est la science de l’efficacité de l’action (expression
qui pourrait tout aussi bien désigner la gestion), elle ne
se soucie guère des hommes auxquels elle donne congé
; il remarque encore qu’elle conçoit le social sur
un mode mécanique où seuls sont pertinents les raisonnements
basés sur le succès et l’échec. En sorte
que cette « utopie technicienne », dans ses principes
d’application aux activités sociales, tend (et le revendique)
à considérer les machines et les êtres vivants
dans la même classe, celle des organismes ayant des activités
dirigées vers un but 6. La proximité entre cybernétique
et gestion est confirmée par la définition que G.
Friedmann donne de la cybernétique : « théorie
de la communication appliquée à l’élimination
d’activités psychiques subalternes […] [visant
à] grignoter le facteur humain » (Friedmann, 1970 :177),
en utilisant l’ordinateur ce « fantastique manœuvre
intellectuel ». Qu’est-ce, sinon la mise en œuvre
des principes de rationalisation gestionnaire appliqués aux
activités intellectuelles ?
Avec quarante ans de recul, ces réflexions montrent que
les auteurs avaient anticipé plusieurs dimensions centrales
spécifiques aux processus à l’œuvre dans
la société contemporaine : l’internationalisation
des transformations en cours dans les pays occidentaux ; l’imbrication
entre les mutations de l’appareil productif et les transformations
touchant à la sphère domestique ; les effets sociaux
croissants liés aux techniques de communication et de transport
; l’ambiguïté intrinsèque liée aux
usages de ces techniques (plus grande autonomie et simultanément
précarité ainsi que renforcement du contrôle)
; la volonté d’un sous-ensemble d’acteurs de
produire le social. Ainsi, la sociologie du travail a bien contribué
à façonner un premier cadre d’analyse de l’objet
gestion, tout en élaborant des catégories d’analyses
somme toute robustes, puisqu’elles ne sont pas sans faire
écho à celles de la nouvelle sociologie économique.
Enfin, la tradition de la sociologie du travail nous renseigne
sur les risques d’instrumentalisation gestionnaire des sciences
sociales. Comme le retrace G. Friedmann, la sociologie du travail
française s’est progressivement distinguée de
la sociologie industrielle américaine, jugée trop
directoriale et ambiguë (Friedmann/Naville, 1964). Cette vision
des choses est nuancée par P. Desmarez qui examine comment
cette sociologie s’est construite à la fois contre
et sous l’influence de sociologues et de psychosociologues
américains tels que E. Mayo, T. Parsons, R. K. Merton et
C. Barnard (Desmarez, 2004).
Pour toutes ces raisons, il nous semble pertinent de rattacher
la sociologie de la gestion à la tradition ouverte par la
première sociologie du travail, tout en étant conscients
des risques d’instrumentalisation qu’une telle inscription
comporte.
C. Quel intérêt de connaissance ?
Pour préciser le sens à donner à la sociologie
de la gestion, il faut également s’interroger sur l’intérêt
de connaissance associé. Comme le rappelle M. Lallement à
partir d’une lecture de J. Habermas, les sciences empirico-analytiques,
pour échapper aux influences des intérêts particuliers,
ont élaboré des méthodes et des procédures
de contrôle (Lallement, 2003a). Mais elles se masquent à
elles-mêmes les intérêts fondamentaux auxquels
elles doivent « les conditions mêmes de toute objectivité
». Elles sont guidées par l’illusion positiviste
selon laquelle la maîtrise des processus techniques permettra
de maîtriser l’histoire ; inutile, dès lors,
de mener une action politique au sens du débat sans domination.
L’histoire est refoulée. De même, pour les sciences
herméneutiques, l’objectivisme consiste à réifier
les traditions, à s’empêcher de réfléchir
sur elles. Le seul moyen de rompre avec l’objectivisme, c’est
de mettre en évidence le rapport entre connaissance et intérêt.
La particularité des sciences critiques est de permettre
que le travail scientifique fasse retour sur les intérêts
qui le poussent, ce qui peut, en principe, mettre ces intérêts
à distance. Les autres sciences quant à elles, ne
veulent pas faire retour sur leurs propres intérêts,
au nom de la séparation entre jugements de faits (connaissances)
et jugements de valeurs (intérêts). L’illusion
consiste à masquer la construction même de l’objet
d’étude : une construction qui obéit à
des règles précises et surtout, qui vise un objectif
qui dépasse le cadre de la stricte connaissance («
disposer techniquement des processus objectivés »).
Or, l’éclatement de l’objet gestion résultant
de la juxtaposition de perspectives théoriques et d’une
approche strictement empirique, rend plus délicate cette
distinction, ce qui présente le risque d’enfermer la
recherche sociologique dans l’univers gestionnaire qu’elle
entend précisément étudier 7. Il est donc fondamental
d’identifier dans quelle mesure et sous quelle forme «
l’esprit gestionnaire » imprègne les sciences
sociales et humaines, à la manière de l’épistémé
de la culture occidentale contemporaine (Foucault, 1966). Une façon
de procéder consiste à classer les différents
types d’études sur la gestion (problématique,
systèmes de concepts/théorie, posture, méthodologie)
en fonction des différents types d’intérêts.
Ce tableau classant (tableau 1, p. 154) devrait permettre de distinguer
les études relevant, à proprement parler, d’une
sociologie (critique) de la gestion (science émancipatoire)
de celles relevant des sciences de gestion (intérêt
technique). La dispersion entre les différents types d’intérêts
peut relever d’une différence de posture (a-critique
par neutralité revendiquée), de méthodologie
(instituer des théories à partir de la modélisation
de l’existant), ou d’interprétation/définition
de l’objet gestion (ou de l’objet dispositif de gestion).
V. Analyser sociologiquement l’objet gestion
A. Une définition dynamique de l’objet gestion
Compte tenu de ce qui précède, pour déterminer
un ensemble de critères permettant de discerner les faits
de gestion de ceux qui ne le sont pas, nous proposons d’approfondir
notre première définition de la gestion en la considérant
comme une tension permanente entre deux systèmes de dispositifs
(techniques, organisationnels, symboliques…).
Le premier système est conçu, parfois de façon
informelle, parfois de façon très codifiée,
par des professionnels dont l’activité principale n’est
pas la gestion, mais qui, pour mener à bien leur propre travail
productif, ont trouvé des moyens de s’organiser et
de hiérarchiser les différentes dimensions de leur
métier. Il faut souligner que les solutions élaborées
par ces professionnels s’insèrent dans leur conception
du travail bien fait, s’accordent aux valeurs dominantes de
leur groupe et s’inscrivent dans le long terme, par exemple,
en prenant en compte la nécessité de former les nouveaux
et de promouvoir les plus anciens.
Le second système est conçu et mis en œuvre
par plusieurs groupes professionnels (gestionnaires en titre, ingénieurs,
informaticiens…) qui cherchent à fonder leur légitimité
sur leur capacité à définir le plus rationnellement
l’efficacité collective en milieu organisé,
et qui, simultanément, cherchent ainsi à exercer le
pouvoir dans les appareils productifs, notamment en contrôlant
leurs transformations. Même si les dispositifs de gestion
sont le fruit de compromis, leur conception et leur introduction
relèvent de l’activité des gestionnaires.
De la sorte, la gestion résulte avant tout d’une histoire
: celle du groupe professionnel des gestionnaires (et des segments
qui le composent), de leurs prédécesseurs, de leurs
alliés (dirigeants, autres professions gagnant à court
terme dans le développement de la gestion), des institutions
(grandes écoles, écoles de gestion, cursus de gestion
au sein d’autres filières spécialisées,
cabinets de consultants, entreprises produisant des dispositifs
de gestion,…). Ce processus historique peut être saisi
à différents moments et se présente comme le
résultat, toujours contingent, mais jamais indéterminé,
des rapports sociaux entre ces deux systèmes et, in fine,
entre les deux types de groupes professionnels impliqués.
L’importance de la dimension technologique peut alors être
replacée dans cette perspective. Considérer que la
gestion s’appuye sur un ensemble de dispositifs techniques,
c’est interroger le sens même de cette activité,
dont l’origine et certaines évolutions majeures se
trouvent du côté des ingénieurs. Sans pouvoir
ici détailler les modalités de leur influence, rappelons
qu’au moins dans le cas de la France, ces derniers ont contribué
à façonner les champs théoriques et pratiques
de ce qui allait devenir la gestion, participant à la normalisation
de la comptabilité des sociétés anonymes, cherchant
à théoriser la formation des dirigeants d’entreprise,
diffusant le taylorisme (doctrine et pratique). De plus, les modèles
qu’ils ont inventés, quoique réinterprétés,
sont toujours utilisés dans l’enseignement de la gestion,
comme en témoigne le rôle déterminant des mathématiques
appliquées.
Cette rapide esquisse du rôle du groupe professionnel des
ingénieurs (qu’il faudrait bien sûr enrichir
et compléter de celle du rôle d’autres groupes),
permet d’illustrer en quoi les dispositifs techniques, et
tout particulièrement les tic, constituent un objet de connaissance
pour la sociologie de la gestion : ils permettent d’identifier
le résultat, provisoire, des stratégies et des enjeux
entre groupes professionnels.
B. Une problématisation centrée sur le sens
de la gestion
Mais la sociologie de la gestion, dans une visée critique,
ne doit pas s’arrêter là. De même que la
sociologie du travail replace l’étude de l’entreprise
dans celle des rapports sociaux de production, la sociologie de
la gestion doit interroger la recherche même de l’efficacité.
Pour ce faire, elle doit dé-naturaliser la prédominance
des pratiques et des thèses néolibérales (Martin
et al, 2003), et plus généralement de l’utilitarisme
dans notre société. Cette prédominance a été
identifiée par H. Arendt comme caractéristique de
la condition de l’homme moderne : « l’inconvénient
de la norme d’utilité inhérente à toute
activité de fabrication est que le rapport entre les moyens
et la fin sur lequel elle repose ressemble fort à une chaîne
dont chaque fin peut servir de moyen dans un autre contexte. Autrement
dit, dans un monde strictement utilitaire, toutes les fins seront
de courte durée et se transformeront en moyens en vue de
nouvelles fins. […] Dans le monde de l’homo faber, où
tout doit servir à quelque chose, le sens lui-même
ne peut apparaître que comme une fin. Mais une fin une fois
atteinte cesse d’être une fin et perd sa capacité
de guider et de justifier le choix des moyens. Le sens au contraire
doit être permanent, il ne perd rien de son caractère
s’il est trouvé » (Arendt, 1988 :208).
Dès lors, la sociologie de la gestion doit, dans le même
élan, questionner les conceptions banalisées de la
performance, comme moyen devenu sens et ainsi situer l’origine
(les lieux, les acteurs) de la « puissance du rationnel »
(Janicaud, 1985).
C. Construire un cadre d’émancipation vis-à-vis
de la gestion
Dans le tableau qui suit (tableau 1, p. 154), nous proposons un
support de discussion synthétisant ce que pourrait être
une sociologie critique de la gestion, par opposition à une
sociologie technique de gestion, qui contribuerait au perfectionnement
de la gestion. A l’intérieur d’un tel cadre,
il est possible de préciser un certain nombre d’axes
d’investigation privilégiés.
D. Trois thèses pour une sociologie critique de
la gestion
Une sociologie de la gestion pourrait alors être développée
autour d’un nombre limité de thèses et respecter
un cadre méthodologique que nous esquissons en conclusion.
Tableau 1. Sociologie de la gestion et intérêts de connaissance.
|
Sociologie technique |
Sociologie critique |
Caractéristiques générales |
Demeure inscrite dans la naturalisation.
Procède par critique interne. |
Dénaturalise les décisions, les cadres.
Pointe les intentions et les pratiques de contrôle social.
|
Position vis-à-vis des experts en gestion et
en informatique |
Les aider à améliorer les dispositifs et leur implémentation
dans des dispositifs techniques.
Leur suggérer de nouveaux dispositifs. |
Dénaturaliser les principes de gestion qu’ils ont intériorisés.
Leur rappeler leur position et leur montrer qu’il existe
des conceptions alternatives de la gestion efficace. |
Position vis-à-vis des autres professionnels
|
Les aider à s’approprier les outils, les principes.
Leur montrer l’existence de marges de manœuvre. |
Dénaturaliser les principes de gestion qu’ils ont pu
intérioriser.
Les aider à prendre conscience qu’ils ont développé (jusqu’à
présent, dans leur pratique) une certaine conception (alternative
et efficace) de la gestion.
Leur fournir un cadre théorique pour légitimer leur « résistance ».
|
Objectif des études portant sur les principes
de gestion |
Les améliorer éventuellement par une critique interne.
|
Identifier comment ils influencent les comportements,
intentionnellement ou non (normes et normalisation). |
Objectif des études portant sur les dispositifs
de gestion |
Améliorer l’ergonomie des dispositifs pour faciliter
l’appropriation.
Préciser les conditions socio-organisationnelles de l’usage
le plus efficace.
Rappeler les prérequis en termes de formation/information.
|
Identifier comment ils formatent les conceptions, les
représentations.
Pointer les effets du renouvellement permanent (en termes
de capacité d’action ou de décisions stratégiques). |
Position vis-à-vis de la gestionnarisation de
la sphère privée |
S’intéresser aux usages personnels des TIC pendant le
temps de travail et sur le lieu de travail.
Montrer que les “compétences techniques” acquises à titre
privé peuvent aider à la maîtrise professionnelle des dispositifs
de gestion. |
Dé-naturaliser les choix qui semblent relever de la
seule sphère domestique.
Raisonner en termes de privatisation des espaces publics.
Montrer que les usages privés des TIC banalisent certaines
conceptions gestionnaires du social (efficacité, performance).
|
1. Thèse 1 : Gérer c’est produire le social
Pour ce qui concerne la sphère du travail, si les gestionnaires
mobilisent de plus en plus des technologies de l’information
et de la communication, au sein des dispositifs de gestion, en convergence
avec les décideurs, ils visent à contrôler la
production du social en milieu organisé. Pour le dire autrement,
la volonté de mobiliser des dimensions socioaffectives et
sociocognitives de plus en plus nombreuses, associée à
la volonté de médiatiser systématiquement les
relations existant entre les salariés mais aussi entre les
salariés et leurs différents interlocuteurs (usagers,
clients, patients, élèves) manifeste le projet managérial
de produire le social, comme en avait eu l’intuition P. Naville
(1963) et comme l’avait défendu Saint-Simon.
Mais cette capacité doit elle-même être mise
en rapport avec les transformations macroéconomiques et macropolitiques
(libéralisation des marchés, construction de marchés
supranationaux, financiarisation…) résultant de la
mise en œuvre croissante des thèses néolibérales
et facilitant le développement de ces dernières à
une échelle accrue. Dans ce sens, la production gestionnaire
de la société est l’instrument d’une transformation
sociale qui l’englobe. En ce qui concerne les sphères
extraprofessionnelles, la consommation des systèmes techniques
(bureautique, télécommunications), conçus d’abord
pour les entreprises et tout particulièrement pour servir
de support à des principes de gestion, conduit à banaliser
toujours plus la conception gestionnaire de l’efficacité,
le primat de la performance, l’idée que tout doit se
définir en termes de productivité. Une telle banalisation
renforce le sentiment qu’il est illégitime de critiquer
les vagues de transformations dans les organisations. Comprendre
le développement de la gestionnarisation de la société
nécessite de s’intéresser aux articulations
complexes existant entre pratiques économiques et pratiques
gestionnaires.
2. Thèse 2 : Le changement permanent est une ressource
capitale
Ce projet d’ingénierie sociale prend, depuis deux
ou trois décennies, une forme particulière : celle
du changement permanent et multidimensionnel. Règles et modalités
de la régulation (du central au local), principes d’organisation,
outils, taille et composition des équipes de travail, modalités
d’échanges, il ne semble pas y avoir un seul aspect
qui échappe à la volonté de transformer sans
cesse l’existant. Il en résulte une cumulativité
des effets, ce qui rend, à chaque étape, la sortie
du modèle gestionnaire plus difficile : tout le monde se
centre sur la maîtrise de la nouvelle étape du processus
d’ingénierie sociale, en cherchant à préserver
les avantages acquis en termes de positions et de compétences,
sans penser à remettre en cause les principes initiaux.
Une telle approche redonne toute sa place à une vision des
organisations perçues comme espaces de domination. Cette
domination résulte du renouvellement permanent des cadres
de l’action et de l’extension, à un nombre toujours
plus grand d’aspects, de la rationalité gestionnaire
(cette extension étant elle-même facilitée/permise
par la marchandisation croissante des activités sociales).
La domination désigne ici « la chance, pour des ordres
spécifiques (ou pour tous les autres), de trouver obéissance
de la part d’un groupe déterminé d’individus
» (Weber, 1995 :285). Elle désigne également
la capacité d’un acteur collectif (le sujet) à
contrôler l’historicité, c’est-à-dire
à établir sa supériorité sur les trois
dimensions structurantes de l’action sociale : l’accumulation
économique, le modèle culturel et le mode de connaissance
(Touraine, 1993).
Cette conception doit être complétée pour rendre
compte du caractère essentiellement dissymétrique
de l’accès aux décisions structurantes (R. Aron),
aux super-règles (J.-D. Reynaud) ou aux mécanismes
objectivés et institutionnalisés d’appropriation
des profits du champ (Bourdieu, 1976). Aussi faut-il introduire
l’idée que l’émergence de différents
groupes professionnels, prétendant au titre d’acteur
collectif le plus légitime pour gérer les organisations,
relève d’une lutte pour l’accès à
l’institutionnalisation des capitaux spécifiques. G.
Duménil et D. Lévy ont inventé le concept de
« cadrisme », pour souligner le rôle prépondérant
de cette catégorie socioprofessionnelle dans la gestion des
organisations, le terme de cadre se substituant à celui de
manager ou gestionnaire (Duménil/Lévy, 2003). Mais
cette approche empêche de comprendre les luttes de pouvoir,
les conflits internes, les rôles différenciés
des cadres : ainsi, un consultant en organisation ou en finances
aura-t-il la même position qu’un cadre technico-commercial
dans une entreprise ?
Cette thèse permet en outre de réinterroger l’opposition
entre actionnaires et gestionnaires : une telle opposition n’est-elle
pas remplacée par un conflit de légitimité
entre gestionnaires financiers (représentant des organismes
de détention de titres) et gestionnaires industriels (représentant
des intérêts technologiques des organisations productrices),
demeurant ainsi interne au monde de la gestion ? Nous faisons l’hypothèse
que cette lutte s’inscrit dans le processus cumulatif du changement
permanent de la façon suivante : à chaque transformation,
les écarts de ressources entre les détenteurs de savoirs
gestionnaires et les autres catégories, sommées de
mettre en œuvre les initiatives des premiers, s’accroissent.
De plus, les premiers se sentent toujours plus convaincus (et convaincants)
de conformer le social à un plan préétabli,
tandis que les seconds admettent chaque fois un peu plus qu’il
n’y a rien d’autre à faire que d’agir dans
le cadre préfixé par les premiers.
Pour tester la validité de cette thèse, il s’agira
d’élaborer une cartographie des lieux de production
des savoirs et savoir-faire de gestion considérés
comme légitimes : formation ou production de capital scolaire
et cognitif, sans oublier les lieux de production des dispositifs
de gestion qui ne sont pas nécessairement limités
aux seuls dispositifs présentés comme tels par les
gestionnaires (Djelic, 2004). Cette cartographie ne serait pas statique.
Elle comprendrait la reconstitution de la genèse des sciences
de l’organisation ; celle de la lente autonomisation et structuration
du groupe des gestionnaires par rapport aux ingénieurs, aux
économistes, aux dirigeants, dans les entreprises et dans
les institutions d’enseignement ; l’identification du
rôle des sciences sociales dans ces différents processus.
3. Thèse 3 : Les dispositifs de gestion sont à
la fois structurants et structurés par ce processus cumulatif
Les dispositifs de gestion résultent de la confluence de
trois mouvements interdépendants. D’un côté,
les managers cherchent (au-delà de choix individuels) à
transformer en permanence leurs organisations ; ils sont donc à
l’affût d’innovations techniques et/ou gestionnaires.
De leur côté, les gestionnaires sont à la recherche
d’éléments de distinction pour légitimer
leur position ; ils proposent régulièrement de nouveaux
principes, de nouvelles formulations, éventuellement implémentées
sur de nouveaux supports techniques. Enfin, les industriels actifs
dans les technologies de l’information et de la communication
appliquent (ou font appliquer) les principes gestionnaires, inventent
(ou font inventer) de nouveaux dispositifs techniques et cherchent
des débouchés pour ces inventions. Il en résulte
un mouvement complexe où les intérêts de chaque
catégorie tantôt coïncident, tantôt divergent,
mais où la production et la recherche de nouveautés
constituent le lien fédérateur, la solidarité
par excellence.
La sociologie critique de la gestion étudiera donc les dispositifs
de gestion comme contribuant à l’extension des sphères
marchandes et influençant les pratiques sociales. En ce sens,
elle identifiera les processus complexes par lesquels cette extension
advient ; ces processus comprennent aussi bien l’utilisation
croissante de l’informatique dans les tâches de gestion
professionnelle et non-professionnelle, que l’apparition de
“résistances” et de contournements de ces “résistances”.
En ce qui concerne les “résistances”, un intérêt
sera accordé au décalage qui peut exister, chez les
acteurs non-gestionnaires, entre leurs pratiques (qui peuvent être
parfaitement adaptées aux finalités de l’action)
et les croyances relatives à l’efficacité gestionnaire.
Ainsi, F.-X. Schweyer et J.-L. Metzger ont montré que les
ingénieurs biomédicaux peuvent très bien développer
des méthodes originales de gestion du plateau technique hospitalier,
mais leur pratique leur apparaît comme non légitime
vis-à-vis de ce qu’ils imaginent être les pratiques
de gestion dans les entreprises marchandes (Schweyer/Metzger, 2005).
S’il s’agit, certes, d’identifier ce qui fait
la spécificité des dispositifs de gestion et de reconstituer
les initiatives managériales qui ont contribué à
faire intégrer par les opérateurs eux-mêmes
les contraintes de gestion (Durand, 2004), l’importance de
ces dispositifs ne doit pas être pour autant exagérée
: le succès de leur déploiement tient également
aux transformations du contexte macrosocial au niveau national et
international.
VI. Conclusions : de ce qui compte à ce qui se compte
Les sociologues s’intéressent depuis peu à
la gestion en tant qu’objet d’étude. Ils sont
très peu nombreux en France. Des sociologues du travail,
comme Alain Touraine (un des premiers à s’y être
intéressé), se sont détournés de ce
sujet, considérant qu’il avait perdu de son importance,
voire de sa pertinence. Par ailleurs, les recherches sociologiques
concernant le travail sont fragmentées ; peu d’entre
elles permettent de comprendre ce qui est en jeu, ce qui est spécifique
à notre société, dans les transformations actuelles
du monde du travail 8. Se centrer sur les dispositifs de gestion,
sur la place que prend actuellement la gestion dans notre société,
et pas seulement dans la seule activité productive nous permet
de renouer avec la tradition sociologique de M. Weber et de mieux
comprendre les modalités et les enjeux des processus de rationalisation
à l’œuvre.
En fait, les dispositifs de gestion, étayés le plus
souvent par les technologies de l’information, tendent, nous
l’avons évoqué, à produire du social.
Cette intention est particulièrement visible dans le cas
des groupwares et plus globalement du cscw 9. Ce champ d’étude
technique associe étroitement des ingénieurs, des
linguistes, des ergonomes, des psychologues, des psychosociologues,
des sociologues ; le but est de formuler des recommandations qui
permettent d’améliorer l’efficacité organisationnelle
et, ainsi, de contrôler la productivité des groupes
(Craipeau, 2001 ; Cardon, 1997). C’est aussi le cas des communautés
de pratiques, nouveau concept gestionnaire (Wenger, 1998). Ces formes
de gestionnarisation, avec les techniques sur lesquelles elles reposent,
visent à produire et à configurer à volonté
des collectifs qui demeurent contrôlés, grâce
à la mesure de certains indicateurs 10. Mais si nombre d’innovations
techniques ou gestionnaires échouent, est-ce parce que le
social “résiste”, ou parce qu’en cherchant
à automatiser le social, pour reprendre les termes de P.
Naville, leurs promoteurs ne permettent pas aux acteurs de créer
du sens ?
D’ailleurs, la recherche de performances dans le domaine
de l’administration publique peut présenter les mêmes
dérives gestionnaires que dans les entreprises : «
déléguant une part de son activité à
des automates, [l’administration] rationalise et planifie
encore un peu plus à des fins productivistes […] pour
augmenter la vitesse de circulation de ses différents éléments
», dont les usagers (Weller, 1999). Mais les processus de
rationalisation viennent-ils augmenter la performance du travail
ou simplement générer « un effet d’aveuglement
en produisant un artefact de rationalité ? Ils participent
à mettre en scène une définition unique de
la situation organisationnelle, alors même que d’autres
définitions sont toujours présentes mais restent en
coulisse » (Boussard, 2003).
Dans quelle mesure les dispositifs de gestion, et tout particulièrement
les techniques d’information et de communication, ne viennent-ils
pas canaliser, voire se substituer au travail entendu comme activité
sociale et ainsi ébranler ses fonctions institutionnelles
(Lallement, 2003b) ? L’interprétation, ou plutôt
l’espace d’interprétation qui existe dans le
cadre de l’activité professionnelle se situe au niveau
de la discussion et de l’entraide qui caractérisent
une équipe, « c’est la dimension problématique
et la discussion qui maintiennent le lien vivant. C’est ainsi
que la société reste vivante et ouverte au devenir
et non une totalité fermée » (Poirot-Delpech
et al., 2006). Or que reste-il de cet espace d’interprétation
lorsqu’une direction décide de créer artificiellement
des communautés de professionnels, privilégie la formation
individualisée à distance ou met en place un erp 11
pour standardiser des pratiques professionnelles et diriger les
processus de travail ?
Cet émiettement du social, cette « déliaison
» 12, recomposée par des artefacts techniques dans
une visée gestionnaire, voilà ce qui délite
le sens de l’activité liée au travail. Car le
sens de l’action se construit dans l’activité
même des collectifs, permettant des interprétations
qui ne soient pas de simples bricolages, produisant la culture,
c’est-à-dire la compétence collective. Or les
dispositifs de gestion, combinant « les vertus instrumentales
de l’outil, et des atouts persuasifs, pédagogiques
et micro-politiques » (Cuq et al., 2000), « en tant
qu’articulation d’éléments hétéroclites
[…] [en tant que] réseau d’opérateurs
matériels du pouvoir ayant des visées d’assujettissement
» (Boussard/Maugeri, 2003), poursuivent ce qu’avait
entrepris Taylor : une remise en question complète des collectifs
et des pratiques professionnelles autonomes, une remise en question
du sens du travail. Ils provoquent ainsi l’émergence
d’une violence nouvelle. Les dispositifs automatiques, écrit
G. Dubey, mettent en place « les conditions d’un nouveau
contrôle social qui répond à la double aspiration,
en même temps qu’au paradoxe, de la société
contemporaine : une société qui ne se reconnaît
plus dans les appartenances collectives, refuse les médiations
sociales comme autant de contraintes bridant l’individu »
(Dubey, 2005). Or ces automatismes répondent à une
logique gestionnaire.
C’est ce processus qu’il convient, selon nous, d’étudier
avec les outils de la sociologie du travail, d’abord au sein
des pays les plus développés, mais sans doute bientôt
à une échelle plus globale car, comme le rappelle
V. de Gaulejac, les pays sont mis en compétition et très
sérieusement comparés au moyen des indicateurs du
World Competitivness Index (Gaulejac, 2005).
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Weller J.-M., 1999, L’État au guichet. Sociologie
cognitive et modernisation administrative des services publics,
Paris, Desclée de Brouwer.
Zelizer V., 1994, Pricing the Priceless Child: The Changing Social
Value of Children, Chicago, University of Chicago (1985).
Notes
1 Une première version de ces réflexions a été
présentée à la journée de travail du
Réseau thématique 30 (sociologie de la gestion) de
l’Association française de sociologie, le 11 mars 2005.
2 L’émancipation désigne la capacité
à accéder à l’autonomie dans un monde
dominé par des relations instrumentales, à agir et
à penser de façon réflexive.
3 Nous soulignons.
4 E. Durkheim avait déjà laissé entrevoir
les effets de la division du travail sur la connaissance. Il soulignait
que cela avait pour conséquence que «nous voyons bien
plutôt la perfection dans l’homme compétent qui
cherche, non à être complet, mais à produire»
(Durkheim E., 1978, p.5).
5 Pour une critique argumentée des usages abusifs de la
notion de construction sociale, voir Lahire B., 2005, chapitre 4.
6 On ne peut s’empêcher de noter le parallèle
entre cette utopie technico-gestionnaire et l’approche de
la sociologie de la traduction de M. Callon et B. Latour.
7 Pour une identification des limites de l’empirisme, voir
Mills C. W., 1997.
8 S. Beaud et M. Pialoux font partie des rares auteurs qui articulent
l’analyse du travail avec celle de l’urbain et de la
famille (Beaud S./Pialoux M., 2003)
9 Computer Supported Cooperative Work.
10 On mesure maintenant la dimension de groupes sur internet.
11 Enterprise ressource planning ou progiciel de gestion intégré
visant à informatiser, en un seul applicatif, l’ensemble
des activités d’une organisation.
12 D’après l’expression de M. Bolle de Bal (2004).
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