Origine : http://www.cnam.fr/lipsor/dso/articles/fiche/pincon.html
LES FICHES DE LECTURE de la Chaire D.S.O.
Nathan BOIGIENMAN
DESS 202
Année 2001
M. Y. Pesqueux
2000 - 2001
SOMMAIRE
Auteurs
- Biographie
- Bibliographie
Œuvre
- Façon dont l’ouvrage se place dans l’œuvre
des auteurs
- But du livre
Analyse du livre
- Questions posées par les auteurs
- Postulats annoncés
- Hypothèses
- Mode de démonstration utilisé
Résumé du livre
Commentaires
LES AUTEURS
BIOGRAPHIE
Depuis plus de dix ans, Michel Pinçon et sa femme Monique
Pinçon-Charlot, sociologues de gauche, marxiste même,
sont les deux spécialistes français des études
sociologiques sur la richesse. Directeurs de recherche au CNRS,
ils travaillent au laboratoire CSU (Cultures et Sociétés
Urbaines) au sein de l’IRESCO (Institut de REcherche sur les
Sociétés Contemporaines). Spécialistes reconnus
d’un domaine où ils ont été des pionniers,
ils ont conduit de nombreuses enquêtes sur la bourgeoisie.
BIBLIOGRAPHIES
Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot :
Ouvrages :
* "Dans les beaux quartiers", Edition Seuil – Collection
"L’épreuve des faits" , 1989
* "Quartiers bourgeois, quartiers d’affaires",
Edition Payot – Collection "Documents" , 1992
* "La chasse à courre, ses rites et ses enjeux",
Edition Payot – Collection "Documents" , 1993 (Réédition
dans la "Petite Bibliothèque Payot", 1996)
* "Grandes fortunes, Dynasties familiales et formes de richesse
en France", Edition Payot – Collection "Documents"
, 1996 (Réédition dans la "Petite Bibliothèque
Payot", 1998). Traduction : Grand Fortunes, Dynasties of Wealth
in France, New-York, Algora Publishing, 1999.
* "Voyage en grande bourgeoisie", Journal d’Enquête,
Edition PUF – Collection "Sciences sociales et sociétés"
, 1997
* "Les Rothschild, une famille bien ordonnée",
Edition La Dispute – Collection "Instants" , 1998
* "Nouveaux patrons, Nouvelles dynasties", Edition Calmann-Lévy
, 1999
Annales, cahiers, revues et autres :
* " Les nuits de Paris". Les annales de la recherche
urbaine, septembre 2000, n° 87, p. 15-24
* "Les beaux quartiers parisiens convoités". In
Universalia 2000. Paris : Encyclopædia universalis, 2000,
p. 273-276.
* "A teoria de Pierre Bourdieu aplicada às pesquisas
sobre a grande burguesia : uma metodologia plural para uma abordagem
pluridisciplinar". Revista de ciências Humanas, abril
1999, n° 25, p. 11-20.
* "Comment définir les riches et la richesse ?"
In DANIEL, Christine et LE CLAINCHE, Christine (eds.). Mesurer les
inégalités : de la construction des indicateurs aux
débats sur les interprétations. Paris : Ministère
de l'Emploi et de la Solidarité - Drees, [1999], p. 31-40.
Coll. MiRe.
* "De quelques considérations sociologiques sur le
déplacement". In Catalogue de l'exposition "D'un
autre point". Roubaix : éd. Influ(x), 1999, p. 8-13.
* "Itinéraire sociologique". In SZAMBIEN, Werner
et TALENTI, Simona (eds.). Le Sentier - Bonne Nouvelle : de l'architecture
à la mode. Paris : Action artistique de la ville de Paris,
1999, p. 185-189. Coll. Paris et son patrimoine.
* "L'entre-soi ou la cohabitation sociale ?" Témoin,
octobre 1999, n° 18, "Violences, délinquances :
nouvelles luttes sociales ?", p. 71-79.
* "Logement social : frein à la gentrification".
In GASNAULT, François et DUMAS, Jean-Philippe (eds.). Le
XXe arrondissement : la montagne à Paris. Paris : Action
artistique de la Ville de Paris - Archives de Paris, 1999, p. 226-231.
* "Le capital cosmopolite des élites : conversions
et reconversions . In BROADY, Donald, CHMATKO, Natalia et SAINT-MARTIN,
Monique de (eds.). Formation des élites et culture transnationale
: colloque de Moscou, 27-29 avril 1996. Paris : École des
hautes études en sciences sociales, CSEC ; Uppsala : université
d'Uppsala, SEC, ILU, 1998, p. 35-45.
* "Le grégarisme des grandes fortunes". In PUMAIN,
Denise et MATTEI, Marie-Flore (coord.). Données urbaines.
Paris : Anthropos / INSEE, 1998, p. 231-240. Coll. Villes.
* "Le poids de l'héritage". Informations sociales,
1998, n° 67, p. 96-101.
* "Une approche de la vénerie contemporaine".
In La vénerie française et belge aujourd'hui. Paris:
Bourfontaine, 1998, p. 11-12.
* "Usages et usagers". In Hameaux, villas et cités
de Paris. Paris : Action artistique de la ville de Paris, 1998,
p. 89-97. Coll. Paris et son patrimoine.
* "Antagonisme ou complémentarité entre grandes
fortunes et nouveaux patrons". Les Cahiers ENSPTT, octobre
1999, n° 11, "Les réseaux de dirigeants", p.
75-78.
* "Le rôle de la famille dans la transmission de la
fortune". L'hebdo des socialistes, 29 janvier 1999, p. 16-17.
* "La finance en famille". Science et vie, novembre-décembre
1998, "Spécial économie", p. 62-67.
Michel Pinçon :
* "Cohabiter. Groupes sociaux et modes de vie dans une cité
HLM", Edition Plan Construction – Collection "Recherches",
1982
* "Désarrois ouvriers. Familles de métallurgistes
dans les mutations industrielles et sociales", Edition L’Harmattan
– Collection "Logiques Sociales", 1987
Monique Pinçon-Charlot :
* "Ségrégation urbaine. Classes sociales et
équipements collectifs en région parisienne",
Edition Anthropos, 1986 (En collaboration avec Edmond Preteceille
et Paul Rendu).
OEUVRE
Façon dont l’ouvrage se place dans l’œuvre
des auteurs :
"Sociologie de la bourgeoisie" est une synthèse
de recherches réalisées par les deux auteurs. Il reprend
en format de poche les résultats d'enquêtes antérieures.
En effet, cet ouvrage a été publié en juin
2000, suite à la publication de nombreux livres écrits
pas les auteurs sur la bourgeoisie (cf. La Bibliographie). Ces recherches
ont été rendues possibles par les financements du
Plan Urbain (intégré dans le Plan Urbanisme Construction
Architecture, ministère de l’équipement, des
Transports et du logement).
But du livre :
Le but de ce livre est de lever le voile qui recouvre les mystères
de la bourgeoisie et de montrer ce qui constitue en classe sociale,
un groupe apparemment composite. Des industriels, des hommes d’affaires,
des banquiers, de vieille souche ou de récente extraction,
y voisinent avec des exploitants agricoles, des hauts fonctionnaires,
des membres de l’Institut, des généraux…
Il y a là un champ de recherches peu exploré, alors
même que son intérêt pour la compréhension
de la société ne fait pas de doute. Aujourd’hui,
les travaux sociologiques sont trop rares. Ainsi, "ni vue,
ni connue", la grande bourgeoisie peut espérer continuer
à prospérer.
Les sociologues ont leur part de responsabilité dans la
méconnaissance derrière laquelle s’abritent
les processus de la "reproduction" de la bourgeoisie.
Les travaux sur la haute société sont rares, laissant
dans l’ombre privilèges et privilégiés.
Les raisons à cela sont multiples :
* La rareté des financements permettant de tels travaux.
* La difficulté de mener des investigations auprès
d’agents occupant des positions dominantes, qui disposent
de pouvoirs étendus et remettent ainsi le chercheur à
sa place, dominé.
* La maîtrise de la présentation de soi des bourgeois
: par l’art de la conversation et le maintien du corps, le
grand bourgeois contrôle l’image qu’il donne de
lui-même, technologie sociale qui constitue une partie importante
de son éducation et qui assure l’apparente métamorphose
de qualités sociales en qualités naturelles.
* La priorité accordée aux problèmes sociaux
et donc aux catégories vivant le chômage et les difficultés
de tout ordre.
* La recherche trouve un obstacle dans la collecte des informations
et des observations, étant donné que la haute société
cultive la discrétion sur son mode de vie et sur ses richesses
accumulées, et que l’administration protége
les fortunes.
Malgré ses obstacles, travailler sur les privilégiés
est nécessaire, car on ne peut comprendre la société
sans en connaître les sommets.
Ce livre présente donc une lecture sociologique originale
et nouvelle de la bourgeoisie.
ANALYSE DU LIVRE
QUESTIONS POSÉES PAR LES AUTEURS
* Peut-on faire l’impasse sur les dominants, sur ceux qui
tirent le plus grand profit de l’état des choses et
que l’on peut supposer être intéressé
au maintien du statu quo ?
* Peut-on encore parler de bourgeoisie dans une société
qui rejette la notion de classe sociale ?
* La bourgeoisie est-elle la dernière classe sociale ?
* La bourgeoisie est-elle menacée de disparition, comme
jadis la noblesse ? Celle-ci n’a-t-elle pas fusionné
avec les nouvelles élites ?
* Peut-on encore parler de bourgeoisie face au flot grossissant
des petits actionnaires ?
* De nouvelles fortunes apparaissent et défraient la chronique.
Sont-elles appelées à rejoindre la cohorte des nantis
?
* Comment les bourgeois vivent-ils ? Et comment sont-ils organisés
?
* Dans quelles conditions ses positions dominantes se reproduisent-elles
d’une génération à l’autre ?
* Quel rôle la constitution de lignées joue-t-elle
dans la transmission de ces positions ?
C’est à ces questions que répond ce livre,
qui synthétise les travaux scientifiques sur cet univers.
POSTULATS
* Les années 90 voient s’affirmer la prédominance
d’une idéologie libérale qui rejette la notion
de classe sociale. Le marché est censé réguler
l’économie et se substituer à la lutte des classes.
En valorisant la concurrence et l’effort individuel ce modèle
renforce l’idéologie méritocratique et va jusqu’à
stigmatiser les laissés-pour-compte du développement
économique, les assistés des systèmes de prévoyance
et autres bénéficiaires des avantages acquis. Par
conséquent, la société française de
la fin du XXème siècle est une société
profondément inégalitaire.
Mais une lecture sociologique de la bourgeoisie fait apparaître
l’apparition d’une nouvelle bourgeoisie dès le
début du XXème siècle, et qui continue à
se développer.
* La bourgeoisie est un groupe dont la position se définit
par la possession des moyens de production, qui peut aller de pair
avec l’exercice du pouvoir économique, en tant que
PDG par exemple, mais qui peut très bien se contenter d’une
attitude rentière, assortie ou non d’une activité
professionnelle.
HYPOTHÈSES
* S’il existe encore une classe, c’est bien la bourgeoisie.
Elle est à peu près la seule au tournant du siècle
à exister encore réellement en tant que classe, c'est-à-dire
en ayant conscience de ses limites et de ses intérêts
collectifs. Aucun groupe social ne présente, à ce
degré, unité, conscience de soi et mobilisation.
* Mais aujourd'hui, les bourgeois sont riches, mais d’une
richesse multiforme, un alliage fait d’argent mais aussi de
culture, de relations sociales et de prestige. Comme les handicaps
sociaux se cumulent, les privilèges s’accumulent.
* La constitution de lignées apparaît comme centrale
dans les processus de la transmission des positions dominantes.
La fusion de la noblesse et de la bourgeoisie la plus ancienne s’inscrit
dans cette logique. Cette fusion va de pair avec la cohabitation
dans les mêmes quartiers. Cette ségrégation
produit un effet de méconnaissance par la séparation
d’avec le reste de la société.
MODE DE DÉMONSTRATION
Le livre est construit de telle sorte qu’il va du plus général
au plus particulier. En effet, il débute avec une définition
de la richesse, qui revêt différentes formes, et de
la noblesse pour ensuite apporter une définition de la bourgeoisie
et donner ses caractéristiques.
Le premier chapitre apporte les éléments théoriques
qui caractérisent la bourgeoisie, mais plus particulièrement
la noblesse. Il s’agit de la richesse économique, sociale,
culturelle et de la richesse symbolique. Puis le second chapitre,
met en relation la noblesse et la bourgeoisie, avec leur fusion.
Il s’agit d’une technologie sociale mise en œuvre
par la bourgeoisie au XXème siècle, à savoir
un rapprochement lent et raisonné de la bourgeoisie avec
la noblesse. Ainsi, au fil du temps, le bourgeois a épousé
le style de vie du noble. L’étiquette et les codes
du savoir-vivre sont devenus pour lui aussi une seconde nature.
Il s’agit donc de passer de la domination économique
à la domination symbolique. Enfin les quatre autres chapitres
argumentent les éléments théoriques du premier
chapitre. La richesse économique se caractérise par
la fortune ; la richesse sociale par la cohabitation dans les mêmes
quartiers, l’internationalisation, la multiterritorialité,
les rallyes, les associations diverses, la fréquentation
des écoles ; la richesse culturelle par la conservation des
demeures et châteaux de famille, la visite de musées…
; la richesse symbolique par le nom qui synthétise toutes
les autres formes de richesse.
RESUME
Le livre est agrémenté de nombreux exemples, sondages
et enquêtes sur lesquels les auteurs se basent pour démontrer
leurs propos et étayer leurs analyses. Pratiquement tous
les exemples ne sont pas donnés dans le résumé
qui suit, étant donné qu’il serait alors trop
long.
Le résumé reprend en fait le sommaire du livre
1. Qu’est-ce que la richesse ?
1. Les représentations du sens commun
a. Des richesses autres que monétaires
Les représentations ordinaires, qui affirment que la richesse
est réduite à sa dimension matérielle, ignorent
des dimensions essentielles de la fortune, qui lui donnent son sens
social et définissent l’appartenance de la bourgeoisie.
Il s’agit du capital culturel et du capital social, que la
fortune permet d’accumuler. Or les inégalités
constituent un processus cumulatif, au terme duquel les privilèges
s’accumulent à l’un des pôles de l’échelle
sociale tandis qu’à l’autre pôle se multiplient
les handicaps.
Pour durer et être transmise la fortune doit s’appuyer
sur la famille et sur le groupe. Mais pour se constituer, elle doit
aussi mettre en œuvre les solidarités et les efficacités
de réseaux qui mobilisent les semblables et qui permettent
de prendre conscience des intérêts vitaux de la communauté.
b. Méconnaissance des niveaux de fortune
Si la richesse est méconnue dans sa structure, elle l’est
également dans son ampleur réelle, car le secret est
bien gardé par l’administration fiscale, qui interdit
la publication ou la diffusion des personnes assujetties à
l’impôt sur la fortune.
Aujourd'hui, l’idéologie libérale a annexé
la logique méritocratique : il est normal de gagner beaucoup
d’argent par la réussite professionnelle, la fortune
finissant par être perçue comme résultant de
l’effort. On a donc une conception de la société
qui a trouvé sa fin dans le triomphe du marché, ce
qui est au fond marxiste ; si les classes sociales ont disparu,
si la bourgeoisie et le prolétariat ne sont plus antinomiques,
l’histoire est bien terminée, au moins celle qui aurait
eu la lutte des classes pour ressort. Il reste que la bourgeoisie
existe bien encore comme classe.
2. La richesse est multidimensionnelle
a. la richesse économique
La concentration de la fortune est l’une des caractéristiques
les plus fortes de la bourgeoisie, avec une distribution de patrimoine
nettement plus inégalitaire que celle des revenus, compte
tenu du processus d’accumulation.
b. La richesse sociale
Le capital social est l’ensemble des ressources actuelles
ou potentielles qui sont liées à la possession d’un
réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisés
d’inter connaissance et d’inter reconnaissance, et qui
permet de décupler les pouvoirs de chacun. En effet, le groupe
développe une sociabilité intense qui dépasse
le seul cercle familial. Des institutions, tels que des clubs de
golf, des équipages de chasse à courre, des cercles…,
jouent un grand rôle dans l’accumulation et la gestion
de cette forme de capital. Mis à part l’organisation
de réceptions, de fêtes… les cercles mettent
à la disposition de leurs membres des salons où leurs
membres invitent clients et fournisseurs.
c. La richesse culturelle
Les grands bourgeois sont les principaux clients des créateurs
et du marché de l’art. L’histoire de l’art
et de la littérature s’apprennent dans les salons familiaux.
Les demeures de ces familles sont exceptionnelles au point de pouvoir
devenir des musées. Les auteurs donnent des exemples d’hôtels
particuliers et de châteaux légués à
l’Etat et qui sont aujourd’hui des musées.
d. La compétition scolaire
L’école est aussi un domaine où excellent certaines
de ces familles. Un peu par nécessité aujourd’hui
: la concurrence dans le monde des affaires s’est avivée,
la mondialisation des échanges et des enjeux en accroît
la complexité, et l’importance croissante des marchés
financiers et des risques qui lui sont inhérents demande
des compétences nouvelles. Mais également car réaliser
des études longues fait partie des stratégies d’insertion
dans la haute société.
3. Le capital symbolique, expression des autres formes de richesse
Le nom des vieilles familles synthétise une forme de capital
qui résume toutes les autres, le capital symbolique. Ainsi,
aux riches le monde social donne ce qu’il y a de plus rare,
de la reconnaissance, de la considération, c’est-à-dire
de la raison d’être. Or de toutes les distributions,
l’une des plus inégales et sans doute la plus cruelle
est la répartition du capital symbolique, c’est-à-dire
de l’importance sociale et des raisons de vivre (Bourdieu).
Compte tenu des enjeux liés à l’importance
des patrimoines à transmettre, la bourgeoisie a besoin, plus
que toute autre classe, de rites d’institutions. La personne
doit être certifiée dans son intégralité,
comme membre à part entière. L’exemple des cercles
est l’un des plus achevés. Avec la cooptation, il s’agit
pour l’institution de garantir que les nouveaux membres ne
peuvent être que d’une essence supérieure, les
travaux et encore moins la richesse ne suffisant pas à assurer
la cooptation ; il faut que le groupe désigne le candidat
comme appartenant à la communauté. Ainsi, les auteurs
donnent ensuite des exemples de personnes qui ont été
acceptés ou refusés dans des cercles.
Avec la bourgeoisie, on a donc une classe qui travaille sciemment
et de manière permanente à sa construction dans un
processus d’agrégation des semblables et de ségrégation
des dissemblables.
4. Définir un seuil de richesse
Statisticiens et sociologues se sont beaucoup plus intéressés
à la définition de seuils de pauvreté qu’à
celle de seuils de richesse. D’ailleurs, on ne dispose pas
d’indicateur qui permettrait de comptabiliser et d’étudier
la haute société, et les organismes internationaux
n’ont pas cherché à en développer, car
les problèmes sociaux se situent ailleurs.
Si l’on peut parler d’un continuum dans l’échelle
des revenus, il y a discontinuité lorsqu’on passe aux
autres richesses. Les catégories les plus défavorisées
ont des relations de sociabilité. Mais les pauvres avec les
pauvres ne peuvent mettre que leur pauvreté en commun, il
s’agit à la limite d’un capital social négatif.
Cela facilité le travail statistique et permet même
de faire l’impasse sur le capital culturel et le capital social,
dont on peut penser qu’ils sont très faibles. Toutefois,
quelques propositions ont été faites pour définir
statistiquement le niveau auquel commencerait la fortune. Les auteurs
discutent sur ces seuils de richesse, mais donnent vite leurs limites
et les difficultés rencontrées.
2. Noblesse et bourgeoisie : les enjeux du temps
1. La noblesse, survivance sociale ?
a. Reconversions des différentes formes de capitaux
Après la Révolution, la noblesse a pu se reconvertir,
devenir banquière ou industrielle. Ceux qui manquèrent
cette adaptation se virent condamnés à une sorte de
retraite étriquée sur leurs terres et à une
lente détérioration de leur position sociale, en raison
de la dégradation de la rentabilité du patrimoine
foncier. La Restauration a été de ce point de vue
un moment crucial.
b. Reconversion et conservation
Les rapports au domaine familial sont divers. Certaines familles
sont restées rurales, traditionnelles et attachées
aux valeurs aristocratiques… alors que d’autres sont
devenues parisiennes et ne tirent plus leurs revenus de l’exploitation
de leurs terres. Mais elles ont souvent conservé le château,
la maison de famille où la mémoire de la lignée
est entretenue et transmise.
Le château est emblématique de l’identité
noble, car la construction de la légitimité des positions
dominantes recourt volontiers aux indicateurs de durée, aux
signes qui peuvent inscrire les nouveaux venus dans un temps long.
c. L’anoblissement, une consécration qui se mérite
La noblesse française est une noblesse éteinte, c'est-à-dire
qu’aucun titre ou anoblissement ne peuvent plus être
décernés depuis la chute du Second Empire. Pourtant,
toute une partie, roturière de la haute société
française se réclame de l’aristocratie et de
ses valeurs. C’est que la noblesse par son inscription incomparable
dans la durée offre un label irremplaçable et très
envié. Les auteurs traitent ensuite du cas de la Belgique,
où l’anoblissement est encore possible, en donnant
des exemples. Leur conclusion est que l’anoblissement se mérite
encore après avoir été accordé et que
la noblesse n’est pas une survivance.
d. Permanence du prestige de la noblesse
En France, la valeur symbolique encore accordée par certains
à la noblesse laisse perplexe dans la mesure où la
Révolution a paru en ruiner les bases, les familles nobles
seraient menacées de disparition. Il est possible que leur
raréfaction, et celle corrélative des personnes titrées,
leur ait redonné quelque prestige. Aujourd'hui, la bourgeoisie
ne paraît pas insensible aux charmes de la noblesse puisque
les mariages mixtes entre ces deux groupes sont fréquents.
En mettant en avant les noms emblématiques de l’aristocratie,
la bourgeoisie sait utiliser une partie du capital symbolique véhiculé
par un grand nom.
L’exemple de la noblesse russe émigrée en 1917,
peut montrer à quel point le prestige de l’aristocratie
peut résister à des bouleversements sociaux radicaux.
Cette noblesse a pu être "sauvée" grâce
au capital cosmopolite, où la haute société
est chez elle à l’étranger.
Ainsi, l’un des privilèges des classes dominantes
serait de pouvoir se jouer des atteintes du temps et des vicissitudes
historiques comme si l’excellence ne pouvait jamais être
frappée d’obsolescence. En effet, plus le temps de
la lignée passe, plus le temps de cette lignée s’inscrit
dans la longue durée et donc se valorise. Le temps en principe
ne s’achète pas, et pourtant, les Anglais ont réussi
à en vendre, et par là à créer un marché
de la légitimité, avec la Manorial Society, spécialisée
dans la vente de titres nobiliaires. Mais cette vente vaut la disqualification
de l’acheteur. A l’opposé, la technologie sociale
mis en oeuvre par la bourgeoisie française au XXème
siècle, à savoir un rapprochement lent et raisonné
avec la noblesse, paraît être d’une plus grande
efficacité.
2. Noblesse et bourgeoisie : une véritable confrérie
a. Les "quartiers" de bourgeoisie
En créant à son tour des dynasties, la haute bourgeoisie
contribue à maintenir, à son profit, la croyance dans
la qualité spécifique de la noblesse. En s’appuyant
ainsi sur le temps et la durée pour légitimer ses
privilèges, la haute bourgeoisie se fond dans une nouvelle
noblesse, où la possession des différentes formes
de capitaux étant le critère essentiel de l’appartenance.
L’excellence se mesurerait donc à l’ancienneté,
à cette accumulation des générations qui, par
définition, ne peut s’improviser dans la courte durée.
En France, la seule richesse économique est valorisée
avec circonspection lorsqu’elle n’est pas transfigurée
par la présence d’autres formes de capitaux. La situation
est différente aux Etats-Unis où l’argent peut
s’afficher sans complexe. La suspicion dont pâtit la
richesse économique et financière en France tient,
pour une part, à l’existence de la noblesse qui a eu
le temps de transfigurer la signification sociale de la puissance
et de la richesse, et d’autre part à l’existence
d’une tradition socialiste peu développée aux
Etats-Unis.
Il s’agit de faire admettre que les dominants doivent d’abord
à leurs qualités personnelles leurs privilèges
et que ceux-ci sont donc naturellement mérités. Pour
cela un travail sur la personne elle-même, sur son apparence
physique, sur le maintien du corps, est nécessaire et fait
partie des bases d’une bonne éducation. Le patrimoine
de jouissance contribue au travail de légitimation de la
fortune et participe aussi à sa transmission par la formation
des dispositions de l’héritier apte à hériter.
C’est tout cela que se construit le bourgeois, soucieux de
transmettre et de durer à travers la création d’une
dynastie. Les nouvelles dynasties bourgeoises, nées dans
l’industrie et dans la banque, à travers leurs quartiers
de bourgeoisie attestent d’une ancienneté relative,
qui devient rapidement suffisante. Il s’agit donc de passer
de la domination économique à la domination symbolique.
b. Les ruses de l’endogamie
Le mariage dans la bourgeoisie met en relation deux familles et
au delà leurs réseaux d’alliances. Pour réussir
ces alliances, il fait appel à des technologies sociales
spécifiques, tels que les séjours aux châteaux,
les rallyes…Ces mariages présentent l’avantage
de maintenir le patrimoine et les fortunes à l’intérieur
du groupe, et de limiter l’érosion des fortunes due
à leur division lors des successions.
c. Nuances
Il existe toutefois des exceptions à cette fusion entre
bourgeoisie et noblesse, comme c’est le cas de la bourgeoisie
allemande, qui s’explique par leur déficit d’identité.
Ce qui est tout à fait différent du cas français
où la société de cours a eu un rôle assimilateur.
D’autre part, la noblesse d’Empire a joué un
rôle dans la fusion des élites au XIXème siècle,
avec Napoléon qui a cherché par l’anoblissement
à produire une élite.
d. Familles, réseaux et répertoires
Les techniques sociales utilisées dans la connaissance des
réseaux consistent dans la maîtrise des arbres généalogiques,
mais également dans celle des listes et des annuaires. En
effet, ces derniers produisent un effet de groupe et constituent
par là un indicateur de plus pour démontrer que ces
familles sont mobilisées, conscientes de leur appartenance
à un ensemble dont elles ne cessent de définir et
de repérer les contours.
e. Le code de bonne conduite d’un groupe très conscient
de lui-même
Les grandes familles de la bourgeoisie et de la noblesse ont non
seulement conscience des limites de leur milieu, mais elles sont
également très au fait de la place et de la position
des uns et des autres à l’intérieur même
du groupe.
L’étiquette en action s’est constituée
dans la société de cour, puis elle a été
utilisée comme une arme par la noblesse sur le déclin
face à la bourgeoisie montante du XIXème siècle.
Puis, au fil du temps, il a épousé le style de vie
du noble. L’étiquette et les codes du savoir-vivre
sont devenus pour lui aussi une seconde nature.
f. Temps et pouvoir
Complices dans le partage des richesses et celui du pouvoir, la
haute société se doit de gérer en commun leur
pouvoir sur le temps. Car la fortune donne aussi du pouvoir sur
ce qui échappe à l’homme ordinaire, tel que
fonder une dynastie…
A partir de là, les auteurs vont plus ou moins confondre
noblesse et bourgeoisie, leur fusion s’étant réalisée
dans ce que l’auteur appelle la "Haute Société".
3. Les espaces de la bourgeoisie
Regroupées dans quelques quartiers bien délimités
des villes, les bourgeois y cultivent un entre soi qui n’est
possible que parce que le pouvoir social est aussi un pouvoir sur
l’espace. Cet entre soi géographique assure d’abord
et avant tout le plaisir d’être en compagnie de ses
semblables. Mais il constitue aussi un élément des
stratégies mises en œuvre pour assurer la reproduction
des positions dominantes, avec le contrôle sur les relations
des enfants. Il permet enfin la mise en commun des richesses accumulées.
La proximité spatiale facilite donc le développement
du capital social.
1. Les beaux quartiers des grandes cités
Les quartiers résidentiels de la haute société
sont toujours des quartiers neufs, construits par elle et pour elle-même,
mais qui sont aujourd’hui parfois de vieux quartiers. Les
auteurs appellent ces quartiers la griffe spatiale.
a. La griffe spatiale
Les beaux quartiers attisent la convoitise des affaires, des sièges
sociaux des grandes sociétés, des ambassades et des
commerces de luxe, à la recherche de localisations dignes
de l’image qu’ils entendent donner d’eux-mêmes.
Les auteurs agrémentent cela par des exemples dans la capitale
parisienne. Cela ne va sans quelques difficultés pour les
familles de la haute société qui voient leurs quartiers
changer, entraînant donc leur désertification. Les
auteurs démontrent cela avec l’exode vers l’Ouest
parisien et le cas de Marseille.
Les auteurs poursuivent en donnant des exemples sur ce qui se passe
à l’étranger.
b. La géographie sociale des beaux quartiers
La concentration sur un espace restreint des familles les plus
fortunées produit une homogénéité idéologique
qui se lit dans les résultats électoraux ; en effet,
il y a une corrélation nette entre le vote conservateur et
le taux d’ "embourgeoisement" des circonscriptions.
2. Les lotissements chics
Les barrières de l’entre soi peuvent être symboliques
ou matérielles. La violence symbolique suffit à dresser
une frontière infranchissable. Mais il est d’autres
cas de figure où la grande bourgeoisie choisit de se murer
soit à l’intérieur des beaux quartiers, dans
des villas et hameaux totalement privés, dont l’entrée
est sévèrement gardée, soit dans des lotissements
clôturés de stations balnéaires. Il est encore
une situation intermédiaire où les grands bourgeois
vivent dans de vastes lotissements.
Dans tous les pays du monde, les riches vivent à l’écart
préservé des autres classes. Des exemples dans des
pays pauvres sont donnés par les auteurs (Maroc, Mexique,
Brésil…), où les bourgeois vivent dans les hauteurs
des villes. Dans ces pays, le souci et le goût de l’entre
soi sont redoublés par un besoin de sécurité.
Ainsi, lorsque ses intérêts, à la fois familiaux
et économiques sont en jeu, la bourgeoisie n’hésite
pas à casser la logique du marché à son profit.
3. Les lieux de villégiature
Parce qu’elle avait les moyens, la bourgeoisie s’est
constamment appliquée à reproduire sa vie sociale
dans les différents espaces qu’elle a pu investir,
tels que les stations balnéaires, les stations de sports
d’hiver et les stations thermales.
4. La multiterritorialité
La multiterritorialité, apparaît systématique
et caractéristique du mode de vie des grands bourgeois. Ces
territoires multiples sont révélateurs d’une
double insertion dans la société : dans la profondeur
d’une mémoire familiale et dans la modernité
d’une vie mondaine parisienne. Le pouvoir social se manifeste
ainsi sur l’espace.
4. Une classe internationale
La multiterritorialité de la grande bourgeoisie revêt
une dimension internationale. Par conséquent, personne n’est
mieux préparé que la grande bourgeoisie à l’internationalisation
de la vie des affaires.
1. L’internationalisation croissante des affaires
L’accumulation capitaliste va de pair avec une internationalisation
des affaires et des réseaux. Cela a suivi le cosmopolitisme
bourgeois qui a d’abord comme principe celui des affaires.
En effet, une société capitaliste qui prospère
reproduit ainsi la propension du capitalisme triomphant à
étendre la mondialisation, à asseoir sa puissance
sur l’internationalisation de ses intérêts. Les
auteurs apportent un exemple avec Pierre Bellon qui a fondé
la Sodexho en 1966 et qui est aujourd’hui une importante société
internationale. Un autre exemple est celui de la famille Halley
avec la société Promodès qui vient de fusionne
avec le groupe Carrefour…
Le pouvoir suppose la centralisation, mais aussi l’extension
internationale des réseaux et du contrôle économique.
Cela se vit au quotidien de multiples façons.
2. Un mode de vie international
a. L’habitus cosmopolite
La personnalité des enfants de la grande bourgeoisie est
constituée dans un système éducatif qui privilégie
une insertion internationale, par l’apprentissage de langues
étrangères, le recours à des nurses étrangères
et l’inscription dans des grands collèges internationaux.
Les jeunes acquièrent un capital social précieux de
relations internationales. Le milieu familial vient d’ailleurs
amplifier cette culture cosmopolite par les réceptions où
la présence d’invités étrangers va toujours
de soi, par les voyages et les séjours dans des familles
amies, par la fréquentation de pays étrangers à
travers les activités mondaines et les manifestations culturelles.
b. Les réseaux internationaux
Les activités sportives, comme les activités caritatives,
et les grandes manifestations, sont le support d’échanges
intenses entre les familles dispersées aux quatre coins du
monde.
c. L’anglomanie française
Les grandes familles marquent depuis longtemps une préférence
pour la langue anglaise. L’anglomanie, qui influence la haute
société française dès le XIXème
siècle, est peut être en perte de vitesse au bénéfice
des Etats-Unis.
Les raisons de cette anglomanie sont d’ordre très
divers. Tout d’abord, nombre de nobles français en
fuite au moment de la Révolution de 1789, ont trouvé
refuge dans la vieille Angleterre. De plus, l’aristocratie
anglaise est demeurée vivante.
d. Des lieux de villégiature internationaux
Même à l’étranger, le souci de la recherche
de la compagnie de gens qui vous ressemblent est constant. Aussi
la bourgeoisie internationale s’est-elle dotée de lieux
de séjours, qui sont aussi un instrument de gestion et d’accumulation
du capital social international.
5. Fabrication et entretien du grand bourgeois
La combinaison des différentes formes de capitaux qui définit
la richesse doit être transmise de génération
en génération pour assurer le maintien des familles
bourgeoises à leur niveau social. Cela suppose un contrôle
efficace de l’éducation des futurs héritiers,
mais également l’entretien en parfait état du
bourgeois par des techniques éducatives spécifiques.
1. L’enfance des chefs
a. La famille
Dans la noblesse et la grande bourgeoisie françaises, la
famille est au cœur du dispositif de la reproduction sociale.
Le riche héritier est redevable de ses choix et de ses actes
devant la famille. Transmettre le patrimoine, en l’enrichissant
si possible, tel est son devoir.
Toute éducation recourt à des formes explicites et
implicites d’apprentissages et d’inculcation. Le capital
culturel se transmet à la fois de façon implicite
par la décoration et le mobilier des demeures, et de manière
explicite dans un effort constant pour éduquer les goûts
et développer les connaissances. Par la même occasion,
c’est la place occupée dans la société
qui est intériorisée en même temps que ce rapport
à l’espace.
b. Les écoles de la bourgeoisie
Les écoles, comme deuxième instance de socialisation,
transmettent les savoirs indispensables à la réussite
aux examens nationaux, mais assurent aussi une éducation
des esprits et des corps.
Les établissements privés sont souvent à vocation
internationale et assurent toujours une éducation totale.
Les méthodes pédagogiques y sont fondées sur
une responsabilisation des jeunes, telle que l’autogestion,
y est souvent préférée à l’autoritarisme
sans principe. Ces établissements mettent l’accent
sur les pratiques sportives et les voyages collectifs.
Tout se passe comme si, au fond, cette délégation
des familles n’était que l’expression de la confiance
profonde que le milieu a en lui-même. Mais, l’entre
soi réalisé au niveau des élèves doit
aussi exister parfois au niveau des enseignants, car s'ils n’ont
pas cette complicité sociologique avec la grande bourgeoisie,
ils se retrouvent alors pris dans des rapports de domination.
c. Les rallyes
Les rallyes participent à la socialisation des jeunes. Son
but est de faire en sorte que les jeunes ne ruinent pas un avenir
brillant par une mésalliance qui viendrait rompre le fil
de la dynastie.
2. La sociabilité mondaine
Dans la haute société, on se rend immédiatement
compte à quel point l’individu y dépend de l’opinion
des autres membres de cette société. Il faut que les
autres le considèrent comme un des leurs. La richesse économique
et le capital culturel ne sont pas suffisants pour permettre l’accès
à la haute société. En revanche, le capital
social et la synthèse symbolique des différentes formes
de capitaux passent par un travail de représentation. Les
codes et les rituels, ont pour effet de dire qui est qui et de confondre
l’intrus.
d. La place de la femme
Les femmes, lorsqu’une profession est exercée, est
le plus souvent un "job" qui s’appuie fréquemment
sur le capital social possédé. La femme doit consacrer
du temps à l’éducation de ses enfants et à
la gestion du capital social familial. Ce sont les mères
qui assument la responsabilité des rallyes, et qui gèrent
les dîners et les réceptions. Ainsi, dans la haute
société la femme semble bénéficier d’un
statut qui n’est pas aussi dominé que dans d’autres
couches de la société.
e. Les sports
En milieu grand bourgeois, le sport est le plus souvent mondain,
c'est-à-dire collectif et partagé avec d’autres
membres du groupe, dans une convivialité qui renforce de
manière efficace les liens sociaux.
f. Le poids de la religion
Quelle que soit l’appartenance professionnelle, le niveau
de la pratique est élevé.
Les bourgeois trouvent dans les manifestations à but non
lucratif, une légitimation aux revenus et aux richesses accumulées.
Il existe à la fois des réseaux spécifiques
et une endogamie assez marquée pour chacune des trois confessions.
Les cloisonnements religieux ne sont pas, ou ne sont plus, rigoureux.
Mais c’est socialement que s’établissent les
clivages et les antagonismes : la grande bourgeoisie fonde son unité
et son identité sur sa position dans l’espace social
et l’ancienneté de cette position, et non pas sur la
religion.
g. Fracture entre anciens et nouveaux riches
Trop centrés sur l’accumulation du seul capital économique,
les nouveaux entrepreneurs n’ont pas encore admis pour eux-mêmes
l’importance des enjeux sociaux hors du champs des affaires.
En revanche, les nouveaux patrons à l’esprit dynastique,
généralement issus de familles de petits entrepreneurs,
qui ont déjà pris les dispositions juridiques économiques
et fiscales pour transmettre leur entreprise à leurs enfants,
ont conscience de l’intérêt du système
des relations sociales.
Cette division au sein de la bourgeoisie, entre anciens et nouveaux,
n’empêche pas de se fréquenter, voire de se marier.
Mais au dedans d’elle-même toute classe est égalitaire,
car l’égalité dans la classe est condition de
la supériorité de la classe.
6. Une classe mobilisée
Fondée sur la richesse matérielle, la bourgeoisie
atteint le statut de classe pleine et entière par cet effort
constant pour se réaliser en tant que groupe social.
1. Individualisme et collectivisme
a. Individualisme théorique et collectivisme pratique dans
la bourgeoisie.
Tout en manifestant un collectivisme pratique, avec la mobilisation
du groupe dans la recherche constante des meilleures conditions
pour satisfaire les exigences de la gestion et de la transmission
des fortunes, l’idéologie mise en avant est celle de
l’individualisme. Parce qu’il s’agit de la classe
dominante, la pratique peut se passer de théorie : la proclamation
de l’existence de la classe serait inutile, l’idéologie
libérale étant le meilleur discours auto justificatif
qui puisse tenir la classe mobilisée.
b. Les classes moyennes : triomphe de l’individualisme
Avec les classes moyennes traditionnelles on se retrouve dans un
autre cas de figure où triomphent à la fois l’individualisme
théorique et pratique. En niant les groupes et les déterminismes,
en affirmant le primat de la liberté individuelle, la petite
bourgeoisie se situe aux antipodes d’une grande bourgeoisie.
Mais quelque soit la bourgeoisie, l’idée de la réalisation
de soi est toujours présente : il s’agit d’un
individualisme positif.
c. L’individualisme négatif des classes populaires
A l’opposé des deux premières "classes",
les classes populaires vivent un individualisme négatif.
Ses "membres" sont complètements individualisés
et surexposés par le manque d’attaches et de supports
par rapport au travail, à la transmission familiale, à
la possibilité de se construire un avenir. L’absence
du collectif est ici aussi une absence de la possibilité
de vivre ensemble.
2. La bourgeoisie comme réalité et comme représentation
: les deux dimensions de la sociologie des classes sociales
Les auteurs retiennent deux notions, celle de classe en soi et
celle de classe pour soi. Dans l’approche des classes sociales,
il semble nécessaire de différencier deux dimensions,
complémentaires et partiellement indépendantes, l’exploitation
et la domination. La première renvoie à la classe
en soi. Elle existe quelle que soit la conscience qu’en ont
les agents en fonction de leur place dans les rapports de production.
La seconde est un rapport qui passe par les consciences, par les
perceptions et les représentations et par une forme de capital
spécifique, le capital symbolique. Le marxisme, s’il
a surtout développé les analyses de l’exploitation,
s’est aussi posé le problème de la conscience
de classe à travers le processus de mobilisation et de lutte.
La domination du capital a créé à cette masse
des intérêts communs. Cette masse est donc déjà
une classe vis-à-vis du capital mais pas encore pour elle-même.
Dans la lutte, cette masse se réunit, elle se constitue en
classe pour elle-même, les intérêts qu’elle
défend devenant des intérêts de classe. Max
Weber, puis Pierre Bourdieu ont considérablement enrichi
cette conception marxiste de la prise de conscience, tout en se
démarquant de cette formulation. Leur théorisation
des rapports de domination autorise une introduction de l’agent
social dans l’analyse des rapports sociaux, et donc une mise
en évidence du vécu dans le rapport à la classe.
Pour Weber, les classes existent en fonction de leur plus ou moins
grande possibilité d’accéder aux biens sur le
marché.
3. La classe bourgeoise aujourd’hui
Selon les auteurs, le recul théorique et pratique du marxisme
conduit à un recul de la classe ouvrière comme classe
pour soi. Ce recul explique peut être en partie qu’en
retour la bourgeoisie se sente autorisée à s’affirmer
plus ouvertement comme classe. La bourgeoisie s’affirme bien
comme un groupe conscient de lui-même, de ses intérêts
essentiels et de ses solidarités fondamentales. Mais tout
est fait aujourd'hui pour occulter les intérêts attachés
à tel ou tel patronyme au bénéfice d’organigrammes
abstraits qui laissent penser à une diffusion sans principe
et sans limites de la propriété du capital.
La bourgeoisie est bien toujours là, fidèle à
la position, dominante. Classe en soi et classe pour soi, elle est
la seule aujourd'hui à prendre ce caractère qui fait
la classe réelle, à savoir d’être mobilisée.
Elle n’existe certes que dans sa relation aux autres classes.
Mais dans cette relation, le rapport économique est essentiel
et c’est lui qui définit principalement les positions
des uns et des autres. Dominante, la bourgeoisie est aussi la classe
dont les ressources et la richesse proviennent de l’exploitation
du travail des autres classes. En cela, le rapport social qui la
fonde en fait d’abord une classe en soi qui n’a pas
à s’appréhender comme telle pour exister réellement.
COMMENTAIRES
CONCLUSION
Ce livre décrit donc l’apparition et les caractéristiques
d’une nouvelle bourgeoisie apparut au XXème siècle.
Il s’agit de nouveaux "riches", et de nobles qui
ont su s’adapter. Cette bourgeoisie a pris les caractéristiques
de la noblesse "éteinte". Ceci dit, on remarque
surtout en France, que la richesse ne reste pas seulement économique.
Pour s'inscrire dans la durée, transmettre et accumuler,
il faut que la richesse économique s'accompagne d'autres
formes de richesses. L'argent n'est que la condition primitive,
nécessaire mais non suffisante pour accéder à
cette haute société internationale dont on parle.
On peut dire que la grande différence avec l’ancienne
aristocratie tient dans le fait que les enfants de ces nouveaux
bourgeois sont obligés de faire de longues études,
afin de réussir professionnellement.
Mais ce qui caractérise tout autant la bourgeoisie, c'est
que, plus que toute autre classe, elle possède une haute
conscience de ses intérêts et manifeste une intense
mobilisation visant à en assurer la réalisation et,
à travers elle, la perpétuation de sa situation dominante.
Les deux sociologues montrent notamment comment la haute bourgeoisie,
derrière une idéologie de la concurrence, met des
barrières entre elle et le reste de la société.
De plus, on peut voir comme un mimétisme des "membres"
de cette "classe".
Alors que la sociologie française est toute tournée
vers l’étude de l’exclusion, Michel Pinçon
et Monique Pinçon-Charlot continuent, très isolés,
leur travail sur la haute société. Cet ouvrage et
tout le travail des auteurs rappelleront aux sociologues la nécessité
qu'il y a, pour ceux qui prétendent vouloir comprendre le
fonctionnement de la société, de tourner leur regard
vers le sommet de celle-ci. Ainsi, l'intérêt de cet
ouvrage dépasse largement la seule bourgeoisie, car il éclaire
ses liens avec l'ensemble de la société.
Cet ouvrage présente donc une étude intéressante
sur la bourgeoisie. Il s'avère à la fois rigoureux,
passionnant et abondamment documenté ; et on se délectera
des anecdotes savoureuses que les auteurs y distillent au fil des
pages pour illustrer leur propos.
CRITIQUES
Toutefois, je trouve que les auteurs ont oublié de parler
de certains éléments importants. Tout d’abord,
les auteurs ne parlent que très peu des relations entre la
bourgeoisie et les autres classes, si ce n’est à la
fin de l’ouvrage et de façon très théorique.
Il manque des exemples, des cas concrets, et des sondages sur les
rapports entre la bourgeoisie et le "peuple". De plus,
il n’est pas du tout fait question de la fascination du "peuple"
pour la haute société, alors que les journaux et les
magazines sur ce sujet ne font que croître.
Ensuite les auteurs n’abordent pas du tout les relations
de la bourgeoisie avec le pouvoir et la politique, comme si les
bourgeois n’étaient pas du tout tenter par les reines
du pouvoir.
Cette synthèse ne parle également pas du rapport
de la bourgeoisie avec les syndicats, étant donné
que les bourgeois ont en général un pouvoir économique
élevé.
Enfin, les auteurs n’ont pas parlé de la corruption
dans le monde de la bourgeoisie.
Par conséquent, on peut dire que les auteurs nous présentent
la bourgeoisie comme un monde aseptisé, que rien ne peut
déstabiliser.
ACTUALITÉS
* Lorsqu’on se promène dans les quartiers "riches"
de Paris, tel que le 16ème arrondissement, on ressent une
certaine similitude entre les habitants : même façon
de s’habiller, de parler, de se tenir debout, de marcher…
ces habitants sont bien sûr différents, mais on sent
qu’ils appartiennent à la même "classe".
De plus, on ne rencontrera pas ses personnes dans n’importe
quel endroit ; il est donc rare que l’on se retrouve souvent
avec eux… Enfin, on voit de façon nette que ces quartiers
sont mieux entretenus, plus propres, plus beaux que les autres quartiers.
Mais tout cela est un peu l’aspect extérieur des choses.
Lorsqu’on regarde de plus près la bourgeoisie, on se
rend compte de plusieurs éléments que l’ouvrage
analyse. Tout d’abord, la fusion entre la bourgeoisie et la
noblesse a bien été réalisée. Il suffit
pour cela de voir les magazines, comme Point de vue ou Gala, où
l’on parle aussi bien de bourgeois que de personnes avec des
noms nobles, comme s’il s’agit de la même "classe".
D’ailleurs, le "peuple" mélange bien les
bourgeois avec les nobles.
Mais la bourgeoisie continue de s’approprier les éléments
caractéristiques de la noblesse. Regardez François
Pinault. Il a appelé son fils aîné François-Henri
pour l'inscrire dans sa suite. Ensuite, il a acquis un château,
La Mormaire, une collection d'art importante... S'il n'y a pas de
pépins, cette famille comptera parmi les grandes familles
de demain et dès la prochaine génération on
la verra déjà comme une vieille famille d'anciens
riches.
* L’on peut voir que les enfants de cette bourgeoisie comme
de la noblesse, s’engagent dans des études longues.
Fréquentant une université dans un quartier "bourgeois"
de Paris, j’ai pu remarquer le nombre important d’étudiants
avec un nom bourgeois ou appartenant à la bourgeoisie.
* Il existe aujourd'hui une fascination pour les personnes riches
et les gens célèbres. Cela s’explique par le
fait que c'est une part de rêve qui est offerte à tous
à travers des magazines ou à travers les visite des
châteaux. Ces fêtes, ces événements où
la haute société se donne à voir au peuple,
comme lors du grand prix de Diane par exemple, avec tous ces très
beaux vêtements, permettent au "peuple" de vivre
une vie de riche par procuration.
La grande bourgeoisie, qu'elle s'apparente à la noblesse
ou vienne du monde des affaires, après avoir été
longtemps méprisée ou décriée, semble
aujourd'hui à la fois omniprésente et toute puissante
: il n'est pas un journal, pas un magazine qui ne participe, même
involontairement, à sa célébration. Et pourtant,
naturellement discrète, elle reste souvent mystérieuse,
quand elle n'est pas inaccessible.
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