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TROUVER UN SENS A LA POLITIQUE FRANÇAISE DE L’IMMIGRATION ?
Martine Vernier, bénévole de permanences d’accueil d’étrangers
7 mars 2008

Origine : échange mail avec l'auteure

La politique française en matière d’immigration n’est pas, comme on voudrait nous le faire croire, une activité isolée du reste. Bien au contraire, avec l’abandon des mal-logés à leur étroit et la réforme du code du travail, on assiste à une tentative de dissolution et d’écrasement des plus pauvres. En nous intéressant ici au séjour des étrangers, nous proposons un décryptage possible de l’action publique, inspiré de l’observation des faits, de l’écoute des messages gouvernementaux, de la pratique des permanences d’accueil des étrangers en quête de régularisation, et de discussions avec d’autres personnes qui rament à contre-courant dans les mêmes galères. La résistance s’organise, en évoluant constamment pour s’adapter aux changements incessants de la loi et des pratiques policières. Puisse cette réflexion l’aider à prendre un peu d’avance sur l’adversaire.

UNE HYPOTHESE

A partir de l’insurrection du 1er novembre 1954, le drame français dominant a été ce qu’il ne fallait pas appeler la guerre d'Algérie. Dans le langage convenu, on était dans le maintien de l'ordre, alors que dans la réalité, perçue par relativement peu de gens, mais combien actifs, une injustice sociale majeure avait entraîné la France dans une guerre injuste, qui a déshonoré notre pays.

De même, aujourd'hui on nous répète à satiété qu’on cherche seulement à maîtriser l'immigration. Et s’il s’agissait en réalité d’une ambitieuse entreprise de remodelage de la population du pays ? L’objectif pourrait-il être de blanchir la population par une vidange des bronzés et des jaunes, et compenser la perte de main d’œuvre qui s’ensuivrait par l'installation de bulgares, roumains, et autres populations, dites caucasiennes dans le beau monde, sur nos échafaudages et dans nos cuisines ? En quelque sorte procéder au nécessaire renouvellement de la population par des apports extérieurs, oui, mais en restant entre « nous ».

Peu importe que la productivité des moyens de vidange soit dérisoire au regard de l’ampleur de la tâche. Peu importe que ces moyens soient souvent incroyablement cruels. A défaut, on se rassurera par la mise en oeuvre d’une méthode rationnelle. Selon notre lecture, ladite méthode se décline en quatre règles : localiser les populations cibles, faire peur, décourager, berner le bon peuple, pour enfin être en mesure d’atteindre l’objectif idéal : remplacer homme (bronzé) par homme (blanc).

REGLE N° 1 : LOCALISER LES ETRANGERS EN SITUATION IRREGULIERE

On commence par cibler les populations de sans-papiers par catégorie. Premier problème : par définition, les clandestins sont inconnus des autorités. Pour éviter des recherches longues et coûteuses, on fera en sorte qu’ils se présentent d’eux-mêmes aux autorités. On s’appuiera sur l’obstination viscérale de ces êtres qui ont choisi la France et qui, pour certains, ont déjà essuyé plusieurs refus, mais qui persisteront, quoi qu’il arrive, dans leur volonté de construire leur vie ici, en situation régulière. Et de sortir de la peur quotidienne.

En 2006, les familles. La circulaire du 13 juin 20061 adressée par le Ministre de l’Intérieur aux préfets de France et de Navarre avait « pour objet de présenter les mesures ponctuelles à prendre à l’égard des ressortissants étrangers en situation irrégulière dont un enfant au moins est scolarisé». Après avoir dûment rappelé que la norme pour les personnes en séjour irrégulier est le retour au pays d’origine, le ministre ajoute que « l’aide financière proposée aux étrangers qui acceptent de retourner volontairement dans leur pays d’origine a été portée, par les circulaires du 19 septembre 2005 et du 30 mars 2006, de 150 € par personne à 2.000 € pour un adulte seul, 3.500 € pour un couple, auxquels s’ajoutent 1.000 € par enfant mineur jusqu’au troisième, puis 500 € par enfant supplémentaire. » La circulaire précise les conditions à prendre en compte dans l’appréciation de la situation des demandeurs. Les critères recommandés mélangent ce qui est déjà dans la loi - enfant arrivé en France avant l’âge de 13 ans, contribution des parents à l’entretien et à l’éducation de leurs enfants, volonté d’intégration de la famille - et conditions exceptionnelles et temporaires : seulement deux ans d’ancienneté de résidence au lieu de cinq, scolarisation des enfants depuis à peine une année scolaire, absence de lien de l’enfant avec le pays d’origine. Un assouplissement surprenant des lois en vigueur qui produira son effet. Plus de 30000 dossiers seront soumis par les familles, dont certaines étaient jusqu’alors inconnues des préfectures. L’instruction des dossiers sera disparate et aléatoire, avec nombre de refus sur des dossiers entièrement conformes. Ce qui peut donner à penser que l’objectif de l’opération n’était pas vraiment d’apporter la paix à ses familles en phase active d’intégration par la scolarisation de leurs enfants. Selon la Cimade « Les préfets ont procédé à 6924 régularisations, chiffre officiel dévoilé par le Ministère de l’Intérieur le 11 septembre 2006… Pourquoi une telle précipitation dans l’annonce de ces chiffres ? Et comment atteindre une telle précision alors qu’à cette date de très nombreux recours gracieux formés par des étrangers déboutés étaient encore en cours d’examen ? Les comptes étaient donc déjà faits. »2 Par contre, les quelque 24000 personnes déboutées, et au moins autant d’enfants, sont maintenant localisés.

En 2007, les travailleurs irréguliers. Depuis la publication de la circulaire du 4 juillet 20074, les employeurs doivent vérifier auprès de la préfecture la régularité du séjour d’un étranger avant toute embauche. Les peines prévues pour l’employeur en cas d’embauche illégale sont lourdes. Pour bien faire passer le message, dans les mois qui ont suivi, les préfectures ont procédé à une série de vérifications des titres de séjour des étrangers travaillant dans le bâtiment et l’hôtellerie, entreprise par entreprise. Et l’on a vu débouler dans les permanences d’accueil des africains et des chinois licenciés sans aucun respect des procédures, ayant perdu tous les droits découlant de leurs cotisations sociales. Et maintenant identifiés comme expulsables, de surcroît.

En 2007, les travailleurs, encore. La circulaire du 20 décembre 20074 traite des « autorisations de travail des nouveaux États membres de l’Union européenne, et des États tiers (tous les autres), sur la base de listes de métiers connaissant des difficultés de recrutement ». Elle donne une première liste de 150 métiers, souvent exercés en France par des africains, sub-sahariens et maghrébins, ou des asiatiques, pour lesquels une embauche permettra… à des nationaux des nouveaux Etats membres de l’UE d’entrer légalement en France. Une deuxième liste de 30 métiers nettement plus qualifiés, qui plus est ventilée par région, est ouverte aux ressortissants des pays tiers, toujours pour l’entrée en France. Mais, le bruit ayant couru très vite, trop vite sans doute, que l’on pouvait obtenir un titre de séjour sur place de cette façon, on a vu des étrangers en quête de régularisation, qui s’étaient présentés en préfecture, se retrouver embarqués dans le processus d’expulsion. Aussi, des associations comme la Cimade ou le MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples) voient-elles plutôt dans cette circulaire un nouveau moyen de faire sortir de l’ombre des clandestins jusqu’alors non localisés.

En 2008, les travailleurs, toujours. La circulaire du 7 janvier 20085 organise la délivrance de cartes de séjour portant la mention « salarié » au titre de l’admission exceptionnelle au séjour. Elle est comprise comme ouvrant des possibilités de régularisation à des ressortissants de pays tiers présents en France et disposant d’une promesse d’embauche. Il s’agit pour les préfectures de « vérifier l’aptitude à exercer une activité professionnelle dans un métier et une zone géographique caractérisées par des difficultés de recrutement ». La liste des métiers ouverts dans chaque Région est reprise de la circulaire précédente. C’est maintenant la préfecture, et non un organisme relevant du ministère du Travail, qui vérifie l’aptitude à exercer un métier. Mieux encore, le ministre de l’immigration etc précise dans une circulaire, adressée à des préfets présumés laxistes, que « l’établissement de listes complémentaires ne ressort évidemment pas de la compétence des préfets ou des services déconcentrés chargés du travail et de l’emploi » 6.

Selon l’association Droits Devant !! « La nouvelle circulaire du 7 janvier, quant à elle, invite les patrons de "bonne foi" ayant embauché des travailleurs "sans papiers" à se présenter en Préfecture pour obtenir leur régularisation. Ce recul gouvernemental ouvre une brèche. Les syndicats, les associations doivent s’en saisir pour rendre effective cette régularisation par le travail afin qu’elle ne soit pas conditionnée par les intérêts et les choix du seul patronat. En toute cohérence, cette circulaire du 7 janvier 2008 doit stopper la vague de licenciements de travailleurs "sans papiers" en cours depuis le 1 juillet et permettre leur réintégration. »7. Cette association a effectivement obtenu quelques succès marquants (Buffalo Grill, restaurant La Grande Armée) grâce à une mobilisation importante, avec le soutien de syndicats. Mais nous verrons (cf Règle n°4) que l’on peut aussi reconnaître à cette circulaire un rôle de trompe-l’opinion.

REGLE N° 2 : FAIRE PEUR

La loi du 24 juillet 20068 a rendu plus expéditif le système d’expulsion en définissant l’Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) dans le délai d’un mois. Une OQTF accompagne le plus souvent un refus ou un retrait par la préfecture d’un titre de séjour. Le recours déposé devant le Tribunal Administratif est suspensif, mais, si entre temps l’étranger est placé en rétention (à la suite d’un contrôle d’identité ou d’une rafle), le juge doit statuer dans les 72 heures. Cet outil est utilisé intensivement depuis lors. Une loi de plus en plus détaillée (cf Règle N° 3) permet de multiplier à l’infini les occasions de refus ou de retrait de titre de séjour. Ainsi, depuis quelques mois les OQTF représentent-ils environ le quart des raisons de se présenter à l’une des permanences d’accueil de la Seine Saint Denis.

Un type de titre de séjour couramment demandé est libellé « Vie privée et familiale », car bien des étrangers ont une propension (étrange !) à fonder une famille. Dans le cas d’un couple avec enfant(s), il s’agit pour l’un des conjoints de tirer argument du séjour régulier de l’autre. Laquelle régularité est le plus souvent elle-même matérialisée par un titre provisoire, soumis à renouvellement annuel. Au moment du renouvellement, la préfecture n’a aucun mal à trouver le détail qui cloche, et en conséquence à remplacer le précieux titre valable un an par un « récipissé » valable trois mois – et adieu l’espoir de régularisation du conjoint !

Les titres de séjour dont il est question dans les circulaires concernant l’entrée en France ou la régularisation par le travail portent la mention « salarié » et ont une validité d’un an. Leur existence est strictement liée au travail en question. La perte du travail, un changement d’employeur ou de métier annulent automatiquement le droit au séjour.

A cette insécurité de fond, on ajoutera la pratique des rafles (autorisation délivrée par le Parquet de contrôler tout le monde pendant un laps de temps et dans un périmètre déterminés) et les contrôles d’identité dans les lieux passants et les transports en commun. La peur devient alors de chaque instant.

On complétera le dispositif par les instructions données à l’ANPE, aux inspecteurs du travail et à d’autres administrations de signaler toute personne soupçonnée de séjour irrégulier, et l’obligation faite aux mairies de signaler au Parquet tout projet de mariage franco-étranger présumé « blanc ».

Pour couronner le tout, on met à l’honneur un « délit de solidarité »9 en poursuivant des personnes qui ont tenté d’empêcher une expulsion d’étranger. On a même découvert que vouloir, pour une française, épouser un étranger sans papiers combine deux « délits »10 : mariage présumé blanc et aide au séjour irrégulier !

REGLE N° 3 : DECOURAGER EN COMPLIQUANT LES DEMARCHES

Le GISTI (Groupe d’Information et de Soutien des Immigrés) dispense une formation juridique sur le droit des étrangers. Il recense sur son site Internet les lois, décrets, arrêtés et circulaires réglementant la vie des étrangers en France11. Ainsi, concernant le droit au séjour, entre 1994 et 2002, on compte une seule loi, mais de 2003 à janvier 2008, on trouve 4 lois, 9 décrets, 3 arrêtés et 7 circulaires. Pour la réglementation du travail, 5 décrets, arrêtés ou circulaires de 1994 à 2002, mais 20 décrets, arrêtés, ou circulaires de 2003 à janvier 2008. La réglementation devient de plus en plus détaillée, si bien qu’il est presque impossible d’y satisfaire. On produit ainsi des cohortes de « Ni-Ni » : ni expulsables, ni régularisables. Des hommes et des femmes condamnés à vie au travail clandestin ou à la mendicité.

Aux guichets des préfectures, que ce soit ignorance des détails d’une loi en évolution constante entretenue par l’absence de formation, ou volonté délibérée de tout ralentir, on se retrouve sans arrêt confronté à de nouveaux délais :

refus de prendre un dossier un jour à tel centre, mais acceptation un autre jour à un autre centre (il est inévitable pour des précaires de jongler avec les adresses. Parfois, cela peut servir…)

apprendre après deux heures d’attente à la sous-préfecture, et presque autant d’inspection d’un dossier, que la délivrance d’un titre de séjour suite à l’abrogation d’un arrêté d’Obligation de Quitter le Territoire Français (cela arrive !) sera traitée directement par la préfecture ;

se faire répondre « attendez qu’on vous écrive », alors que seule une intervention déterminée, soutenue par un avocat ou une association, permet d’obtenir le titre dû, en particulier après une injonction du Tribunal Administratif ;

la pratique systématique de certaines préfectures de faire appel de toute décision de justice, Tribunal Administratif, Juge des Libertés et de la Détention,…

mauvaise lecture des dossiers par une autorité ou l’autre, ou pas de lecture du tout, avant de rejeter une demande. On a ainsi vu une plumassière travaillant dans la haute couture requalifiée en … fleuriste ;

retards à renouveler les cartes « étudiant » pendant l’année universitaire, au point de mettre en péril l’inscription aux examens. Puisque les étudiants ont vocation à retourner dans leur pays à la fin de leurs études, autant anticiper et les rendre expulsables tout de suite ;

etc. Chacun a de multiples exemples en tête12.

Face à ces usines à gaz en transformation constante, l’étranger lambda, même supérieurement intelligent et à l’aise avec la langue, a du mal à suivre. Les nombreux collectifs, associations et organisations qui tentent de leur venir en aide suivent le train, mais ils ne peuvent que constater le tarissement progressif des possibilités.

REGLE N° 4 : BERNER LE BON PEUPLE

L’exemple vient du sommet de l’Etat, puisque le Président de la République Française a déclaré, le 24 août 2007 à Arcachon : « Chaque fois qu'une personne est poursuivie ou maltraitée dans le monde, pour moi, elle est française, parce que la France est la patrie des droits de l'homme ». Et encore, à Sofia le 4 octobre 2007 : « Chaque fois que quelqu’un est humilié, est persécuté, est opprimé, il devient automatiquement français ». La pratique quotidienne de son gouvernement est loin de correspondre à ce beau lyrisme.

La finalité réelle de la circulaire du 7 janvier 20085 pourrait être de permettre d'arranger des "coups" quand cela peut rendre service à la communication du gouvernement. La large publicité faite autour de ces "coups" brouille complètement les pistes pour l'honnête homme, informé par une presse qui ne prend pas toujours le recul nécessaire. Ainsi de la régularisation d’une partie des maliens sans papiers employés par un restaurant chic de Paris en février 2008. De bons observateurs des lois et règlements font remarquer qu’il est difficile de trouver dans la circulaire les dispositions sur lesquelles s’appuient ces régularisations. C’est la pression des associations et de syndicats qui a été déterminante, ce qui confirme l’obscurité de la circulaire. Tant mieux pour la poignée d'étrangers qui en bénéficient, mais il faudra voir dans un an si leur titre est renouvelé - aux associations de ne pas laisser retomber le silence.

L’attaque à la tronçonneuse du foyer de la rue des Terres au Curé (Paris, 13ème) par une troupe de 400 policiers au petit matin du 12 février 2008 met encore en lumière la méthode du trompe-l’opinion. L'AARAO (Association d'Alphabétisation des Ressortissants d’Afrique de l’Ouest), travaillant avec ce foyer, explique sobrement dans un communiqué daté du 18 février 2008 comment ces présumés délinquants sont des acteurs organisés du co-développement prôné par ce même ministère qui les pourchasse : « Les migrants sont venus avec un projet honorable : leurs villages sont le plus souvent très difficiles d’accès et démunis, aussi ils préparent et financent depuis Paris, depuis la France, souvent seuls ou avec des partenaires européens, les équipements pour l’approvisionnement en eau, les digues, les forages, les puits, les routes, les ponts. C’est ainsi que la région de Kayes est équipée à plus de 60% par leurs investissements. Leur intention n’est pas d’envahir l’Europe pour un profit maximum ! Elle est de travailler ici pour réaliser ce qui permettrait à leurs enfants de rester au village : leur projet est de construire le futur de leurs villages. (…) Les migrants travaillent et répondent en cela à une demande réelle de notre société : lorsqu’un travailleur a un contrat de travail, comme tout le monde il paye des cotisations sociales, des impôts et il a accès aux prestations normales pour tout salarié. Lorsqu’il travaille “au noir”, il est privé de droits sociaux, de sécurité sociale, de stabilité d’emploi, corvéable à merci, car quoi qu’il arrive, il lui faut aider sa famille et investir au village. Si les instances judiciaires entendent aujourd’hui, comme cela a été rapporté récemment en Cour d’Appel, assimiler le travail illégal à du “trafic de biens” il ne faudrait pas oublier que le travail implique un employeur tout autant qu’un travailleur. Ce dernier répond à une demande précise pour laquelle il ne lui est pas proposé d’alternative, il n’a pas le choix : il a un employeur qui est seul responsable de sa proposition de travail illégal. Ne pas avoir accès à des papiers en règle, c’est autant de retard pour un travail légal, autant de retard pour le développement des villages, autant de retard pour s’impliquer normalement tant dans la société française que dans celle de son propre pays »13.

La vision de la préfecture de police est assez différente : « l’information judiciaire a mis en évidence l’existence de filières de logeurs hébergeant à prix fort des travailleurs dans des conditions insalubres et contraires à la dignité humaine». «L'intervention dans ce foyer s'inscrit plus largement dans les missions et le plan d'action de la préfecture de police en matière d'habitat indigne, dangereux et insalubre», poursuit-elle. Pourtant, après l’arrestation d’une centaine de sans-papiers qui passeront à la chaîne devant le Juge des Libertés et de la Détention, il faut se rendre à l’évidence que le dossier est vide. « Le juge d’instruction ne décolère pas, s’emporte un magistrat, les RG se sont moqués de lui en camouflant une rafle de sans-papiers derrière de prétendues filières de marchands de sommeil »14. Et la presse et la télévision reprendront à peu près la version de la préfecture de police, montreront peut-être les portes de chambre éventrées, compteront les sans-papiers arrêtés, puis elles passeront à autre chose. Et une occasion de plus de dire la réalité aura été perdue, une raison de plus de regarder de haut ces étrangers aura fructifié.

Quand à traiter « comme il se doit » les informations concernant les étrangers en France, la presse aux mains de grand groupes industriels fournisseurs de l’Etat fera cela très bien sans qu’il soit besoin de l’y inciter. La télévision publique ne fait guère mieux, témoin le reportage diffusé par France 2 le 7 février 2008 dans l’émission Envoyé Spécial : on y laissait entendre qu’il était facile d’obtenir de la France plus de 7000€ au titre de l’aide au retour pour créer sa petite entreprise au pays. Ou encore que des étrangers – des Roms, comme par hasard - volaient l’Etat en faisant des allers (payés 150€ !)-retours à répétition avec leur pays d’origine. Une façon délicate de se référer aux déportations de Roms par cars entiers, effectuées en dehors de tout cadre légal par la police juste avant la coupe du monde de rugby en septembre 200715.

ACHEVEMENT DU PROGRAMME : ORGANISER LE REMPLACEMENT HOMME POUR HOMME

La circulaire du 20 décembre 20074 organise l’immigration par le travail, ou « immigration choisie » dans le jargon gouvernemental. A la différence des précédentes, qui étaient adressées aux préfets par le Ministre de l’Intérieur, elle émane du Ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Codéveloppement, ainsi que du Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Emploi, et s’adresse à neuf types d’administrations, chargées conjointement de sa mise en œuvre :

les préfets de région,

les Directions régionales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DRTEFP),

les Directions régionales de l'agriculture et de la forêt (SRITPSA),

les préfets de département,

les Directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation pressionnelle (DDTEFP),

les Directions départementales de l'agriculture et de la forêt (ITEPSA),

le préfet de police,

le directeur général de l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations (ANAEM),

le directeur général de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE).

On est donc bien en présence de la généralisation d’un plan. Achèvement perfectible sans doute, puisqu’on nous promet une loi encore meilleure pour l’automne 2008 !

La circulaire donne une liste de métiers « permettant ainsi aux ressortissants des dix nouveaux États membres précités d'exercer en France une activité salariée dans 150 métiers sans que la situation de l'emploi ne leur soit opposable sur le fondement de l'article L.341-2 du Code du travail. La nouvelle liste (…) représente 40% du total des offres d'emploi enregistrées par l'ANPE en 2006, soit 1 371 931 offres d'emploi, et couvre désormais la presque totalité des domaines professionnels (soit 17 sur 22). » Il s’agit dans l’ensemble de métiers de qualification faible ou moyenne. Noter le rapport assez étrange entre les 1,4 millions d’offres d’emploi et les quelques dizaines de milliers de nouveaux ressortissants communautaires qui pourraient être alléchés par l’aubaine

Par contre, les 30 métiers ouverts aux ressortissants des pays tiers sont nettement plus relevés (chef de chantier, attaché commercial, etc), et la liste s’applique région par région, avec entre 8 et 29 métiers, respectivement en Corse, et en Ile de France, Rhône-Alpes, Alsace. Bémol, « compte tenu (…) de l'accord franco-algérien (…) et (…) de l'accord franco-tunisien (…), qui ne permettent pas en l'état, de limiter, y compris la première année, l'exercice de l'activité professionnelle à une profession déterminée et/ou pour les Algériens à une région déterminée, les dispositions de la présente circulaire ne sont pas applicables aux ressortissants algériens et tunisiens. » Pour mieux verrouiller le plan, « le Gouvernement Français peut proposer à des États tiers des listes plus larges de métiers dans le cadre d'accords bilatéraux de gestion concertée des flux migratoires et de codéveloppement.». Ainsi de l’accord signé avec le Sénégal le 25 février 2008. Un accord « honnête et transparent», selon le ministre de l’immigration etc. Il ouvre le marché du travail français aux Sénégalais dans 108 métiers, qualifiés ou non. Le texte ne précise pas si on les enverra dans des tranchées… En échange, le Sénégal s'engage à rapatrier dans les plus brefs délais ses ressortissants arrêtés en France en situation irrégulière. Environ 650 Sénégalais avaient été interpellés l'an dernier. «Nous ferons l'économie du passage en centre de rétention et de l'escorte qui raccompagne certains illégaux», souligne le ministre16.

Le ministre répète à satiété dans la presse que les étrangers en séjour irrégulier « ont vocation à quitter la France ». Cette pensée est si bien entrée dans certains cerveaux que l’on a pu voir un préfet avancer comme raison implicite de refus de titre de séjour le fait d’avoir « multiplié les procédures pour se maintenir sur le territoire ».

On le voit, au fur et à mesure que l’application des règles N° 1, 2, 3 et 4 produira ses effets, l’échange bronzé-blanc pourra se faire tout naturellement pour les emplois peu qualifiés. Quant aux emplois qualifiés, il y a des chances qu’ils profitent à d’autres que les pays tiers…

EN FACE : RESISTER

« J'ignorais qu'il était si facile de faire son devoir » remarquait Jean Moulin. De mois en mois, d’année en année, des centaines, puis des milliers de citoyens ont créé ou rejoint des associations, des collectifs, des réseaux où ils travaillent à obtenir pour les étrangers qui le demandent l’application d’une loi de plus en plus inapplicable. Certaines organisations sont anciennes (la Ligue des Droits de l’Homme nous vient de l’affaire Dreyfus, la Cimade des malheurs des populations déplacées pendant la seconde guerre mondiale). Créé en 1949, le MRAP vient du combat contre les discriminations et le racisme. D’autres ont vu le jour dans les années 1970 (France Terre d’Asile, le GISTI). Les étrangers les plus déterminés se sont organisés en collectifs dans les années 1990 ; ils ont obtenus des succès marquants par des manifestations massives et des occupations de lieux symboliques. Des mouvements sont apparus depuis 2004 autour de l’expulsion des adolescents étrangers menacés d’expulsion (Réseau Education Sans Frontières, Réseau Universités Sans Frontières), pour s’organiser face à la persécution par la loi française des français conjoints d’étrangers (Amoureux au banc public), ou plus généralement pour faire pièce à l’aggravation du droit des étrangers (Unis-e-s contre une Immigration Jetable). Certains sont plus axés sur le droit du travail (Droits Devant !!, le Réseau Emploi Formation Insertion).

Ces groupes ont un souci de compétence juridique pointue, qu’ils entretiennent par des sessions régulières de formation. Ils font appel à des avocats compétents et motivés, dont certains, en ce qui concerne le Barreau de Paris, sont regroupés dans l’association Avocats pour la Défense des Droits des Etrangers (ADDE).

La variété des organisations reflète le large spectre des sensibilités et des compétences. Elles coopèrent ponctuellement en tant qu’organisations mais, s’agissant de réseaux, la communication se fait aussi par leurs acteurs, qui ont souvent des participations multiples. On trouvera en annexe les adresses des sites Internet de certaines d’entre elles.

Tant que le peuple français ne sera informé que par bribes par une presse bienveillante pour le processus, ou aveugle sur ce qui se passe, tout ira bien. D’autant que les formations politiques dans leur ensemble partagent le même consensus. L'affaire des régularisés du restaurant la Grande Armée arrive, comme par hasard, à point nommé pour rassurer le bon peuple sur l'humanité foncière de tout ce processus. Gageons que d’autres évènements semblables continueront à le rassurer de loin en loin.

La lutte est engagée, chacun y apporte sa sensibilité, sa perception, ses moyens. Où tout cela nous conduira-t-il ? Personne ne peut le dire. Puisse la remarque vieille de 30 ans de Michel Foucault17 se révéler prophétique, Inch Allah : « La population n'obéit pas [à l’Etat] …En fait, les variables dont dépend la population la font, pour une part très considérable, échapper à l’action volontariste et directe du souverain dans la forme de la loi. Si l’on dit à une population « fais ceci », rien ne prouve non seulement qu’elle le fera, mais tout simplement qu’elle pourra le faire ».


ANNEXE. Quelques sites Internet de collectifs, réseaux et associations

Amoureux au ban public

http://placeauxdroits.net/amoureux/index.php

CIMADE Service oecuménique d’entraide http://www.cimade.org/

Droits Devant !!

http://www.droitsdevant.org/

FTDA France Terre d’Asile

http://www.france-terre-asile.org/

GISTI Groupe d’Information et de Soutien des Immigrés

http://www.gisti.org/index.php

LDH Ligue des Droits de l’Homme

http://www.ldh-france.org/

MRAP Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples

http://www.mrap.asso.fr/

REFI Réseau Emploi Formation Insertion

http://refi.over-blog.org/

RESF Réseau Education sans Frontières

http://www.educationsansfrontieres.org

RUSF Réseau Universités sans Frontières http://www.rusf.org/

UCIJ Uni-e-s Contre l’Immigration Jetable

http://www.contreimmigrationjetable.org/


Références

Circulaire du 13 juin 2006 http://www.interieur.gouv.fr/sections/a_votre_service/
lois_decrets_et_circulaires/2006/intk0600058c/downloadFile/file/INTK0600058C.pdf

CIMADE, De la loterie à la tromperie. http://www.cimade.org/publications/2

Note du 4 juillet 2007. http://www.gisti.org/IMG/pdf/norimid0700002c.pdf

Circulaire du 20 décembre 2007. http://www.gisti.org/spip.php?article1042

Circulaire du 7 janvier 2008. http://www.gisti.org/spip.php?article1047

Circulaire du 8 janvier 2008. http://www.gisti.org/IMG/pdf/norimig0800019c.pdf

Droits Devant !! Travailleurs sans-papiers : nouvelle circulaire gouvernementale
http://www.droitsdevant.org/article.php3?id_article=342

Loi du 20 juillet 2006http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cid
Texte=JORFTEXT000000266495&dateTexte=

Délits de solidarité :

http://www.humanite.fr/2007-03-24_Societe_
Delit-de-solidarite-pour-une-directrice-d-ecole

http://www.educationsansfrontieres.org/spip.php?article11611

Privée de son fiancé et poursuivie pour aide au séjour irrégulier
http://placeauxdroits.net/amoureux/index.php

GISTI, Le droit, les textes. http://www.gisti.org/spip.php?article1743

Petit BLIS des barbaries parisiennes n°1, 1 mars 2008
http://www.educationsansfrontieres.org/IMG/fckeditor/UserFiles/

BLIS_barbaries1(1).pdf Le BLIS est le Bulletin de Liaison Intermittent et Sporadique du RESF.

AARAO - dixdixdix @ free.fr

Le Canard Enchaîné du 20 février 2008, p. 4

Expulsion de Roms en septembre 2007 : http://www.ceras-projet.com/index.php?id=2590

http://www.lefigaro.fr/international/2008/02/27/
01003-20080227ARTFIG00370-hortefeux-teste-au-senegal-
la-politique-des-quotas.php

Michel Foucault, Sécurité, Territoire, Population, Cours au Collège de France, l977-1978.