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Ségolène Royal, naissance d'une « lovemark »
Cathy Leitus

Origine : http://www.strategies.fr/magazine/article.php?cle_page=39704


Elle s'est imposée aux hiérarques de son parti pour être désignée candidate PS à la présidentielle. Sous les convictions, le marketing.
La gazelle a battu les éléphants et conduira le PS à la bataille présidentielle en 2007. Elle n'était pourtant pas favorite. Alain Duhamel, vieil observateur de la politique, l'avait même totalement zappée de son livre Les Prétendants, paru en janvier 2006. En politique comme dans l'univers des marques, le succès n'est au rendez-vous que si l'offre rencontre une demande solvable. Comment Ségolène Royal a-t-elle fait pour s'imposer et créer cette préférence jusqu'à devenir une « lovemark », celle qui construit de la fidélité irrationnelle, selon le concept de l'agence Saatchi & Saatchi ? Quatre clés, en guise de réponse.

Être à l’écoute de l’opinion

« Lessivier de la presse ». Dans les années quatre-vingt, c'était le reproche adressé à Axel Ganz, qui osait, dans un univers d'intuition, recourir au marketing. Pour Ganz, « la presse doit innover pour réussir, mais en partant des besoins fondamentaux des clients ». En politique, Ségolène Royal semble avoir appliqué cette stratégie de la demande. « Elle a toujours eu le goût des études sur la vie et l'opinion des Français, rappelle Isabelle Mandraud, dans un article du Monde (08/11/06) justement titré " L'opiniomane ". La candidate socialiste, un œil sur les sondages, un autre sur les médias, explique sa popularité par sa proximité avec la société. » Elle demande même aux maires de lui remonter les mots des gens. Elle ne dit pas « pouvoir d'achat » mais « vie chère », pas « école » mais « carte scolaire ». Les études et le terrain la nourrissent. Qu'y apprend-elle ? Que 69 % des Français déclarent n'avoir confiance ni en la droite ni en la gauche pour gouverner le pays, que 32 % refusent le clivage gauche/droite (1) et qu'il existe une porosité de celui-ci sur la sécurité, l'école ou les 35 heures (2). Que la crise de confiance touche aussi les marques, qui réagissent par le désir, l'innovation et de nouveaux modes relationnels fondés sur la cocréation (2). Que les Français veulent de la reconnaissance et de l'écoute. Quant aux militants du Parti socialiste, traumatisés par l'échec de Jospin en 2002 et le non au référendum en 2005, ils attendent une alternative les conduisant à la victoire.

Incarner le renouvellement

Ségolène Royal n'est pas novice en politique. Énarque, à l'Élysée sous Mitterrand, trois fois ministre, tombeuse en 2004 du Poitou-Charentes, alors fief de Raffarin, elle est de la génération des éléphants et la compagne de François Hollande, le patron du PS. « Pourtant, elle est considérée comme n'ayant pas de passé, observe Laurent Habib, président d'Euro RSCG C & O, conseiller de Dominique Strauss-Kahn. Sa liberté de ton, son rapport particulier à la parole publique lui permettent d'incarner le changement. » Brice Teinturier, directeur général adjoint de TNS Sofres, confirme : « Elle est l'incarnation d'une demande de renouvellement et témoigne, comme Sarkozy, de l'émergence d'un nouveau leadership présidentiel. » Sa méthode va consister à prendre le PS par l'extérieur, en s'appuyant sur les militants et l'opinion. Elle fait écho à la crise du politique en proposant la démocratie « participative ».

Bingo ! Le « 2.0 » est la tendance du moment et, comme le souligne Vincent Feltesse au PS, « Internet est un outil qui permet aux outsiders d'émerger, comme ce fut le cas du non au référendum ». Desirdavenir.org est lancé en marge du PS. Natalie Rastoin, directrice générale d'Ogilvy France, pointe que ce n'est pas un blog personnel, mais un forum participatif, et se défend que « désir d'avenir » sonne comme un slogan publicitaire. « C'est repris d'un discours sur l'Europe, justifie l'amie conseillère. Ségolène ne veut pas d'une communication qui serait en décalage avec son parcours, ses actes et son discours. »

Philippe Lentschener, président de Publicis France, conseiller de Laurent Fabius, lui, se désole : « Ségolène, c'est Meetic et Orange. Elle met les gens en contact, leur dit que c'est " open " et leur fait croire qu'ils coproduisent la politique. Elle n'offre que de l'immédiateté, de l'émotion. Et après ? »

Pour incarner le renouveau, la franc-tireuse va plus loin, plus fort. « Ségolène a construit son territoire de marque sur la proximité, la capacité d'écoute et le dialogue, décrypte le communicant Thierry Saussez. Puis,il lui fallait incarner une autorité et un style. Là, elle est allée sur le terrain de Sarkozy. » Ce sera l'ordre juste, les 35 heures, le blairisme, en rupture avec la doxa socialiste. Pour Bruno Cautrès, du Cevipof (Centre d'études de la vie politique française), « la structure d'opinion se prête à ce discours iconoclaste ». Elle incarne alors la rupture, quand Sarko se contente d'en faire un slogan. « C'est d'une grande cohérence, observe Stéphane Fouks, directeur général d'Euro RSCG France (qui a conseillé Lionel Jospin en 2002). Ségolène Royal a toujours été progressiste sur le terrain social, et conservatrice sur le plan moral. »

Fabriquer de la notoriété

Quand elle était ministre, Ségolène commençait ses réunions par un : « Qu'est-ce qui intéresse la presse, aujourd'hui ? » Elle a très tôt mis en scène son enfance, façon Vipère au poing [roman d'Hervé Bazin]. En 1992, pour son accouchement, elle orchestre un reportage dans Paris Match . En 2005, c'est dans ce magazine que ses « camarades » apprendront ses intentions présidentielles. Son coup de maître ? Le Chili, où elle part en janvier 2006 soutenir la candidate socialiste Michelle Bachelet, élue présidente depuis, quand les éléphants se recueillent sur la tombe de François Mitterrand, à Jarnac. On retiendra l'image passéiste des hommes du PS face à celle d'une femme dans l'action et l'avenir.

Les médias réalisent très vite que Ségolène Royal fait vendre. Ils alimentent avec les sondeurs la « segomania », nourrie par un plan de communication redoutable : une formule choc et polémique par intervention, ce qui oblige les autres prétendants PS à réagir en permanence à ses propos. Ce sera sa force lors des trois débats télévisés des primaires. C'est elle qui crée l'événement, attire les foules et oblige la presse à se déplacer : son équipe a parfaitement assimilé la méthode Sarkozy. Le plus inédit, c'est que cette popularité construite auprès de l'opinion va s'imposer aux militants. Les nouveaux adhérents « à 20 euros » votent à 80 % pour elle, mais ne font pas seuls les 60 % qu'elle obtient au premier tour de la primaire socialiste.

Devenir une icône

« Et puis, c'est une femme, ça change ! », entend-on de-ci, de-là. On allait l'oublier : Segolène est une femme. À plusieurs facettes. Celle de Marie-Ségolène, fille de militaire née dans une famille catholique austère, et « mère sévère », comme le dit le lacanien Charles Melman (Le Monde, 08/12/06). Celle de la femme active, émancipée, mère de quatre enfants, qui écrit son destin dans un univers politique machiste. Elle compose aussi un rôle plus « royal », proche du « peuple » (un terme de son vocabulaire), défendant une « République du respect » chère à Tony Blair. À la une des journaux, après sa victoire, Ségolène avait de faux airs de Lady Di, autre « princesse du peuple », entourée de ses sujets. « Je n'ai pas besoin de parler pour faire du bruit », dit-elle. À cinquante-trois ans, relookée et, séduisante, elle rayonne, sourire Colgate. Dans le journal Information dentaire (08/11/06), le praticien Alain Amzalag évoque son « état d'autosidération face à l'adhésion massive qu'elle suscite depuis sa transformation esthétique ». Il suppose une « intervention orthognathique du menton », dite « chirurgie du rajeunissement », et « un traitement orthodontique » pour « réaligner les dents ». D'autres relèvent une dimension « christique » dans ses tenues blanches et son discours empreint de religiosité.

C'est tout cela, une « lovemark », selon le concept défini par Kevin Roberts, patron de Saatchi & Saatchi : une marque unie à son client par un lien émotionnel et non plus rationnel, fondé sur deux sentiments très humains. D'une part, le respect reconnu à la performance, la confiance et la réputation. D'autre part, l'amour entretenu par la sensualité, l'intimité et une part de mystère. L'analogie avec Ségolène Royal est troublante.


(1) Baromètre politique français (2006-2007), Cevifop-ministère de l'Intérieur.

(2) État de l'opinion 2005 et 2006, TNS Sofres.