Origine : http://www.frenchmorning.com/ny/spip.php?article270
Et si on allait voir ce que font les autres systèmes de santé
dans le monde : derrière la controverse, c’est le message
de "Sicko", le documentaire de Michael Moore. French Morning
a demandé à Victor Rodwin, professeur à NYU,
ce que les systèmes français et américains
peuvent apprendre l’un de l’autre.
French Morning : Quelle est la philosophie et le principe du système
de santé américain ?
Victor Rodwin : Sa philosophie, c’est un système dominé
par les employeurs . Presque 60 % de la population est couverte
par ce système d’employeur comme les mutuelles en France,
avec des couvertures différentes, des primes différentes,
des HMO* (Health Maintenance Organisation) différents. A
côté , il y un autre système pour les personnes
âgées que l’on appelle Medicare qui couvre aussi
les personnes gravement handicapées et puis enfin il y a
un système pour les très très très pauvres
qui est géré conjointement par gouvernement fédéral
et les Etats qui s’appelle Medicaid. Enfin, Il faut ajouter
un système pour les anciens combattants et les militaires.
Globalement la plupart des américains travaillent dans des
grandes ou petites entreprises et sont donc couverts.
Quelle est la part des non couverts ?
VR : Cela représente entre 16 et 18 % de la population c’est-à-dire
46 millions d’américains. En général
la majorité de cette population travaille, ce ne sont pas
des chômeurs, ils sont employés dans des petites entreprises
de moins de 12 personnes comme les Mc Do par exemple. Ils n’ont
pas de couverture. Cela ne veut pas dire qu’ils meurent dans
la rue ou qu’ils ne sont jamais soignés. Pas du tout,
ça c’est un mythe français, ces personnes peuvent
se rendre dans un réseau d’hôpitaux publics qui
existe dans la plupart des villes américaines ou dans des
centres pour personnes défavorisées. Ces personnes
reçoivent des soins inférieurs à la norme.
Le taux de mortalité pour ces populations non couvertes est
de 25% supérieur à la population générale.
Donc c’est un système assez inégalitaire.
Quels sont pour vous les problèmes que doit affronter le
système de santé américain ?
VR : Le premier problème c’est de couvrir toute la
population parce que cela n’a aucun sens économique
de continuer à ne pas couvrir une certaine partie de la population
puisque finalement on paie pour les soigner à l’hôpital
tant qu’ils sont vivants. Ils finissent à l’hôpital
et ça coûte beaucoup plus cher.
2 ème point, c’est le même problème qu’en
France, il faut reformer le système et le moderniser. Aux
Etats-Unis et en France, c’est un système anachronique,
sans transparence, avec des différences de qualités
invraisemblables entre les régions, entre les classes sociales,
entre les hôpitaux. La population n’est même pas
au courant de ces disparités énormes. Nous avons le
meilleur et le pire aux Etats-Unis. Nous avons des hôpitaux
extrêmement performants et des hôpitaux moins performants,
nous avons des variations énormes, nous avons des HMO, des
système de » managed care » qui fonctionnent très
bien, comme la Kaiser Permanente http://www.kaiserpermanente.org
ou Puget Sound http://www.pugetsoundhealthalliance.org/news/other.html
et nous avons des systèmes côtés en bourse très
inégaux. Certains fonctionnent bien d’autres sont de
vrais scandales en tirant des profits du système sans délivrer
les biens nécessaires. Nous avons une concurrence portée
beaucoup trop sur la sélection du risque et pas suffisamment
sur la qualité des soins. Nous avons une idéologie
de concurrence très importante qui n’existe pas en
France dans le système de santé.
Justement, comment définiriez-vous les grandes différences
entre les systèmes français et américains ?
VR : En France, c’est un système national, assez centralisé,
peut être trop centralisé qui couvre toute la population
tandis que chez nous nous avons des systèmes avec des bénéfices
différents pour différents groupes, différents
médicaments remboursés de façon variable s’il
on dépend du Medicaid, Medicare ou des assurances privées.
Il en existe des centaines et des centaines. Donc il ya une uniformité
dans le financement et dans le pratique plus grande en France, mais
avec tout de même des variations importantes. Ce qui manque
en France c’est la transparence et la connaissance (par le
grand public) de ces différences.
Pour vous on peut vivre sans être assuré aux Etats-Unis
?
VR : Il ya très peu de gens très riches qui vivent
sans assurance, mais la plupart des personnes qui vivent sans assurance
sont des personnes qui travaillent. Ce ne sont pas des chômeurs,
mais ils sont pauvres et pourtant, pas suffisamment pour bénéficier
du programme Medicaid. Aux Etats-Unis les plus pauvres sont couverts
pour tout. Mais ils n’ont pas le meilleur accès aux
soins, ils ont accès aux hôpitaux , pour les soins
primaires. Pour tout ce qui est préventif ils sont en général
très mal pris en charge parce que les taux de remboursement
sont moindres que ce que paie le secteur privé.
Avez-vous l’impression que la reforme du système de
santé sera l’un des grands débats de la présidentielle
américaine de 2008 ?
VR : c’est possible mais nous avons déjà eu
ce débat en 1992, à l’époque Clinton,
et nous avons déjà échoué dans le défi
de mettre en place un système national d’assurance
maladie pour tous. L’idée d’Hillary Clinton c’était
d’une part de couvrir toute la population et d’autre
part de moderniser le système de production de soins, de
réduire le rôle de la médecine à l’acte,
de mettre les médecins dans des groupes et de faire du «
managed care » pour toute la population. C’est une idée
qui ne marcherait jamais en France . Ici, pour l’instant nous
sommes encore dans un système pluraliste qui fonctionne très
bien pour la majorité du pays mais très mal pour les
non-assurés. Il ya de plus en plus d’américains
qui perdent leur assurance du fait des employeurs. Il ya des pressions
comme en 1992 pour reformer le système mais il y a encore
une croyance que ce système peut être réparer
par des mécanismes de marché . Je pense que c’est
une grande illusion.
Que pensez vous de la décision du Massachusett de mettre
en place une couverture universelle pour les habitants de cet Etat
. C’est comme cela, par des initiatives locales que la couverture
va s’étendre progressivement à tous aux USA
?
VR : Non, on n’y arrivera jamais comme cela, ce n’est
qu’une loi, il faut encore la mettre en oeuvre et la financer
. Donc on est loin de résoudre le problème dans le
Massachusetts ou en Californie. Ces 2 Etats sont parmi les plus
riches des Etats-Unis, parmi les plus éclairés du
pays mais ça ne va pas résoudre le problème
de la Géorgie, du Texas, de l’ Alabama. On ne peut
pas s’y prendre Etat par Etat, à mon avis. Il y aura
des expérimentations intéressantes, c’est la
décentralisation, la déconcentration américaine
qui sont tout à fait valables mais ça ne va pas résoudre
le problème sur le plan national.
Est-ce que selon vous le système français est implantable
aux Etats-Unis ?
VR :Non aucun système n’est implantable. Dès
que l’on prend un système et que l’on essaie
de le mettre dans un autre pays, il y a une procédure de
sécrétion d’anticorps qui est énorme
et qui rend "l’implantation" impossible . Le but
de la comparaison internationale, le but de ce livre c’est
plutôt de s’inspirer des idées, de voir ce qui
peut marcher, ce qui ne peut pas marcher et d’en tirer certaines
leçons. Dans ce sens là, le système français
montre qu’il est possible de couvrir tout le monde sans éliminer
complètement l’assurance maladie privée. Déjà
c’est une leçon importante. Et ce que l’Amérique
s’en inspirera ? A voir…
* Les HMO sont un type d’assurance santé particulier.
Les assurés paient moins cher, mais ils doivent passer par
un médecin référent et les soins sont encadrés
par des règles précises, certains traitements jugés
inefficaces notamment sont exclus.
Victor Rodwin vient de publier « Universal Health Insurance
in France : how sustainable ? », ouvrage collectif.
26 juin 2007
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