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Quand la sécurité est devenue, à gauche comme à droite, "la première des libertés"
Jean-Baptiste de Montvalon
LE MONDE 04.02.09

Origine : http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/02/04/quand-la-securite-est-devenue-a-gauche-comme-a-droite-la-premiere-des-libertes_1150562_3224.html#ens_id=1150640

"La sécurité est la première des libertés" : ce leitmotiv sarkozyste a été emprunté par l'actuel chef de l'Etat à son prédécesseur, Jacques Chirac. Qui le tenait lui-même d'un colloque organisé par... le gouvernement de Lionel Jospin à Villepinte (Seine-Saint-Denis), en octobre 1997. C'est à cette date - et non en 2007 ni même en 2002 - que se produit la "rupture" dans le débat politique français sur les questions de sécurité. Traditionnelle défenseure des libertés, face à une droite incarnant l'ordre, la gauche - tout au moins le PS - opère son aggiornamento.

L'ordre des facteurs s'est inversé.
Alors qu'elle n'était pas même mentionnée, en 1988, dans la Lettre à tous les Français de François Mitterrand, la sécurité - ou son corollaire, l'insécurité - devient un sujet en soi. La qualifiant de "droit fondamental de la personne humaine", M. Jospin l'érige en deuxième priorité (derrière le chômage) dans son discours de politique générale, qu'il prononce à l'Assemblée nationale le 19 juin 1997. La délinquance, qui était analysée au PS comme l'une des conséquences des inégalités sociales, en devient l'une des causes. La rhétorique doit faciliter un changement de pied dicté par des raisons électorales. Soucieux de ne pas paraître se renier, le PS affirme que "la sécurité est la première des libertés". Sous l'apparence d'un (efficace) bon sens, la phrase recèle quelques malentendus qui seront durables.

Le premier, de nature théorique, renvoie à la construction de l'édifice républicain. De l'autre côté de l'Atlantique, Thomas Jefferson (1743-1826) avait eu cette phrase : "Si tu es prêt à sacrifier un peu de liberté pour te sentir en sécurité, tu ne mérites ni l'une ni l'autre." En France en 1789, ce n'est pas la sécurité mais la "sûreté" que les révolutionnaires font figurer dans l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme, parmi ses "droits naturels et imprescriptibles". Or, comme l'explique l'ancien président du Conseil constitutionnel Robert Badinter, la sûreté est précisément "l'assurance, pour le citoyen, que le pouvoir de l'Etat ne s'exercera pas sur lui de façon arbitraire et excessive". Dans sa version moderne, cette notion est défendue par la Convention européenne des droits de l'homme. Elle "donne le droit d'attaquer son propre Etat quand on estime qu'il porte atteinte à ses libertés fondamentales", précise Hugues Portelli, sénateur UMP du Val-d'Oise, professeur de sciences politiques à l'université Paris-II.

Le second malentendu, plus actuel et plus profond, tient à la perception du mot "insécurité". Qu'ont mesuré les sondages qui, avec les médias, ont contribué à installer cette thématique au premier rang des préoccupations des Français ? Selon Stéphane Rozès, directeur général de l'institut CSA, "l'importance symbolique du mot sécurité" tient au fait qu'il dépasserait largement la seule question de la délinquance. "A partir des années 1990, explique M. Rozès, tous les secteurs de la société deviennent insécurisants. Les Français sont plongés dans un imaginaire où tout peut arriver du jour au lendemain. Le fait divers est devenu une métaphore de l'insécurisation économique et sociale." Ce phénomène d'amalgame aurait produit d'autant plus d'effet dans les catégories populaires que celles-ci étaient doublement exposées, à la délinquance et à la précarité.

Quand le clivage droite-gauche a cédé la place à une forme de consensus, la pression politique est devenue trop forte pour que ces questions - ou d'autres - soient posées avec quelque chance d'être entendues. Sauf à se voir accusé d'"angélisme", et-ou rangé parmi ces "intellectuels du Quartier latin qui font de la buée dans une cabine téléphonique", selon l'expression employée par Nicolas Sarkozy, début 2003, lors de la discussion du projet de loi sur la sécurité intérieure.

"A partir du moment où tout le monde dit la même chose, il n'y a pas vraiment de débat, et donc pas vraiment d'arguments", note Laurent Mucchielli, directeur de recherches au CNRS. Le discours politique sur la sécurité s'est réduit à un "concert d'indignations" que les journalistes "se sont contentés de mettre en scène", déplore le sociologue.

Jean-Baptiste de Montvalon

http://www.laurent-mucchielli.org