|
Périodiquement les médias attirent l'attention sur la
misère des prisons "vétusté, surpeuplement,
violence... ".
Le livre de V.Vasseur "Médecin chef à la prison
de la santé "a provoqué son lot habituel d'articles,
d'émissions, de propositions pour une humanisation de la vie
carcérale par des réformes, de nouvelles constructions.
Comme si le problème était là, dans l'aménagement
de la condition pénitencière, alors que l'enfermement
s'impose de plus en plus comme la figure extrême de l'exclusion
sociale !
Le mérite du livre de L Wacquant est de recadrer cette question
dans le plus vaste contexte social de la précarité et
dans l'histoire des politiques pénales depuis 20 ans, tant
aux Etats-Unis qu'en Europe. "L'Amérique, écrit
il, a clairement opté pour la criminalisation de la misère
comme complément de la généralisation de l'insécurité
salariale et sociale". L'Europe, est au carrefour. Après
la dérégulation du marché du travail il faudra
mettre de l'ordre dans l'anarchie qu'elle provoque. La réduction
du rôle social de l'état s'accompagne du renforcement
de sa fonction répressive.
Dans un pays de tradition républicaine, cette politique ne
peut avancer que masquée, cherchant sa légitimation
dans un discours humaniste et réformateur.
La composition sociale et l'âge des détenus montrent
que l'institution sociale est parfaitement ciblée : non plus
les grands noms du crime mais une majorité de voleurs de poule,
de jeunes drogués et de petits délinquants.
Quelques chiffres illustrent bien la tendance générale.
Au USA, la population carcérale a quintuplé entre 1975
et 1998. En France, elle a doublé. Mais cet accroissement ne
montre pas une montée de la criminalité mais une extension
de la notion de crime justiciable d'une peine de prison et un changement
du profil des détenus. En 1998 aux USA, la moitié des
détenus le sont pour des contentieux non violents. Six sur
dix sont des noirs ou des latinos. moins de la moitié occupaient
un emploi à temps plein et les deux tiers avaient un revenu
inférieur à la moitié du seuil de pauvreté.
Même chose en France, les atteintes aux biens ont baissé
de moitié en 15 ans : 35% des détenus en 1996. Les atteintes
aux mœurs ont doublé : 15% en 1996.
Les infractions à la législation sur les étrangers
sont passé de 112 cas en 1980 à 1465 aujourd'hui (4.5%).
Celles sur les stupéfiants sons passées de 14 à
21% depuis 1988. Ainsi l'institution pénitentière set
de plus en plus destinée à des délits qui se
rattachent au mal-ëtre des catégories défavorisées
: jeunes chômeurs, drogués, sans-papiers.
Cette criminalisation de la misère s'accompagne d'une campagne
idéologique sécuritaire autour des violences urbaines,
de la délinquance des jeunes et autres "incivilités"
avec une promotion de la politique de "tolérance zéro".
Des USA à la France, nous avons là dit L.Wacquant, une
"opération planétaire de Marketing idéologique".
La tolérance zéro a commencé avec Reagan et la
philosophie ultralibérale de sociologue comme Murray et Gilder
soutenant que la pauvreté est entretenue par les aides sociales
qui détournent du travail, détruisent la famille et
conduisent au crime. D'autre biologisent la question, expliquant l'exclusion
par un faible QI. Le grand laboratoire de la tolérance zéro
fut la ville de New York.
Le principe est de faire reculé la criminalité en poursuivant
les comportements antisociaux des pauvres. C'est la théorie
du "carreau cassé". Graffiteurs, mendiants, revendeurs
de drogue, laveurs de pare-brise seraient le terreau de la criminalité.
Il faut donc nettoyer les villes de leur présence et redonner
par là aux classes moyennes une certaine qualité de
vie... D'où l'encombrement des prisons et la construction de
nouveaux lieux de détention, non pour le confort des prisonnier
mais pour accroître la charge utile du système. E.Guigou
nous en promet 6 ou 7 supplémentaires après les 23 lancées
à la fin des années 80.
A coté du vœu d'humanisation de la vie carcérale,
la tolérance zéro fait son chemin dans tous les pays.
On la retrouve dans le manifeste de Régis Debray "Républicains,
n'ayons plus peur !"(le Monde 4.09.1998), tolérance zéro,
théorie du carreau cassé, appel à "responsabiliser"
parents, professeurs, policiers. Tous les défenseurs de l'ordre
établi, au lieu d'interroger la société préfèrent
"responsabiliser" les individus.
L'intérêt du livre de L.Wacquant est de mettre en relation
cette idéologie sécuritaire avec la politique pénitentiaire
et l'évolution de la société. Sur le plan théorique,
on rappellera que vouloir expliquer le social par la biologie, la
psychologie ou la morale est une escroquerie idéologique, un
manquement à la première règle de la méthode
sociologique, qui veut que l'on explique un fait social par un autre
fait social.
Enfin on soulignera que la ligne de partage entre une conception réactionnaire
et une approche révolutionnaire de l'homme et de la société
passe entre les théories de l'inné et de l'acquis, celles
qui accusent l'homme ou le milieu, celles qui en matière pénale
s'attachent exclusivement à l'acte ou prennent aussi en considération
la personne.
Origine :
http://www.cafe-lecture.org/article.php?id_article=52
http://www.cafe-lecture.org/forum.php?id_article=52&retour=article.php%3Fid_article%3D52
|
|