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Les prisons de la misère de L .Wacquant
mardi 27 juin 2000, par Café-Lecture Toulon


Périodiquement les médias attirent l'attention sur la misère des prisons "vétusté, surpeuplement, violence... ".

Le livre de V.Vasseur "Médecin chef à la prison de la santé "a provoqué son lot habituel d'articles, d'émissions, de propositions pour une humanisation de la vie carcérale par des réformes, de nouvelles constructions. Comme si le problème était là, dans l'aménagement de la condition pénitencière, alors que l'enfermement s'impose de plus en plus comme la figure extrême de l'exclusion sociale !

Le mérite du livre de L Wacquant est de recadrer cette question dans le plus vaste contexte social de la précarité et dans l'histoire des politiques pénales depuis 20 ans, tant aux Etats-Unis qu'en Europe. "L'Amérique, écrit il, a clairement opté pour la criminalisation de la misère comme complément de la généralisation de l'insécurité salariale et sociale". L'Europe, est au carrefour. Après la dérégulation du marché du travail il faudra mettre de l'ordre dans l'anarchie qu'elle provoque. La réduction du rôle social de l'état s'accompagne du renforcement de sa fonction répressive.

Dans un pays de tradition républicaine, cette politique ne peut avancer que masquée, cherchant sa légitimation dans un discours humaniste et réformateur.

La composition sociale et l'âge des détenus montrent que l'institution sociale est parfaitement ciblée : non plus les grands noms du crime mais une majorité de voleurs de poule, de jeunes drogués et de petits délinquants.

Quelques chiffres illustrent bien la tendance générale. Au USA, la population carcérale a quintuplé entre 1975 et 1998. En France, elle a doublé. Mais cet accroissement ne montre pas une montée de la criminalité mais une extension de la notion de crime justiciable d'une peine de prison et un changement du profil des détenus. En 1998 aux USA, la moitié des détenus le sont pour des contentieux non violents. Six sur dix sont des noirs ou des latinos. moins de la moitié occupaient un emploi à temps plein et les deux tiers avaient un revenu inférieur à la moitié du seuil de pauvreté. Même chose en France, les atteintes aux biens ont baissé de moitié en 15 ans : 35% des détenus en 1996. Les atteintes aux mœurs ont doublé : 15% en 1996.

Les infractions à la législation sur les étrangers sont passé de 112 cas en 1980 à 1465 aujourd'hui (4.5%). Celles sur les stupéfiants sons passées de 14 à 21% depuis 1988. Ainsi l'institution pénitentière set de plus en plus destinée à des délits qui se rattachent au mal-ëtre des catégories défavorisées : jeunes chômeurs, drogués, sans-papiers.

Cette criminalisation de la misère s'accompagne d'une campagne idéologique sécuritaire autour des violences urbaines, de la délinquance des jeunes et autres "incivilités" avec une promotion de la politique de "tolérance zéro". Des USA à la France, nous avons là dit L.Wacquant, une "opération planétaire de Marketing idéologique".

La tolérance zéro a commencé avec Reagan et la philosophie ultralibérale de sociologue comme Murray et Gilder soutenant que la pauvreté est entretenue par les aides sociales qui détournent du travail, détruisent la famille et conduisent au crime. D'autre biologisent la question, expliquant l'exclusion par un faible QI. Le grand laboratoire de la tolérance zéro fut la ville de New York.

Le principe est de faire reculé la criminalité en poursuivant les comportements antisociaux des pauvres. C'est la théorie du "carreau cassé". Graffiteurs, mendiants, revendeurs de drogue, laveurs de pare-brise seraient le terreau de la criminalité. Il faut donc nettoyer les villes de leur présence et redonner par là aux classes moyennes une certaine qualité de vie... D'où l'encombrement des prisons et la construction de nouveaux lieux de détention, non pour le confort des prisonnier mais pour accroître la charge utile du système. E.Guigou nous en promet 6 ou 7 supplémentaires après les 23 lancées à la fin des années 80.

A coté du vœu d'humanisation de la vie carcérale, la tolérance zéro fait son chemin dans tous les pays. On la retrouve dans le manifeste de Régis Debray "Républicains, n'ayons plus peur !"(le Monde 4.09.1998), tolérance zéro, théorie du carreau cassé, appel à "responsabiliser" parents, professeurs, policiers. Tous les défenseurs de l'ordre établi, au lieu d'interroger la société préfèrent "responsabiliser" les individus.
L'intérêt du livre de L.Wacquant est de mettre en relation cette idéologie sécuritaire avec la politique pénitentiaire et l'évolution de la société. Sur le plan théorique, on rappellera que vouloir expliquer le social par la biologie, la psychologie ou la morale est une escroquerie idéologique, un manquement à la première règle de la méthode sociologique, qui veut que l'on explique un fait social par un autre fait social.
Enfin on soulignera que la ligne de partage entre une conception réactionnaire et une approche révolutionnaire de l'homme et de la société passe entre les théories de l'inné et de l'acquis, celles qui accusent l'homme ou le milieu, celles qui en matière pénale s'attachent exclusivement à l'acte ou prennent aussi en considération la personne.
Origine :
http://www.cafe-lecture.org/article.php?id_article=52

http://www.cafe-lecture.org/forum.php?id_article=52&retour=article.php%3Fid_article%3D52