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Le Sarkozy sans peine Richard Monvoisin
Vol. 1 : La République, les religions, l’espérance

Origine : http://www.mondialisme.org/article.php3?id_article=862

Le lecteur trouvera la version intégrale de ce texte sur le site
http://infokiosques.net/article.php3 ?id_article=295

La version condensée que nous présentons ci-dessous a été revue par l’auteur que nous remercions de nous autoriser à publier son travail. (Ni patrie ni frontières).


Le livre de Nicolas Sarkozy m’a été envoyé par l’AFIS (Association française pour l’information scientifique) en vue d’une fiche de lecture d’une demi-page que je m’étais proposé de rédiger. Cette demi-page n’a jamais vu le jour car il est des sujets pour lesquels une restriction formelle allège tellement le propos qu’il vaudrait mieux s’abstenir. (...) Et puis, ayant décidé de ne pas voter tant que les processus électoraux français, que je trouve biaisés, outrageusement mensongers et déresponsabilisants n’auront pas un tant soit peu évolué, (...) je préfère exercer le petit peu d’influence politique dont ce gouvernement me laisse l’usage (...) et je me dis qu’au nom de tous les cousins, toutes les cousines du reste du monde dont une grande partie crève doucement la bouche ouverte en regardant nos sitcoms, et dont les conditions de vie dépendent en grande partie des décisions politiques qui émanent chez nous, si moi je n’ouvre pas ma gueule, je ne vois pas qui le fera. (...) il était en outre dans mes cordes d’ébaucher une critique sur le dernier livre de celui qui sera certainement notre suprême représentant : ne serait-ce que pour tenter de faire achopper cette prédiction. (...)

J’ai découpé en onze maillons distincts la chaîne de raisonnement que Nicolas Sarkozy (NS) me semble suivre. (...) Ce découpage est certainement discutable, je l’ai d’ailleurs retouché deux fois. [J’encourage le lecteur à lire le livre original en même temps].

1er maillon : les immigrés musulmans ont perdu (ou risquent de perdre) leurs racines culturelles.

(...) Nicolas Sarkozy commence ainsi : « Le fait religieux n’a pas simplement une dimension spirituelle. Il a aussi une dimension culturelle. Si vous additionnez le besoin d’espérance et la nécessité de racines culturelles dans la définition d’une identité, vous avez, me semble-t-il, une des raisons de fond qui justifient a posteriori la fameuse phrase qu’on prête à Malraux : « Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas ». N.S., p. 22.

Ça, c’est la base de son raisonnement, qui ne débute pas trop mal. Effectivement, le fait religieux couple une dimension spirituelle et une dimension typiquement culturelle. On peut ne posséder qu’une seule de ces dimensions : qu’un bas-Breton, par exemple, n’ayant jamais été en Asie, se convertisse au bouddhisme relève a priori du choix spirituel, non du choix culturel. Á l’inverse, certains Africains athées font le ramadan pour accompagner leur famille, amis, etc. Une majorité d’athées français fête par exemple Noël et plante une crèche au pied du sapin, sans adhérer ni au dogme chrétien, ni au dogme celte. Il s’agit d’une pression plus ou moins forte, mais exclusivement culturelle. On pourrait rajouter une troisième dimension, qui est l’opportunisme (tant qu’à faire, autant faire bombance), et même une quatrième, l’utilitarisme politique, mais cela nous éloignerait du sujet. Les choses se gâtent ensuite. On peut le lire de deux manières, toutes deux problématiques. Si la nécessité de racines culturelles dans la définition d’une identité peut être admise sans trop de difficultés, en quoi, mon bon monsieur, le besoin d’espérance en est-il un ingrédient ? Sans espérance, point d’identité ? Surprenant. (...)

Nicolas Sarkozy tente de nous faire comprendre de force que la religion est une valeur identitaire.

Ça n’a l’air de rien, comme ça. Mais regardez où ça nous mène. « Je note que les juifs non pratiquants sont souvent présents dans les synagogues pour Kippour, que les musulmans non pratiquants considèrent que l’islam fait également partie de leur identité. Pourquoi ? Parce que nombre d’entre eux se sentent juifs ou musulmans dans le regard de l’autre. Le reniement ou l’indifférence à l’endroit d’un engagement religieux revient presque à se désolidariser d’une communauté de naissance, comme si on abandonnait un héritage, une facette de sa vie ». N.S., p. 21. Dire cela de façon systématique, c’est faux, en France tout du moins. C’est en outre très dangereux.

Faux parce qu’il y a un paquet de catholiques, musulmans, juifs ayant renoncé à leur croyance qui ne se sentent pas désolidarisés de leur communauté. Il en est certainement qui font le grand dam de leur père ou de leur mère, de la même façon que les dernières générations françaises générèrent des cris d’orfraie chez les vieilles mamies à crucifix. Mais de là à insinuer une « désolidarisation », cela colporte une vision simpliste et somme toute un peu tribale de ces communautés.

Faux parce qu’on peut renoncer à sa croyance sans renoncer à l’héritage reçu. Ce n’est pas parce que je suis athée que j’en ai oublié la teneur de l’enseignement catéchiste reçu jusqu’à onze ans ; ce n’est pas parce qu’un musulman s’indiffère de sa religion qu’il en oublie l’histoire de Mahomet ou les sourates qu’il a apprises. Je pousserai même le vice à croire qu’un ancien musulman athée qui fête l’Aïd-el-kébir vient plus pour le goût du mouton et des condiments, pour le regroupement social et familial que la cérémonie engendre, que pour ne pas abandonner un quelconque héritage. Cela reviendrait à dire que les catholiques fêtent Pâques pour ne pas perdre leur héritage culturel, et pour ne pas se désolidariser de leur communauté de naissance. Moi je fête Pâques pour le chocolat. Dangereux parce que c’est une manœuvre politique à la Damoclès : jouant sur l’effroi, la menace de la désolidarisation, Nicolas Sarkozy encourage les braves petits musulmans pullulant dans les cages d’escalier à rentrer dans le giron de la religion. Quand, après dissection de son livre, on sait ce qu’il entend par laïcité active, on comprend qu’il s’agit d’une manœuvre détournée de parcage ovin des sauvageons par le biais du culte : en clair, si tu renonces à l’islam, tu perds ton bagage culturel et tes racines, tu n’es plus rien dans le regard des autres, donc tu n’es plus rien du tout. Alors rentre vite dans le rang avec ta famille et ton couscous, le Conseil régional du culte musulman que moi, Nicolas S., j’ai aidé à créer dans ta région gérera les décisions de ta communauté (dont tu ne peux t’extraire), et t‘encouragera dans une politique sécuritaire et dans un vote présidentiel en ma faveur, quand, en 2007, tu regarderas mon visage de vainqueur apparaître sur ton écran, laissant béer ta bouche pleine de tajine. N.B. : on retrouve ce type de procédé en entreprise ou dans les corps de métier à tradition : raffermir le tissu social entre les gens dans ces groupes socioprofessionnels (en cherchant la fameuse « culture d’entreprise », en créant de toutes pièces des « événementiels », anniversaire de la boîte, etc. plus ou moins ritualisés), quitte à menacer (exemple : ‘Ne trahissez pas « l’esprit de l’entreprise »’, etc.) ceci afin d’y placer discrètement une nasse politique et morale dont il est, au bilan, très difficile de s’extraire.

« Quand on parle des juifs, on ne désigne pas ceux qui vont à la synagogue, mais ceux qui appartiennent à cette communauté. Il en va de même avec les musulmans. Il ne s’agit pas de désigner ceux qui vont à la mosquée, mais ceux qui ont reçu, de par leur histoire individuelle, l’islam en héritage culturel et non seulement culturel. Je ne vois pas en quoi la dénomination de “musulman français” est choquante ou réductrice ». N.S., p. 22.

Elle n’est ni choquante ni réductrice, elle est purement stigmatisante. Si l’origine culturelle devait être toujours indiquée, l’auteur de ces lignes (moi) serait d’origine culturelle française moyenne, catholique, provinciale et conservatrice, ce qui ne manquerait de semer le trouble en imposant une grille de lecture sur les propos ou les actes qu’il commettrait. Mais une grille, dans tous les sens du terme, est une séparation arbitraire. Lorsque la confession, qui relève de la sphère privée, devient un critère, et que ce critère devient une marque nécessaire, il y a moult raisons historiques (dont certaines ne sont guère lointaines de craindre la dérive). Par conséquent, la dénomination de « musulman français » contient au moins un mot de trop [1]. Et que faire des gens ayant renoncé à l’islam : sont-ce selon le maire de Neuilly des « musulmans athées », des « musulmans agnostiques » ? Malgré le ridicule de ces dénominations, Nicolas Sarkozy y pense. Il dit plus loin page 22 : « dire les « musulmans de France », ce n’est pas exclure les musulmans athées ou agnostiques ; c’est au contraire donner un nom à une composante de la société française dont nous devons organiser l’intégration [...] ». Le stigmate, vous dis-je.

En passant, Nicolas Sarkozy nous explique, toujours p. 22, que : « [...] certains affirment qu’il conviendrait plutôt de parler des Arabes. Je m’inscris en faux contre cette expression car les quatre cent mille turcophones qui vivent en France n’en sont pas ; pas plus que les musulmans d’Afrique noire. »

Comme dit Odon Vallet, parler d’Arabes à propos de musulmans est à double tranchant : c’est une erreur géographique - les Arabes, même en ajoutant les Berbères, ne représentant qu’une minorité du milliard cent millions de musulmans -, mais c’est une vérité théologique : tout comme les catholiques sont tous des « Romains » et les chrétiens tous « spirituellement des Sémites » selon l’expression du pape Pie XI, les musulmans sont tous Arabes, de cœur et d’au moins un peu de langue, ne serait-ce parce que le Coran fut révélé à Mahomet en arabe, que l’arabe est la langue liturgique de l’islam et que la Mecque est en Arabie. Bref, on ne peut en vouloir à Nicolas S. de ne pas être fin connaisseur de l’Islam : mais on peut lui reprocher son populisme. Il refuse un stigmate (arabe) pour plaire et faire le gentil protecteur des minorités ethniques musulmanes, mais en rajoute un autre (musulman) parce que quand même, faut pas pousser. Il faut bien qu’on les repère, pour qu’on puisse organiser leur intégration (cf. ci-dessus).

Je fais mienne au passage la remarque de mon compère Damiàn O. Une autre récupération politique devient par le même processus possible : « Si certains athées ou agnostiques sont “musulmans”, d’autres athées et agnostiques sont aussi “chrétiens” ou “catholiques”. Il devient alors facile de proclamer “La France, grand pays catholique”, car 70 ou 80% de la population devient catholique selon cette acception, bien que le nombre de réels croyants soit des plus réduits. Sachant que le décompte du nombre de croyants a des effets politiques importants (attributions financières en Alsace, rôle politique du Vatican accepté, etc.) la démarche n’est pas gratuite : elle permet de stigmatiser une partie de la population, tout en mettant sous perfusion une Eglise catholique moribonde. » Rappelons-nous : nous n’avons pas été les derniers en France à diffuser les obsèques du pape Jean-Paul II en boucle. Il insiste finement dans la même page : « D’autres préfèrent parler des Français d’origine immigrée. Ce vocable est absurde, car nous sommes tous quasiment fils de l’immigration. De surcroît, c’est une phraséologie lepéniste, qui distingue les Français de l’immigration des Français de souche. » La première phrase requiert tous les suffrages. Comme l’écrit P. Bourdieu, « comment peut-on parler d’“immigrés” à propos de gens qui n’ont “émigré” de nulle part et dont on dit par ailleurs qu’ils sont “de seconde génération ?” » [2]. Mais pardon ! Avec musulman, c’est exactement la même chose que vous faites, Monsieur Sarkozy. Entre Français d’origine immigrée, musulman français et bougnoule, il y a autant de différence qu’entre mal-entendant, sourd et bouché à l’émeri.

2e maillon : perdre ses racines culturelles mène à la désespérance : on le constate bien dans les banlieues (sous-entendu : les immigrés désespérés habitent les banlieues).

(...) « [Les Français] ont déserté la campagne pour les villes. La France profonde, c’est maintenant la France des banlieues » N.S., p. 129. « Partout en France, et dans les banlieues plus encore qui concentrent toutes les désespérances [...] » N.S., p. 15. Nicolas Sarkozy est assez cavalier. D’abord, la notion de France profonde, comme celle de la France d’en bas, fleure la pestilentielle arrogance du parvenu. Ça sent l’ordre moral, le haut Moyen-Âge et la piétaille, ça sent le foin et le palefrenier. (...) Ensuite, les banlieues ne concentrent pas toutes les désespérances, loin s’en faut. Sans faire de comparaisons quantitatives, il est d’assez vertigineuses désespérances africaines ou moyen-orientales qui épargnent nos braves banlieues. (...) Somme toute, cela témoigne d’une mauvaise connaissance des banlieues, (...)

Par ailleurs c’est regrouper sous le terme substantialiste banlieue les maux dont notre société souffrirait : technique typiquement populiste du bouc émissaire qui a pour utilité de rassurer nos petits boutiquiers, friands d’exutoires simples et de contes doucereux où si le méchant n’est pas noir, c’est quand même mieux s’il est basané. Or, de fait, « banlieue » est un terme générique impropre, car simplement géographique (...). « Quel est le problème de nos banlieues ? C’est qu’elles se sentent abandonnées, y compris par l’État. On y installe des terrains de sports, c’est très bien. Mais est-ce suffisant pour satisfaire les aspirations des jeunes ? Je ne le pense pas, car ces dernières ne relèvent pas que du domaine temporel. » N.S., p. 130. Voilà l’un des leitmotive de Nicolas Sarkozy : l’opposition temporel-spirituel, le temporel étant le ressort de l’État, le spirituel celui de la religion, nous est resservie presque une dizaine de fois dans son livre. On la retrouve en particulier page 147 : « le principe de séparation des Églises et de l’État, du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel » et page 152 « Dans tous les pays européens, le pouvoir temporel est séparé du pouvoir spirituel. » « Distinguer le temporel du spirituel » est pour le coup le titre du sous-chapitre page 22. Il aurait tort de s’en priver ; car il s’agit de son concept le plus élaboré. Il explique : « La morale républicaine, c’est le respect de la loi. Est moral ce qui se conforme à la loi. Dans le domaine spirituel, on ne se situe pas dans le même ordre. N’est pas forcément moral ce qui respecte la loi, et n’est pas forcément immoral ce qui ne la respecte pas. On est dans une autre logique et je pense que les deux se renvoient, se complètent, s’équilibrent et s’enrichissent à vivre en interaction. » N.S., p. 163-164.

Je pense que c’est un découpage relativement pauvre, étant donné que le pouvoir temporel peut être spirituel (rois, dalaï-Lama, clique évangéliste de la famille Bush, etc.) et le pouvoir spirituel temporel (par exemple le pape). Au final, tout se mélange. Bien que des paradis leur soient promis, les pouvoirs spirituels n’oublient pas de profiter un tantinet des pouvoirs temporels qu’il leur est loisible d’exercer. « Partout en France, et dans les banlieues plus encore qui concentrent toutes les désespérances, il est bien préférable que des jeunes puissent espérer spirituellement plutôt que d’avoir dans la tête, comme seule “religion”, celle de la violence, de la drogue ou de l’argent ». N.S., p. 18.

Outre l’amalgame banlieue/désespérance déjà discuté, Nicolas Sarkozy commet ici plusieurs erreurs très communes. D’abord, on entre rarement dans la « religion » de la violence, la drogue ou l’argent, tout simplement parce que les principaux ingrédients d’une religion - lien social, foi, dogme et clergé - y sont absents.

Mais employer ce terme laisse accroire l’idée du choix délibéré, pour le jeune-des-banlieues (musulman français, devrais-je préciser) d’un culte à ces valeurs. Or, ces valeurs sont rarement érigées en valeurs morales. Si le recours à la violence comme critère d’insertion sociale existe (des enfants-soldats, du Libéria au Sentier Lumineux péruvien pour des exemples forts, des bizutages des grandes écoles aux camps scouts qui « aguerrissent » pour des exemples décrits comme badins par leurs promoteurs), son érection en culte reste l’apanage de la fiction. (...) Sur la question de la drogue, il faut signaler que la fuite systématique dans une autre réalité ne ressemble en rien à un acte de foi. Elle s’apparente :
- soit à un loisir (couches sociales en moyenne relativement aisées, ne serait-ce que pour assumer le coût du produit psychotrope),
- soit à un commerce (couches sociales en moyennes peu aisées, qui trouvent, en fournissant le loisir des couches plus aisées, un fonds fiduciaire non négligeable et un des rares statuts ne demandant pas d’éventuels diplômes),
- soit à un déni plus ou moins complet de la réalité : on ne peut, dans ce dernier cas faire l’économie d’une réflexion sur les raisons qui amèneraient un « jeune », ou même un « vieux », à dénier la réalité en optant pour des paradis artificiels. Il faudra alors se rendre à l’évidence que le coupable n’est pas tant le fuyard que ceux qui ont eu et ont en charge la réalité, mais qui, malheureusement, ne font rien pour la rendre viable à un taux concurrentiel des psychotropes.

Quant à l’argent, il est un tantinet surfait de parler de religion de l’argent chez les petites frappes de banlieue, lorsque l’on regarde de près le montant des malversations « en col blanc » dans les sphères politiques ou péri-politiques. Le problème n’est pas de justifier moralement le vol (ce qui a déjà été fait ailleurs ), mais d’expliquer en quoi il est socialement mieux accepté de voir voler gros par un blanc aisé suant dans sa chemise que voler peu par un basané pauvre se pelant le cul en anorak). Parler d’adhésion à une religion de l’argent, de la violence ou de la drogue témoigne d’une très mauvaise compréhension des genèses sociales.

« Je pense que ce qui est le plus important dans chaque existence, c’est l’espérance, et ce quels que soient son âge et son parcours. Peu importe à la rigueur la manière d’espérer. La vraie césure, elle se situe entre ceux qui espèrent et ceux qui n’espèrent pas. D’ailleurs, existe-t-il des hommes qui n’espèrent pas ? Peut-on vivre sans espérance ? Il y a des personnes qui affirment ne pas espérer. Est-ce une attitude sincère ? Est-ce davantage qu’une posture ou qu’une provocation ? J’en doute souvent. Il y a un besoin d’espérance consubstantiel à la vie humaine. L’homme n’est pas fait pour supporter et assumer le désespoir. Le doute est déjà très difficile à vivre. Alors la certitude de néant... ce serait bien pire ! ». N.S., p. 35. La césure n’est pas entre ceux qui espèrent et ceux qui n’espèrent pas, mais entre ceux qui espèrent pour ce monde-ci et ceux à qui on apprend à espérer un autre monde dans l’au-delà. Faire miroiter sans preuve un autre monde au-delà du Styx, c’est une aliénation.

3e maillon : l’athéisme est à proscrire, car cela enlève l’espoir (...)

Dans son ouvrage, Nicolas Sarkozy n’opère pas une distinction claire entre athéisme et agnosticisme, et alterne les deux termes. Si la distinction est fondamentale [3], elle ne l’est pas pour notre propos. N. Sarkozy nous fait comprendre que l’athéisme est un phénomène contemporain qui expliquerait un certain nombre de crises spirituelles. Il faut d’emblée mettre court à cette idée : l’athéisme est loin d’être un phénomène contemporain. Sans parler de Démocrite, des épicuriens, il y eut les matérialistes Ajita Keshakambala, du temps de Bouddha, puis Sanjaya Belatthaputta ; plus tard, il y eut au XIIe siècle la vague des poètes persans et arabes athées et libertins, comme Omar Khayyâm. Même les Hébreux avaient leurs athées.

« Ceux qui s’affirment non-croyants se définissent par rapport à ce qu’ils ne croient pas. Leur athéisme est affirmé, scandé parfois avec force. Cela ne les empêche pas d’espérer en l’avenir, d’avoir des enfants, d’agir selon une morale. Ce sont des attentes communes. » N.S., p. 119.

(...) Il est inexact de dire que ceux qui s’affirment non-croyants se définissent par rapport à ce qu’ils ne croient pas. Un exemple : le zététicien, qui investigue scientifiquement les phénomènes extraordinaires, ne croit a priori pas en l’astrologie. Sa démarche ne se définit absolument pas par rapport à l’astrologie, mais par rapport à la pensée rationnelle, l’investigation critique et la déconstruction des mythes aliénants. De même pour un bon nombre d’athées ou d’agnostiques : la question métaphysique qui sous-tend la discussion sur Dieu peut leur sembler intéressante. C’est la réponse, imposée, qui leur semble consternante. Le déni d’une autorité divine, d’un clergé participe bien plus d’une dénonciation d’une aliénation morale et sociale que d’un simple nihilisme. (...) A mon avis, c’est l’inverse. Comme me le susurre mon ami Kandjare, N. Sarkozy crée un stigmate social laissant croire que chaque individu se définit seulement par rapport à une entité transcendante (groupe, nation, patrie, religion, clan) d’ordre plus ou moins divin. D’ailleurs, l’idée qu’il puisse exister des personnes qui ne raisonnent pas du tout vis-à-vis de ça mais à partir plutôt de choix « moraux » immanents, par exemple, ne l’effleure semble-t-il même pas. « Cela ne les empêche pas d’espérer en l’avenir, d’avoir des enfants, d’agir selon une morale Ce sont des attentes communes. ». Phrase-bidon. On peut très bien désespérer en ayant un Dieu à ses côtés. En Palestine, bien nombreux sont ceux des deux camps qui revendiquent la gloire de Dieu. On peut d’ailleurs d’autant mieux espérer en l’avenir sans Dieu que l’avenir radieux avec Dieu est post-mortem. On peut avoir des enfants et agir selon une morale sans que l’engendrement de ces enfants et que ladite morale soient transcendants. (...) L’espoir en l’avenir n’est pas une obligation - surtout en regard du monde tel qu’il est. Faire des enfants non plus : (...) Agir selon une morale est, en revanche, quasi général : reste à savoir quelle morale. L’inconvénient dans la morale, c’est que c’est toujours celle des autres. « Je me suis toujours dit qu’il y avait de l’arrogance dans la certitude de la non-existence divine. J’espère que chacun a en lui cette part de doute qui permet de continuer à espérer. » N.S., p. 119.

« Celui qui ne croit pas n’est pas indifférent à la question de Dieu puisqu’il exprime une conviction sur elle. Il fait de ses doutes une certitude. Il pense que l’homme est le fruit du hasard et sa propre fin. Je ne juge pas cette attitude. Je m’interroge toutefois sur la possibilité de vivre sans avoir vraiment aucune espérance dans le registre des fins dernières ». N.S., p 171.

Rare et non rationnelle est la certitude de la non-existence divine. De la même façon qu’il est irrationnel d’être certain de l’existence de Dieu, il est irrationnel d’être certain de son inexistence. Arrogant, pourquoi pas. La seule posture qui tienne rationnellement est la posture sceptique : douter, maintenir son jugement suspendu, placer son propre curseur « vraisemblance » entre ces deux certitudes et agir en conséquence. Quant à savoir si le doute permet d’espérer, je crois qu’il permet surtout de rêver. Et préférer une vie avec des joies concrètes présentes plutôt que des promesses d’avenir et un hypothétique avenir ailé, c’est finalement bien pragmatique, et pas si dur que ça à vivre.

« Il est plus aisé de vivre avec l’espoir qu’avec le désespoir. D’une certaine manière, il n’y a pas tellement de mérite à croire. C’est tellement sinistre de ne pas avoir de perspectives. » N.S., p. 119. L’athéisme n’est pas synonyme de désespoir, et le refus d’une obéissance contrite dans l’attente d’une vie après la mort n’est pas une absence de perspective. (...)

Une petite bulle en passant : « Il y a un fonds anticlérical dans notre pays. Quand, de surcroît, cet anticléricalisme peut se fondre avec une forme de racisme antimusulman, alors on se retrouve devant un mélange détonant » N.S., p.91 Phrase énigmatique. Le fond anticlérical, quoique plus développé en France que dans beaucoup d’autres pays, est assez clairsemé et ne se fond a priori pas avec une forme de racisme antimusulman, ceci pour deux raisons assez simples : lorsqu’on comprend le mécanisme de l’oppression cléricale, et qu’on fait vœu de la dénoncer ou de la démolir, on a généralement déjà dépassé le stade du racisme, levier oppressif du même genre mais bien plus facile à circonscrire ; et surtout, le racisme peut être antisémite, anti-noir, anti-asiatique, mais pas antimusulman (...). Même là, il faudrait parler de ségrégation antimusulmane, et non de racisme, afin d’éviter ce mélange des genres qui amène les individus les moins scrupuleux à créer de grands sacs dans lesquels tout mixte Arabo-musulmano-basano-terroristo-alqaido-voilé peut être fourré. (...)

4e maillon : or, le manque d’espoir mène à l’intégrisme (sous-entendu, les banlieues en sont le lit)

(...) Voici l’argument clé de Nicolas Sarkozy pour justifier une retouche de la laïcité. La désespérance, décrite comme le lot des banlieues, mène à l’intégrisme, donc... « L’intégrisme règne dans les déserts spirituels. » N.S., p. 129 Hop ! Le saut est fait. Pour notre ancien ministre de l’Intérieur, des banlieues à l’intégrisme, il n’y a qu’un entrechat. Les fameux problèmes des banlieues et l’intégrisme auraient le même humus : le manque de spiritualité. Ce glissement est quasi totalement faux car : a. les problèmes des banlieues sont sociaux, non spirituels. Ils sont la conséquence quasi directe d’une politique sociale d’exclusion, commencée dès le début des vagues d’immigration d’après-guerre. (...) .

b. L’intégrisme est un mot fourre-tout qui, comme le mot barbare, stigmatise toujours l’Autre, le voisin, l’étranger.(...) . c. L’intégrisme ne règne pas dans les déserts spirituels (...) . Penser que l’intégrisme religieux de type islamiste règne dans l’absence de spiritualité est la conséquence d’une profonde inculture. Prenons l’intégrisme islamiste du FIS, ou le judaïsme total des groupes Stern. Il ne viendrait à personne l’idée de remettre en cause qu’ils ont bel et bien une spiritualité. Non, c’est la spiritualité qui est à discuter : quand elle promeut l’homophobie, l’abstinence sexuelle, le déni de l’avortement et l’inégalité des sexes (ce qui est le lot commun de tous ces intégrismes religieux, de l’Opus Dei à Al-Qaida), n’est-on pas en droit de lui préférer un désert spirituel, à peine parsemé de quelques cactus égalitaires et libertaires ? d. L’intégrisme ne naît pas dans les banlieues : il naît dans les déserts éducatifs, comme à peu près toutes les idées réactionnaires de ce monde. « [...] car les incroyants sont des désespérés, et c’est ça qui fait les drames ». « Ce sont des millions de croyants qui se trouvent mis en cause par l’attitude de quelques fanatiques insensés se réclamant d’une foi et d’une espérance qui professent l’inverse de ce qu’ils sont devenus. Ces fous de Dieu n’ont rien à voir avec Lui. Ils sont ivres de haine, de vengeance, de sang, de destruction, de cruauté. » N.S., Avant-propos, p. 9. « ...quelques fanatiques insensés se réclamant d’une foi et d’une espérance qui professent l’inverse de ce qu’ils sont devenus : M. Sarkozy désigne ici bien sûr les intégristes islamistes. Mais ils ne sont que la poussée extrémiste des failles de morale de la religion, et la conséquence des exégèses ultra-scripturaires, c’est-à-dire collées à la lettre au texte sacré. Ils sont une conséquence prévisible de tout système religieux basé sur une Écriture Sainte et des préceptes figés. Ils ne sont donc pas l’inverse de ce que prône leur foi : ils n’en forment qu’une (souvent monstrueuse) excroissance.

(...) Ils sont ivres de haine, de vengeance, de sang, de destruction, de cruauté. Faux et archi-faux : ils ne sont ivres de rien, et à ce qu’on peut en lire, leur démarche est réfléchie. La haine et la vengeance sont souvent présentes, mais elles n’apparaissent pas ex nihilo, et les pays impérialistes, comme les États-Unis, ou la France dans son pré carré, ont su générer parfois volontairement ces haine et soif de vengeance.(...). En revanche, le goût du sang, de la destruction et de la cruauté relève d’un folklorisme de mauvais aloi. On retrouve souvent ces éléments folkloriques dans la pensée petite-bourgeoise : prétendus goût du sang et cruauté d’Action directe, du FLNC, du FIS, des émeutes anti-françaises en Côte d’Ivoire, des Tchétchènes, goût de la destruction des Black Blocks, de José Bové, des indépendantistes basques, des anti-G8, des anti-Davos etc. Mais, entre nous, c’est tellement plus rassurant de « monstruosifier » ce qui nous est étranger. Le mot terroriste remplit une fonction similaire. Quand on entend le mot terrorisme, je crois qu’il faut examiner en premier lieu la bouche en cul-de-poule qui le prononce.

« Mais peut-on condamner ceux qui espèrent au nom d’une minorité poussée à la folie par le désespoir et la manipulation ? » N.S., p. 35. Non. Mais le problème réside dans ce que la minorité en question est rarement poussée à la folie, et que si les moyens peuvent être discutés, les causes sont entérinées. Ce n’est pas parce qu’on ne cautionne pas leurs méthodes que l’on peut se permettre de faire l’économie d’une réflexion sur la genèse de la revendication de ces minorités, quasiment toujours niée et n’ayant pratiquement pas de tribune. Voici, en aparté, le genre de question posée par MM. Collin et Verdin [à Nicolas Sarkozy] : « Pour une religion qui tend, par nature, à l’expansion, peut-on réellement croire que ce “fondamentalisme républicain” pourra résister à l’intégrisme ? » N.S., p. 89.

L’Islam tend, comme tout courant religieux prosélyte, à l’expansion. Mais de là à invoquer un fait de nature, il faudra dès lors trouver une nature expansionniste commune à la religion chrétienne, championne toute catégorie de l’expansion, et expliquer pourquoi personne ne s’inquiète, assurément à tort, de la montée de l’intégrisme chrétien. Peut-être que tout simplement l’intégrisme n’est pas un corollaire direct des religions, et que certains éléments primordiaux (exogènes, comme par exemple le maccarthysme américain ; ou endogènes comme l’indigence d’un peuple) sont opportunément occultés dans les circulaires gouvernementales. (...) « On craint les imams, l’islamisme : « ces imams qui embrigadent les jeunes ! » Au début du siècle dernier, on disait la même chose des curés. On regardait d’un mauvais œil les patronages et les groupes scouts. Aujourd’hui, les sociologues et les historiens reconnaissent le rôle majeur des patronages dans la constitution des meilleures équipes de sport, et du scoutisme dans la formation des cadres syndicaux et politiques. » N.S., pp. 130 - 131. (...) Si des sociologues et des historiens reconnaissent les rôles que M. Sarkozy prête aux patronages et au scoutisme, ils ne sont à ma connaissance pas légion, bien au contraire ; (...) On pourrait presque parler d’imposture historiographique. Kandjare enfonce le dernier clou du cercueil de l’argument du ministre : « Inversion chronologique probablement, car, contrairement à ce qu’affirme N.S. ici, certaines études laissent à penser que la tendance générale des sociétés occidentales équivaut à une décléricalisation des pratiques, sans pour autant qu’on puisse parler d’une déreligiosité (voir par exemple, Olivier Tschannen) [3]. On en revient à sa déclaration initiale qui sonne, du coup, comme une profession de foi : “le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas” ; c’est celui qui l’a dit qui l’a fait. C’est l’illustration de comment un discours peut construire de toute pièce une vision des choses et, par là, ces choses elles-mêmes ; ou comment couvrir sa représentation subjective d’une auréole prétendument objective. Ça renvoie de manière plus générale aux questions de représentations historiographiques, et aux impostures objectives qu’on peut parfois en tirer ». (...) Finalement, le message, quoique mal argumenté, est clair : « Je crois que c’est parce qu’il n’y a pas assez de lieux de culte musulmans publics qu’il y a une progression de l’intégrisme aujourd’hui. » N.S., p. 131.

5e maillon : la religion est un excellent vecteur de sens moral. (...)

« Les religions constituent un enjeu majeur pour notre société car elles sont le support d’une espérance. Le fait religieux est un élément primordial en ce qu’il “inscrit” la vie dans un processus qui ne s’arrête pas avec la mort. » N.S., p. 14

Il s’agit ici de la métempsycose, c’est-à-dire de la vie dans l’au-delà, qui, bien sûr, est porteuse d’espoir. Néanmoins, il faut se rendre à l’évidence que c’est un espoir post-mortem. On retrouve alors exactement ce que fut la religion durant au moins les deux millénaires écoulés : un lénitif social, qui apaise la vie ante-mortem de l’individu, en lui faisant accepter au nom d’un espoir ultérieur des conditions sociales qu’il n’aurait certainement pas supportées autrement. On le retrouve dans les propos suivants : « [...] l’espérance dans un au-delà meilleur est un facteur d’apaisement et de consolation pour la “vie d’aujourd’hui” ». N.S., p. 35.

L’espérance en question s’apparente surtout à un carcan moral, sorte de garantie du maintien de l’ordre public (cf. maillon n°8) et de la paix sociale. Car contrairement à la façon dont elle est présentée, cette espérance n’est pas gratuite : l’au-delà meilleur, qui se monnayait au Moyen Age, s’échange de nos jours contre un péché originel persistant, une culpabilité que ni contrition ni confesse ne résorbent, la reconnaissance d’un clergé, l’onction d’au moins quelques sacrements et le délestage d’un certain nombre de deniers du culte dans les sébiles vouées à cet effet juste après l’eucharistie. C’est une espérance coûteuse, qui génère ses peurs et qui a un prix.(...) .

« Sans être un militant d’aucune religion, je pense que l’on peut reconnaître la religion comme une source d’apaisement utile au fonctionnement de la République. » N.S., p. 157. C’est exactement cela. Soulignons l’emploi immodéré, dans la sphère politique, du mot République, jamais assorti de la définition qu’on lui prête - la République Démocratique du Congo en est un exemple. (...) « [L’espérance dans un au-delà meilleur] appelle au respect de la vie, elle condamne la violence et bannit toutes formes d’exploitation ». N.S., p. 35. « Je crois profondément que les valeurs de tolérance, de respect de la vie, d’amour du prochain, portées par l’Église catholique peuvent être utiles à la Corse. » N.S., p. 47. « Dans beaucoup de pays, les défis que doivent relever les peuples de l’hémisphère Sud le seront avec l’aide de l’Église catholique. » N.S., p. 25. Nicolas Sarkozy n’a pas dû se relire. Si le respect de la vie corroborait l’espérance en un au-delà meilleur, alors Papon, Pinochet, Sidi Amin Dada, les Carabinieri de Berlusconi et ses propres CRS seront voués aux Enfers, les pauvres, et lui avec. Si la condamnation de la violence est une clause de l’accès à un au-delà meilleur, comment expliquer la propension au crime de l’empereur Constantin, la deuxième croisade de saint Bernard de Clairvaux, le bain de sang saint-barthélémien de Charles IX ou le bombardement de civils vietnamiens par le moine-amiral G. T. d’Argenlieu ? Peu seront ceux qui, dans les services d’ordre étatiques, dans les services diplomatiques françafricains pro-Eyadema, pro-Ben Ali, les acteurs de l’opération Turquoise au Rwanda ne rôtiront pas chez Satan. Si le bannissement de toutes les formes d’exploitation est un incontournable du paradis, alors les contremaîtres de Michelin, Accor, TOTALFinaELF, Peugeot, des chantiers navals de Lorient risquent de se tortiller quelques siècles dans un âpre purgatoire.

De même, vanter les valeurs de tolérance, de respect de la vie, d’amour du prochain, portées par l’Église catholique n’est pas vraiment convaincant. Il suffit de demander aux Bagas de Guinée, aux Sénégalais côtiers si les missionnaires, même de nos jours, témoignent de beaucoup de tolérance [4]. Les bulles papales condamnant le préservatif font douter du respect de la vie des populations en danger potentiel de contamination par le SIDA [5], et c’est certainement le même amour du prochain qui arma les arquebuses des trois frères Pizarro dans le Pérou des Incas, et provoqua une déconcertante inertie au Vatican durant l’entreprise d’extermination des Slaves, Tziganes, juifs, homosexuels, handicapés etc. (...)

6e maillon : introduire des lieux de culte dans les banlieues est une solution de garantie de la non-désespérance, et donc de la mort de l’intégrisme

(...) « Les religions ont-elles par ailleurs une importance spécifique pour l’équilibre de notre société ? Je n’hésite pas à répondre deux fois oui. Oui parce que la religion catholique a joué un rôle en matière d’instruction civique et morale pendant des années, lié à la catéchèse qui existait dans tous les villages de France. Le catéchisme a doté des générations entières de citoyens d’un sens moral assez aiguisé. Cela permettait d’acquérir des valeurs qui comptaient pour l’équilibre de la société. Incontestablement, l’Église catholique, quasi hégémonique jusque dans la première moitié du XXe siècle, a joué un rôle d’éducateur et même d’intégrateur dans la société française. » N.S., p. 17 - 18 « [...] je pense que les religieux, les femmes et les hommes spirituels, les hommes de foi sont un élément apaisant. Oserai-je dire un élément civilisateur ? » N.S., p. 18-19. Ben voyons. C’est au nom de la religion, de la foi, et de l’apport de la civilisation que près de 10 millions de Nord-Amérindiens ont été réduits à l’état de macchabées. C’est au nom de ces mêmes religion, foi et civilisation que des millions de Sud-Américains ont été massacrés, que les révoltes anticoloniales en Afrique se sont terminées (et se terminent encore [6]) dans le sang. La foi est à la vertu civilisatrice ce que la férule jésuite est à l’apprentissage [7].

Quant à savoir si « le catéchisme a doté des générations entières de citoyens d’un sens moral assez aiguisé », c’est indéniable...mais quel sens moral fut aiguisé ? Ou plutôt le sens de quelle morale ? Celui des nationaux-socialistes allemands, par exemple, était finement aiguisé. N. Sarkozy pêche ici par une considération universelle de sa morale, en l’occurrence chrétienne, et qui est loin d’être la morale la plus fine : réactionnariat politique, aliénation de la femme, culpabilité indélébile et adhésion à un ordre moral divin ne me semblent pas relever d’une grande finesse de sens moral. De dire que « l’Église catholique [...] a joué un rôle d’éducateur et même d’intégrateur dans la société française » est vrai. Cela n’affranchit pas son auteur de se demander si l’éducateur fut bon, et l’intégrateur partial.

« Ces points de convergences [de l’ensemble des messages religieux] sont plus nombreux qu’on ne le croit et donnent en réalité une cohérence d’ensemble au fait spirituel : il existe une vie après la mort, un seul et unique Dieu, un sens à l’histoire, une possibilité de rédemption, une morale naturelle commune à toutes les civilisations en référence avec un absolu ». N.S., pp.159-160. (...) « [Il existe] un sens à l’histoire » : c’est une conception historiciste finaliste très dangereuse. Au nom d’une nécessaire direction de l’Histoire, et par extrapolation d’un but conféré à l’humanité, ont été légitimés nombre de choses discutables, comme l’éradication de minorités ethniques ou le progressisme scientiste. Ce n’est pas fortuit de constater que les principaux philosophes théoriciens du sens de l’Histoire - Hegel en tête, mais aussi le courant Naturphilosophie (Goethe et Schelling en particulier) - ont ensuite servi de pavois moral à de nombreux courants conservateurs, pour ne pas dire d’extrême droite - le national-socialisme allemand, par exemple. « [Il existe] une possibilité de rédemption » : encore faut-il avoir fauté, et craindre d’encourir un jugement divin, pour voir miroiter une possibilité de rédemption. Nous sommes encore dans une dialectique ici-bas/au-delà, avec application des sermons miséricordieux dans le champ incontrôlé par l’individu - l’au-delà, bien sûr. C’est sur ce genre de discours que se justifient les pires choses. L’exemple classique en est la peine de mort : s’il est exécuté ici bas, ce n’est pas grave, puisqu’il y a une vie après la mort dans laquelle il sera en mesure de racheter ses fautes. Et Dieu reconnaîtra les siens. « [Il existe] une morale naturelle commune à toutes les civilisations en référence avec un absolu » : il n’existe pas de morale naturelle. La morale est un produit social. Ce n’est d’ailleurs pas le fait qu’elle se bâtisse en référence avec un absolu qui est un vrai problème : le hic se loge dans ce qu’un clergé devienne intercesseur de cet absolu, et que le non-clergé (la piétaille, quoi) devienne dépendant de ces dépositaires de la connaissance. Parfois, le vice est poussé jusqu’à faire l’intercession avec l’absolu en latin ou en arabe classique, ce qui n’est quand même pas très gentil.

(...) [...] nous n’avons aucun intérêt à sa disparition ou à la réduction de son influence : sauf erreur, le « nous » intégratif désigne le pouvoir politique en place (le même qui décide de l’ordre public, cf. maillon n°8). Dans la mesure où la religion joue un rôle d’opiacée sociale, elle devient un levier politique très maniable. Par conséquent, il est évident que N. Sarkozy n’a aucun intérêt à la voir disparaître. C’est là que se loge son idée, qu’il perçoit comme révolutionnaire : plutôt que d’empêcher l’enracinement de l’islam, il se propose, en lui flattant la croupe, de l’intégrer dans la panoplie des leviers moraux, s’offrant ainsi du pain bénit en matière d’asservissement d’un peuple immigré dont selon lui le seul bien commun, hormis le statut de paria, est justement le culte musulman.

« Le message universel du christianisme est un message d’ouverture et d’acculturation. Les responsables catholiques devraient se réjouir de ce que des jeunes aient la foi, plutôt qu’un agnosticisme désespéré, que ce soit la foi du credo catholique ou la foi musulmane ». N.S., p. 53.

Le mot est lâché : acculturation. C’est par cela que l’ancien ministre des Finances voit la paix sociale qui lui est si chère, ce qui présuppose du même coup que nous soyons en « guerre sociale » - ce avec quoi je suis assez d’accord, mais pas pour les mêmes raisons que lui. (...) Si la politique n’était pas kidnappée par une caste professionnelle (énarque bien souvent), caste vantant un individualisme et un utilitarisme libéral extrêmes, alors ce rôle de vecteur de dialogue, de source de fraternité, de compréhension pourrait très bien redevenir le lot de tout individu lambda. C’est un tantinet plus universaliste que d’attendre les ministres du culte, promoteurs d’une réponse métaphysique et d’une construction morale figées. ...« un ministre du culte - qu’il soit rabbin prêtre, imam, pasteur - est une source de fraternité, de compréhension, d’écoute ; c’est un vecteur de dialogue. » N.S., p. 129. Ne devons-nous pas trouver douteux que, devant le saccage de la main gauche de l’État, ses services publics, ses travailleurs sociaux [8], ce soit la main droite de l’État coercitive et vengeresse que le ministre de l’Intérieur incarne si bien, qui propose de promouvoir la fraternité, et, qui plus est, propose des ministres du culte comme vecteurs de dialogue ? (...) « Je pense donc utile que soit créée une grande mosquée dans celles de nos grandes villes qui en sont dépourvues. [...] si l’on partage l’opinion qu’il s’agit d’un enjeu pour que la vie soit meilleure dans nos banlieues, il convient d’en tirer les conséquences et d’être inventif. » N.S., p. 130.

Etre inventif, pour Nicolas Sarkozy, c’est rompre avec la loi de séparation des Églises et de l’État, et financer des ministres du culte. Je n’exagère pas : « A mon sens, il est temps de poser la question du financement national des grandes religions et celle de la formation “nationale républicaine” des ministres du culte. » N.S., p. 123.

Et en bon chantre de la décentralisation des pouvoirs, il avance : « Je ne crois pas aux négociations nationales, j’y crois d’ailleurs de moins en moins [...] je crois au contraire à la régulation régionale qui permet à chacun de trouver des aménagements en fonction du rythme de la vie locale dans laquelle on se trouve » N.S., p. 160.

En d’autres termes (cela revient à dire que) pour certains trucs (sauf les pouvoirs de police évidemment), je crois à la déconcentration du pouvoir : le pouvoir n’est pas supprimé, il est juste déconcentré, c’est ce que je viens de vous dire : c’est quand même plus sympa d’avoir un représentant de l’État qui vous contrôle, qui a la même religion que la vôtre - comment, vous êtes athée ? Bon alors qui a la même couleur de peau que la vôtre ou la même origine géographique que vous, à peu de choses près, et qui en plus sera ainsi censé vous représenter parce que, mon petit/ma petite, vous êtes bien incapable de vous représenter vous-même. C’est donc quand même plus sympa d’être contrôlé par un chef du coin, d’ailleurs non élu mais nommé, que par un chef presque fantôme qui vient de la capitale. En plus c’est plus pratique, parce que lui au moins est toujours sur place, et n’a pas à contenter l’électeur - il n’en a pas (rire sardonique). « je pense que les prêtres, les rabbins, les pasteurs, les imams, ou les laïcs les représentant doivent être les bienvenus dans les discussions sur l’organisation du temps scolaire pour la catéchèse. » N.S., p. 160. (...) « Il me semble en revanche que l’on doit trouver un moyen terme, qui respecte l’esprit de la loi de 1905 et aide en même temps les religions à être utiles à la société et à se couper d’influences étrangères qui ne sont pas apaisantes. « Ainsi l’on pourrait réfléchir à la possibilité pour l’État et les collectivités locales de garantir les emprunts pour la construction d’édifices religieux, à l’instauration d’avantages fiscaux plus importants pour les fidèles qui participent au denier du culte [9], à une redéfinition des travaux de “confortement”, ou encore à la consolidation juridique du recours aux baux emphytéotiques. Pour la formation des ministres du culte,l’État pourrait participer “en nature” en quelque sorte, en mettant à disposition des enseignants dans les matières autres que spirituelles, en prêtant des locaux, en signant des conventions avec les représentants des religions pour former des ministres du culte français. Je ne vois pas en quoi cela nuirait à l’indépendance des ministres du culte, et à leur lien privilégié avec leur hiérarchie religieuse. En revanche, cela permettrait d’assurer un enracinement national et de se protéger d’un certain nombre d’influences étrangères , notamment s’agissant d’islam . [10] » N.S., pp. 124-125.

Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’épiloguer sur ce contre-pied flagrant de la loi laïque française que propose M. Sarkozy. Je soulignerai seulement la dernière phrase, qui témoigne d’abord du fait que si les moyens qu’il se propose d’employer sont présentés emballés dans du papier-cadeau, les ambitions sont extrêmement conservatrices. À croire qu’il s’agit d’une technique propre au néo-gaullisme : Jacques Chirac défend ses intérêts commerciaux pétroliers en refusant la guerre, passant pour le pacifiste qu’il n’est pas [11]. Nicolas Sarkozy, par peur de l’invasion de l’islam, circonscrit la chose en s’accaparant de la mainmise de l’État sur les éventuels lieux de culte, les Conseils musulmans, et par conséquent toute une population par trop rétive au gouvernement... en passant pour un œcuménique bienfaiteur de l’islam. (...) Il s’agit d’une illustration du proverbe bantou cher à Patrice Lumumba : « la main qui donne, la main qui dirige ».

Mais la dernière phrase fait craindre le pire, car elle ne détonnerait pas chez un Bruno Mégret. Plusieurs embrasures de ce genre sur les préjugés sarkoziens sont ménagées dans son livre, dont voici quelques-unes : « Il en a d’ailleurs été de même dans les familles de religion ou de tradition juive ou protestante dont les valeurs individuelles et sociales sont en réalité communes avec celles de l’Église catholique et qui ont apporté, en plus, leurs spécificités à la construction de l’identité nationale : entre autres, un attachement profond à la République et une volonté exemplaire d’intégration pour les juifs, le souci aigu de la liberté de conscience chez les protestants. » N.S., p. 18. (...) « Il faut quand même dire les choses telles qu’elles sont : ce qu’on reproche aujourd’hui aux musulmans, dans les pays musulmans, nous l’avons vécu il y a quelques siècles avec une imbrication totale du pouvoir religieux et du pouvoir royal ». N.S., p. 19. Cette assertion mériterait un commentaire sérieux de nombreuses pages, mais pour faire succinct :

1. nous avons vécu une imbrication du pouvoir religieux et du pouvoir royal qui a rarement été totale (le summum, dans les « quelques siècles » présentés par Sarkozy, ayant certainement été Louis XIV, et Bonaparte pour qui « les conquérants habiles ne se sont jamais brouillés avec les prêtres » - ce qui me rappelle quelqu’un). La fin du XIXe, par exemple, fut un monument d’athéisme, tout comme quelques velléités éparses et lumineuses de la seconde moitié du XVIIIe.

2. la France est ces derniers temps de moins en moins laïque. L’État subventionne directement ou indirectement les religions. Qu’on s’en félicite ou qu’on le déplore, il faut se plonger dans les documents budgétaires (les bleus de la loi de finances) pour mesurer l’importance de cette évolution [12]. (...) « Si l’on veut aborder cette question de manière sereine, il faut reconnaître qu’il n’y a pas que l’islam qui rend difficile la vie des femmes musulmanes. Il y aussi la pauvreté, il y a le sous-développement, la misère, la ghettoïsation de certains quartiers. » N.S., p. 95 (...).

« Je reconnais que, parfois, même sans projection de son engagement religieux, il existe des comportements ambigus au regard de nos règles républicaines. Certaines confessions ou traditions où l’on se flagelle, certaines représentations caricaturales, l’expression fanatique de foules manipulées peuvent mettre en cause le consensus. » N.S., p. 37.

L’hôpital rit de la charité. Il est des confessions où certains se flagellent, d’autres gravissent à genou des calvaires avec des croix et s’extasient devant de purulents stigmates. Il est des liesses populaires, notamment autour de faux miracles comme celui du sang de saint Janvier à Milan, qui sont des expressions fanatiques de foules manipulées (puisqu’on prétend à un miracle alors que le principe de la liquéfaction du faux sang est connu depuis plus d’un siècle [13]). On sent poindre le mépris chez notre ancien ministre de l’Intérieur, mépris très partial. Quant au consensus invoqué à la fin, s’il porte sur les règles républicaines, il est une vue de l’esprit (sain bien entendu). « Selon vous, le port du voile est-il le reflet d’une certaine pratique culturelle des pays arabes ou a -t-il une signification religieuse ? Je me garderai bien de trancher ce débat théologique qui fait l’objet de nombreux commentaires, y compris chez les musulmans les plus érudits. » N.S., pp. 96-97.

(...) Ce n’est pas du tout un débat théologique. Vallet, encore, nous précise que « le voile des femmes n’est pas plus islamique que le béret basque n’est catholique ». Il ajoute que la tradition du voile est antérieure de plusieurs millénaires au prophète Mohamed, la première mention de son port obligatoire remontant aux lois assyriennes (tablette A, 40) attribuées au roi Téglat-Phalazar Ier [14], vers 1000 avant l’ère chrétienne. Mais la Bible également évoque le voile dans le livre de la Genèse (24,65) et le Cantique des cantiques (4,1), et fait elle aussi d’une tête non voilée un symbole de prostitution. Vallet termine : « on n’a jamais entendu parler de “voile juif” ou de “voile chrétien”, même si saint Paul en exige le port pour les prières : “toute femme qui prie ou prophétise tête nue fait affront à son chef” (1 Corinthiens 11,5). Là encore, se couvrir la tête relève plus de la tradition que de la religion, sans quoi il faudrait sacraliser les chapeaux de la reine d’Angleterre [15] ». (...)

« Il [le voile, NdR] est une réaction au regard hostile que les jeunes filles musulmanes rencontrent dans la société ou qu’elles ont le sentiment de rencontrer. Lassées et blessées d’être en permanence musulmanes dans le regard des autres, elles provoquent : “Puisque tu me vois comme musulmane, je vais te montrer que je le suis bien réellement, et encore davantage.” C’est une réaction compréhensible. Ne sous-estimons pas combien ce regard peut être douloureux à vivre. Les catholiques ne sont pas catholiques dans le regard de l’autre. Le problème est que rien ne se résout par la provocation ou par l’affirmation caricaturale d’une identité. » N.S., p. 97 (...).

« Au nom de quoi nos universités seraient-elles fermées aux ministres du culte ? Un plus grand brassage entre les séminaristes et les autres étudiants dans les universités n’apporteraient que de la compréhension et de l’enrichissement mutuels. Sans aller jusqu’à un soutien en numéraire, l’État pourrait offrir une aide sous la forme d’affectations de professeurs. Pour les imams, il pourrait prendre à sa charge l’apprentissage de l’arabe par les imams français et l’apprentissage du français par les imams arabes. » N.S., p. 126. « Il faut réfléchir à l’élaboration de conventions entre l’État et le séminaire israélite de France, ou les séminaires catholiques. Une délégation de professeurs, des crédits d’heure, ce sont des choses qui sont, non seulement possibles, mais de surcroît, de mon point de vue, souhaitables. » N.S., p. 127. « Il est regrettable que l’attrait du séminaire pâtisse des conditions de vie faites aux étudiants séminaristes et aux prêtres. Enfin, donner un statut aux imams pour mieux assurer la stabilité de leur situation juridique, économique, sociale, ne pourra que favoriser un discours d’apaisement. Comment aider à intégrer dans les banlieues si l’on est soi-même en situation précaire ? » N.S., p. 126.

Simple : en s’arrangeant pour que personne ne soit précaire dans les banlieues. « A contrario, maintenant que les lieux de cultes officiels et publics sont si absents de nos banlieues, on mesure combien cet apport spirituel a pu être un facteur d’apaisement et quel vide il crée quand il disparaît. » N.S., p. 18. D’abord, rien ne prouve que ces fameux lieux de culte aient effectivement disparu. Une banlieue peut être soit une vieille commune phagocytée par une agglomération, soit une ville-dortoir nouvelle ; dans le premier cas, la commune n’est sûrement pas exempte d’au minimum un lieu de culte traditionnel (une église bien sûr) ; dans le deuxième cas, on peut supputer l’existence d’églises à l’architecture contemporaine type Le Corbusier, églises new style et parfois new age assez répandues par exemple à Grenoble et ses faubourgs.

Ensuite, il y a typiquement confusion entre corrélation et causalité. Il faudrait pouvoir comparer deux périodes extrêmement différentes sur une kyrielle de paramètres pour conclure qu’un quelconque vide est imputable à une absence de lieu de culte. Quand on connaît l’intelligence de l’auteur de cette confusion, on présume plus d’un procédé rhétorique facile que d’une faute de raisonnement.

7e maillon : l’État doit pour cela user d’un processus de laïcité active pour promouvoir le développement des institutions de culte (et y distiller le sens moral souhaité).

(...) « Je crois en une laïcité positive, c’est-à-dire une laïcité qui garantit le droit de vivre sa religion comme un droit fondamental de la personne. La laïcité n’est pas l’ennemie des religions. Bien au contraire. La Laïcité, c’est la garantie pour chacun de pouvoir croire et vivre sa foi. » N.S., p. 14. Vision faussée : la laïcité, c’est la séparation des affaires cultuelles des affaires d’État ; c’est le caractère non confessionnel. La Laïcité ne garantit rien en soi, si ce n’est la non-immixtion des cultes dans les affaires gouvernementales. Elle ne garantit pas le droit de vivre sa religion comme un droit fondamental (ça, ce sont les Droits de l’Homme, peut-être ne les a-t-il plus en tête), ni de pouvoir croire et vivre sa foi. La laïcité implique que la foi (privée) et les services (publics) soient deux mondes qu’il convient de séparer. « Pour ma part, je n’ai pas une vision sectaire de la laïcité. » N.S., p.87. Qu’est-ce qu’une vision sectaire de la laïcité ? Je prends sa phrase précédente : « En revanche, je dis que nous devons revenir à une laïcité active, et non passive ou honteuse parce qu’il s’agit de religion » Toujours pas clair ? Je prends la suivante : « Cela n’aurait pas de sens, à l’aune de l’Histoire de France, de considérer tout ce qui concerne le religieux comme dangereux, illégitime, suspect ».

Plus loin il précise que nombre de responsables politiques ou syndicaux ont eu une vision sectaire de la laïcité, « une vision marquée par un souci de revanche », (page 88) et il cite Fouad Alaoui et le terme d’« intégrisme laïque ». Je ne crois pas qu’on puisse avoir une vision sectaire de la laïcité : soit elle est, et les cultes sont bien séparés de l’État, soit elle n’est pas. C’est tout. Il n’y a pas de petites connivences possibles pour un Etat dit laïque - ce qui permet de douter de la laïcité du nôtre (Accords Briand-Ceretti [16], statuts de l’Alsace et de la Lorraine, financement d’écoles religieuses, etc.).

Cela me fait penser aux accusations de la science sectaire, refusant l’entrée du spiritualisme dans son champ. Il s’agit non d’un choix, mais d’une nécessité ontologique. La science (comme démarche, bien sûr, pas comme institution) ne peut tolérer une seule incursion de ce genre, au risque de voir tout l’édifice s’effondrer [17].

« Non, la laïcité n’est pas au service des religions car cela signifierait qu’elle serait dominée par elles ». N.S., p. 16. (...). « Les religions constituent un enjeu majeur pour notre société car elles sont le support d’une espérance. Le fait religieux est un élément primordial en ce qu’il “inscrit” la vie dans un processus qui ne s’arrête pas avec la mort. C’est pourquoi je n’ai pas une conception sectaire de la laïcité. Pas même la vision d’une laïcité indifférente. Je crois au besoin de religieux pour la majorité des femmes et des hommes de notre siècle. La place de la religion dans la France de ce début de troisième millénaire est centrale. » N.S., p. 16. Le ton solennel imposerait presque un silence contrit. Note : on peut très bien donner à la religion une place centrale, mais sur une petite chaise, et à l’ombre, bien séparée de la chose publique. Quant au besoin de « religieux », il est d’autant plus fort que les personnes sont dans la misère. On l’a appelée pour cela une maladie de pauvre. Je crois malheureusement beaucoup plus au besoin de pognon et de biens publics garantis pour la majorité des femmes et des hommes de ce siècle.

8e maillon : le maintien de l’ordre public est la condition d’exercice des libertés

(...) Bilan : l’exercice des libertés garanti par la force est un non-sens Le maintien (illégitime et armé) de l’ordre public (non public) n’est certainement pas une condition d’exercice des libertés, ne serait-ce que parce qu’il n’inclut nullement la possibilité de changer d’ordre public (ou de conditions de maintien de cet ordre).

9e maillon : l’État garantit l’exercice de la liberté de culte mais tant que l’ordre public n’est pas troublé. (...)

10e maillon : la promotion des institutions cultuelles ne débordera pas des religions « d’État », le reste n’étant que sectes.

(...) « Si l’on veut promouvoir une conception plus active de la laïcité et aider, d’une manière ou d’un autre, les religions à jouer un rôle constructif dans la société, il faut bien distinguer les religions et les « nouvelles religiosités », dont le poids est quand même très différent. Il faut aussi proposer quelques critères qui permettent de montrer quand la ligne est franchie entre ce qui est authentique religieux et ce qui est « dérive sectaire« . » N.S., p. 141. « On voit bien les caractéristiques fondamentales qui permettent d’identifier une religion. Le nombre des fidèles, l’universalité du message et, plus encore, son ancienneté, sont des critères objectifs de distinction. Si on voulait essayer de trouver une définition de la religion par rapport aux sectes, je pense que l’un des critères les plus pertinents serait celui de la pérennité historique, car on doit convenir que l’authenticité du message spirituel est en quelque sorte légitimé par sa pérennité au travers des générations. [...] tout ne se vaut pas » N.S., p. 136. N. Sarkozy est un peu primesautier. La distinction sectes-religions n’est qu’un vœu pieux. Il est impossible de les distinguer réellement, car il n’y a pas de définition précise de la secte. Vallet : « une religion est une secte qui a réussi, un petit groupe devenu grand, une chapelle rebaptisée Église. [...] Pour distinguer une secte d’une religion, on a essayé le critère du nombre qui ferait d’une secte une religion de poche. Il est vrai que la plupart des sectes ont du mal à prospérer à cause de leur intransigeance et que les grandes religions sont d’anciennes sectes qui ont accepté des compromis. Si une Église chrétienne exigeait de ses membres qu’ils suivent à la lettre l’ordre du Christ “Viens, quitte tout et suis-moi”, ce suivisme aveugle serait sectaire » [18] . Quelques tentatives de critérier le statut sectaire ont été menées : la commission d’enquête parlementaire sur les sectes, sous l’égide de Jacques Guyard s’appuie sur les infractions pénales (troubles à l’ordre public, détournement de fonds, atteinte à l’intégrité physique, etc.) ; Mgr Jean Vernette, secrétaire du service national « Pastorale, sectes et nouvelles croyances » propose les trois concupiscences de la morale catholique : le pouvoir abusif ou l’oppression, le savoir confisqué ou l’endoctrinement, l’avoir détourné ou l’exploitation.

Mais 1) ces critères englobent les religions d’Etat, finalement

2) les notions comme « trouble à l’ordre public » sont porteuses de ferments moraux dangereux (cf. maillon précédent)

3) ces critères sont très vite amalgamants, voire partiaux, et créent des normes sociales [19]. On voit bien les caractéristiques fondamentales qui permettent d’identifier une religion.

Le nombre des fidèles : Sauf N. Sarkozy, « aucun spécialiste sérieux des sectes ne retient comme critère le petit nombre des adeptes (les zoroastriens sont à peine cent mille dans le monde mais sont les ultimes représentants d’une grande religion), ni la nouveauté du mouvement (le caodaïsme vietnamien n’a pas cent ans mais n’est sûrement pas une secte ) ».

- et, plus encore, son ancienneté, Il ajoute plus loin « Je pense qu’il faut faire confiance aux grands courants spiritualistes qui ont fait leur preuves au travers des siècles pour organiser, et même encourager, la diversité dans leurs rangs. » N.S., p. 141. « L’universalité est un facteur positif quand elle permet, comme pour la religion chrétienne, de promouvoir les valeurs de la vie, de l’égalité entre les êtres humains et de la nécessité du pardon. » N.S., p. 137. Survivre au temps n’est pas un critère de justesse. Sinon, il faudrait légitimer les flagellations, les lapidations, se réjouir des corridas et se féliciter du renouvellement continuel des guerres. À l’instar des régimes politiques, certaines religions employèrent des techniques de maintien à travers les siècles requérant plus le sabre que l’encens. Et puis d’importants courants sont très récents : le kimbanguisme zaïrois n’a pas un siècle, et de nombreuses Eglises évangéliques américaines ne se développent que depuis cinquante ans. « La confusion entre les religions, les nouveaux mouvements spirituels et les sectes, ou encore l’impression qu’il n’est pas possible de distinguer les uns des autres, trouvent en partie leur origine dans une sacralisation extrême de la liberté. Même au nom de la liberté, on ne peut laisser faire n’importe quoi : le droit de se droguer, le droit de se prostituer, le droit de s’avilir si on le veut. Je ne pense pas que cette conception de la liberté permette la vie sociale et le service du bien commun. » N.S., p. 139 - 140.

La première phrase est fausse : Monsieur le ministre devrait savoir que la raison principale à la non-distinction est qu’il ne peut exister, en droit français, aucune définition d’une religion et, donc, d’une secte. En effet, selon l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation de l’Église et de l’État, « la République ne reconnaît aucun culte ». Monsieur Sarkozy ignore, ou feint d’ignorer la loi qu’il prétend incarner.

Ensuite, il faut ouvrir l’œil : insensiblement, la discussion sur les sectes glisse et N. Sarkozy laisse entendre que c’est la même conception de la liberté qui promeut l’indistinction secte-religion et le droit de se droguer, le droit de se prostituer, le droit de s’avilir si on le veut. D’une part on retrouve la pensée moraliste réactionnaire de l’auteur (la dénonciation de ces misères sociales comme autant de péchés) - et on relèvera avec contrition que la solution proposée par NS revient à enfermer les prostituées (cf. la loi sur le racolage passif sous son ministère), les drogués et autres « taches » sociales. D’autre part, pas besoin d’être un inconditionnel des sectes pour trouver que de telles associations d’idées sont outrancières.

« Les seules limites que l’État doit faire respecter sont celles de l’ordre public. Il y a ensuite les mouvements qui sont organisés pour l’exploitation de la faiblesse des gens, l’abus sexuel, la manipulation mentale, la violence physique et la contrainte. [...] Je veux rappeler que, sauf dérive, ce ne sont pas les rabbins, les imams ou les curés qui abusent de leurs paroissiens ou exploitent financièrement leurs fidèles en leur faisant croire qu’ils gagneront la vie dans l’au-delà ! On ne peut placer dans la même catégorie tel ou tel gourou, qui viole tous les membres de sa secte, et les ministres du culte de nos grandes religions ! Les différences sautent quand même aux yeux. Il faut être frappé de cécité ou de particulière mauvaise foi pour ne pas le mesurer. » N.S., p. 139 Bien qu’une majorité des NMR (Nouveaux Mouvements Religieux) sentent l’abus de confiance et l’aliénation, tous ne sont pas organisés « pour l’exploitation de la faiblesse des gens, l’abus sexuel, la manipulation mentale, la violence physique et la contrainte » ou alors, ils ne cumulent pas toutes ces caractéristiques en même temps. Il s’agit d’un amalgame. « Je veux rappeler que, sauf dérive, ce ne sont pas les rabbins, les imams ou les curés qui abusent de leurs paroissiens ou exploitent financièrement leurs fidèles en leur faisant croire qu’ils gagneront la vie dans l’au-delà ! » Ça s’appelle faire fi de l’histoire, et par exemple des lucratives ventes d’indulgences ou de l’aumône islamique obligatoire. Actuellement, le fonctionnement de certains ordres monastiques et groupes du genre Opus Dei fait vaciller les distinctions proposées par N. Sarkozy. « On ne peut placer dans la même catégorie tel ou tel gourou, qui viole tous les membres de sa secte, et les ministres du culte de nos grandes religions ! Les différences sautent quand même aux yeux », mais les yeux sont parfois cillés, notamment lorsqu’on se contente de transférer d’une paroisse à l’autre des prêtres auteurs d’attouchements sexuels sur enfants (cf. note 24). « L’autorité incarnée par les évêques permet d’éviter les phénomènes de gourous, ou la prolifération de croyances aveugles proposées par des déséquilibrés. » N.S., p. 143.

Phrase d’une (fausse) naïveté incroyable, et colportant des préjugés : les Nouveaux Mouvements Religieux ne sont pas tous sectaires, n’ont pas tous des gourous, ne prolifèrent pas (proliférer s’applique usuellement aux bactéries !) et ne sont pas tous dirigés par des déséquilibrés - il faudrait d’ailleurs définir ce qu’est le déséquilibre, hors du cadre de marginalisation classique que réserve le conservatisme ambiant aux drogués, délinquants, fous [21]... Je pense en revanche que les NMR possèdent de façon générale la faculté d’abêtir (à grands renforts de techniques de développement notamment), la faculté de donner un sens arbitraire à l’existence, et celle de créer, au travers d’une exégèse de connaissances ésotériques, une hiérarchisation entre les membres initiés et les disciples, avec toutes les cases intermédiaires possibles. « Croyez-moi, ce n’est pas très difficile de voir quand les gens sont violés, quand leur patrimoine est dilapidé, quand les enfants ne sont pas soignés, quand on a abusé des plus fragiles. Ce n’est pas impossible à discerner, à comprendre, à analyser. » N.S., p. 145. (...)

11e maillon : il faut savoir « raison garder » - comme pour la Turquie dans l’Europe Ce paragraphe pourrait s’appeler De l’inconvénient d’être turc : l’acculturation de Sarkozy s’arrête au Bosphore. (...) « Rappelons d’abord que 98 % de son territoire n’est pas situé en Europe, mais en Asie. » N. S., p. 149. « L’Europe a, qu’on le veuille ou non, une déclinaison géographique qui s’arrête au Bosphore. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est une réalité qu’on apprend à l’école. Cette dimension exclut la Turquie, au moins de ce point de vue. » N. S., p. 151. Admettons. Mais dans ce cas, il faudrait que N. Sarkozy conclue que Jésus était, selon cette définition, un Asiatique, non ? « On voit bien dans quelle logique nous entraînerait l’adhésion de la Turquie : comment pourrait-on ensuite refuser à l’Algérie, qui était française il y a moins de cinquante ans, ce que l’on reconnaîtrait aux Turcs ? » N. S., p. 150. Soudainement, la peur d’une horde turque armée de quelconques cimeterres et emmenées par un général Mustafa Kemal moderne et sanguinaire refait surface, empruntant en cela le syndrome de Poitiers, sorti tout droit de l’imaginaire collectif des membres du Front national.

« Intégrer tout le monde en l’Europe, y compris les pays qui ne sont pas européens, c’est prendre le risque de diluer l’identité européenne au profit de la conception anglo-saxonne du grand marché ». N. S., p. 149.

(...) Quelle est « la nature de l’identité commune » ? Aurions-nous peur d’une dilution de notre identité, nous-mêmes milk-shakes ambulants de Celtes, d’Allobroges, d’Ostrogoths, de Francs ripuaires, de Lombards et d’Étrusques... ? « Nous avons tout intérêt à stabiliser ce grand pays, qui témoigne d’une prestigieuse civilisation. » N. S., p. 149. (...) Qu’est la France pour prétendre stabiliser un autre pays ? Elle ferait mieux d’arrêter d’en déstabiliser d’autres - je pense à son opération Licorne en Côte-d’Ivoire, à la précaution de principe autour du coup d’Etat du fils Eyadema au Togo, au soutien jusqu’il y a quelques jours de Gaston Flosse en Polynésie, etc. (...) « Il y a également le critère d’une communauté de valeurs démocratiques. La Turquie n’est pas encore un pays aux habitudes démocratiques aussi ancrées qu’en Espagne ou en Suède. » N. S., p. 151. Parlons-en, justement, des habitudes démocratiques :

- de la Suède : pour notre gouverne, entre 1935 et 1976, en Suède, 62 000 personnes, dont 93% de femmes, ont été stérilisées. En 1934 puis en 1941, les différents gouvernements ont adopté deux lois de stérilisation à ces fins, autorisant cet acte d’abord pour les « déficients mentaux » puis pour tous les « asociaux » : handicapés mentaux, femmes aux « mauvaises mœurs » ou ne pouvant entretenir leurs enfants, « marginaux », tziganes, mauvais élèves, et toutes personnes perçues comme entraves au développement d’une société moderne ! Ces pratiques, décidées par un Comité national saisi de demandes écrites des hôpitaux psychiatriques, des maîtres d’école, des maisons de correction, étaient, selon les mots de l’historienne Maija Runcis « perçues comme une intervention humanitaire profitable à tous, permettant d’éliminer les maladies et la pauvreté »[22]. Ce n’est qu’en 1997 qu’un journal suédois a révélé au grand public le scandale . Peut-on parler d’habitude démocratique ancrée ?

- de l’Espagne : il est interdit d’éclater de rire sur l’ancrage des habitudes démocratiques de l’Espagne, qui ne commence timidement qu’en novembre 1975 à la mort d’un certain général Franco, et connaît régulièrement quelques hoquets - dernièrement, l’engagement par José Marià Aznar de l’Espagne dans le bourbier irakien n’était pas des plus plébiscités.

- de chez nous : allez, une petite liste des entorses à la démocratie en France. Impossibilité de démettre un élu, non prise en compte du vote blanc ou nul, impossibilité de déclencher un référendum de façon populaire, budgets de l’Etat occultés, projets présidentiels, caisses noires, pas de droit de regard sur la répartition des impôts, autorités non élues par le peuple (sénateurs, préfets, ministres), impunités parlementaires, ministérielles et présidentielles, caution d’entités illégitimes comme le G8, le quadrilatère de la Banque mondiale ou le FMI, entretiens de paradis fiscaux et de sociétés de clearing, complicités de crimes politiques ou de génocide non jugées, pillage de pays pauvres et j’en passe.

Richard Monvoisin


[1] Je ne suis pas loin de penser que, la nationalité n’incombant à une personne que par le plus pur des hasards, il n’y a pas beaucoup de raisons moralement justifiables d’être fier ou honteux de son pays d’origine - et donc peu de raisons valables d’être contraint de préciser sa provenance. Chaque individu a le droit de se revendiquer d’un creuset culturel comme la France, le Cambodge ou le Kabinda, mais à mon avis aucune institution ne devrait en exiger la stipulation sur des papiers d’identité.

[2] Bourdieu P. Contre-feux, « Le sort des étrangers comme Schibboleth », Raison d’Agir, 2002, p. 22.

[3] Olivier Tschannen, Les théories de la sécularisation, Genève, Droz, 1992.

[4] Je ne parle même pas des cas comme celui du prêtre François Lefort, grand « humanitaire » condamné entre autres pour le viol de mineurs sénégalais le 24 juin 2005.

[5] Pour une (légère) décharge de N. Sarkozy, il écrit page 47 : « Je ne veux pas réduire les religions à leurs caricatures si communes : l’intégrisme de l’islam, la position du pape sur le préservatif, face à l’évidence que l’acte sexuel n’est pas lié seulement à la reproduction, mais aussi au plaisir, le refus d’ordonner des femmes prêtres. Ces discussions ne portent pas forcément à l’apaisement dans les débats de société. L’engagement religieux peut être synonyme d’ouverture. » Très flou, très politique. Mais le cacher eut été accommoder le propos.

[6] Les situations au Togo et en Côte-d’Ivoire, pour ne prendre que ces deux exemples sont des situations coloniales, dont il ne faut pas attendre l’instruction du procès avant au moins 15 ans (comme pour le Rwanda). Si vous souhaitez devancer ce délai « réglementaire », voir entre autres le communiqué de presse de Survie du 8 décembre 2004 : « Fermer les bases militaires de la Françafrique », et le tout frais « Le choix volé des Togolais. Rapport sur un coup d’État électoral perpétré avec la complicité de la France et de la communauté internationale », ouvrage collectif, L’Harmattan, 2005.

[7] Kandjare souligne encore le message colonisateur plus ou moins subliminal : après avoir reconquis militairement « nos » banlieues sous les cris de ralliement du genre : « Il faut reconquérir nos banlieues », patenôtre des prédécesseurs de N. Sarkozy, on va leur envoyer nos prêtres missionnaires pour que tout rentre dans le droit chemin et brimer toute contestation à l’encontre des pouvoirs normatifs... Le prêtre qui épaule le militaire ou qui devient même moine-soldat : c’est le schéma classique des missions évangélisatrices, qu’elles soient teutonnes et suédoises au XIIIe siècle pour aller convertir les « barbares » grouillants de l’Europe de l’Est, qu’elle soit orthodoxe ou païenne au XVIe siècle pour aller « civiliser » les « sauvages » d’Amérique, ou œcuménique au XIXe siècle pour imposer la « sainte et blanche » bible en Afrique.

[8] « [...] Tous ceux qu’on appelle les “travailleurs sociaux” - assistantes sociales, éducateurs, magistrats de base et aussi, de plus en plus, professeurs et instituteurs - constituent ce que j’appelle la main gauche de l’État, l’ensemble des agents des ministères dits dépensiers qui sont la trace, au sein de l’État, des luttes sociales du passé. Ils s’opposent à l’État de la main droite, aux énarques du ministère des Finances [...] », P. Bourdieu, Contre-feux I, Liber-Raisons d’Agir, 1998, p.9. « [...] ceux que l’on envoie en première ligne remplir des fonctions dites “sociales” et suppléer les insuffisances les plus intolérables de la logique du marché sans leur donner les moyens d’accomplir vraiment leur mission. » ibid, p. 11.
http://www.hommemoderne.org/societe/socio/bourdieu/lexique/m/maingauche.html

[9] Avouons que c’est assez énorme d’entendre ça. Il s’agit de faire un virement bancaire de l’argent public vers l’argent du culte, et, comme un virement, ça passe comme une lettre à la poste ! [10] La mise en gras est de mon fait. (R.M.). [11] Il a d’ailleurs reçu un IgNobel de la paix pour sa reprise des essais nucléaires en Pacifique le jour du cinquantième anniversaire d’Hiroshima, en 1996. Voir
http:// www. improb.com/ig/ig-pastwinners.html#ig1996.

[12] On pourra utilement se référer sur la question à Odon Vallet, Petit lexique des idées fausses en religion, Albin Michel, 2002, pp. 118-122.

[13] La première démythification remonte à Pierre Larousse, dans son Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle. Voir à ce sujet Broch H., Le paranormal, Seuil, 1989, p 109.

[14] Célèbre pour ses pantalons.

[15] Vallet O., op. cit. pp.266-267.

[16] Le descriptif de ces accords est fait dans l’ouvrage de N.Sarkozy (p. 23), sous forme de note : « Les relations diplomatiques entre la France et le Saint- Siège ont été rompues à la veille de la promulgation de la loi de 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. En effet, cette loi mettait fin au Concordat de 1801 de façon unilatérale.À l’issue de la Première Guerre mondiale, le gouvernement français a cherché à se rapprocher du Saint Siège, ce qui a donné lieu à des échanges de lettres entre Aristide Briand, alors président du Conseil, et ses successeurs et Mgr Ceretti, représentant du Saint Siège à Paris. Ces échanges de lettres diplomatiques, appelés “accords Briand-Ceretti”, avaient pour but de trouver des solutions à différents problèmes liés à la loi de séparation, en particulier celui des associations diocésaines. »

[17] À ce propos, lire A. Bricmont, Comment peut-on être positiviste ? Dogma, et encore Pour un monisme méthodologique, du même auteur.

[18] Vallet O. op.cit., p. 220.

[19] Lire notamment le texte de Raphaël Verrier intitulé Loi anti-secte. Le remède empoisonné d’un mal imaginaire, accessible sur le site du collectif « les mots sont importants ». Ce texte passe notamment au peigne fin les critères sur lesquels la commission de loi a tenté de définir les « sectes » à interdire. L’auteur du texte montre le caractère flou, voire amalgamant, de ces critères qui, s’ils étaient strictement appliqués, mettraient du « beau monde » hors-la-loi - en l’occurrence tout ce qui peut ressembler à des rassemblements collectifs idéologiques comme l’État, les religions, les entreprises privées, l’Education nationale, l’armée, les partis politiques, la famille, la plupart des associations. Par exemple, la loi évite soigneusement d’inclure l’Opus Dei dans sa liste, alors que cette organisation, qui s’avère être « ouvertement occulte », rentre convenablement dans ces critères. Mais il faut imaginer que si ça avait été le cas, beaucoup de membres de la caste dirigeante, ainsi que leurs partenaires européens, auraient été fâcheusement compromis (Christine Boutin, Hervé Gaymard, Raymond Barre, Louis Schweitzer, Didier Pineault-Valenciennes...). Kandjare me fait cette remarque : « C’est comme si ces critères se voilaient un peu la face : en voulant traquer uniquement les pouvoirs “occultes”, on faisait ellipse sur les pouvoirs “visibles”, qui ont probablement plus de poids sur le quotidien de la plupart des individus et qui marquent les populations d’empreintes structurales, lesquelles s’avèrent être en général sources de domination... Le problème de cette loi et de ses critères, c’est leur caractère partial sous couvert d’objectivité (objectivité qui avait alors été soigneusement préparée par la plupart des médias). Cette loi soulève ainsi des craintes puisqu’elle peut menacer les libertés “publiques” (ou privées, c’est comme on veut). Au cours de son élaboration, elle a ainsi pu être tentée d’amalgamer dans ses critères, des pratiques pas très normatives qui, de surcroît, contestaient radicalement les structures de pouvoir. Maloka, un collectif anarchiste dijonnais, a reçu la visite d’un membre de cette commission qui enquêta avant de rendre son rapport qui allait aboutir à la loi anti-sectes en 2000-2001. Ce qui semblait avoir mis la puce à l’oreille de la commission, c’était le végétalisme revendiqué par ce collectif à travers une remise en question matérialiste de l’exploitation animale (ce qu’on appelle l’antispécisme). Même si ce collectif ne fut pas classé au final dans la liste des “sectes”, la démarche inquisitoriale (au sens premier juridique) dont il fut l’objet, montre que tout ce qui sort des normes sociales peut être vite soupçonné d’illégitimité ou de dangerosité. Par ailleurs, dans son texte, Raphaël V. note que c’est à partir d’une loi similaire que Mussolini s’était lancé dans la répression contre le Parti communiste italien dès son arrivée au pouvoir en 1922 ».

[20] Sur la question des déviances et de leur emploi politique, il existe de nombreux ouvrages : la notion de folie, Foucault M. Histoire de la folie ; sur la notion de déviance Becker Howard S., Outsiders. Etudes de sociologie de la déviance, Paris, Métaillié, coll. « Observations », 1985 : sur la notion épistémologique de pathologie, voir Canguilhem G., Le normal et le pathologique, Paris, Presses Universitaires de France, 1966.

[21] Il s’agit de Maciej Zaremba, dans le Dagens Nyheter. Pour toucher du doigt les « délais réglementaires » dont nous parlions plus haut (cf. note 29) on peut se reporter à

http://www.lexpress.presse.fr/info/monde/dossier/suede/dossier.asp ?ida=418470 :

« Mais dès 1986, deux journalistes de l’agence de presse nationale suédoise avaient révélé l’affaire au public. En 1991, un journaliste de la radio suédoise, Bosse Linqvist, avait consacré une série d’émissions aux victimes, en diffusant sur les ondes leurs témoignages. Mais, à l’époque, il n’y avait pratiquement pas eu de réactions ». D’autres infos sur

http://michel151.chez.tiscali.fr/A.M.I./AMI_Accueil.html,

le site de l’Association nationale de défense des malades invalides et handicapés.

Qui sont les co-auteurs du livre de Sarkozy ?

Si tout le monde connaît, ou croit connaître Nicolas Sarkozy, qui sont donc Thibaud Collin et Philippe Verdin, co-signataires des entretiens de M. Nicolas Sarkozy ?

Thibaud Collin, philosophe agrégé, enseignant en classe préparatoire (...) milite hargneusement contre le mariage homosexuel. Il est ouvertement homophobe, mais on ne peut pas lui dire, car selon lui l’homophobie est un véritable cheval de Troie libertaire qui sert le Lobby gay. Il l’explique dans le livre Le Mariage gay, Eyrolles, 2005. Il contribue à Liberté Politique, nouvelle revue d’idées chrétienne publiée par l’Association pour la Fondation de Service Politique, ou AFSP (...), créée en 1992, proche de l’Opus Dei, (...) Les activités de cette fondation sont soutenues et financées par deux émanations du Vatican : la sinistre Alliance pour les droits de la vie, présidée par Christine Boutin, et la sépulcrale Fondation Jérôme-Lejeune, du nom du tristement célèbre professeur Lejeune spécialisé dans les commandos anti-avortement. Considérant que la crise sociale est d’abord une crise morale, l’AFSP est la pierre d’achoppement entre milieux catholiques traditionalistes et néo-conservateurs. Dans cette mouvance se croisent des anti-avortement, des anti-Euro souverainistes, des ecclésiastiques, des anti-État-providence, des élus, des royalistes... On y a remarqué, entre autres, outre Mme Boutin, Philippe de Villiers, quelques membres du MPF (P.M. Couteaux, F. Seillier, D. Souchet), Patrice de Plunkett (ex-rédacteur en chef du Fig-Mag), François Guillaume (ex-président de la FNSEA), Pierre Chaunu, Jean Foyer et Jean Royer, membres de Démocratie libérale, Chantal Delsol l’épouse de Charles Millon, quelques historiens révisionnistes de Lyon-III et des patrons comme Yvon Chotard et François Michelin (...)

Philippe Verdin, prêtre et religieux dominicain, (...), arrière-petit-fils du général Mangin, ancien louveteau, responsable de la formation des chefs chez les Scouts unitaires de France et aumônier, se veut l’un des bâtisseurs de la spiritualité scout. (...) Il est également directeur de la revue Esprit & Vie, revue catholique de formation permanente, qui compte parmi ses plumes des gens comme Thierry Magnin, membre de... l’UIP ainsi que de la revue Signe des Pistes, revue destinées aux scouts catholiques. Il préside accessoirement l’association des Amis du Signe de Piste. (...) Il est, semble-t-il, très d’accord avec Thibaud Collin et ses thèses homophobes, flattant la croupe des mêmes idées réactionnaires et trempant son esprit dans les mêmes auges conservatrices que son co-auteur et affidé - pour s’en convaincre, contempler la revigorante et primesautière revue du livre de Collin Du mariage au bordel : l’offensive idéologique du lobby gay, publié le lundi 20 juin 2005 sur

http://prodeo.over-blog.com/article-490219.html.

Richard Monvoisin

(12 juillet 2007)