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Origine : http://www.mondialisme.org/article.php3?id_article=862
Le lecteur trouvera la version intégrale de ce texte sur
le site
http://infokiosques.net/article.php3
?id_article=295
La version condensée que nous présentons ci-dessous
a été revue par l’auteur que nous remercions
de nous autoriser à publier son travail. (Ni patrie ni frontières).
Le livre de Nicolas Sarkozy m’a été envoyé
par l’AFIS (Association française pour l’information
scientifique) en vue d’une fiche de lecture d’une demi-page
que je m’étais proposé de rédiger. Cette
demi-page n’a jamais vu le jour car il est des sujets pour
lesquels une restriction formelle allège tellement le propos
qu’il vaudrait mieux s’abstenir. (...) Et puis, ayant
décidé de ne pas voter tant que les processus électoraux
français, que je trouve biaisés, outrageusement mensongers
et déresponsabilisants n’auront pas un tant soit peu
évolué, (...) je préfère exercer le
petit peu d’influence politique dont ce gouvernement me laisse
l’usage (...) et je me dis qu’au nom de tous les cousins,
toutes les cousines du reste du monde dont une grande partie crève
doucement la bouche ouverte en regardant nos sitcoms, et dont les
conditions de vie dépendent en grande partie des décisions
politiques qui émanent chez nous, si moi je n’ouvre
pas ma gueule, je ne vois pas qui le fera. (...) il était
en outre dans mes cordes d’ébaucher une critique sur
le dernier livre de celui qui sera certainement notre suprême
représentant : ne serait-ce que pour tenter de faire achopper
cette prédiction. (...)
J’ai découpé en onze maillons distincts la
chaîne de raisonnement que Nicolas Sarkozy (NS) me semble
suivre. (...) Ce découpage est certainement discutable, je
l’ai d’ailleurs retouché deux fois. [J’encourage
le lecteur à lire le livre original en même temps].
1er maillon : les immigrés musulmans ont
perdu (ou risquent de perdre) leurs racines culturelles.
(...) Nicolas Sarkozy commence ainsi : « Le fait religieux
n’a pas simplement une dimension spirituelle. Il a aussi une
dimension culturelle. Si vous additionnez le besoin d’espérance
et la nécessité de racines culturelles dans la définition
d’une identité, vous avez, me semble-t-il, une des
raisons de fond qui justifient a posteriori la fameuse phrase qu’on
prête à Malraux : « Le XXIe siècle sera
religieux ou ne sera pas ». N.S., p. 22.
Ça, c’est la base de son raisonnement, qui ne débute
pas trop mal. Effectivement, le fait religieux couple une dimension
spirituelle et une dimension typiquement culturelle. On peut ne
posséder qu’une seule de ces dimensions : qu’un
bas-Breton, par exemple, n’ayant jamais été
en Asie, se convertisse au bouddhisme relève a priori du
choix spirituel, non du choix culturel. Á l’inverse,
certains Africains athées font le ramadan pour accompagner
leur famille, amis, etc. Une majorité d’athées
français fête par exemple Noël et plante une crèche
au pied du sapin, sans adhérer ni au dogme chrétien,
ni au dogme celte. Il s’agit d’une pression plus ou
moins forte, mais exclusivement culturelle. On pourrait rajouter
une troisième dimension, qui est l’opportunisme (tant
qu’à faire, autant faire bombance), et même une
quatrième, l’utilitarisme politique, mais cela nous
éloignerait du sujet. Les choses se gâtent ensuite.
On peut le lire de deux manières, toutes deux problématiques.
Si la nécessité de racines culturelles dans la définition
d’une identité peut être admise sans trop de
difficultés, en quoi, mon bon monsieur, le besoin d’espérance
en est-il un ingrédient ? Sans espérance, point d’identité
? Surprenant. (...)
Nicolas Sarkozy tente de nous faire comprendre de force que la
religion est une valeur identitaire.
Ça n’a l’air de rien, comme ça. Mais
regardez où ça nous mène. « Je note que
les juifs non pratiquants sont souvent présents dans les
synagogues pour Kippour, que les musulmans non pratiquants considèrent
que l’islam fait également partie de leur identité.
Pourquoi ? Parce que nombre d’entre eux se sentent juifs ou
musulmans dans le regard de l’autre. Le reniement ou l’indifférence
à l’endroit d’un engagement religieux revient
presque à se désolidariser d’une communauté
de naissance, comme si on abandonnait un héritage, une facette
de sa vie ». N.S., p. 21. Dire cela de façon systématique,
c’est faux, en France tout du moins. C’est en outre
très dangereux.
Faux parce qu’il y a un paquet de catholiques, musulmans,
juifs ayant renoncé à leur croyance qui ne se sentent
pas désolidarisés de leur communauté. Il en
est certainement qui font le grand dam de leur père ou de
leur mère, de la même façon que les dernières
générations françaises générèrent
des cris d’orfraie chez les vieilles mamies à crucifix.
Mais de là à insinuer une « désolidarisation
», cela colporte une vision simpliste et somme toute un peu
tribale de ces communautés.
Faux parce qu’on peut renoncer à sa croyance sans
renoncer à l’héritage reçu. Ce n’est
pas parce que je suis athée que j’en ai oublié
la teneur de l’enseignement catéchiste reçu
jusqu’à onze ans ; ce n’est pas parce qu’un
musulman s’indiffère de sa religion qu’il en
oublie l’histoire de Mahomet ou les sourates qu’il a
apprises. Je pousserai même le vice à croire qu’un
ancien musulman athée qui fête l’Aïd-el-kébir
vient plus pour le goût du mouton et des condiments, pour
le regroupement social et familial que la cérémonie
engendre, que pour ne pas abandonner un quelconque héritage.
Cela reviendrait à dire que les catholiques fêtent
Pâques pour ne pas perdre leur héritage culturel, et
pour ne pas se désolidariser de leur communauté de
naissance. Moi je fête Pâques pour le chocolat. Dangereux
parce que c’est une manœuvre politique à la Damoclès
: jouant sur l’effroi, la menace de la désolidarisation,
Nicolas Sarkozy encourage les braves petits musulmans pullulant
dans les cages d’escalier à rentrer dans le giron de
la religion. Quand, après dissection de son livre, on sait
ce qu’il entend par laïcité active, on comprend
qu’il s’agit d’une manœuvre détournée
de parcage ovin des sauvageons par le biais du culte : en clair,
si tu renonces à l’islam, tu perds ton bagage culturel
et tes racines, tu n’es plus rien dans le regard des autres,
donc tu n’es plus rien du tout. Alors rentre vite dans le
rang avec ta famille et ton couscous, le Conseil régional
du culte musulman que moi, Nicolas S., j’ai aidé à
créer dans ta région gérera les décisions
de ta communauté (dont tu ne peux t’extraire), et t‘encouragera
dans une politique sécuritaire et dans un vote présidentiel
en ma faveur, quand, en 2007, tu regarderas mon visage de vainqueur
apparaître sur ton écran, laissant béer ta bouche
pleine de tajine. N.B. : on retrouve ce type de procédé
en entreprise ou dans les corps de métier à tradition
: raffermir le tissu social entre les gens dans ces groupes socioprofessionnels
(en cherchant la fameuse « culture d’entreprise »,
en créant de toutes pièces des « événementiels
», anniversaire de la boîte, etc. plus ou moins ritualisés),
quitte à menacer (exemple : ‘Ne trahissez pas «
l’esprit de l’entreprise »’, etc.) ceci
afin d’y placer discrètement une nasse politique et
morale dont il est, au bilan, très difficile de s’extraire.
« Quand on parle des juifs, on ne désigne pas ceux
qui vont à la synagogue, mais ceux qui appartiennent à
cette communauté. Il en va de même avec les musulmans.
Il ne s’agit pas de désigner ceux qui vont à
la mosquée, mais ceux qui ont reçu, de par leur histoire
individuelle, l’islam en héritage culturel et non seulement
culturel. Je ne vois pas en quoi la dénomination de “musulman
français” est choquante ou réductrice ».
N.S., p. 22.
Elle n’est ni choquante ni réductrice, elle est purement
stigmatisante. Si l’origine culturelle devait être toujours
indiquée, l’auteur de ces lignes (moi) serait d’origine
culturelle française moyenne, catholique, provinciale et
conservatrice, ce qui ne manquerait de semer le trouble en imposant
une grille de lecture sur les propos ou les actes qu’il commettrait.
Mais une grille, dans tous les sens du terme, est une séparation
arbitraire. Lorsque la confession, qui relève de la sphère
privée, devient un critère, et que ce critère
devient une marque nécessaire, il y a moult raisons historiques
(dont certaines ne sont guère lointaines de craindre la dérive).
Par conséquent, la dénomination de « musulman
français » contient au moins un mot de trop [1]. Et
que faire des gens ayant renoncé à l’islam :
sont-ce selon le maire de Neuilly des « musulmans athées
», des « musulmans agnostiques » ? Malgré
le ridicule de ces dénominations, Nicolas Sarkozy y pense.
Il dit plus loin page 22 : « dire les « musulmans de
France », ce n’est pas exclure les musulmans athées
ou agnostiques ; c’est au contraire donner un nom à
une composante de la société française dont
nous devons organiser l’intégration [...] ».
Le stigmate, vous dis-je.
En passant, Nicolas Sarkozy nous explique, toujours p. 22, que
: « [...] certains affirment qu’il conviendrait plutôt
de parler des Arabes. Je m’inscris en faux contre cette expression
car les quatre cent mille turcophones qui vivent en France n’en
sont pas ; pas plus que les musulmans d’Afrique noire. »
Comme dit Odon Vallet, parler d’Arabes à propos de
musulmans est à double tranchant : c’est une erreur
géographique - les Arabes, même en ajoutant les Berbères,
ne représentant qu’une minorité du milliard
cent millions de musulmans -, mais c’est une vérité
théologique : tout comme les catholiques sont tous des «
Romains » et les chrétiens tous « spirituellement
des Sémites » selon l’expression du pape Pie
XI, les musulmans sont tous Arabes, de cœur et d’au moins
un peu de langue, ne serait-ce parce que le Coran fut révélé
à Mahomet en arabe, que l’arabe est la langue liturgique
de l’islam et que la Mecque est en Arabie. Bref, on ne peut
en vouloir à Nicolas S. de ne pas être fin connaisseur
de l’Islam : mais on peut lui reprocher son populisme. Il
refuse un stigmate (arabe) pour plaire et faire le gentil protecteur
des minorités ethniques musulmanes, mais en rajoute un autre
(musulman) parce que quand même, faut pas pousser. Il faut
bien qu’on les repère, pour qu’on puisse organiser
leur intégration (cf. ci-dessus).
Je fais mienne au passage la remarque de mon compère Damiàn
O. Une autre récupération politique devient par le
même processus possible : « Si certains athées
ou agnostiques sont “musulmans”, d’autres athées
et agnostiques sont aussi “chrétiens” ou “catholiques”.
Il devient alors facile de proclamer “La France, grand pays
catholique”, car 70 ou 80% de la population devient catholique
selon cette acception, bien que le nombre de réels croyants
soit des plus réduits. Sachant que le décompte du
nombre de croyants a des effets politiques importants (attributions
financières en Alsace, rôle politique du Vatican accepté,
etc.) la démarche n’est pas gratuite : elle permet
de stigmatiser une partie de la population, tout en mettant sous
perfusion une Eglise catholique moribonde. » Rappelons-nous
: nous n’avons pas été les derniers en France
à diffuser les obsèques du pape Jean-Paul II en boucle.
Il insiste finement dans la même page : « D’autres
préfèrent parler des Français d’origine
immigrée. Ce vocable est absurde, car nous sommes tous quasiment
fils de l’immigration. De surcroît, c’est une
phraséologie lepéniste, qui distingue les Français
de l’immigration des Français de souche. » La
première phrase requiert tous les suffrages. Comme l’écrit
P. Bourdieu, « comment peut-on parler d’“immigrés”
à propos de gens qui n’ont “émigré”
de nulle part et dont on dit par ailleurs qu’ils sont “de
seconde génération ?” » [2]. Mais pardon
! Avec musulman, c’est exactement la même chose que
vous faites, Monsieur Sarkozy. Entre Français d’origine
immigrée, musulman français et bougnoule, il y a autant
de différence qu’entre mal-entendant, sourd et bouché
à l’émeri.
2e maillon : perdre ses racines culturelles mène
à la désespérance : on le constate bien dans
les banlieues (sous-entendu : les immigrés désespérés
habitent les banlieues).
(...) « [Les Français] ont déserté la
campagne pour les villes. La France profonde, c’est maintenant
la France des banlieues » N.S., p. 129. « Partout en
France, et dans les banlieues plus encore qui concentrent toutes
les désespérances [...] » N.S., p. 15. Nicolas
Sarkozy est assez cavalier. D’abord, la notion de France profonde,
comme celle de la France d’en bas, fleure la pestilentielle
arrogance du parvenu. Ça sent l’ordre moral, le haut
Moyen-Âge et la piétaille, ça sent le foin et
le palefrenier. (...) Ensuite, les banlieues ne concentrent pas
toutes les désespérances, loin s’en faut. Sans
faire de comparaisons quantitatives, il est d’assez vertigineuses
désespérances africaines ou moyen-orientales qui épargnent
nos braves banlieues. (...) Somme toute, cela témoigne d’une
mauvaise connaissance des banlieues, (...)
Par ailleurs c’est regrouper sous le terme substantialiste
banlieue les maux dont notre société souffrirait :
technique typiquement populiste du bouc émissaire qui a pour
utilité de rassurer nos petits boutiquiers, friands d’exutoires
simples et de contes doucereux où si le méchant n’est
pas noir, c’est quand même mieux s’il est basané.
Or, de fait, « banlieue » est un terme générique
impropre, car simplement géographique (...). « Quel
est le problème de nos banlieues ? C’est qu’elles
se sentent abandonnées, y compris par l’État.
On y installe des terrains de sports, c’est très bien.
Mais est-ce suffisant pour satisfaire les aspirations des jeunes
? Je ne le pense pas, car ces dernières ne relèvent
pas que du domaine temporel. » N.S., p. 130. Voilà
l’un des leitmotive de Nicolas Sarkozy : l’opposition
temporel-spirituel, le temporel étant le ressort de l’État,
le spirituel celui de la religion, nous est resservie presque une
dizaine de fois dans son livre. On la retrouve en particulier page
147 : « le principe de séparation des Églises
et de l’État, du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel
» et page 152 « Dans tous les pays européens,
le pouvoir temporel est séparé du pouvoir spirituel.
» « Distinguer le temporel du spirituel » est
pour le coup le titre du sous-chapitre page 22. Il aurait tort de
s’en priver ; car il s’agit de son concept le plus élaboré.
Il explique : « La morale républicaine, c’est
le respect de la loi. Est moral ce qui se conforme à la loi.
Dans le domaine spirituel, on ne se situe pas dans le même
ordre. N’est pas forcément moral ce qui respecte la
loi, et n’est pas forcément immoral ce qui ne la respecte
pas. On est dans une autre logique et je pense que les deux se renvoient,
se complètent, s’équilibrent et s’enrichissent
à vivre en interaction. » N.S., p. 163-164.
Je pense que c’est un découpage relativement pauvre,
étant donné que le pouvoir temporel peut être
spirituel (rois, dalaï-Lama, clique évangéliste
de la famille Bush, etc.) et le pouvoir spirituel temporel (par
exemple le pape). Au final, tout se mélange. Bien que des
paradis leur soient promis, les pouvoirs spirituels n’oublient
pas de profiter un tantinet des pouvoirs temporels qu’il leur
est loisible d’exercer. « Partout en France, et dans
les banlieues plus encore qui concentrent toutes les désespérances,
il est bien préférable que des jeunes puissent espérer
spirituellement plutôt que d’avoir dans la tête,
comme seule “religion”, celle de la violence, de la
drogue ou de l’argent ». N.S., p. 18.
Outre l’amalgame banlieue/désespérance déjà
discuté, Nicolas Sarkozy commet ici plusieurs erreurs très
communes. D’abord, on entre rarement dans la « religion
» de la violence, la drogue ou l’argent, tout simplement
parce que les principaux ingrédients d’une religion
- lien social, foi, dogme et clergé - y sont absents.
Mais employer ce terme laisse accroire l’idée du choix
délibéré, pour le jeune-des-banlieues (musulman
français, devrais-je préciser) d’un culte à
ces valeurs. Or, ces valeurs sont rarement érigées
en valeurs morales. Si le recours à la violence comme critère
d’insertion sociale existe (des enfants-soldats, du Libéria
au Sentier Lumineux péruvien pour des exemples forts, des
bizutages des grandes écoles aux camps scouts qui «
aguerrissent » pour des exemples décrits comme badins
par leurs promoteurs), son érection en culte reste l’apanage
de la fiction. (...) Sur la question de la drogue, il faut signaler
que la fuite systématique dans une autre réalité
ne ressemble en rien à un acte de foi. Elle s’apparente
:
- soit à un loisir (couches sociales en moyenne relativement
aisées, ne serait-ce que pour assumer le coût du produit
psychotrope),
- soit à un commerce (couches sociales en moyennes peu aisées,
qui trouvent, en fournissant le loisir des couches plus aisées,
un fonds fiduciaire non négligeable et un des rares statuts
ne demandant pas d’éventuels diplômes),
- soit à un déni plus ou moins complet de la réalité
: on ne peut, dans ce dernier cas faire l’économie
d’une réflexion sur les raisons qui amèneraient
un « jeune », ou même un « vieux »,
à dénier la réalité en optant pour des
paradis artificiels. Il faudra alors se rendre à l’évidence
que le coupable n’est pas tant le fuyard que ceux qui ont
eu et ont en charge la réalité, mais qui, malheureusement,
ne font rien pour la rendre viable à un taux concurrentiel
des psychotropes.
Quant à l’argent, il est un tantinet surfait de parler
de religion de l’argent chez les petites frappes de banlieue,
lorsque l’on regarde de près le montant des malversations
« en col blanc » dans les sphères politiques
ou péri-politiques. Le problème n’est pas de
justifier moralement le vol (ce qui a déjà été
fait ailleurs ), mais d’expliquer en quoi il est socialement
mieux accepté de voir voler gros par un blanc aisé
suant dans sa chemise que voler peu par un basané pauvre
se pelant le cul en anorak). Parler d’adhésion à
une religion de l’argent, de la violence ou de la drogue témoigne
d’une très mauvaise compréhension des genèses
sociales.
« Je pense que ce qui est le plus important dans chaque existence,
c’est l’espérance, et ce quels que soient son
âge et son parcours. Peu importe à la rigueur la manière
d’espérer. La vraie césure, elle se situe entre
ceux qui espèrent et ceux qui n’espèrent pas.
D’ailleurs, existe-t-il des hommes qui n’espèrent
pas ? Peut-on vivre sans espérance ? Il y a des personnes
qui affirment ne pas espérer. Est-ce une attitude sincère
? Est-ce davantage qu’une posture ou qu’une provocation
? J’en doute souvent. Il y a un besoin d’espérance
consubstantiel à la vie humaine. L’homme n’est
pas fait pour supporter et assumer le désespoir. Le doute
est déjà très difficile à vivre. Alors
la certitude de néant... ce serait bien pire ! ». N.S.,
p. 35. La césure n’est pas entre ceux qui espèrent
et ceux qui n’espèrent pas, mais entre ceux qui espèrent
pour ce monde-ci et ceux à qui on apprend à espérer
un autre monde dans l’au-delà. Faire miroiter sans
preuve un autre monde au-delà du Styx, c’est une aliénation.
3e maillon : l’athéisme est à
proscrire, car cela enlève l’espoir (...)
Dans son ouvrage, Nicolas Sarkozy n’opère pas une
distinction claire entre athéisme et agnosticisme, et alterne
les deux termes. Si la distinction est fondamentale [3], elle ne
l’est pas pour notre propos. N. Sarkozy nous fait comprendre
que l’athéisme est un phénomène contemporain
qui expliquerait un certain nombre de crises spirituelles. Il faut
d’emblée mettre court à cette idée :
l’athéisme est loin d’être un phénomène
contemporain. Sans parler de Démocrite, des épicuriens,
il y eut les matérialistes Ajita Keshakambala, du temps de
Bouddha, puis Sanjaya Belatthaputta ; plus tard, il y eut au XIIe
siècle la vague des poètes persans et arabes athées
et libertins, comme Omar Khayyâm. Même les Hébreux
avaient leurs athées.
« Ceux qui s’affirment non-croyants se définissent
par rapport à ce qu’ils ne croient pas. Leur athéisme
est affirmé, scandé parfois avec force. Cela ne les
empêche pas d’espérer en l’avenir, d’avoir
des enfants, d’agir selon une morale. Ce sont des attentes
communes. » N.S., p. 119.
(...) Il est inexact de dire que ceux qui s’affirment non-croyants
se définissent par rapport à ce qu’ils ne croient
pas. Un exemple : le zététicien, qui investigue scientifiquement
les phénomènes extraordinaires, ne croit a priori
pas en l’astrologie. Sa démarche ne se définit
absolument pas par rapport à l’astrologie, mais par
rapport à la pensée rationnelle, l’investigation
critique et la déconstruction des mythes aliénants.
De même pour un bon nombre d’athées ou d’agnostiques
: la question métaphysique qui sous-tend la discussion sur
Dieu peut leur sembler intéressante. C’est la réponse,
imposée, qui leur semble consternante. Le déni d’une
autorité divine, d’un clergé participe bien
plus d’une dénonciation d’une aliénation
morale et sociale que d’un simple nihilisme. (...) A mon avis,
c’est l’inverse. Comme me le susurre mon ami Kandjare,
N. Sarkozy crée un stigmate social laissant croire que chaque
individu se définit seulement par rapport à une entité
transcendante (groupe, nation, patrie, religion, clan) d’ordre
plus ou moins divin. D’ailleurs, l’idée qu’il
puisse exister des personnes qui ne raisonnent pas du tout vis-à-vis
de ça mais à partir plutôt de choix «
moraux » immanents, par exemple, ne l’effleure semble-t-il
même pas. « Cela ne les empêche pas d’espérer
en l’avenir, d’avoir des enfants, d’agir selon
une morale Ce sont des attentes communes. ». Phrase-bidon.
On peut très bien désespérer en ayant un Dieu
à ses côtés. En Palestine, bien nombreux sont
ceux des deux camps qui revendiquent la gloire de Dieu. On peut
d’ailleurs d’autant mieux espérer en l’avenir
sans Dieu que l’avenir radieux avec Dieu est post-mortem.
On peut avoir des enfants et agir selon une morale sans que l’engendrement
de ces enfants et que ladite morale soient transcendants. (...)
L’espoir en l’avenir n’est pas une obligation
- surtout en regard du monde tel qu’il est. Faire des enfants
non plus : (...) Agir selon une morale est, en revanche, quasi général
: reste à savoir quelle morale. L’inconvénient
dans la morale, c’est que c’est toujours celle des autres.
« Je me suis toujours dit qu’il y avait de l’arrogance
dans la certitude de la non-existence divine. J’espère
que chacun a en lui cette part de doute qui permet de continuer
à espérer. » N.S., p. 119.
« Celui qui ne croit pas n’est pas indifférent
à la question de Dieu puisqu’il exprime une conviction
sur elle. Il fait de ses doutes une certitude. Il pense que l’homme
est le fruit du hasard et sa propre fin. Je ne juge pas cette attitude.
Je m’interroge toutefois sur la possibilité de vivre
sans avoir vraiment aucune espérance dans le registre des
fins dernières ». N.S., p 171.
Rare et non rationnelle est la certitude de la non-existence divine.
De la même façon qu’il est irrationnel d’être
certain de l’existence de Dieu, il est irrationnel d’être
certain de son inexistence. Arrogant, pourquoi pas. La seule posture
qui tienne rationnellement est la posture sceptique : douter, maintenir
son jugement suspendu, placer son propre curseur « vraisemblance
» entre ces deux certitudes et agir en conséquence.
Quant à savoir si le doute permet d’espérer,
je crois qu’il permet surtout de rêver. Et préférer
une vie avec des joies concrètes présentes plutôt
que des promesses d’avenir et un hypothétique avenir
ailé, c’est finalement bien pragmatique, et pas si
dur que ça à vivre.
« Il est plus aisé de vivre avec l’espoir qu’avec
le désespoir. D’une certaine manière, il n’y
a pas tellement de mérite à croire. C’est tellement
sinistre de ne pas avoir de perspectives. » N.S., p. 119.
L’athéisme n’est pas synonyme de désespoir,
et le refus d’une obéissance contrite dans l’attente
d’une vie après la mort n’est pas une absence
de perspective. (...)
Une petite bulle en passant : « Il y a un fonds anticlérical
dans notre pays. Quand, de surcroît, cet anticléricalisme
peut se fondre avec une forme de racisme antimusulman, alors on
se retrouve devant un mélange détonant » N.S.,
p.91 Phrase énigmatique. Le fond anticlérical, quoique
plus développé en France que dans beaucoup d’autres
pays, est assez clairsemé et ne se fond a priori pas avec
une forme de racisme antimusulman, ceci pour deux raisons assez
simples : lorsqu’on comprend le mécanisme de l’oppression
cléricale, et qu’on fait vœu de la dénoncer
ou de la démolir, on a généralement déjà
dépassé le stade du racisme, levier oppressif du même
genre mais bien plus facile à circonscrire ; et surtout,
le racisme peut être antisémite, anti-noir, anti-asiatique,
mais pas antimusulman (...). Même là, il faudrait parler
de ségrégation antimusulmane, et non de racisme, afin
d’éviter ce mélange des genres qui amène
les individus les moins scrupuleux à créer de grands
sacs dans lesquels tout mixte Arabo-musulmano-basano-terroristo-alqaido-voilé
peut être fourré. (...)
4e maillon : or, le manque d’espoir mène
à l’intégrisme (sous-entendu, les banlieues
en sont le lit)
(...) Voici l’argument clé de Nicolas Sarkozy pour
justifier une retouche de la laïcité. La désespérance,
décrite comme le lot des banlieues, mène à
l’intégrisme, donc... « L’intégrisme
règne dans les déserts spirituels. » N.S., p.
129 Hop ! Le saut est fait. Pour notre ancien ministre de l’Intérieur,
des banlieues à l’intégrisme, il n’y a
qu’un entrechat. Les fameux problèmes des banlieues
et l’intégrisme auraient le même humus : le manque
de spiritualité. Ce glissement est quasi totalement faux
car : a. les problèmes des banlieues sont sociaux, non spirituels.
Ils sont la conséquence quasi directe d’une politique
sociale d’exclusion, commencée dès le début
des vagues d’immigration d’après-guerre. (...)
.
b. L’intégrisme est un mot fourre-tout qui, comme
le mot barbare, stigmatise toujours l’Autre, le voisin, l’étranger.(...)
. c. L’intégrisme ne règne pas dans les déserts
spirituels (...) . Penser que l’intégrisme religieux
de type islamiste règne dans l’absence de spiritualité
est la conséquence d’une profonde inculture. Prenons
l’intégrisme islamiste du FIS, ou le judaïsme
total des groupes Stern. Il ne viendrait à personne l’idée
de remettre en cause qu’ils ont bel et bien une spiritualité.
Non, c’est la spiritualité qui est à discuter
: quand elle promeut l’homophobie, l’abstinence sexuelle,
le déni de l’avortement et l’inégalité
des sexes (ce qui est le lot commun de tous ces intégrismes
religieux, de l’Opus Dei à Al-Qaida), n’est-on
pas en droit de lui préférer un désert spirituel,
à peine parsemé de quelques cactus égalitaires
et libertaires ? d. L’intégrisme ne naît pas
dans les banlieues : il naît dans les déserts éducatifs,
comme à peu près toutes les idées réactionnaires
de ce monde. « [...] car les incroyants sont des désespérés,
et c’est ça qui fait les drames ». « Ce
sont des millions de croyants qui se trouvent mis en cause par l’attitude
de quelques fanatiques insensés se réclamant d’une
foi et d’une espérance qui professent l’inverse
de ce qu’ils sont devenus. Ces fous de Dieu n’ont rien
à voir avec Lui. Ils sont ivres de haine, de vengeance, de
sang, de destruction, de cruauté. » N.S., Avant-propos,
p. 9. « ...quelques fanatiques insensés se réclamant
d’une foi et d’une espérance qui professent l’inverse
de ce qu’ils sont devenus : M. Sarkozy désigne ici
bien sûr les intégristes islamistes. Mais ils ne sont
que la poussée extrémiste des failles de morale de
la religion, et la conséquence des exégèses
ultra-scripturaires, c’est-à-dire collées à
la lettre au texte sacré. Ils sont une conséquence
prévisible de tout système religieux basé sur
une Écriture Sainte et des préceptes figés.
Ils ne sont donc pas l’inverse de ce que prône leur
foi : ils n’en forment qu’une (souvent monstrueuse)
excroissance.
(...) Ils sont ivres de haine, de vengeance, de sang, de destruction,
de cruauté. Faux et archi-faux : ils ne sont ivres de rien,
et à ce qu’on peut en lire, leur démarche est
réfléchie. La haine et la vengeance sont souvent présentes,
mais elles n’apparaissent pas ex nihilo, et les pays impérialistes,
comme les États-Unis, ou la France dans son pré carré,
ont su générer parfois volontairement ces haine et
soif de vengeance.(...). En revanche, le goût du sang, de
la destruction et de la cruauté relève d’un
folklorisme de mauvais aloi. On retrouve souvent ces éléments
folkloriques dans la pensée petite-bourgeoise : prétendus
goût du sang et cruauté d’Action directe, du
FLNC, du FIS, des émeutes anti-françaises en Côte
d’Ivoire, des Tchétchènes, goût de la
destruction des Black Blocks, de José Bové, des indépendantistes
basques, des anti-G8, des anti-Davos etc. Mais, entre nous, c’est
tellement plus rassurant de « monstruosifier » ce qui
nous est étranger. Le mot terroriste remplit une fonction
similaire. Quand on entend le mot terrorisme, je crois qu’il
faut examiner en premier lieu la bouche en cul-de-poule qui le prononce.
« Mais peut-on condamner ceux qui espèrent au nom
d’une minorité poussée à la folie par
le désespoir et la manipulation ? » N.S., p. 35. Non.
Mais le problème réside dans ce que la minorité
en question est rarement poussée à la folie, et que
si les moyens peuvent être discutés, les causes sont
entérinées. Ce n’est pas parce qu’on ne
cautionne pas leurs méthodes que l’on peut se permettre
de faire l’économie d’une réflexion sur
la genèse de la revendication de ces minorités, quasiment
toujours niée et n’ayant pratiquement pas de tribune.
Voici, en aparté, le genre de question posée par MM.
Collin et Verdin [à Nicolas Sarkozy] : « Pour une religion
qui tend, par nature, à l’expansion, peut-on réellement
croire que ce “fondamentalisme républicain” pourra
résister à l’intégrisme ? » N.S.,
p. 89.
L’Islam tend, comme tout courant religieux prosélyte,
à l’expansion. Mais de là à invoquer
un fait de nature, il faudra dès lors trouver une nature
expansionniste commune à la religion chrétienne, championne
toute catégorie de l’expansion, et expliquer pourquoi
personne ne s’inquiète, assurément à
tort, de la montée de l’intégrisme chrétien.
Peut-être que tout simplement l’intégrisme n’est
pas un corollaire direct des religions, et que certains éléments
primordiaux (exogènes, comme par exemple le maccarthysme
américain ; ou endogènes comme l’indigence d’un
peuple) sont opportunément occultés dans les circulaires
gouvernementales. (...) « On craint les imams, l’islamisme
: « ces imams qui embrigadent les jeunes ! » Au début
du siècle dernier, on disait la même chose des curés.
On regardait d’un mauvais œil les patronages et les groupes
scouts. Aujourd’hui, les sociologues et les historiens reconnaissent
le rôle majeur des patronages dans la constitution des meilleures
équipes de sport, et du scoutisme dans la formation des cadres
syndicaux et politiques. » N.S., pp. 130 - 131. (...) Si des
sociologues et des historiens reconnaissent les rôles que
M. Sarkozy prête aux patronages et au scoutisme, ils ne sont
à ma connaissance pas légion, bien au contraire ;
(...) On pourrait presque parler d’imposture historiographique.
Kandjare enfonce le dernier clou du cercueil de l’argument
du ministre : « Inversion chronologique probablement, car,
contrairement à ce qu’affirme N.S. ici, certaines études
laissent à penser que la tendance générale
des sociétés occidentales équivaut à
une décléricalisation des pratiques, sans pour autant
qu’on puisse parler d’une déreligiosité
(voir par exemple, Olivier Tschannen) [3]. On en revient à
sa déclaration initiale qui sonne, du coup, comme une profession
de foi : “le XXIe siècle sera religieux ou ne sera
pas” ; c’est celui qui l’a dit qui l’a fait.
C’est l’illustration de comment un discours peut construire
de toute pièce une vision des choses et, par là, ces
choses elles-mêmes ; ou comment couvrir sa représentation
subjective d’une auréole prétendument objective.
Ça renvoie de manière plus générale
aux questions de représentations historiographiques, et aux
impostures objectives qu’on peut parfois en tirer ».
(...) Finalement, le message, quoique mal argumenté, est
clair : « Je crois que c’est parce qu’il n’y
a pas assez de lieux de culte musulmans publics qu’il y a
une progression de l’intégrisme aujourd’hui.
» N.S., p. 131.
5e maillon : la religion est un excellent vecteur
de sens moral. (...)
« Les religions constituent un enjeu majeur pour notre société
car elles sont le support d’une espérance. Le fait
religieux est un élément primordial en ce qu’il
“inscrit” la vie dans un processus qui ne s’arrête
pas avec la mort. » N.S., p. 14
Il s’agit ici de la métempsycose, c’est-à-dire
de la vie dans l’au-delà, qui, bien sûr, est
porteuse d’espoir. Néanmoins, il faut se rendre à
l’évidence que c’est un espoir post-mortem. On
retrouve alors exactement ce que fut la religion durant au moins
les deux millénaires écoulés : un lénitif
social, qui apaise la vie ante-mortem de l’individu, en lui
faisant accepter au nom d’un espoir ultérieur des conditions
sociales qu’il n’aurait certainement pas supportées
autrement. On le retrouve dans les propos suivants : « [...]
l’espérance dans un au-delà meilleur est un
facteur d’apaisement et de consolation pour la “vie
d’aujourd’hui” ». N.S., p. 35.
L’espérance en question s’apparente surtout
à un carcan moral, sorte de garantie du maintien de l’ordre
public (cf. maillon n°8) et de la paix sociale. Car contrairement
à la façon dont elle est présentée,
cette espérance n’est pas gratuite : l’au-delà
meilleur, qui se monnayait au Moyen Age, s’échange
de nos jours contre un péché originel persistant,
une culpabilité que ni contrition ni confesse ne résorbent,
la reconnaissance d’un clergé, l’onction d’au
moins quelques sacrements et le délestage d’un certain
nombre de deniers du culte dans les sébiles vouées
à cet effet juste après l’eucharistie. C’est
une espérance coûteuse, qui génère ses
peurs et qui a un prix.(...) .
« Sans être un militant d’aucune religion, je
pense que l’on peut reconnaître la religion comme une
source d’apaisement utile au fonctionnement de la République.
» N.S., p. 157. C’est exactement cela. Soulignons l’emploi
immodéré, dans la sphère politique, du mot
République, jamais assorti de la définition qu’on
lui prête - la République Démocratique du Congo
en est un exemple. (...) « [L’espérance dans
un au-delà meilleur] appelle au respect de la vie, elle condamne
la violence et bannit toutes formes d’exploitation ».
N.S., p. 35. « Je crois profondément que les valeurs
de tolérance, de respect de la vie, d’amour du prochain,
portées par l’Église catholique peuvent être
utiles à la Corse. » N.S., p. 47. « Dans beaucoup
de pays, les défis que doivent relever les peuples de l’hémisphère
Sud le seront avec l’aide de l’Église catholique.
» N.S., p. 25. Nicolas Sarkozy n’a pas dû se relire.
Si le respect de la vie corroborait l’espérance en
un au-delà meilleur, alors Papon, Pinochet, Sidi Amin Dada,
les Carabinieri de Berlusconi et ses propres CRS seront voués
aux Enfers, les pauvres, et lui avec. Si la condamnation de la violence
est une clause de l’accès à un au-delà
meilleur, comment expliquer la propension au crime de l’empereur
Constantin, la deuxième croisade de saint Bernard de Clairvaux,
le bain de sang saint-barthélémien de Charles IX ou
le bombardement de civils vietnamiens par le moine-amiral G. T.
d’Argenlieu ? Peu seront ceux qui, dans les services d’ordre
étatiques, dans les services diplomatiques françafricains
pro-Eyadema, pro-Ben Ali, les acteurs de l’opération
Turquoise au Rwanda ne rôtiront pas chez Satan. Si le bannissement
de toutes les formes d’exploitation est un incontournable
du paradis, alors les contremaîtres de Michelin, Accor, TOTALFinaELF,
Peugeot, des chantiers navals de Lorient risquent de se tortiller
quelques siècles dans un âpre purgatoire.
De même, vanter les valeurs de tolérance, de respect
de la vie, d’amour du prochain, portées par l’Église
catholique n’est pas vraiment convaincant. Il suffit de demander
aux Bagas de Guinée, aux Sénégalais côtiers
si les missionnaires, même de nos jours, témoignent
de beaucoup de tolérance [4]. Les bulles papales condamnant
le préservatif font douter du respect de la vie des populations
en danger potentiel de contamination par le SIDA [5], et c’est
certainement le même amour du prochain qui arma les arquebuses
des trois frères Pizarro dans le Pérou des Incas,
et provoqua une déconcertante inertie au Vatican durant l’entreprise
d’extermination des Slaves, Tziganes, juifs, homosexuels,
handicapés etc. (...)
6e maillon : introduire des lieux de culte dans
les banlieues est une solution de garantie de la non-désespérance,
et donc de la mort de l’intégrisme
(...) « Les religions ont-elles par ailleurs une importance
spécifique pour l’équilibre de notre société
? Je n’hésite pas à répondre deux fois
oui. Oui parce que la religion catholique a joué un rôle
en matière d’instruction civique et morale pendant
des années, lié à la catéchèse
qui existait dans tous les villages de France. Le catéchisme
a doté des générations entières de citoyens
d’un sens moral assez aiguisé. Cela permettait d’acquérir
des valeurs qui comptaient pour l’équilibre de la société.
Incontestablement, l’Église catholique, quasi hégémonique
jusque dans la première moitié du XXe siècle,
a joué un rôle d’éducateur et même
d’intégrateur dans la société française.
» N.S., p. 17 - 18 « [...] je pense que les religieux,
les femmes et les hommes spirituels, les hommes de foi sont un élément
apaisant. Oserai-je dire un élément civilisateur ?
» N.S., p. 18-19. Ben voyons. C’est au nom de la religion,
de la foi, et de l’apport de la civilisation que près
de 10 millions de Nord-Amérindiens ont été
réduits à l’état de macchabées.
C’est au nom de ces mêmes religion, foi et civilisation
que des millions de Sud-Américains ont été
massacrés, que les révoltes anticoloniales en Afrique
se sont terminées (et se terminent encore [6]) dans le sang.
La foi est à la vertu civilisatrice ce que la férule
jésuite est à l’apprentissage [7].
Quant à savoir si « le catéchisme a doté
des générations entières de citoyens d’un
sens moral assez aiguisé », c’est indéniable...mais
quel sens moral fut aiguisé ? Ou plutôt le sens de
quelle morale ? Celui des nationaux-socialistes allemands, par exemple,
était finement aiguisé. N. Sarkozy pêche ici
par une considération universelle de sa morale, en l’occurrence
chrétienne, et qui est loin d’être la morale
la plus fine : réactionnariat politique, aliénation
de la femme, culpabilité indélébile et adhésion
à un ordre moral divin ne me semblent pas relever d’une
grande finesse de sens moral. De dire que « l’Église
catholique [...] a joué un rôle d’éducateur
et même d’intégrateur dans la société
française » est vrai. Cela n’affranchit pas son
auteur de se demander si l’éducateur fut bon, et l’intégrateur
partial.
« Ces points de convergences [de l’ensemble des messages
religieux] sont plus nombreux qu’on ne le croit et donnent
en réalité une cohérence d’ensemble au
fait spirituel : il existe une vie après la mort, un seul
et unique Dieu, un sens à l’histoire, une possibilité
de rédemption, une morale naturelle commune à toutes
les civilisations en référence avec un absolu ».
N.S., pp.159-160. (...) « [Il existe] un sens à l’histoire
» : c’est une conception historiciste finaliste très
dangereuse. Au nom d’une nécessaire direction de l’Histoire,
et par extrapolation d’un but conféré à
l’humanité, ont été légitimés
nombre de choses discutables, comme l’éradication de
minorités ethniques ou le progressisme scientiste. Ce n’est
pas fortuit de constater que les principaux philosophes théoriciens
du sens de l’Histoire - Hegel en tête, mais aussi le
courant Naturphilosophie (Goethe et Schelling en particulier) -
ont ensuite servi de pavois moral à de nombreux courants
conservateurs, pour ne pas dire d’extrême droite - le
national-socialisme allemand, par exemple. « [Il existe] une
possibilité de rédemption » : encore faut-il
avoir fauté, et craindre d’encourir un jugement divin,
pour voir miroiter une possibilité de rédemption.
Nous sommes encore dans une dialectique ici-bas/au-delà,
avec application des sermons miséricordieux dans le champ
incontrôlé par l’individu - l’au-delà,
bien sûr. C’est sur ce genre de discours que se justifient
les pires choses. L’exemple classique en est la peine de mort
: s’il est exécuté ici bas, ce n’est pas
grave, puisqu’il y a une vie après la mort dans laquelle
il sera en mesure de racheter ses fautes. Et Dieu reconnaîtra
les siens. « [Il existe] une morale naturelle commune à
toutes les civilisations en référence avec un absolu
» : il n’existe pas de morale naturelle. La morale est
un produit social. Ce n’est d’ailleurs pas le fait qu’elle
se bâtisse en référence avec un absolu qui est
un vrai problème : le hic se loge dans ce qu’un clergé
devienne intercesseur de cet absolu, et que le non-clergé
(la piétaille, quoi) devienne dépendant de ces dépositaires
de la connaissance. Parfois, le vice est poussé jusqu’à
faire l’intercession avec l’absolu en latin ou en arabe
classique, ce qui n’est quand même pas très gentil.
(...) [...] nous n’avons aucun intérêt à
sa disparition ou à la réduction de son influence
: sauf erreur, le « nous » intégratif désigne
le pouvoir politique en place (le même qui décide de
l’ordre public, cf. maillon n°8). Dans la mesure où
la religion joue un rôle d’opiacée sociale, elle
devient un levier politique très maniable. Par conséquent,
il est évident que N. Sarkozy n’a aucun intérêt
à la voir disparaître. C’est là que se
loge son idée, qu’il perçoit comme révolutionnaire
: plutôt que d’empêcher l’enracinement de
l’islam, il se propose, en lui flattant la croupe, de l’intégrer
dans la panoplie des leviers moraux, s’offrant ainsi du pain
bénit en matière d’asservissement d’un
peuple immigré dont selon lui le seul bien commun, hormis
le statut de paria, est justement le culte musulman.
« Le message universel du christianisme est un message d’ouverture
et d’acculturation. Les responsables catholiques devraient
se réjouir de ce que des jeunes aient la foi, plutôt
qu’un agnosticisme désespéré, que ce
soit la foi du credo catholique ou la foi musulmane ». N.S.,
p. 53.
Le mot est lâché : acculturation.
C’est par cela que l’ancien ministre des Finances voit
la paix sociale qui lui est si chère, ce qui présuppose
du même coup que nous soyons en « guerre sociale »
- ce avec quoi je suis assez d’accord, mais pas pour les mêmes
raisons que lui. (...) Si la politique n’était pas
kidnappée par une caste professionnelle (énarque bien
souvent), caste vantant un individualisme et un utilitarisme libéral
extrêmes, alors ce rôle de vecteur de dialogue, de source
de fraternité, de compréhension pourrait très
bien redevenir le lot de tout individu lambda. C’est un tantinet
plus universaliste que d’attendre les ministres du culte,
promoteurs d’une réponse métaphysique et d’une
construction morale figées. ...« un ministre du culte
- qu’il soit rabbin prêtre, imam, pasteur - est une
source de fraternité, de compréhension, d’écoute
; c’est un vecteur de dialogue. » N.S., p. 129. Ne devons-nous
pas trouver douteux que, devant le saccage de la main gauche de
l’État, ses services publics, ses travailleurs sociaux
[8], ce soit la main droite de l’État coercitive et
vengeresse que le ministre de l’Intérieur incarne si
bien, qui propose de promouvoir la fraternité, et, qui plus
est, propose des ministres du culte comme vecteurs de dialogue ?
(...) « Je pense donc utile que soit créée une
grande mosquée dans celles de nos grandes villes qui en sont
dépourvues. [...] si l’on partage l’opinion qu’il
s’agit d’un enjeu pour que la vie soit meilleure dans
nos banlieues, il convient d’en tirer les conséquences
et d’être inventif. » N.S., p. 130.
Etre inventif, pour Nicolas Sarkozy, c’est rompre avec la
loi de séparation des Églises et de l’État,
et financer des ministres du culte. Je n’exagère pas
: « A mon sens, il est temps de poser la question du financement
national des grandes religions et celle de la formation “nationale
républicaine” des ministres du culte. » N.S.,
p. 123.
Et en bon chantre de la décentralisation des pouvoirs, il
avance : « Je ne crois pas aux négociations nationales,
j’y crois d’ailleurs de moins en moins [...] je crois
au contraire à la régulation régionale qui
permet à chacun de trouver des aménagements en fonction
du rythme de la vie locale dans laquelle on se trouve » N.S.,
p. 160.
En d’autres termes (cela revient à dire que) pour
certains trucs (sauf les pouvoirs de police évidemment),
je crois à la déconcentration du pouvoir : le pouvoir
n’est pas supprimé, il est juste déconcentré,
c’est ce que je viens de vous dire : c’est quand même
plus sympa d’avoir un représentant de l’État
qui vous contrôle, qui a la même religion que la vôtre
- comment, vous êtes athée ? Bon alors qui a la même
couleur de peau que la vôtre ou la même origine géographique
que vous, à peu de choses près, et qui en plus sera
ainsi censé vous représenter parce que, mon petit/ma
petite, vous êtes bien incapable de vous représenter
vous-même. C’est donc quand même plus sympa d’être
contrôlé par un chef du coin, d’ailleurs non
élu mais nommé, que par un chef presque fantôme
qui vient de la capitale. En plus c’est plus pratique, parce
que lui au moins est toujours sur place, et n’a pas à
contenter l’électeur - il n’en a pas (rire sardonique).
« je pense que les prêtres, les rabbins, les pasteurs,
les imams, ou les laïcs les représentant doivent être
les bienvenus dans les discussions sur l’organisation du temps
scolaire pour la catéchèse. » N.S., p. 160.
(...) « Il me semble en revanche que l’on doit trouver
un moyen terme, qui respecte l’esprit de la loi de 1905 et
aide en même temps les religions à être utiles
à la société et à se couper d’influences
étrangères qui ne sont pas apaisantes. « Ainsi
l’on pourrait réfléchir à la possibilité
pour l’État et les collectivités locales de
garantir les emprunts pour la construction d’édifices
religieux, à l’instauration d’avantages fiscaux
plus importants pour les fidèles qui participent au denier
du culte [9], à une redéfinition des travaux de “confortement”,
ou encore à la consolidation juridique du recours aux baux
emphytéotiques. Pour la formation des ministres du culte,l’État
pourrait participer “en nature” en quelque sorte, en
mettant à disposition des enseignants dans les matières
autres que spirituelles, en prêtant des locaux, en signant
des conventions avec les représentants des religions pour
former des ministres du culte français. Je ne vois pas en
quoi cela nuirait à l’indépendance des ministres
du culte, et à leur lien privilégié avec leur
hiérarchie religieuse. En revanche, cela permettrait d’assurer
un enracinement national et de se protéger d’un certain
nombre d’influences étrangères , notamment s’agissant
d’islam . [10] » N.S., pp. 124-125.
Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’épiloguer
sur ce contre-pied flagrant de la loi laïque française
que propose M. Sarkozy. Je soulignerai seulement la dernière
phrase, qui témoigne d’abord du fait que si les moyens
qu’il se propose d’employer sont présentés
emballés dans du papier-cadeau, les ambitions sont extrêmement
conservatrices. À croire qu’il s’agit d’une
technique propre au néo-gaullisme : Jacques Chirac défend
ses intérêts commerciaux pétroliers en refusant
la guerre, passant pour le pacifiste qu’il n’est pas
[11]. Nicolas Sarkozy, par peur de l’invasion de l’islam,
circonscrit la chose en s’accaparant de la mainmise de l’État
sur les éventuels lieux de culte, les Conseils musulmans,
et par conséquent toute une population par trop rétive
au gouvernement... en passant pour un œcuménique bienfaiteur
de l’islam. (...) Il s’agit d’une illustration
du proverbe bantou cher à Patrice Lumumba : « la main
qui donne, la main qui dirige ».
Mais la dernière phrase fait craindre le pire, car elle
ne détonnerait pas chez un Bruno Mégret. Plusieurs
embrasures de ce genre sur les préjugés sarkoziens
sont ménagées dans son livre, dont voici quelques-unes
: « Il en a d’ailleurs été de même
dans les familles de religion ou de tradition juive ou protestante
dont les valeurs individuelles et sociales sont en réalité
communes avec celles de l’Église catholique et qui
ont apporté, en plus, leurs spécificités à
la construction de l’identité nationale : entre autres,
un attachement profond à la République et une volonté
exemplaire d’intégration pour les juifs, le souci aigu
de la liberté de conscience chez les protestants. »
N.S., p. 18. (...) « Il faut quand même dire les choses
telles qu’elles sont : ce qu’on reproche aujourd’hui
aux musulmans, dans les pays musulmans, nous l’avons vécu
il y a quelques siècles avec une imbrication totale du pouvoir
religieux et du pouvoir royal ». N.S., p. 19. Cette assertion
mériterait un commentaire sérieux de nombreuses pages,
mais pour faire succinct :
1. nous avons vécu une imbrication du pouvoir religieux
et du pouvoir royal qui a rarement été totale (le
summum, dans les « quelques siècles » présentés
par Sarkozy, ayant certainement été Louis XIV, et
Bonaparte pour qui « les conquérants habiles ne se
sont jamais brouillés avec les prêtres » - ce
qui me rappelle quelqu’un). La fin du XIXe, par exemple, fut
un monument d’athéisme, tout comme quelques velléités
éparses et lumineuses de la seconde moitié du XVIIIe.
2. la France est ces derniers temps de moins en moins laïque.
L’État subventionne directement ou indirectement les
religions. Qu’on s’en félicite ou qu’on
le déplore, il faut se plonger dans les documents budgétaires
(les bleus de la loi de finances) pour mesurer l’importance
de cette évolution [12]. (...) « Si l’on veut
aborder cette question de manière sereine, il faut reconnaître
qu’il n’y a pas que l’islam qui rend difficile
la vie des femmes musulmanes. Il y aussi la pauvreté, il
y a le sous-développement, la misère, la ghettoïsation
de certains quartiers. » N.S., p. 95 (...).
« Je reconnais que, parfois, même sans projection de
son engagement religieux, il existe des comportements ambigus au
regard de nos règles républicaines. Certaines confessions
ou traditions où l’on se flagelle, certaines représentations
caricaturales, l’expression fanatique de foules manipulées
peuvent mettre en cause le consensus. » N.S., p. 37.
L’hôpital rit de la charité. Il est des confessions
où certains se flagellent, d’autres gravissent à
genou des calvaires avec des croix et s’extasient devant de
purulents stigmates. Il est des liesses populaires, notamment autour
de faux miracles comme celui du sang de saint Janvier à Milan,
qui sont des expressions fanatiques de foules manipulées
(puisqu’on prétend à un miracle alors que le
principe de la liquéfaction du faux sang est connu depuis
plus d’un siècle [13]). On sent poindre le mépris
chez notre ancien ministre de l’Intérieur, mépris
très partial. Quant au consensus invoqué à
la fin, s’il porte sur les règles républicaines,
il est une vue de l’esprit (sain bien entendu). « Selon
vous, le port du voile est-il le reflet d’une certaine pratique
culturelle des pays arabes ou a -t-il une signification religieuse
? Je me garderai bien de trancher ce débat théologique
qui fait l’objet de nombreux commentaires, y compris chez
les musulmans les plus érudits. » N.S., pp. 96-97.
(...) Ce n’est pas du tout un débat théologique.
Vallet, encore, nous précise que « le voile des femmes
n’est pas plus islamique que le béret basque n’est
catholique ». Il ajoute que la tradition du voile est antérieure
de plusieurs millénaires au prophète Mohamed, la première
mention de son port obligatoire remontant aux lois assyriennes (tablette
A, 40) attribuées au roi Téglat-Phalazar Ier [14],
vers 1000 avant l’ère chrétienne. Mais la Bible
également évoque le voile dans le livre de la Genèse
(24,65) et le Cantique des cantiques (4,1), et fait elle aussi d’une
tête non voilée un symbole de prostitution. Vallet
termine : « on n’a jamais entendu parler de “voile
juif” ou de “voile chrétien”, même
si saint Paul en exige le port pour les prières : “toute
femme qui prie ou prophétise tête nue fait affront
à son chef” (1 Corinthiens 11,5). Là encore,
se couvrir la tête relève plus de la tradition que
de la religion, sans quoi il faudrait sacraliser les chapeaux de
la reine d’Angleterre [15] ». (...)
« Il [le voile, NdR] est une réaction au regard hostile
que les jeunes filles musulmanes rencontrent dans la société
ou qu’elles ont le sentiment de rencontrer. Lassées
et blessées d’être en permanence musulmanes dans
le regard des autres, elles provoquent : “Puisque tu me vois
comme musulmane, je vais te montrer que je le suis bien réellement,
et encore davantage.” C’est une réaction compréhensible.
Ne sous-estimons pas combien ce regard peut être douloureux
à vivre. Les catholiques ne sont pas catholiques dans le
regard de l’autre. Le problème est que rien ne se résout
par la provocation ou par l’affirmation caricaturale d’une
identité. » N.S., p. 97 (...).
« Au nom de quoi nos universités seraient-elles fermées
aux ministres du culte ? Un plus grand brassage entre les séminaristes
et les autres étudiants dans les universités n’apporteraient
que de la compréhension et de l’enrichissement mutuels.
Sans aller jusqu’à un soutien en numéraire,
l’État pourrait offrir une aide sous la forme d’affectations
de professeurs. Pour les imams, il pourrait prendre à sa
charge l’apprentissage de l’arabe par les imams français
et l’apprentissage du français par les imams arabes.
» N.S., p. 126. « Il faut réfléchir à
l’élaboration de conventions entre l’État
et le séminaire israélite de France, ou les séminaires
catholiques. Une délégation de professeurs, des crédits
d’heure, ce sont des choses qui sont, non seulement possibles,
mais de surcroît, de mon point de vue, souhaitables. »
N.S., p. 127. « Il est regrettable que l’attrait du
séminaire pâtisse des conditions de vie faites aux
étudiants séminaristes et aux prêtres. Enfin,
donner un statut aux imams pour mieux assurer la stabilité
de leur situation juridique, économique, sociale, ne pourra
que favoriser un discours d’apaisement. Comment aider à
intégrer dans les banlieues si l’on est soi-même
en situation précaire ? » N.S., p. 126.
Simple : en s’arrangeant pour que personne ne soit précaire
dans les banlieues. « A contrario, maintenant que les lieux
de cultes officiels et publics sont si absents de nos banlieues,
on mesure combien cet apport spirituel a pu être un facteur
d’apaisement et quel vide il crée quand il disparaît.
» N.S., p. 18. D’abord, rien ne prouve que ces fameux
lieux de culte aient effectivement disparu. Une banlieue peut être
soit une vieille commune phagocytée par une agglomération,
soit une ville-dortoir nouvelle ; dans le premier cas, la commune
n’est sûrement pas exempte d’au minimum un lieu
de culte traditionnel (une église bien sûr) ; dans
le deuxième cas, on peut supputer l’existence d’églises
à l’architecture contemporaine type Le Corbusier, églises
new style et parfois new age assez répandues par exemple
à Grenoble et ses faubourgs.
Ensuite, il y a typiquement confusion entre corrélation
et causalité. Il faudrait pouvoir comparer deux périodes
extrêmement différentes sur une kyrielle de paramètres
pour conclure qu’un quelconque vide est imputable à
une absence de lieu de culte. Quand on connaît l’intelligence
de l’auteur de cette confusion, on présume plus d’un
procédé rhétorique facile que d’une faute
de raisonnement.
7e maillon : l’État doit pour cela
user d’un processus de laïcité active pour promouvoir
le développement des institutions de culte (et y distiller
le sens moral souhaité).
(...) « Je crois en une laïcité positive, c’est-à-dire
une laïcité qui garantit le droit de vivre sa religion
comme un droit fondamental de la personne. La laïcité
n’est pas l’ennemie des religions. Bien au contraire.
La Laïcité, c’est la garantie pour chacun de pouvoir
croire et vivre sa foi. » N.S., p. 14. Vision faussée
: la laïcité, c’est la séparation des affaires
cultuelles des affaires d’État ; c’est le caractère
non confessionnel. La Laïcité ne garantit rien en soi,
si ce n’est la non-immixtion des cultes dans les affaires
gouvernementales. Elle ne garantit pas le droit de vivre sa religion
comme un droit fondamental (ça, ce sont les Droits de l’Homme,
peut-être ne les a-t-il plus en tête), ni de pouvoir
croire et vivre sa foi. La laïcité implique que la foi
(privée) et les services (publics) soient deux mondes qu’il
convient de séparer. « Pour ma part, je n’ai
pas une vision sectaire de la laïcité. » N.S.,
p.87. Qu’est-ce qu’une vision sectaire de la laïcité
? Je prends sa phrase précédente : « En revanche,
je dis que nous devons revenir à une laïcité
active, et non passive ou honteuse parce qu’il s’agit
de religion » Toujours pas clair ? Je prends la suivante :
« Cela n’aurait pas de sens, à l’aune de
l’Histoire de France, de considérer tout ce qui concerne
le religieux comme dangereux, illégitime, suspect ».
Plus loin il précise que nombre de responsables politiques
ou syndicaux ont eu une vision sectaire de la laïcité,
« une vision marquée par un souci de revanche »,
(page 88) et il cite Fouad Alaoui et le terme d’« intégrisme
laïque ». Je ne crois pas qu’on puisse avoir une
vision sectaire de la laïcité : soit elle est, et les
cultes sont bien séparés de l’État, soit
elle n’est pas. C’est tout. Il n’y a pas de petites
connivences possibles pour un Etat dit laïque - ce qui permet
de douter de la laïcité du nôtre (Accords Briand-Ceretti
[16], statuts de l’Alsace et de la Lorraine, financement d’écoles
religieuses, etc.).
Cela me fait penser aux accusations de la science sectaire, refusant
l’entrée du spiritualisme dans son champ. Il s’agit
non d’un choix, mais d’une nécessité ontologique.
La science (comme démarche, bien sûr, pas comme institution)
ne peut tolérer une seule incursion de ce genre, au risque
de voir tout l’édifice s’effondrer [17].
« Non, la laïcité n’est pas au service
des religions car cela signifierait qu’elle serait dominée
par elles ». N.S., p. 16. (...). « Les religions constituent
un enjeu majeur pour notre société car elles sont
le support d’une espérance. Le fait religieux est un
élément primordial en ce qu’il “inscrit”
la vie dans un processus qui ne s’arrête pas avec la
mort. C’est pourquoi je n’ai pas une conception sectaire
de la laïcité. Pas même la vision d’une
laïcité indifférente. Je crois au besoin de religieux
pour la majorité des femmes et des hommes de notre siècle.
La place de la religion dans la France de ce début de troisième
millénaire est centrale. » N.S., p. 16. Le ton solennel
imposerait presque un silence contrit. Note : on peut très
bien donner à la religion une place centrale, mais sur une
petite chaise, et à l’ombre, bien séparée
de la chose publique. Quant au besoin de « religieux »,
il est d’autant plus fort que les personnes sont dans la misère.
On l’a appelée pour cela une maladie de pauvre. Je
crois malheureusement beaucoup plus au besoin de pognon et de biens
publics garantis pour la majorité des femmes et des hommes
de ce siècle.
8e maillon : le maintien de l’ordre public
est la condition d’exercice des libertés
(...) Bilan : l’exercice des libertés garanti par
la force est un non-sens Le maintien (illégitime et armé)
de l’ordre public (non public) n’est certainement pas
une condition d’exercice des libertés, ne serait-ce
que parce qu’il n’inclut nullement la possibilité
de changer d’ordre public (ou de conditions de maintien de
cet ordre).
9e maillon : l’État garantit l’exercice
de la liberté de culte mais tant que l’ordre public
n’est pas troublé. (...)
10e maillon : la promotion des institutions cultuelles
ne débordera pas des religions « d’État
», le reste n’étant que sectes.
(...) « Si l’on veut promouvoir une conception plus
active de la laïcité et aider, d’une manière
ou d’un autre, les religions à jouer un rôle
constructif dans la société, il faut bien distinguer
les religions et les « nouvelles religiosités »,
dont le poids est quand même très différent.
Il faut aussi proposer quelques critères qui permettent de
montrer quand la ligne est franchie entre ce qui est authentique
religieux et ce qui est « dérive sectaire« .
» N.S., p. 141. « On voit bien les caractéristiques
fondamentales qui permettent d’identifier une religion. Le
nombre des fidèles, l’universalité du message
et, plus encore, son ancienneté, sont des critères
objectifs de distinction. Si on voulait essayer de trouver une définition
de la religion par rapport aux sectes, je pense que l’un des
critères les plus pertinents serait celui de la pérennité
historique, car on doit convenir que l’authenticité
du message spirituel est en quelque sorte légitimé
par sa pérennité au travers des générations.
[...] tout ne se vaut pas » N.S., p. 136. N. Sarkozy est un
peu primesautier. La distinction sectes-religions n’est qu’un
vœu pieux. Il est impossible de les distinguer réellement,
car il n’y a pas de définition précise de la
secte. Vallet : « une religion est une secte qui a réussi,
un petit groupe devenu grand, une chapelle rebaptisée Église.
[...] Pour distinguer une secte d’une religion, on a essayé
le critère du nombre qui ferait d’une secte une religion
de poche. Il est vrai que la plupart des sectes ont du mal à
prospérer à cause de leur intransigeance et que les
grandes religions sont d’anciennes sectes qui ont accepté
des compromis. Si une Église chrétienne exigeait de
ses membres qu’ils suivent à la lettre l’ordre
du Christ “Viens, quitte tout et suis-moi”, ce suivisme
aveugle serait sectaire » [18] . Quelques tentatives de critérier
le statut sectaire ont été menées : la commission
d’enquête parlementaire sur les sectes, sous l’égide
de Jacques Guyard s’appuie sur les infractions pénales
(troubles à l’ordre public, détournement de
fonds, atteinte à l’intégrité physique,
etc.) ; Mgr Jean Vernette, secrétaire du service national
« Pastorale, sectes et nouvelles croyances » propose
les trois concupiscences de la morale catholique : le pouvoir abusif
ou l’oppression, le savoir confisqué ou l’endoctrinement,
l’avoir détourné ou l’exploitation.
Mais 1) ces critères englobent les religions d’Etat,
finalement
2) les notions comme « trouble à l’ordre public
» sont porteuses de ferments moraux dangereux (cf. maillon
précédent)
3) ces critères sont très vite amalgamants, voire
partiaux, et créent des normes sociales [19]. On voit bien
les caractéristiques fondamentales qui permettent d’identifier
une religion.
Le nombre des fidèles : Sauf N. Sarkozy, « aucun spécialiste
sérieux des sectes ne retient comme critère le petit
nombre des adeptes (les zoroastriens sont à peine cent mille
dans le monde mais sont les ultimes représentants d’une
grande religion), ni la nouveauté du mouvement (le caodaïsme
vietnamien n’a pas cent ans mais n’est sûrement
pas une secte ) ».
- et, plus encore, son ancienneté, Il ajoute plus loin «
Je pense qu’il faut faire confiance aux grands courants spiritualistes
qui ont fait leur preuves au travers des siècles pour organiser,
et même encourager, la diversité dans leurs rangs.
» N.S., p. 141. « L’universalité est un
facteur positif quand elle permet, comme pour la religion chrétienne,
de promouvoir les valeurs de la vie, de l’égalité
entre les êtres humains et de la nécessité du
pardon. » N.S., p. 137. Survivre au temps n’est pas
un critère de justesse. Sinon, il faudrait légitimer
les flagellations, les lapidations, se réjouir des corridas
et se féliciter du renouvellement continuel des guerres.
À l’instar des régimes politiques, certaines
religions employèrent des techniques de maintien à
travers les siècles requérant plus le sabre que l’encens.
Et puis d’importants courants sont très récents
: le kimbanguisme zaïrois n’a pas un siècle, et
de nombreuses Eglises évangéliques américaines
ne se développent que depuis cinquante ans. « La confusion
entre les religions, les nouveaux mouvements spirituels et les sectes,
ou encore l’impression qu’il n’est pas possible
de distinguer les uns des autres, trouvent en partie leur origine
dans une sacralisation extrême de la liberté. Même
au nom de la liberté, on ne peut laisser faire n’importe
quoi : le droit de se droguer, le droit de se prostituer, le droit
de s’avilir si on le veut. Je ne pense pas que cette conception
de la liberté permette la vie sociale et le service du bien
commun. » N.S., p. 139 - 140.
La première phrase est fausse : Monsieur le ministre devrait
savoir que la raison principale à la non-distinction est
qu’il ne peut exister, en droit français, aucune définition
d’une religion et, donc, d’une secte. En effet, selon
l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 concernant
la séparation de l’Église et de l’État,
« la République ne reconnaît aucun culte ».
Monsieur Sarkozy ignore, ou feint d’ignorer la loi qu’il
prétend incarner.
Ensuite, il faut ouvrir l’œil : insensiblement, la discussion
sur les sectes glisse et N. Sarkozy laisse entendre que c’est
la même conception de la liberté qui promeut l’indistinction
secte-religion et le droit de se droguer, le droit de se prostituer,
le droit de s’avilir si on le veut. D’une part on retrouve
la pensée moraliste réactionnaire de l’auteur
(la dénonciation de ces misères sociales comme autant
de péchés) - et on relèvera avec contrition
que la solution proposée par NS revient à enfermer
les prostituées (cf. la loi sur le racolage passif sous son
ministère), les drogués et autres « taches »
sociales. D’autre part, pas besoin d’être un inconditionnel
des sectes pour trouver que de telles associations d’idées
sont outrancières.
« Les seules limites que l’État doit faire respecter
sont celles de l’ordre public. Il y a ensuite les mouvements
qui sont organisés pour l’exploitation de la faiblesse
des gens, l’abus sexuel, la manipulation mentale, la violence
physique et la contrainte. [...] Je veux rappeler que, sauf dérive,
ce ne sont pas les rabbins, les imams ou les curés qui abusent
de leurs paroissiens ou exploitent financièrement leurs fidèles
en leur faisant croire qu’ils gagneront la vie dans l’au-delà
! On ne peut placer dans la même catégorie tel ou tel
gourou, qui viole tous les membres de sa secte, et les ministres
du culte de nos grandes religions ! Les différences sautent
quand même aux yeux. Il faut être frappé de cécité
ou de particulière mauvaise foi pour ne pas le mesurer. »
N.S., p. 139 Bien qu’une majorité des NMR (Nouveaux
Mouvements Religieux) sentent l’abus de confiance et l’aliénation,
tous ne sont pas organisés « pour l’exploitation
de la faiblesse des gens, l’abus sexuel, la manipulation mentale,
la violence physique et la contrainte » ou alors, ils ne cumulent
pas toutes ces caractéristiques en même temps. Il s’agit
d’un amalgame. « Je veux rappeler que, sauf dérive,
ce ne sont pas les rabbins, les imams ou les curés qui abusent
de leurs paroissiens ou exploitent financièrement leurs fidèles
en leur faisant croire qu’ils gagneront la vie dans l’au-delà
! » Ça s’appelle faire fi de l’histoire,
et par exemple des lucratives ventes d’indulgences ou de l’aumône
islamique obligatoire. Actuellement, le fonctionnement de certains
ordres monastiques et groupes du genre Opus Dei fait vaciller les
distinctions proposées par N. Sarkozy. « On ne peut
placer dans la même catégorie tel ou tel gourou, qui
viole tous les membres de sa secte, et les ministres du culte de
nos grandes religions ! Les différences sautent quand même
aux yeux », mais les yeux sont parfois cillés, notamment
lorsqu’on se contente de transférer d’une paroisse
à l’autre des prêtres auteurs d’attouchements
sexuels sur enfants (cf. note 24). « L’autorité
incarnée par les évêques permet d’éviter
les phénomènes de gourous, ou la prolifération
de croyances aveugles proposées par des déséquilibrés.
» N.S., p. 143.
Phrase d’une (fausse) naïveté incroyable, et
colportant des préjugés : les Nouveaux Mouvements
Religieux ne sont pas tous sectaires, n’ont pas tous des gourous,
ne prolifèrent pas (proliférer s’applique usuellement
aux bactéries !) et ne sont pas tous dirigés par des
déséquilibrés - il faudrait d’ailleurs
définir ce qu’est le déséquilibre, hors
du cadre de marginalisation classique que réserve le conservatisme
ambiant aux drogués, délinquants, fous [21]... Je
pense en revanche que les NMR possèdent de façon générale
la faculté d’abêtir (à grands renforts
de techniques de développement notamment), la faculté
de donner un sens arbitraire à l’existence, et celle
de créer, au travers d’une exégèse de
connaissances ésotériques, une hiérarchisation
entre les membres initiés et les disciples, avec toutes les
cases intermédiaires possibles. « Croyez-moi, ce n’est
pas très difficile de voir quand les gens sont violés,
quand leur patrimoine est dilapidé, quand les enfants ne
sont pas soignés, quand on a abusé des plus fragiles.
Ce n’est pas impossible à discerner, à comprendre,
à analyser. » N.S., p. 145. (...)
11e maillon : il faut savoir « raison garder
» - comme pour la Turquie dans l’Europe Ce paragraphe
pourrait s’appeler De l’inconvénient d’être
turc : l’acculturation de Sarkozy s’arrête au
Bosphore. (...) « Rappelons d’abord que 98 % de son
territoire n’est pas situé en Europe, mais en Asie.
» N. S., p. 149. « L’Europe a, qu’on le
veuille ou non, une déclinaison géographique qui s’arrête
au Bosphore. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est une
réalité qu’on apprend à l’école.
Cette dimension exclut la Turquie, au moins de ce point de vue.
» N. S., p. 151. Admettons. Mais dans ce cas, il faudrait
que N. Sarkozy conclue que Jésus était, selon cette
définition, un Asiatique, non ? « On voit bien dans
quelle logique nous entraînerait l’adhésion de
la Turquie : comment pourrait-on ensuite refuser à l’Algérie,
qui était française il y a moins de cinquante ans,
ce que l’on reconnaîtrait aux Turcs ? » N. S.,
p. 150. Soudainement, la peur d’une horde turque armée
de quelconques cimeterres et emmenées par un général
Mustafa Kemal moderne et sanguinaire refait surface, empruntant
en cela le syndrome de Poitiers, sorti tout droit de l’imaginaire
collectif des membres du Front national.
« Intégrer tout le monde en l’Europe, y compris
les pays qui ne sont pas européens, c’est prendre le
risque de diluer l’identité européenne au profit
de la conception anglo-saxonne du grand marché ». N.
S., p. 149.
(...) Quelle est « la nature de l’identité commune
» ? Aurions-nous peur d’une dilution de notre identité,
nous-mêmes milk-shakes ambulants de Celtes, d’Allobroges,
d’Ostrogoths, de Francs ripuaires, de Lombards et d’Étrusques...
? « Nous avons tout intérêt à stabiliser
ce grand pays, qui témoigne d’une prestigieuse civilisation.
» N. S., p. 149. (...) Qu’est la France pour prétendre
stabiliser un autre pays ? Elle ferait mieux d’arrêter
d’en déstabiliser d’autres - je pense à
son opération Licorne en Côte-d’Ivoire, à
la précaution de principe autour du coup d’Etat du
fils Eyadema au Togo, au soutien jusqu’il y a quelques jours
de Gaston Flosse en Polynésie, etc. (...) « Il y a
également le critère d’une communauté
de valeurs démocratiques. La Turquie n’est pas encore
un pays aux habitudes démocratiques aussi ancrées
qu’en Espagne ou en Suède. » N. S., p. 151. Parlons-en,
justement, des habitudes démocratiques :
- de la Suède : pour notre gouverne, entre 1935 et 1976,
en Suède, 62 000 personnes, dont 93% de femmes, ont été
stérilisées. En 1934 puis en 1941, les différents
gouvernements ont adopté deux lois de stérilisation
à ces fins, autorisant cet acte d’abord pour les «
déficients mentaux » puis pour tous les « asociaux
» : handicapés mentaux, femmes aux « mauvaises
mœurs » ou ne pouvant entretenir leurs enfants, «
marginaux », tziganes, mauvais élèves, et toutes
personnes perçues comme entraves au développement
d’une société moderne ! Ces pratiques, décidées
par un Comité national saisi de demandes écrites des
hôpitaux psychiatriques, des maîtres d’école,
des maisons de correction, étaient, selon les mots de l’historienne
Maija Runcis « perçues comme une intervention humanitaire
profitable à tous, permettant d’éliminer les
maladies et la pauvreté »[22]. Ce n’est qu’en
1997 qu’un journal suédois a révélé
au grand public le scandale . Peut-on parler d’habitude démocratique
ancrée ?
- de l’Espagne : il est interdit d’éclater de
rire sur l’ancrage des habitudes démocratiques de l’Espagne,
qui ne commence timidement qu’en novembre 1975 à la
mort d’un certain général Franco, et connaît
régulièrement quelques hoquets - dernièrement,
l’engagement par José Marià Aznar de l’Espagne
dans le bourbier irakien n’était pas des plus plébiscités.
- de chez nous : allez, une petite liste des entorses à
la démocratie en France. Impossibilité de démettre
un élu, non prise en compte du vote blanc ou nul, impossibilité
de déclencher un référendum de façon
populaire, budgets de l’Etat occultés, projets présidentiels,
caisses noires, pas de droit de regard sur la répartition
des impôts, autorités non élues par le peuple
(sénateurs, préfets, ministres), impunités
parlementaires, ministérielles et présidentielles,
caution d’entités illégitimes comme le G8, le
quadrilatère de la Banque mondiale ou le FMI, entretiens
de paradis fiscaux et de sociétés de clearing, complicités
de crimes politiques ou de génocide non jugées, pillage
de pays pauvres et j’en passe.
Richard Monvoisin
[1] Je ne suis pas loin de penser que, la nationalité n’incombant
à une personne que par le plus pur des hasards, il n’y
a pas beaucoup de raisons moralement justifiables d’être
fier ou honteux de son pays d’origine - et donc peu de raisons
valables d’être contraint de préciser sa provenance.
Chaque individu a le droit de se revendiquer d’un creuset
culturel comme la France, le Cambodge ou le Kabinda, mais à
mon avis aucune institution ne devrait en exiger la stipulation
sur des papiers d’identité.
[2] Bourdieu P. Contre-feux, « Le sort des étrangers
comme Schibboleth », Raison d’Agir, 2002, p. 22.
[3] Olivier Tschannen, Les théories de la sécularisation,
Genève, Droz, 1992.
[4] Je ne parle même pas des cas comme celui du prêtre
François Lefort, grand « humanitaire » condamné
entre autres pour le viol de mineurs sénégalais le
24 juin 2005.
[5] Pour une (légère) décharge de N. Sarkozy,
il écrit page 47 : « Je ne veux pas réduire
les religions à leurs caricatures si communes : l’intégrisme
de l’islam, la position du pape sur le préservatif,
face à l’évidence que l’acte sexuel n’est
pas lié seulement à la reproduction, mais aussi au
plaisir, le refus d’ordonner des femmes prêtres. Ces
discussions ne portent pas forcément à l’apaisement
dans les débats de société. L’engagement
religieux peut être synonyme d’ouverture. » Très
flou, très politique. Mais le cacher eut été
accommoder le propos.
[6] Les situations au Togo et en Côte-d’Ivoire, pour
ne prendre que ces deux exemples sont des situations coloniales,
dont il ne faut pas attendre l’instruction du procès
avant au moins 15 ans (comme pour le Rwanda). Si vous souhaitez
devancer ce délai « réglementaire », voir
entre autres le communiqué de presse de Survie du 8 décembre
2004 : « Fermer les bases militaires de la Françafrique
», et le tout frais « Le choix volé des Togolais.
Rapport sur un coup d’État électoral perpétré
avec la complicité de la France et de la communauté
internationale », ouvrage collectif, L’Harmattan, 2005.
[7] Kandjare souligne encore le message colonisateur plus ou moins
subliminal : après avoir reconquis militairement «
nos » banlieues sous les cris de ralliement du genre : «
Il faut reconquérir nos banlieues », patenôtre
des prédécesseurs de N. Sarkozy, on va leur envoyer
nos prêtres missionnaires pour que tout rentre dans le droit
chemin et brimer toute contestation à l’encontre des
pouvoirs normatifs... Le prêtre qui épaule le militaire
ou qui devient même moine-soldat : c’est le schéma
classique des missions évangélisatrices, qu’elles
soient teutonnes et suédoises au XIIIe siècle pour
aller convertir les « barbares » grouillants de l’Europe
de l’Est, qu’elle soit orthodoxe ou païenne au
XVIe siècle pour aller « civiliser » les «
sauvages » d’Amérique, ou œcuménique
au XIXe siècle pour imposer la « sainte et blanche
» bible en Afrique.
[8] « [...] Tous ceux qu’on appelle les “travailleurs
sociaux” - assistantes sociales, éducateurs, magistrats
de base et aussi, de plus en plus, professeurs et instituteurs -
constituent ce que j’appelle la main gauche de l’État,
l’ensemble des agents des ministères dits dépensiers
qui sont la trace, au sein de l’État, des luttes sociales
du passé. Ils s’opposent à l’État
de la main droite, aux énarques du ministère des Finances
[...] », P. Bourdieu, Contre-feux I, Liber-Raisons d’Agir,
1998, p.9. « [...] ceux que l’on envoie en première
ligne remplir des fonctions dites “sociales” et suppléer
les insuffisances les plus intolérables de la logique du
marché sans leur donner les moyens d’accomplir vraiment
leur mission. » ibid, p. 11.
http://www.hommemoderne.org/societe/socio/bourdieu/lexique/m/maingauche.html
[9] Avouons que c’est assez énorme d’entendre
ça. Il s’agit de faire un virement bancaire de l’argent
public vers l’argent du culte, et, comme un virement, ça
passe comme une lettre à la poste ! [10] La mise en gras
est de mon fait. (R.M.). [11] Il a d’ailleurs reçu
un IgNobel de la paix pour sa reprise des essais nucléaires
en Pacifique le jour du cinquantième anniversaire d’Hiroshima,
en 1996. Voir
http:// www. improb.com/ig/ig-pastwinners.html#ig1996.
[12] On pourra utilement se référer sur la question
à Odon Vallet, Petit lexique des idées fausses en
religion, Albin Michel, 2002, pp. 118-122.
[13] La première démythification remonte à
Pierre Larousse, dans son Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle.
Voir à ce sujet Broch H., Le paranormal, Seuil, 1989, p 109.
[14] Célèbre pour ses pantalons.
[15] Vallet O., op. cit. pp.266-267.
[16] Le descriptif de ces accords est fait dans l’ouvrage
de N.Sarkozy (p. 23), sous forme de note : « Les relations
diplomatiques entre la France et le Saint- Siège ont été
rompues à la veille de la promulgation de la loi de 1905
concernant la séparation des Églises et de l’État.
En effet, cette loi mettait fin au Concordat de 1801 de façon
unilatérale.À l’issue de la Première
Guerre mondiale, le gouvernement français a cherché
à se rapprocher du Saint Siège, ce qui a donné
lieu à des échanges de lettres entre Aristide Briand,
alors président du Conseil, et ses successeurs et Mgr Ceretti,
représentant du Saint Siège à Paris. Ces échanges
de lettres diplomatiques, appelés “accords Briand-Ceretti”,
avaient pour but de trouver des solutions à différents
problèmes liés à la loi de séparation,
en particulier celui des associations diocésaines. »
[17] À ce propos, lire A. Bricmont, Comment peut-on être
positiviste ? Dogma, et encore Pour un monisme méthodologique,
du même auteur.
[18] Vallet O. op.cit., p. 220.
[19] Lire notamment le texte de Raphaël Verrier intitulé
Loi anti-secte. Le remède empoisonné d’un mal
imaginaire, accessible sur le site du collectif « les mots
sont importants ». Ce texte passe notamment au peigne fin
les critères sur lesquels la commission de loi a tenté
de définir les « sectes » à interdire.
L’auteur du texte montre le caractère flou, voire amalgamant,
de ces critères qui, s’ils étaient strictement
appliqués, mettraient du « beau monde » hors-la-loi
- en l’occurrence tout ce qui peut ressembler à des
rassemblements collectifs idéologiques comme l’État,
les religions, les entreprises privées, l’Education
nationale, l’armée, les partis politiques, la famille,
la plupart des associations. Par exemple, la loi évite soigneusement
d’inclure l’Opus Dei dans sa liste, alors que cette
organisation, qui s’avère être « ouvertement
occulte », rentre convenablement dans ces critères.
Mais il faut imaginer que si ça avait été le
cas, beaucoup de membres de la caste dirigeante, ainsi que leurs
partenaires européens, auraient été fâcheusement
compromis (Christine Boutin, Hervé Gaymard, Raymond Barre,
Louis Schweitzer, Didier Pineault-Valenciennes...). Kandjare me
fait cette remarque : « C’est comme si ces critères
se voilaient un peu la face : en voulant traquer uniquement les
pouvoirs “occultes”, on faisait ellipse sur les pouvoirs
“visibles”, qui ont probablement plus de poids sur le
quotidien de la plupart des individus et qui marquent les populations
d’empreintes structurales, lesquelles s’avèrent
être en général sources de domination... Le
problème de cette loi et de ses critères, c’est
leur caractère partial sous couvert d’objectivité
(objectivité qui avait alors été soigneusement
préparée par la plupart des médias). Cette
loi soulève ainsi des craintes puisqu’elle peut menacer
les libertés “publiques” (ou privées,
c’est comme on veut). Au cours de son élaboration,
elle a ainsi pu être tentée d’amalgamer dans
ses critères, des pratiques pas très normatives qui,
de surcroît, contestaient radicalement les structures de pouvoir.
Maloka, un collectif anarchiste dijonnais, a reçu la visite
d’un membre de cette commission qui enquêta avant de
rendre son rapport qui allait aboutir à la loi anti-sectes
en 2000-2001. Ce qui semblait avoir mis la puce à l’oreille
de la commission, c’était le végétalisme
revendiqué par ce collectif à travers une remise en
question matérialiste de l’exploitation animale (ce
qu’on appelle l’antispécisme). Même si
ce collectif ne fut pas classé au final dans la liste des
“sectes”, la démarche inquisitoriale (au sens
premier juridique) dont il fut l’objet, montre que tout ce
qui sort des normes sociales peut être vite soupçonné
d’illégitimité ou de dangerosité. Par
ailleurs, dans son texte, Raphaël V. note que c’est à
partir d’une loi similaire que Mussolini s’était
lancé dans la répression contre le Parti communiste
italien dès son arrivée au pouvoir en 1922 ».
[20] Sur la question des déviances et de leur emploi politique,
il existe de nombreux ouvrages : la notion de folie, Foucault M.
Histoire de la folie ; sur la notion de déviance Becker Howard
S., Outsiders. Etudes de sociologie de la déviance, Paris,
Métaillié, coll. « Observations », 1985
: sur la notion épistémologique de pathologie, voir
Canguilhem G., Le normal et le pathologique, Paris, Presses Universitaires
de France, 1966.
[21] Il s’agit de Maciej Zaremba, dans le Dagens Nyheter.
Pour toucher du doigt les « délais réglementaires
» dont nous parlions plus haut (cf. note 29) on peut se reporter
à
http://www.lexpress.presse.fr/info/monde/dossier/suede/dossier.asp
?ida=418470 :
« Mais dès 1986, deux journalistes de l’agence
de presse nationale suédoise avaient révélé
l’affaire au public. En 1991, un journaliste de la radio suédoise,
Bosse Linqvist, avait consacré une série d’émissions
aux victimes, en diffusant sur les ondes leurs témoignages.
Mais, à l’époque, il n’y avait pratiquement
pas eu de réactions ». D’autres infos sur
http://michel151.chez.tiscali.fr/A.M.I./AMI_Accueil.html,
le site de l’Association nationale de défense des malades
invalides et handicapés.
Qui sont les co-auteurs du livre de Sarkozy ?
Si tout le monde connaît, ou croit connaître Nicolas
Sarkozy, qui sont donc Thibaud Collin et Philippe Verdin, co-signataires
des entretiens de M. Nicolas Sarkozy ?
Thibaud Collin, philosophe agrégé, enseignant en
classe préparatoire (...) milite hargneusement contre le
mariage homosexuel. Il est ouvertement homophobe, mais on ne peut
pas lui dire, car selon lui l’homophobie est un véritable
cheval de Troie libertaire qui sert le Lobby gay. Il l’explique
dans le livre Le Mariage gay, Eyrolles, 2005. Il contribue à
Liberté Politique, nouvelle revue d’idées chrétienne
publiée par l’Association pour la Fondation de Service
Politique, ou AFSP (...), créée en 1992, proche de
l’Opus Dei, (...) Les activités de cette fondation
sont soutenues et financées par deux émanations du
Vatican : la sinistre Alliance pour les droits de la vie, présidée
par Christine Boutin, et la sépulcrale Fondation Jérôme-Lejeune,
du nom du tristement célèbre professeur Lejeune spécialisé
dans les commandos anti-avortement. Considérant que la crise
sociale est d’abord une crise morale, l’AFSP est la
pierre d’achoppement entre milieux catholiques traditionalistes
et néo-conservateurs. Dans cette mouvance se croisent des
anti-avortement, des anti-Euro souverainistes, des ecclésiastiques,
des anti-État-providence, des élus, des royalistes...
On y a remarqué, entre autres, outre Mme Boutin, Philippe
de Villiers, quelques membres du MPF (P.M. Couteaux, F. Seillier,
D. Souchet), Patrice de Plunkett (ex-rédacteur en chef du
Fig-Mag), François Guillaume (ex-président de la FNSEA),
Pierre Chaunu, Jean Foyer et Jean Royer, membres de Démocratie
libérale, Chantal Delsol l’épouse de Charles
Millon, quelques historiens révisionnistes de Lyon-III et
des patrons comme Yvon Chotard et François Michelin (...)
Philippe Verdin, prêtre et religieux dominicain, (...), arrière-petit-fils
du général Mangin, ancien louveteau, responsable de
la formation des chefs chez les Scouts unitaires de France et aumônier,
se veut l’un des bâtisseurs de la spiritualité
scout. (...) Il est également directeur de la revue Esprit
& Vie, revue catholique de formation permanente, qui compte
parmi ses plumes des gens comme Thierry Magnin, membre de... l’UIP
ainsi que de la revue Signe des Pistes, revue destinées aux
scouts catholiques. Il préside accessoirement l’association
des Amis du Signe de Piste. (...) Il est, semble-t-il, très
d’accord avec Thibaud Collin et ses thèses homophobes,
flattant la croupe des mêmes idées réactionnaires
et trempant son esprit dans les mêmes auges conservatrices
que son co-auteur et affidé - pour s’en convaincre,
contempler la revigorante et primesautière revue du livre
de Collin Du mariage au bordel : l’offensive idéologique
du lobby gay, publié le lundi 20 juin 2005 sur
http://prodeo.over-blog.com/article-490219.html.
Richard Monvoisin
(12 juillet 2007)
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