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Saïd Bouamama : "Pas de risque d’en faire un modèle"

Origine http://www.humanite.presse.fr/journal/1998-09-17/1998-09-17-424446

SOCIOLOGUE, Saïd Bouamama est aussi un homme de terrain. Il intervient ainsi fréquemment auprès des jeunes et des établissements scolaires situés dans les quartiers populaires de Lille et sa région.

Quelles ont été les réactions des jeunes que vous connaissez lorsque a éclaté "l’affaire Florence Rey" ?.

Sur le coup, ils en ont beaucoup parlé. Ce qui domine, dans leur discours, ce n’est pas une vision idéalisée ou héroïque du couple Rey-Maupin, mais un sentiment de compréhension à l’égard de leur révolte. "Nous aussi on aurait pu le faire", "on n’est pas les seuls à vouloir taper", disent-ils, sans aller jusqu’à s’identifier à eux. A propos des policiers qui ont été tués, en revanche, c’est le silence. Je n’ai ni entendu dire "c’est bien qu’ils en aient buté autant", ni "les pauvres flics, ils n’ont pas mérité ça". C’est plutôt la gêne, sans doute pleine d’ambiguïtés, qui domine.

Selon vous, quel sens faut-il donner au geste de Rey et Maupin ?

Tout en restant prudent, je pense qu’il est tout de même révélateur d’une certaine jeunesse, d’une certaine époque. Il y a par exemple des similitudes entre la trajectoire du couple et celle d’un autre jeune, passé lui aussi à l’action violente : Khaled Kelkal. A un moment donné, chacun d’eux a rencontré un minimum de réflexion sur la justice. Ils ont tous cherché des réponses à leurs révoltes avant de conclure qu’elles ne se trouvaient dans aucun mouvement collectif. Ils se sont posé des questions avant de se lancer dans l’action violente.

Florence Rey et Audry Maupin n’ont pourtant rien du profil des "délinquants ordinaires". Et leur geste sort complètement du commun...

C’est vrai. C’est d’ailleurs pour cela qu’il n’y a pas de risque que ce couple devienne un modèle. Par exemple, Audry Maupin pratiquait l’escalade : c’est très loin de l’univers quotidien des cités. L’identification ne peut donc pas fonctionner sur les personnalités de Rey et Maupin. Elle ne fonctionne pas non plus sur le geste lui-même, trop particulier dans sa forme. Ce n’est pourtant pas un phénomène isolé, dans la mesure où les jeunes se reconnaissent dans la violence qu’il exprime. Ils se retrouvent dans ce rejet d’une société dont ils se sentent exclus.

Qu’attendez-vous du procès ?

Il y a deux travers à éviter. D’une part, l’individualisation à outrance, qui consisterait à dire : "Ce qui s’est passé est un accident malheureux." Ce discours, les jeunes l’entendent en permanence. Ils en ont marre. On ne fait pas avancer les choses en disant : "Le problème n’existe pas, c’est toi qui ne vas pas bien." Autre écueil à éviter, à l’inverse : la tendance à faire de ce couple des héros mythiques, symboles de la dérive de la jeunesse. Entre ces deux extrêmes, il y a la place pour un débat sur l’isolement des jeunes, sur le problème de l’engagement politique. La relation de ce procès par les médias sera un indicateur très précieux sur l’état de la jeunesse. J’espère qu’on ne ratera pas l’occasion.

Entretien réalisé par E. F.