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Origine : TouTEsEgaux.net Résistance ?
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Le samedi 11 décembre dernier, l’Assemblée accueillait
en grandes pompes une cérémonie visant à mettre
en avant la réussite des « Français venus de
loin ». A l’initiative de cette bougnoulerie, le Haut
Conseil à l’Intégration avait pour objectif
de rompre avec la vision de TF1, que le sens commun a intériorisé,
du jeune issu de l’immigration en perpétuel échec.
Des prix ont été remis de la main des hauts représentants
de l’Etat aux « français venus de loin »
ayant réussi, malgré tous les obstacles liés
à leur condition sociale, économique, et « ethnique
», à s’élever gracieusement du sol poussiéreux,
et jonché de seringues, d’une cité dortoir,
vers les cieux plus cléments de la nouvelle intelligentsia
indigène versée dans la culture d’entreprise
et coltinée à tout ce qui a un peu de pouvoir, peu
importe la couleur politique du détenteur. Ils ont été
sélectionnés parmi la « crème des beurs
» à travers le réseau des acteurs de l’intégration
de France et Navarre, selon des critères assez obscurs :
acceptait-on un héritier de l’immigration postcoloniale
qui alterne les périodes de chômage et de travail intérimaire
? Ou une fille portant le voile ? Ou un immigré, usé
par quarante années de travail pour le capitalisme français,
survivant dans un foyer aux conditions sanitaires exécrables
? Ou encore une mère de famille, analphabète et parlant
mal le français, mais qui a donné sa vie pour ses
enfants ?
Même si ces gens, le commun des mortels issus de l’immigration
postcoloniale vivant dans les cités, avaient postulé,
il semble peu probable qu’ils aient été sélectionnés.
En quoi ces gens sont-ils moins remarquables que l’élite
indigène ? C’est parce que ces curiosités médiatiques
suscitent tellement de surprise de la part des autorités,
qu’elles ont ressenti le besoin de les exhiber en public :
voyez braves gens, le modèle d’intégration à
la française fonctionne encore et toujours ! A l’heure
où tout le monde est accablé par l’échec
de l’intégration à la française, il fallait
bien une contre offensive pour faire durer l’illusion. On
nous affirme publiquement, en filigrane : « Si ces «
Français venus de loin » ont réussi, c’est
que la société française n’est pas tellement
inégalitaire, ségrégationniste et sexiste ;
si, eux, ont réussi, c’est grâce à leur
mérite ». En négatif, on comprend le sous-entendu
de l’affaire : les discriminations sont une affaire individuelle,
si on veut on peut. Par une pirouette médiatico-politique,
on renvoie la balle aux dominé-es, la victime est coupable,
le bourreau va le responsabiliser, le culpabiliser, l’éduquer,
le civiliser, bref, l’intégrer.
On aurait pu croire naïvement qu’il s’agissait
des prémisses d’une lutte volontaire contre les stéréotypes
et représentations humiliantes qui stigmatisent le jeune-arabe-intégriste-antisémite-violeur-voleur
etc. Mais il n’est rien. Par le mécanisme en négatif
de ce type de cérémonie, ces représentations
sont confortées, confirmées par les hautes autorités
de l’Etat. Le jeune est toujours dans sa cité, le ministre
est toujours dans son palais, le bougnoule de service est toujours
dans la chambre de bonne. Cette mise en scène ne révèle
finalement pas un aspect inconnu des populations issues de l’immigration.
Elle révèle la crise de l’Etat face aux héritiers
de l’immigration. L’immigration postcoloniale, du fait
de son origine coloniale (et non à cause d’une culture
présumée ou de l’Islam), dérange profondément
le socle sur lequel s’est fondée la nation française,
forgé par la Révolution française et conforté
par la Troisième République et l’Empire : celui
de l’homogénéisation culturelle. Des récents
travaux scientifiques ont montré la caducité et l’hypocrisie
de l’opposition entre modèle français d’intégration
et le modèle « communautaire » (allemand, étasunien,
anglais, selon l’humeur du moment). Toutes les nations se
sont formées autour de l’unicité culturelle.
L’immigration postcoloniale pose problème pour l’Etat
français du fait de la persistance du rapport colonial dans
la France d’aujourd’hui. Ce rapport de domination est
au cœur de la crise politique et culturelle, mais la pensée
d’Etat préfère l’éviter, soit en
agitant l’épouvantail de l’intégrisme
musulman, soit en exhibant le nouvelle élite indigène
pour justifier la domination culturelle : la pathétique cérémonie
à laquelle la France vient d’assister relève
de cet aveuglement. On ne pourra pas inventer une mémoire
et une société communes sans la remise en cause radicale
de la construction nationale française en posant la question
suivante : sur quoi fonder notre vivre ensemble ? La réponse
ne peut pas être la culture au sens large au risque de tomber
dans la logique du choc des civilisations. Peut-être est-il
trop demandé à la société française
de faire une telle remise en question ? Néanmoins il s’agit
de la seule alternative aux dérives ségrégationnistes
et intégrationnistes, modalités, opposées en
apparence, mais liées en réalité à la
même idéologie : l’impérialisme culturel.
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