Pour tout groupe humain la coordination de ses activités est un
problème fondamental. Au cours de l'histoire, différents
modèles d'organisation ont émergé, mais, quelles
qu'en soient les variantes, et à l’exception de quelques
exemples ethnologiques, c’est le modèle hiérarchisé
et centralisé qui domine actuellement la planète. Ce modèle
est en parfaite adéquation avec une société d'exploitation
dans laquelle une poignée de dirigeants impose à la masse
des plus faibles le maintien de ses privilèges en utilisant simultanément
la force coercitive par la violence physique (suivant les cas : guerres,
famines, bavures policières, prisons, licenciements, camps, misère...)
et la violence idéologique (médias, enseignement, "intellectuels"
aux ordres, religions, publicité...). Du sommet de l'état
à la cellule familiale en passant par les entreprises et les administrations,
ce même modèle est tellement présent qu'il est inconsciemment
intériorisé par les individus qui finissent par le trouver
"naturel" et accepter leurs servitudes volontaires. Les hommes
sont aliénés par ce modèle autoritaire dont la pression
est tellement forte que même ceux qui aspirent à changer
la société peuvent le reproduire.
Fédéralisme Il faut reconnaître, même s'ils
n'échappent pas toujours à cette aliénation, que
l’un des principaux but de l’anarchisme, du communisme libertaire
ou de l’anarcho-syndicalisme est de récuser le modèle
autoritaire et hiérarchique et de proposer des modes d'organisation
qui permettent de conjuguer le respect de chaque individu, la réflexion
et l’action collective, le progrès et l’égalité
économique et social. Depuis, 1859, Proudhon proposa le fédéralisme
comme modèle d’organisation de l’Anarchie. Ce système
alternatif repose sur la libre fédération entre elles
des structures administratives, économiques, sociales et culturelles
qui composent une société et son écosystème.
Ce principe très général a reçu quelques
applications intéressantes dans des espaces géographiques
significatifs, à certaines périodes historiques dont la
plus connue sont les collectivisations rurales et industrielles pendant
la Révolution espagnole de 1936. Le modèle fédéral
mérite d'être approfondi, affiné, d'autant qu'il
peut se décliner de façons très diverses, collectivisme,
communisme, à l’aide de conseils ou de syndicats, etc.
La principale question qui se pose aux militants libertaires d'aujourd'hui
est d'assurer une meilleure application de ce principe dans leur propre
façon de s'organiser. En effet, les cadres organisationnels sur
lesquels reposent habituellement nos mouvements se sont figés
voici plus de cinquante ans et ne reste que de simples habitudes bien
en deçà de ce que ces cadres pourraient être par
rapport à l'évolution des concepts et des besoins. Il
ne s'agit pas pour nous, ici ni de "rénover", ni d’utiliser
le terme d’" anarcho-syndicalisme" dans le sens
qu’ont pris ces mots dans le vocabulaire politique. En effet "rénover"
veut surtout dire vider une théorie de sa substance pour ne garder
qu'une partie de son décorum. Quant a "l’anarcho-syndicalisme"
et le "syndicalisme révolutionnaire", nous avons acquis
la conviction qu’au-delà de ces doctrines, ils y a des
militants, anarcho-syndicalistes, syndicalistes révolutionnaires
ou plus simplement des anarchistes ou libertaires syndiqués qui
se battent dans les syndicats ou aux seins d’associations sociales
dans le but immédiat de défendre les intérêts
des travailleurs, des précaires, des exclus avec comme projet
de renverser les Etats capitalistes au profit d’une gestion directe
fédérale communiste libertaire; En effet, les idées
découlent des faits et non l’inverse. Il s’agit ici
de régénérer nos notions de base avec la volonté
de donner aux pratiques et donc aux idées anarcho-syndicalistes
la plus grande expansion. Loin des concessions que certains sont périodiquement
tentés de faire pour être "reconnus" par la société
dominante, pour "peser" sur elle et ses médias, il
s'agit pour nous au contraire de développer des moyens d'organisation
qui permettraient d’aboutir à la révolution aussi
bien en nous même qu’au plan international.
Le réseau
L’un des concepts actuel que nous pouvons utiliser pour pratiquer
le fédéralisme est celui du réseau. Nous allons
essayer d'apporter en ces quelques lignes des éclaircissements
sur ce que nous entendons par ce mot.
1- Qu'entendons-nous par « réseau »?
Le concept de réseau cache plusieurs sens dont, les militants
libertaires ont souvent une image partielle et déformée.
Cela provient tout d’abord des groupes dits "autonomes"
des années 70/80 qui ont mené des expériences organisationnelles
discutables ou critiquables (positionnement politique obscur, dérive
autoritaire...) ; Et bien qu’ils n'aient pas utilisés
directement ce mot, ils ont été le parfois désignés
en terme de réseaux. Les critiques qu'on peut leur faire ne tiennent
pas à leur pratique restreinte du réseau – celui-ci
était entendu ici comme la répartition des militants d’une
organisation en plusieurs points- mais bien à leur manque d'analyse
et d'objectifs politiques. De plus, il faisait référence
à la Résistance, est exprimé aussi des relations
cachées, semi clandestines, entre des personnes ou des groupes.
Il est certain que leurs rapports occultes, parfois cloisonnés
introduisaient des possibilités de manipulation. Par ailleurs,
des militants qui échangent périodiquement des informations,
des idées, quelles qu’en soit les supports utilisés,
déplacements, «tournées des popotes», lettres,
communications téléphoniques, listes informatiques, etc.
constituent un réseau. De tels échanges sont logiques
et inévitables dans n’importe quel groupe humain. Ce qui
est très critiquable, c'est son utilisation secrète ou
par une minorité qui peut parfois se faire en parallèle
d’une organisation avec un travail de sape et la construction
artificielle d'un rapport de force interne. C’est ce type de conduite
qui rend certains militants méfiants avec « le réseau ».
Or, cette dérive découle de son caractère caché.
En officialisant le réseau, en rendant accessible à tous
les adhérents les informations qui y circulent, on ne garde,
en neutralisant l’utilisation perverse que nous venons d’évoqués,
que son aspect dynamique. Enfin, pour certains militants, le réseau
évoque inévitablement ... pagaille ou superficialité.
Or, un réseau, comme tout mode d'organisation, peut-être
plus ou moins fortement structuré, et rien ne s'oppose à
ce que des protocoles fixent par consensus les modalités de circulation
de l'information. Il existe cependant aujourd’hui un danger de
l’informatique dans les réseaux de militances. C’est
que l'information joue le rôle de substitut à la réflexion
critique en permettant de l'évacuer. En effet, elle est souvent
utilisée pour refouler les contradictions. Elle constitue alors
le symptôme de l'incapacité des individus à développer
ses propres positions, à les soumettre à l'épreuve
de l'expérience et de la critique des autres. Car, c'est bien
connu, l'information ne se discute pas, elle relève de l'objectif,
elle est exempte de subjectivité. Mais les choix et les prises
de position n'en sont pas moins là. Seulement, ils n'apparaissent
pas en tant que tels. C'est pourquoi de tels réseaux militants
sont devenus le lieu privilégié du consensus entre militants
qui monologuent entre eux et qui regardent comme des perturbateurs ceux
qui veulent dialoguer, car ils s'en prennent à la hiérarchie
qui domine et se cache derrière la soi-disant horizontalité.
La militance transforme ainsi la contre information en catalogue des
luttes ou présumées telles. Pour rendre son objectivité
à l’outil informatique, il est donc nécessaire dans
définir son utilisation et à travers les faits, puis les
réflexions critiques construire les base d’une société
en évolution ou révolution permanente.
2- Une réorganisation du fédéralisme en réseau.
L'objectif du fonctionnement en réseau est de favoriser un mode
d'organisation qui garantisse à chaque « collectif *»
une totale liberté d’expressions et d'actions tout en potentialisant
les premiers vers des bases de réflexions critiques et les seconds
en mobilisation commune grâce à l’entraide avec les
autres. Il ne doit en aucun cas rester un simple lieu de consensus où
l’on échange de l’information. L'autonomie d'action
et d'expression de chaque « collectif »,
fonctionne lors des assemblées générales de militants,
se qui implique qu'aucune autre structure à quelque niveau que
ce soit ne puisse avoir le moindre pouvoir de décision à
la place du « collectif » de base, même
pour des tâches qui seraient qualifiées de "techniques".
Cela n'est pas incompatible, loin s'en faut, avec le débat, la
concertation, l'échange d'information et de réflexion
critique, le partage de moyens et l’élaboration de principes
communs. La solidarité entre « collectifs »
est une démarche volontaire et non une contrainte imposée
par une majorité, quelle qu'elle soit. Au départ, elle
est le résultat d'une proposition ou d'une demande d’aide
mise en débat par un ou plusieurs « collectifs »
qui aboutit, grâce à l’interactivité du réseau,
a son accord par l’ensemble des « collectifs »
qui jugent cette proposition ou demande recevable. Ainsi, une confédération
anarcho-syndicaliste qui fonctionne en réseau serait constituée
d'un ensemble de « collectifs » fédéraux
se reconnaissant dans un certain nombre de principes généraux
communs, issus de débats ouverts et permanents. Ce qui implique
la coexistence d’une majorité et d’une minorité.
Toute autre structure regroupant des « collectifs »,
à tout niveau, serait alors une simple instance de concertation,
d'information, mais jamais une instance de décision. La cohérence
de la confédération est alors le produit de deux facteurs
et de rien d'autre : les relations interactives entre les « collectifs »
et leurs actions réelle sur le terrain. On le comprend aisément,
ce type de fonctionnement génère une confédération
dynamique. Le réseau ne garantit pas contre toute prise de pouvoir,
mais il limite fortement se risque car il n'existe alors aucun autre
lieu de décision que le collectif fédéral de base.
Contrairement aux idées reçues, le réseau non seulement
ne s'oppose pas au fédéralisme, mais il en constitue une
des formes possibles. Il ne fait pas obstacle à la solidarité
et il favorise un échange rapide, une réflexion critique
et l’élaboration de propositions car il est débarrassé
des lourdeurs du passage obligé par des instances souvent difficiles
à réunir pour des raisons diverses. A la norme, édictée
périodiquement par un congrès ou une instance après
un débat plus ou moins formel, le réseau oppose la dynamique
du débat permanent conduisant à un consensus qui seul
permet une action concertée efficace et l’élaboration
d’un programme en évolution permanente.
* un collectif peut être un comité, un groupe, une entente,
un syndicat……
Anarchistes ou libertaires & Réseau Confédéral
A partir de l’analyse actuelle de la société de
classe et de ses fonctionnements (formes de domination, d’exploitation,
rôle de la marchandises, des médias, lutte sociale et sociétale...),
les militants anarchistes, libertaires, anarcho-syndicalistes, syndicalistes
révolutionnaires définissent des stratégies pour
défendre et améliorer les acquis sociaux, combattre et
abattre le capitalisme et l’étatisme (positions idéologiques
d’évolution et de révolution du système,
rejet des structures collaborant avec le pouvoir ou défendant
un mode d'organisation autoritaire et hiérarchique, action directe,
solidarité et entraide de classe, ...), et organiser la société
future : un fédéralisme autogestionnaire, communisme
libertaire. Les moyens à utiliser doivent répondre à
la réalité des faits présents et être conformes
aux objectifs à atteindre. Pour cela rien ne peut remplacer le
fédéralisme et le réseau informatique peut se révéler
une façon utile de le pratiquer.
Pour servir de base à la réflexion ….. Toutes
propositions sur ce sujet sont les bienvenues.
Amicales salutations anarcho-syndicalistes
8 Mars 2003
Michel SAHUC