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Origine http://terrain.revues.org/document1955.html
terrain revue d'ethnologie de l'Europe
terrain n°38 mars 2002 Qu'est-ce qu'un événement
?
Résumé
Cet article est centré sur la crise de la « vache
folle » et sur les conséquences sociales et symboliques
de la manipulation du vivant, particulièrement à travers
l’alimentation. Par le truchement de la métaphore cannibale,
il s’agit de montrer comment le déclin de la raison
sacrificielle dans la société moderne – notamment
le déni de dimension symbolique en son sein – met à
nu toute une série de problèmes (rapports à
l’animal, à la nature, au lien social, à l’altérité,
à la catastrophe). Des problèmes que la raison rationnelle
et utilitaire n’arrive pas toujours à traiter et auxquels
elle parvient encore moins à donner du sens.
La crise de la « vache folle » est l’occasion
de poser un certain nombre de questions qui relèvent des
liens entre l’homme et l’animal, de la mise à
mort de ce dernier et plus généralement de la consommation
de viande. Ces questions seront soulevées dans le cadre de
deux hypothèses.
La première postule que toutes les sociétés,
quelles qu’elles soient, y compris la société
industrielle, participent de la raison sacrificielle, certes chacune
à sa manière et selon sa propre configuration. Le
propos ici serait d’établir une différence entre,
d’une part, une conception qui marque une nette césure
ontologique entre l’homme et l’animal (l’instrumentalisation
de l’animal consisterait à lui enlever tout sens afin
de le récupérer pour le tuer) et, d’autre part,
une conception qui affirme, au contraire, une continuité
ontologique entre ces deux entités (l’animal participerait
du même univers de sens que l’homme, même si c’est
ce dernier qui le projette sur l’animal, voir Erikson 1997,
Descola 1999).
La seconde hypothèse est d’avancer que la mise à
mort de l’animal et sa consommation ressortit partout à
une raison cannibale. Si l’on considère que tout régime
carné est un mode indirect d’anthropophagie –
on ne mange certes pas un être humain, mais son substitut
a cependant toutes les qualités de l’humain, aussi
bien du point de vue nutritif (le semblable se nourrit du semblable,
voir Vialles 1998 1) que du point de vue symbolique (l’animal
est un être vivant qui possède une âme et qui
souffre) –, chaque société se confrontera à
sa manière à cette pratique. Certaines sociétés
ne nieront pas l’anthropophagie, mais tenteront de la «
civiliser » parce qu’elles postulent une fusion identitaire
entre le tueur et sa victime et pensent que le caractère
anthropomorphe associé à certaines viandes autoriserait
plutôt qu’il n’interdirait leur consommation (Erikson
1997). D’autres sociétés, comme la société
moderne, refouleront et masqueront cette pratique, allant jusqu’à
considérer l’anthropophagie comme l’antithèse
du lien social. Mais celle-ci ne manque pas cependant de resurgir,
comme dans le cas de la crise de la « vache folle »
que la raison productiviste ne peut traiter. Cette dernière
n’arrive pas à intégrer la composante symbolique
sous-jacente à toute consommation de viande.
Plus fondamentalement, la métaphore cannibale me permettra
de montrer comment le déclin de la raison sacrificielle dans
la société moderne – notamment le déni
de toute dimension symbolique, particulièrement cannibale,
en son sein – met à nu toute une série de problèmes
: rapport au lien social, rapport à l’altérité,
rapport à la nature, rapport à la catastrophe.
La maladie de la « vache folle » ou la menace cannibale
« Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es. »
Ce vieil adage populaire est atteint de trouble depuis que la paisible
vache s’est prise soudain d’une crise de folie, suite
au ramollissement de son cerveau victime de l’encéphalopathie
spongiforme bovine (ESB). Notre identité alimentaire semblait
jusqu’ici assurée à travers l’image d’une
vache robuste et saine grâce à l’expertise des
producteurs, vétérinaires et autres sélectionneurs
préposés à son bien-être. On croyait
savoir ce qu’on mangeait et l’on découvre soudain
l’horrible vérité, l’insoutenable : la
vache, notre vache, est « cannibale » ! On l’engraisse
avec des farines fabriquées à partir de cadavres d’autres
animaux et même du placenta humain. En alimentant le bœuf
de viande morte, de déchets d’abattoir, voire de déchets
humains, et en s’en nourrissant lui-même, l’homme
généralise le cannibalisme à toutes les espèces
: le bœuf mangeant du mouton engraissé de farines de
bœuf, le poulet engraissé à son tour de farines
de bœuf ou de mouton portant les germes de la maladie qui passe
ainsi de corps en corps jusqu’à l’homme 2. La
frontière des espèces se trouve donc doublement transgressée
: non seulement l’homme, certes par nécessité
et à son corps défendant, s’alimente en dévorant
d’autres espèces vivantes, mais à cause de ses
besoins croissants il est en train de transformer des espèces
jusqu’ici réputées herbivores en carnassiers.
Une boucle dangereuse qui ressemble fort à de l’autophagie
est en train de se nouer.
Selon les représentations traditionnelles de la physiologie
des vivants, les aliments ingérés transmettent leurs
qualités au mangeur, et l’on devient en quelque sorte
ce que l’on mange. Il y a lieu alors de se demander si, en
raison de cette règle de la transitivité, le cannibalisme
de la vache que l’homme met dans son assiette n’induit
pas chez lui le même comportement cannibale (voir Vialles
1998 : 140-141). Le terme de cannibale, qui a été
spontanément avancé par les différents médias
et l’opinion publique pour caractériser les herbivores
soumis au régime des farines animales, semble avoir entretenu
dès le début l’équivoque entre deux sens
différents : entre, d’une part, le fait de manger son
« semblable », comportement qui peut être décrit
par le terme de cannibalisme, y compris en ce qui concerne les animaux
qui mangent leur propre espèce 3 (ce serait le cas de la
vache qui mange ses semblables) et, d’autre part, le fait
pour l’homme de manger de l’« humain »,
l’anthropophagie. Tout se passe comme si le fait de manger
la vache, désormais perçue comme carnivore et par
extension cannibale, induisait une perturbation telle dans les représentations
que le régime de l’homme de carnivore s’en transforme
à son tour en cannibale, c’est-à-dire en anthropophage.
L’homme et la viande d’animal : le lien trouble
En tout temps et en tout lieu, l’homme a eu des scrupules
à consommer une nourriture obtenue par la mise à mort
d’êtres animés. Dans toutes les cultures, le
régime carné pose la question de la légitimité
de cet acte intentionnel et brutal. On ne mange pas, en effet, des
animaux morts mais des animaux tués par la main de l’homme.
La mise à mort de l’animal pose problème parce
que ce dernier est ressenti comme semblable. Comment dans ces conditions
ôter la vie d’un animal, sans commettre un sacrilège,
sans qu’aucune souillure ne vienne polluer celui qui donne
la mort et celui qui en consommera le produit ? Il faut que cette
inquiétude soit dépassée afin que l’homme
puisse manger l’animal. Faisant de nécessité
vertu, l’homme a partout tenté de mettre des garde-fous
et de contenir la pratique de la mise à mort de l’animal
dans le cadre de rituels aussi complexes que diversifiés.
Songeons, entre autres, au rituel de la chasse chez les peuples
dits « primitifs » dont la clef réside dans deux
problèmes existentiels fondamentaux, à vocation universelle,
c’est-à-dire la ligne incertaine qui sépare
l’homme de l’animal et la conscience que la survie des
humains dépend de la destruction d’autres éléments
du règne vivant 4.
La mort d’un animal est ainsi par définition chargée
de signification, tout comme la consommation de sa chair. La nourriture
carnée établit une chaîne entre ce que nous
mangeons et ce que mangent ceux que nous mangeons. Etant ou devenant
ce que l’on mange, les choix alimentaires seront dès
lors guidés « par la recherche ou l’évitement
de telle ou telle qualité, en telle ou telle quantité
» (Vialles 1998 : 141), et la prise de connaissance des qualités
de chair des animaux consommés passera par la connaissance
de leur nourriture. D’où le sentiment d’inconfort
qui nous prend lorsque le soupçon s’insinue dans le
contenu de nos assiettes. La contamination de la chair de bovins
perturbe notre relation au socle fondamental de notre existence,
la nourriture. Cette dernière implique un lien de confiance
non seulement avec les éléments qui nous sustentent,
mais également avec la nature et nos semblables. L’ingestion
de la « vache folle », « bidoche » désacralisée
et souillée, vidée de sa mémoire, nous plonge
dans un malaise profond et suscite en nous les pires paniques. Au
rejet d’une viande sur laquelle pèse un grave doute
sanitaire vient s’ajouter le spectre d’une viande «
cannibale » qui nous épouvante à cause de la
transitivité des assimilations qui ferait de nous-mêmes
des cannibales.
En vérité, il n’y a pas besoin de la crise
de la « vache folle » pour éprouver confusément
ce sentiment. C’est l’effusion de sang, au principe
du régime carné, et moment dangereux entre tous, qui
semble produire les sentiments les plus troubles chez les humains,
quelle que soit leur société. Les Tucano d’Amazonie
vont ainsi même jusqu’à préférer
le poisson à la viande, manifestant par là leur modération,
le souci de contrôle de soi et le côté policé
de leur société par contraste avec les populations
voisines mangeuses de « viande rouge » et stigmatisées
pour leur « cannibalisme » (Hugh-Jones 1996 : 125).
Le cannibalisme est une hantise qui habite la conscience de tous
ceux qui mangent de la viande. Notre régime alimentaire nous
adjoint de voir dans l’animal le plus semblable à nous
(généralement le mammifère) l’aliment
propre à réparer nos forces, et selon cette logique
à voir finalement dans l’anthropophagie le régime
alimentaire idéal, car rien n’est plus semblable à
la chair humaine que la chair humaine. Or, en même temps,
cette simple idée nous épouvante et nous faisons tout
pour nous abstenir de manger nos semblables. Ce dilemme, nous le
résolvons en adoptant une solution médiane qui exclut
le cannibalisme mais non le régime carnivore : on ne mangera
pas de la chair humaine, mais de la chair animale humanisée.
Pour revenir à la situation actuelle, on peut dire que la
distance mise par les contemporains pour éloigner le danger
que recèle la viande rouge, et le sentiment trouble de cannibalisme
qui sous-tend le régime carné se sont traduits par
le camouflage maximal de l’aspect physique (forme, goût,
odeur et couleur) de la nourriture carnée absorbée.
Cela est l’aboutissement d’un long processus qui a débuté
au siècle passé et qui a, notamment, consisté
à exiler les abattoirs vers la périphérie des
zones urbaines et à produire des règlements de plus
en plus contraignants censés nous laver au sens propre et
symbolique de l’acte de tuer les animaux que nous mangeons
5.
Avec l’érection de l’abattoir, on aboutit à
la construction de la fiction d’une mort « propre »,
sans sang versé, ni victime, ni sacrificateur. La mise à
mort moderne des animaux est rejetée aussi bien du discours
que de la vie sociale 6. Elle n’a plus rien de sacrificiel.
L’intention de donner la mort, qui est au fondement de l’acte
rituel et qui le valide aux yeux des participants, est totalement
évacuée au profit d’une dissémination
des responsabilités dans une succession d’actes techniques
séparés dans le temps et dans l’espace et accomplis
par plusieurs acteurs (voir Vialles 1988 et Brisebarre 1995) 7.
Une disjonction se produit ainsi entre la mort et la souffrance,
entre l’homme et l’animal, sans toutefois que l’homme
moderne échappe complètement au sentiment sacrificiel,
car l’abattage industriel, même pratiqué dans
l’anonymat et à l’abri des regards, relève
finalement d’une mise à mort non criminelle car autorisée
et susceptible, à ce titre, de réduire le sentiment
de culpabilité du consommateur.
Le consommateur moderne se nourrit d’une viande dont il sait
abstraitement d’où elle vient, mais il ignore comment
et par l’intermédiaire de quelles opérations.
Comme le souligne le sociologue des mœurs Norbert Elias, cité
par Vialles (1988 : 142), « on oublie autant que possible
qu’un plat de viande a quelque rapport avec un animal mort
». Cette viande privée de son principe vital, lors
de son abattage et de son ingestion, a ouvert la porte aux plus
grands excès du système de production industriel.
L’homme use désormais de l’animal comme s’il
n’était pas souffrance. Il produit, sélectionne,
calibre et stocke de la « viande sur pied » à
qui il fait subir les pires transports, les tueries en série
dans les abattoirs et les dépeçages mécaniques
à la chaîne. La « tuerie » des bovins 8
se déroule à l’abri des regards, dans la plus
grande indifférence, à l’exception des défenseurs
inconditionnels des animaux. Les bovins et autres bétails
n’occupent pas, pour leur malheur, une place de choix dans
notre taxinomie animale. Classée dans une catégorie
purement fonctionnelle du règne animal, considérée
comme un rouage important de l’industrie agroalimentaire,
la vache ne bénéficie pas de la compassion des contemporains,
à l’inverse des chiens et des chats, ces animaux de
compagnie qui sont intégrés dans les foyers et font
partie de la famille. Imaginons le scandale, le tollé, voire
le mouvement de révolte qui s’emparerait de leurs maîtres
si l’on se mettait à les supprimer au nom d’une
épidémie quelconque !
L’homme et l’animal : césure radicale ou continuité
ontologique ?
A partir du xixe siècle, le rapport à l’animal
est devenu ambigu, en ce qu’il se caractérise par un
double mouvement contradictoire d’éloignement et de
rapprochement. D’un côté, on constate un emploi
instrumental de certaines espèces et, de l’autre, l’élévation
de certaines autres catégories à un statut privilégié.
D’un côté, la société industrielle
s’est mise à produire en masse et intensivement des
animaux dans le cadre de structures de plus en plus technicisées
et concentrationnaires pour fournir les plus vastes marchés
et nourrir les grandes métropoles. De l’autre, la société
de loisirs s’est mise à idolâtrer quelques espèces,
principalement chats et chiens, élues pour partager l’intimité
de l’espace familial. On exploite d’un côté
et l’on adore de l’autre, comme pour atténuer
un sentiment de culpabilité vis-à-vis de ceux qu’on
fait souffrir et qu’on mange. On soustrait chiens et chats
au monde animal et nous les mettons sur un piédestal, comme
pour mieux masquer l’usage intensif que nous faisons de ce
dernier (Digard 1990). Toutefois, comme le remarque à juste
titre Erikson (1997 : 124), le « dédouanement psychologique
» ou la « mauvaise conscience » ne suffisent pas
à expliquer totalement cette double attitude de l’homme
occidental par rapport à l’animal. Celle-ci relève
plus fondamentalement d’une coupure radicale, dans notre tradition,
entre l’homme et l’animal, qui se traduit par la disjonction
manifestée « entre espèces fournissant de la
viande et espèces apprivoisables », à l’inverse
de ce qui se passe, par exemple, chez les Amazoniens, pour qui existe
une « logique des passerelles ontologiques entre l’homme
et l’animal » 9.
Le sentiment de césure entre l’homme et l’animal
habite depuis longtemps la philosophie occidentale. En lisant son
corpus, Fontenay (1998) montre que la coupure qui met systématiquement
en opposition l’homme et l’animal structure de manière
constante cette tradition. L’animal y apparaît comme
le « contre-modèle qui permet de penser l’humain
dans sa différence », et un usage idéologique
y est fait de l’idée de cette différence : «
L’affirmation d’un propre de l’homme est toujours
en même temps celle d’une supériorité
(sur l’animal) qui lui confère un droit absolu (sur
ce dernier) » (Burgat 1999 : 805). Cet humanisme métaphysique
caractérise également le discours de l’Eglise
sur l’animal. Celle-ci, en effet, admet une nette coupure
entre humains et animaux, une différence de nature qui fait
de l’homme le maître de la nature dont il peut user
librement. Même plus tard, confrontée au darwinisme
et à l’idée de la continuité des espèces,
l’Eglise catholique persistera à voir dans le passage
du corps à l’esprit, spécialement sous son aspect
moral, un « saut ontologique » et à penser qu’aucune
philosophie, fondée sur la continuité de l’homme
et de l’animal, ne saurait fonder la dignité de la
personne humaine. Les tenants du vitalisme et du monisme matérialiste,
eux-mêmes, maintinrent de leur côté l’adhésion
à la philosophie cartésienne, dont leurs découvertes
ruinaient pourtant le fondement, en ne tirant pas les conséquences
de la continuité du vivant sur le plan de la sensibilité.
La césure entre l’homme et l’animal a ouvert
la voie à une réification de celui-ci qui a été
de pair avec la sérialité propre au système
industriel. L’élevage industriel a contribué
à faire de la vache une chose, un « objet »,
un simulacre de vache entièrement programmée. Par
la sélection, le traitement aux hormones et la manipulation
génétique, la vache est rentabilisée au maximum
sous forme de parties de viande. Elle en devient un artefact, un
montage visant à la seule satisfaction des besoins nutritifs
et économiques 10.
Le cannibalisme à l’horizon du mangeur occidental
Mais une telle réification des animaux de rente réussit-elle
à évacuer toute menace cannibale de l’horizon
du mangeur occidental ? En Europe, il est clair qu’on répugne
qu’un animal qui a sa place au foyer finisse dans la casserole.
Chez nous, la chair de chien ou de chat est taboue et sa transgression
suscite le même sentiment que celui que l’on manifeste
face à l’inceste, cet équivalent structural
du cannibalisme. A l’inverse de ce qui se passe dans certaines
sociétés, l’anthropomorphisme prêté
au chien ou au chat interdit sa consommation. Nous nous efforçons
« de séparer radicalement le familier et le comestible,
alors que les Amazoniens sont pour leur part soucieux d’un
juste équilibre entre les deux » (Erikson 1997 : 122).
Ces derniers sont pour un savant dosage entre l’exocannibalisme
(le dehors, la chasse) et l’endocannibalisme (le dedans, le
domestique), entre la continuité et la discontinuité
11, alors que nous considérons, au contraire, l’anthropophagie
comme l’antithèse du lien social et la reléguons
au-delà de notre horizon. Bien à tort d’ailleurs,
car si l’on se penche sur les représentations qui sous-tendent
notre propre consommation de viande, nous pouvons y relever que
l’anthropophagie demeure malgré tout à la limite
de notre alimentation. Notre régime alimentaire est, en effet,
sous-tendu par le même souci de l’équilibre entre
le lointain et le proche. Comme le note Vialles, nous mangeons à
« bonne distance », ni trop loin, ni trop près
: « De notre consommation de viandes sont exclues deux sortes
de semblables : les animaux familiers qui sont, justement, (comme)
de la famille, et ainsi humanisés ; et les carnivores qui,
à ce titre, sont semblables à l’homme carnivore
[…]. On voit que ce choix résulte de la tension entre
deux exigences contraires : d’une part l’exclusion du
(trop) semblable à l’homme, en vertu de l’interdit
de l’anthropophagie ; d’autre part la recherche d’une
similitude, pour restaurer au mieux son propre corps » (Vialles
1998 : 143). Bref, pour suivre les précieuses indications
d’Erikson concernant l’Amazonie, et en les élargissant
à d’autres régions du monde, y compris à
la nôtre, comme nous venons de le voir, on peut avancer que
le caractère anthropomorphe associé à certaines
viandes autorise plutôt qu’il n’interdit leur
consommation et, « poussant le raisonnement un peu loin, on
pourrait même postuler que les sociétés amazoniennes
envisagent l’anthropophagie comme une composante inéluctable
de toute ingestion de venaison, quelle que soit l’espèce
consommée » (Erickson 1997 : 123-124).
Cet imaginaire anthropophagique qui pose quelque part une fusion
identitaire entre le tueur et sa victime 12, non seulement n’est
pas totalement absent de l’univers de l’Occidental,
mais est clairement manifeste dans son rapport avec certains animaux
spéciaux. L’accusation d’anthropophagie, portée
contre l’homme exotique, ce « mangeur de chien 13 »,
pourrait lui être retournée concernant sa propre attitude
vis-à-vis du cochon. Proche des humains, au point que les
porcelets sont admis dans l’espace domestique et portent un
nom, le cochon en Occident est mis à distance au fur et à
mesure qu’il grandit pour être affublé du titre
de « monsieur » et pour finir en « méchant
» le jour où il est mis à mort pour la boucherie
14. La consommation d’un animal aussi proche et familier que
le cochon frise le cannibalisme. Elle développe un sentiment
de honte et de culpabilité qui s’attache bientôt
au cochon lui-même et qu’une association, propre à
la tradition occidentale, identifie au juif accusé d’être
aussi sanguin que lui, comme le montre Fabre-Vassas dans son étude
La Bête singulière. Les juifs, les chrétiens
et le cochon (1994). Par un retournement symbolique saisissant,
le juif – désigné par ce qu’il s’interdit
– accomplit aux yeux de l’Occidental chrétien
l’acte qui est à l’horizon de sa propre pratique,
l’immolation d’un animal aussi familier que le cochon.
La figure du cochon-juif permet au chrétien de conjurer son
propre cannibalisme (le cochon est d’une part traité
comme un enfant de la maison et de l’autre mangé comme
une viande emblématique), et elle lui permet également,
ainsi que le note encore Fabre-Vassas, dans une sorte de miroir
inversé, d’expulser la part originelle de judéité
qui est en lui.
La destruction des bovins et le déclin de la raison sacrificielle
La crise de la « vache folle » a mis à mal la
belle construction d’une mort propre sans victime ni sacrifiant,
sans abus ni excès pour les animaux. Avec la perspective
que l’animal que nous refusions jusqu’ici de tuer en
toute connaissance de cause avait désormais la possibilité
de nous tuer, le bel ordonnancement construit jusqu’ici derrière
les façades cachées des chaînes de production
et des usines d’abattage menace de s’écrouler.
Voilà que la « folie » de la vache qui annonce
une hécatombe du cheptel bovin risque, par contagion, de
nous rendre nous-mêmes fous (c’est l’hypothèse
selon laquelle un lien étroit existerait entre la maladie
de la vache et son équivalent chez l’homme, la maladie
de Creutzfeldt-Jakob). Nous sommes atteints dans notre propre chair,
mais aussi dans notre identité profonde 15.
Après avoir mis le plus de distance entre lui et l’animal
sacrifié, après avoir expulsé les animaux,
notamment sous l’influence du christianisme, « tout
à la fois du sacré divin et de l’intimité
humaine », selon les termes de Fontenay (1998 : 205), l’homme
moderne assiste au retour du refoulé et se trouve obligé,
pour parer à la crise, d’immoler à son tour
non pas une vache, mais un nombre considérable de vaches
! Il est soudain confronté à la nécessité
de détruire des centaines de milliers de vaches, et il doit
en outre faire face à des « sacrifices » financiers
énormes, comme à des dépenses faramineuses
afin d’enrayer l’épidémie. Non seulement
les bêtes vont payer un tribut en devenant cendres 16, mais
les contribuables vont payer, par l’intermédiaire des
compensations monétaires publiques, le prix d’un cheptel
qui va partir en fumée. Il faut payer au nom d’une
logique un peu particulière qui consiste à indemniser
les empoisonneurs sur le dos des victimes, les empoisonnés.
Une logique que la population est loin de toujours comprendre et
d’admettre et qui risque d’aggraver le déficit
de sens qui caractérise notre système de production
économique et nos structures politiques de décision.
Une telle attitude, à vrai dire, est une nouvelle illustration
de la « part honteuse » de notre société,
cette part qui, selon Georges Bataille (1967 [1949]), consiste pour
la société capitaliste industrielle à détruire
d’énormes quantités de biens au nom de la seule
rationalité économique, de la seule loi de l’offre
et de la demande, indifférente aux souffrances des bêtes
et des hommes, et sourde au sens du monde.
Le domaine sacrificiel a fait l’objet de nombreux commentaires,
analyses et controverses, mais tous les chercheurs s’accordent
pour lui conférer une place centrale, bien que diversifiée,
dans toutes les civilisations, traditionnelles autant que modernes.
La plupart des analyses relèvent que les scènes sacrificielles
sont censées établir des rapports privilégiés
avec l’au-delà, contribuer au bon fonctionnement du
cosmos et renouveler le lien social ; que les mythes qui les sous-tendent
se fondent sur l’évocation d’actes ou de meurtres
primordiaux ; et enfin que ces événements constituent
la base de commémorations rituelles, collectives et individuelles.
Le sacrifice aurait toujours un caractère institutionnel
: c’est un fait collectif rassemblant des communautés
entières conscientes d’assister à un événement
primordial ; il est fondé sur un clivage entre profane et
sacré dont il accomplit le passage à travers un certain
nombre de rituels bien réglés et d’acteurs bien
déterminés ; enfin il fait appel à une victime
expiatoire sur laquelle puisse être transférée
collectivement la violence du groupe. Dans cette configuration,
les sacrifices d’animaux « reçoivent une fonction
alimentaire ou communielle et une fonction expiatoire » (Fontenay
1998 : 207), et leur structure consiste à mettre en place
« la possibilité d’une mise à mort non
criminelle en fondant l’autorisation de tuer les animaux »
(Burgat 1999 : 811).
Qu’en est-il de cet imaginaire et de cette pratique dans
la société moderne ? Le sacrifice devient-il purement
symbolique, comme le prétend une lec-ture évolutionniste,
marquée par le biais chrétien 17 ? Perd-il son caractère
sacré, sauf lorsqu’il s’agit du « sacrifice
moral » pour sauver la patrie ou pour accomplir le bien collectif,
ces valeurs constitutives de notre modernité ? Une chose
est en tout cas certaine : la société moderne abhorre
la violence et les manifestations sanglantes contenues dans le sacrifice.
Celles-ci heurtent sa sensibilité. Cette attitude a priori
a conduit les modernes à oublier et à effacer les
autres facettes qui accompagnent le phénomène sacrificiel,
pour ne retenir que sa « barbarie » et son caractère
« diabolique ». Ce faisant, ils accentuent la distance
vis-à-vis des autres, relégués dans un temps
ancien jugé dépassé par rapport au progrès
civilisationnel accompli par l’Occident, escamotant du coup
la propre violence de notre société, la violence fondatrice
de l’ordre capitaliste moderne.
Contrairement au sacré, qui neutralise et expulse la violence
au-dehors, la rareté économique capitaliste incorpore
et emprisonne la violence en excluant les hommes. Dumouchel et Dupuy
affirment que « la rareté est construite par le rejet
des obligations traditionnelles de solidarité, par l’abandon
de chacun à son propre sort » (1979 : 198). Cette extériorité
des membres de la société transformerait potentiellement
tous les individus en victimes sacrifiables. La violence ne disparaît
pas de notre univers, mais elle se déplace, se tapit sournoisement
dans l’intériorité des individus et tourne au
ressentiment. L’indifférence généralisée
fait surgir des sacrifiés, que la société a
elle-même sacrifiés par son indifférence. Comme
le note Armengaud (1998 : 880-881), « on “dissimile”
certains individus ou certains groupes de l’humanité.
[…] Parfois la dissimilation est favorisée par un fait
de disparité socio-économique, comme la condition
de pauvreté sans défense […] ».
Dès lors, on peut repérer plusieurs catégories
de sacrifiés que notre société fabrique : outre
les pauvres, les asociaux, les immigrés, les vieux, etc.
Il faut fabriquer des « coupables » qu’il n’est
pas nécessaire de tuer, mais qu’il faut au contraire
maintenir pour assurer « l’équilibre de la masse
», l’équilibre général. Ces êtres
sacrifiés font en effet partie de la communauté, mais
ils s’en distinguent « par une qualité de légère
extériorité, par un type de rapport qui exclut le
risque de vengeance », comme le note Pétonnet dans
l’analyse qu’elle fait des habitants des banlieues défavorisées
en tant que « catégorie sacrifiable » (1979 :
251 et 252) 18. Ainsi, notre société a également
ses victimes expiatoires, des victimes assez proches de la communauté,
mais suffisamment en marge, pour que le transfert collectif de la
violence s’effectue.
La destruction des bovins, à la suite de la maladie de la
« vache folle », se fait également au nom de
l’équilibre général. La victime est ici
rendue responsable de l’accident survenu, elle est chargée
de toute l’impureté de l’épidémie
que l’on tente d’éliminer en même temps
que l’animal. Mais cette vache bouc émissaire n’est
cependant qu’une fiction, une réalité désincarnée
: de corps, elle est devenue viande, d’être animé
elle est devenue unité de gros bétail (UGB) dont on
estime le poids et évalue le prix. La fiction de la vache
exprime l’indifférence à la souffrance de notre
système économique et sa capacité à
éliminer pour mieux relancer la machine. Voici, en effet,
un marché, régissant tous les secteurs de l’économie
et de la société, poussant au productivisme le plus
forcené et à la concurrence la plus féroce,
qui par ses excès mêmes a produit la maladie de l’encéphalopathie
spongiforme bovine, mais qui dans un retournement spectaculaire
accuse la vache d’être à l’origine de la
maladie 19. Aussi a-t-on pris très vite l’habitude
de parler de la « maladie de la vache », mais jamais
des ratés d’une rationalité économique
obnubilée par ses seuls gains, d’un complexe agro-industriel
qui joue à l’apprenti sorcier en transcendant la barrière
des espèces.
Nous accusons la vache de déraison, laissant supposer que
l’homme y échappe. Il n’est pas jusqu’aux
termes utilisés qui ne marquent ce parti pris : à
l’affectation de la vache, on associe la « folie »,
l’« insanité », alors qu’à
celle de l’homme, on associe un terme portant le nom de deux
savants, ceux de Creutzfeldt-Jakob. En passant de la vache à
l’homme, la « folie » animale s’humanise
et se décline scientifiquement. La bête et le fou sont
relégués dans l’ordre de l’animalité
pure, dans le désordre d’une nature dont nous ne serions
pas responsables. Alors que le terme de vaccine, proposé
en 1801 – pour désigner la préparation du virus
de la vaccine (variole de la vache) qui, inoculé à
l’homme, le préserve de la variole –, supposait
un passage positif de la vache à l’homme, le langage
actuel exprime la situation inverse : le passage de la vache à
l’homme est ressenti comme une agression insupportable le
renvoyant dans l’ordre animal. Ou peut-être le terme
de « folie » renvoie-t-il plutôt à la proximité
que nous ne manquons pas de toujours ressentir avec la vache, à
la conviction que la vache appartient encore à notre société
et que sa folie relève de notre propre pathologie ? La caractérisation
de la « vache folle » ne renverrait-elle pas finalement
à un anthropomorphisme inconscient qui identifie la vache
à l’homme et réciproquement. La « vache
à lait » nourricière est en effet une figure
maternelle par excellence, mais voilà qu’en la sortant
de son rôle bienfaiteur on l’a transformée en
une mauvaise sorcière, en une dangereuse créature
dont la fréquentation et la consommation recèlent
tous les dangers, toutes les terreurs.
La scène sacrificielle moderne se présente de la
manière suivante : le productivisme effréné
de notre système soumet des millions de créatures
(bovins, ovins, gallinacés, porcins) à des régimes
hautement stressants et toxiques, afin d’alimenter l’énorme
masse de consommateurs que nous sommes et la machine économique
qui régit nos besoins et nous impose son univers d’objets,
et quand cette énorme machine est grippée et que ces
millions de créatures succombent aux traitements qu’elles
subissent, on les brûle afin de pouvoir recommencer le cycle,
après avoir fait payer aussi le prix aux citoyens contribuables.
Cette manière de traiter les bêtes rappelle plutôt
la logique des génocides modernes planifiés par une
raison bureaucratique froide et tatillonne, corsetée dans
un appareillage juridico-politique rigide et légaliste, qu’elle
n’a affaire avec l’holocauste antique. Dans l’holocauste
antique, la victime était nécessairement un animal
et le sacrificateur, un prêtre. Ces deux figures, même
comprises au sens figuré, à l’évidence
sont absentes des génocides contemporains. Les nazis voulaient
certes réduire leurs victimes à des bêtes, mais
serait-il légitime d’assimiler les bourreaux à
des prêtres ? Et peut-il s’agir de sacrifice là
où il n’y a pas d’intention sacrificielle ? Enfin,
le sacrifice humain d’Abraham n’était-il pas
le sacrifice consenti en totale communauté intentionnelle
par Isaac ou Ismaël 20 ? Si le génocide des victimes
du nazisme participe de l’indicible, c’est justement
qu’il est difficile de lui associer une signification, de
lui trouver une raison sacrificielle au sens habituel du terme.
Comme le souligne Vidal-Naquet (1993 : 83-84), « l’histoire
de la destruction des Juifs et des Tziganes n’est pas quelque
chose dont les nazis se sont vantés. En un sens, ils en étaient
fiers, mais ils ont eu conscience que c’était quelque
chose de tellement exceptionnel qu’ils devaient le dissimuler,
non seulement aux victimes, […] mais vis-à-vis du peuple
allemand et vis-à-vis d’eux-mêmes ». De
nouveau, nous pouvons introduire ici un parallèle entre les
camps d’extermination nazis et les abattoirs industriels modernes
dans leur volonté de masquer les tueries. Comme les abattoirs
pour animaux, les chambres à gaz « ont été,
à la fois, l’arme du crime et l’instrument de
la négation du crime. Il n’y a là aucun paradoxe,
puisque les chambres à gaz sont un instrument de meurtre
anonyme. Personne n’est responsable. Personne n’est
un meurtrier ». Il n’y a pas jusqu’au terme de
« traitement spécial » (Sonderbehandlungen),
pour désigner les exécutions par chambre à
gaz, qui ne souligne cette dénégation.
Or, face à la destruction massive des bêtes que nous
pratiquons aujourd’hui pour des raisons économiques
ou sanitaires, nous n’hésitons pas à user abusivement
du langage de l’holocauste. C’est ainsi que s’agissant
de la mévente des veaux, à la suite de l’apparition
de l’ESB, les autorités européennes ont envisagé
un vaste plan de suppression des veaux qu’ils ont baptisé
du nom de « prime Hérode », allusion au gouverneur
romain de Judée qui fut chargé de massacrer tous les
nouveau-nés contemporains de la naissance du Christ. Mais
est-ce vraiment « Hérode [qui] sévit dans les
étables 21 » ou est-ce la pure nécessité
économique qui est à l’origine de l’élimination
des veaux, considérés comme quantité négligeable,
simples sous-produits de la machine économique 22 ? Hérode
voulait empêcher l’apparition du Sauveur, Agneau de
Dieu qui allait se laisser immoler pour payer la dette des hommes,
mais à quoi était destinée la « prime
Hérode » ? Etait-elle censée empêcher
les veaux de subir le régime concentrationnaire auquel les
bovins sont soumis, ou visait-elle à les éliminer
pour rétablir l’équilibre de la machine et produire
de nouvelles victimes plus aptes à sauver le système
économique ?
Le bûcher de bovins annoncé ne sera pas rédempteur,
ni ne permettra de reconstituer du sens. Nous restons, si j’ose
dire, sur notre faim concernant l’identité de ce que
nous mangeons. Ce faisant, nous n’échappons pas à
ce que nous avons renvoyé au temps des superstitions : le
sacrifice (il y a longtemps que la boucherie n’entretient
plus de rapports avec les dieux ou avec Dieu) ; au fait que l’absence
d’une relation directe avec l’animal est perturbatrice
de l’identité, que la transgression de certains tabous
peut être mortelle. Ainsi, semble-t-il, du fait de manger,
ou de donner à manger aux vaches, de la « viande morte
», celle provenant de carcasses ou de déchets d’animaux,
dont le sang n’a pas été versé pour les
« désanimer ». A la prescription du Deutéronome
(XIV, 21) : « Vous ne pourrez manger aucune bête crevée
», il faudrait peut-être ajouter le conseil suivant
: « Vous ne donnerez pas à manger de la viande étouffée
à vos vaches, ni de la viande tout court. »
L’autophagie généralisée du système
L’objet du scandale dans la « vache folle » n’est
pas tant la maladie en elle-même ou sa transmission à
l’homme que le mode autophagique à base de farines
de viande et d’os (FVO) provenant de sa propre espèce
et d’autres espèces d’animaux. L’homme
a créé la pandémie et y contribue par la connexion
généralisée qu’il réalise entre
les espèces. Avec la transformation de la vache herbivore
en carnassière, l’anthropophagie revient hanter les
consciences. La panique face à la « vache folle »
renvoie inconsciemment à l’imaginaire du cannibalisme,
cette pratique-limite à travers laquelle une société
expérimente, pour un instant et afin de mieux l’exorciser,
les abîmes de son annihilation.
Les modernes ont toujours eu une forte propension à stigmatiser
le cannibalisme, le considérant comme une expression de la
sauvagerie. Or, lorsqu’on se penche sur la pratique contemporaine
de l’autophagie, on s’aperçoit que celle-ci manifeste
des aspects plus inquiétants et plus destructeurs que la
pratique exotique du cannibalisme. Si l’une peut apparaître
humaine (elle permet d’organiser et d’articuler l’espace
du dedans et du dehors, du pur et de l’impur, de l’étranger
et du semblable 23), l’autre emprunte une voie inédite
jusqu’ici. Elle relève tout d’abord d’une
logique de la dissociation entre celui qui ingère et celui
qui est ingéré (pensons notamment au rapport très
lointain et purement instrumental que nous entretenons avec les
animaux que nous mangeons). Elle relève ensuite d’une
autophagie généralisée qui touche tout le monde
vivant et tous les ordres de la société.
Aujourd’hui, l’industrie et le commerce des organes
et des substances animales, la greffe des organes aussi bien humains
que d’origine animale, le génie génétique,
la manipulation des protéines animales marquent l’interconnexion
généralisée à l’intérieur
d’une espèce et entre les espèces, et bouleversent
bon nombre de représentations symboliques s’agissant
de notre relation au règne animal et végétal
et à l’ordre social et culturel. Le caractère
autophagique de notre système actuel tient à cet effet
de retour sur soi, de plus en plus prégnant, à cette
tendance toujours plus profonde à l’autodestruction.
En plaçant l’homme dans le circuit de l’utilitaire
et du recyclable, la société utilitariste le transforme
en une ressource consommable comme les autres. Les éléments
du vivant deviennent des choses, et parmi ces choses, on compte
non seulement les animaux mais aussi bien l’homme, ses organes,
son sang.
L’interconnexion entre les espèces ne peut se faire
sans conséquences. La greffe sur l’homme d’organes
provenant d’autres espèces animales, par exemple, a
inévitablement un effet sur le mode de pensée. Il
faut trouver nécessairement une place à l’intérieur
de notre humanité à l’animal dont l’organe
est greffé. Ce dernier fera désormais partie de notre
identité. De la même façon, la question est
de savoir ce qui se passe aujourd’hui dans notre imaginaire
quand on s’accorde pour recycler le placenta humain dans l’industrie
du cosmétique, ou quand on apprend que des cliniques fournissent
du placenta humain à l’industrie agroalimentaire qui
l’incorpore aux farines animales ? L’effet symbolique
de telles pratiques, pour être négligé par la
raison utilitariste, n’en est pas moins réel et il
devient urgent de le traiter en conséquence.
La pensée utilitariste se représente l’autophagie
(les farines animales, les greffes d’organes, les produits
cosmétiques à base de déchets humains, etc.)
comme la solution rationnelle à nos problèmes. Le
nourrissage des animaux à viande par des déchets d’animaux
de la même espèce a été considéré
comme le moyen le plus économique pour éliminer les
déchets carnés. En fait, notre société
moderne est la seule dans l’histoire à avoir pensé
« utile » la dévoration de l’espèce
par elle-même et des espèces entre elles. L’appréhension
commune du cannibalisme exotique rapporté à une simple
raison alimentaire dont le but serait pour certaines populations
de compenser leur carence en protéines (telle est l’analyse
proposée par l’anthropologue américain M. Harris
1979) est en quelque sorte l’aveu de cette pensée utilitariste.
Cette analyse néglige la dimension symbolique et rituelle
du cannibalisme dans les sociétés exotiques (avant
d’être un acte de manducation, celui-ci est d’abord
une « catégorie bonne à penser 24 »).
Elle décrit en creux notre propre société capitaliste
et rationnelle, qui semble fonctionner essentiellement sur le registre
de la violence permanente. Une société qui a inauguré
un cycle infini de destruction et de recyclage généralisé
qui transcende les espèces et les ordres, et qui ne se préoccupe
pas du sens qui nous lie à toutes ces entités.
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Notes
1Selon Vialles : « La transitivité des assimilations
conduit à voir dans le vivant le plus semblable à
soi l’aliment le plus propre à restaurer ses forces
» (1998 : 142).
2Identifié en 1996, le nouveau variant de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob ou nv-MCJ est une forme inédite de la MCJ,
encéphalopathie spongiforme humaine connue depuis longtemps.
Le nv-MCJ est dû à une contamination par l’agent
infectieux de la vache folle. Le nv-MCJ, comme l’encéphalopathie
spongiforme bovine, comme la tremblante du mouton, est une dégénérescence
cérébrale fatale, d’incubation très lente,
transmissible par un agent infectieux énigmatique. En 1999,
on comptabilisait 41 décès dus à la nv-MCJ,
dont 40 en Grande-Bretagne et 1 en France.
3Voir, par exemple, l’Encyclopædia Universalis qui
admet que le terme « se dit d’un animal mangeant les
animaux de sa propre espèce ».
4Les anthropologues américanistes, par exemple, ont bien
montré comment la chasse obéit à un devoir
de réciprocité à l’égard de l’animal
et à de strictes règles concernant sa mise à
mort et la consommation de sa viande (Descola 1999, Hugh-Jones 1996,
Feit 2000). Dans un tout autre contexte, celui du monothéisme
sémitique, la chasse est également réglée
– comme dans l’islam où elle n’est autorisée
qu’à condition de maintenir la fiction d’une
mort canonique, c’est-à-dire d’une mort donnée
par effusion de sang (Benkheira 1998) –, voire totalement
interdite – comme dans la tradition juive où elle «
renvoie au personnage d’Esaü, symboliquement associé
au sang qu’il verse en dehors de tout rituel » (Nizard-Benchimol
1998 : 49).
5Voir à ce propos l’étude de Vialles (1988).
6Elisabeth de Fontenay a, de ce point de vue, bien mis en exergue,
dans son livre Le Silence des bêtes. La philosophie à
l’épreuve de l’animalité (1998), le silence
dans lequel se trouvent emmurées les bêtes menées
à l’abattoir, qu’elle compare au destin qui a
été réservé aux hommes dans les camps
d’extermination, faisant ainsi écho à des écrivains
comme Isaac Bashevis Singer, Elias Canetti ou Primo Levi, qui dénoncèrent,
à partir de l’obsession de l’abattoir, la même
souffrance muette par laquelle passent les animaux et les hommes.
7Par contraste, dans l’abattage rituel juif, « la suppression
de la vie animale et la consommation carnée par l’homme
[continuent d’]être un acte de sanctification, [un acte
d’]élévation de l’un et de l’autre
» (Nizard-Benchimol 1998 : 50). Quant à l’islam,
qui pratique encore directement le sacrifice sanglant à travers
l’Aïd-el-Edha (fête du sacrifice), il manifeste
par cet acte une parenté entre l’homme et l’animal,
permettant de substituer l’un à l’autre, à
l’image de ce qui se produisit avec Abraham et son fils.
8Il n’est pas inutile de relever ici qu’un tel traitement
de l’animal passe généralement en Europe pour
être moins cruel que la technique de l’égorgement
dans l’abattage rituel musulman. Un point de vue que ne partagent
pas, bien sûr, les musulmans qui considèrent leur façon
de faire comme plus soucieuse du bien-être de l’animal
et qui voient de l’« hypocrisie » dans la méthode
consistant à faire semblant de ne pas tuer l’animal.
9C’est ainsi, par exemple, que les Chuar se représentent
« les animaux chassés comme des affins », et
c’est « cette catégorie générique
de l’affinité qui [sert] de gabarit mental pour conceptualiser
la relation au gibier » (Descola 1999 : 39). Une telle philosophie,
en clarifiant les droits et les devoirs vis-à-vis des animaux,
permet de résoudre le « malaise conceptuel »
face à leur mise à mort et à leur consommation.
10Certes, la vache peut encore occuper une place privilégiée
dans certaines franges de notre société. En témoigne
le travail de deuil auquel doivent faire face aujourd’hui
beaucoup de producteurs qui vivent un véritable traumatisme
chaque fois qu’il s’agit de se défaire d’une
ou de plusieurs vaches victimes de l’ESB, comme la résistance
active manifestée par certains face à l’élimination
de leurs bêtes.
11On pourrait ici assimiler le comportement des Amazoniens vis-à-vis
des animaux qu’ils chassent et qu’ils mangent à
celui des cannibales vis-à-vis de leurs ennemis. Selon Guille-Escuret
(2000 : 202), en effet, « les cannibales peuvent adopter ceux
qu’ils peuvent manger : ils ont conscience de consommer leurs
pareils. L’ennemi y est proie, on échange avec lui
les vivants et les morts, les femmes et les hommes, les adultes
et les enfants. On l’intègre ou on le consomme ».
Dans les deux situations, nous avons affaire à une logique
de l’assimilation et de l’absorption, ce qui n’est
pas le cas chez les « civilisés » qui n’envisagent
une telle relation ni avec leurs ennemis hommes ni avec les animaux,
qu’ils soient familiers, domestiques ou de chasse. L’Européen,
en effet, ne mange sûrement pas son animal de compagnie et
il est très rare qu’il entretienne une relation proche
avec les animaux qu’il mange.
12Erikson précise, en effet, que la proximité ontologique
préexistant entre l’homme et l’animal, comme
si elle ne suffisait pas, « se voit encore renforcée
par une logique de la fusion identitaire du tueur et de sa victime,
fusion découlant du principe fort répandu en Amazonie
selon lequel tout meurtrier se confond avec sa victime par le biais
du sang qu’il absorbe symboliquement en la tuant » (Erikson
1997 : 123-124).
13A l’époque des grandes colonisations, les Européens
étaient convaincus du caractère barbare des populations
qui mangeaient le chien, les assimilant à des tribus cannibales.
C’est ainsi qu’un naturaliste anglais de la fin du xixe
siècle s’étonnait du fait que les Aborigènes
australiens traitent le dingo à la fois comme un animal domestique
et un animal de boucherie, attribuant cette « anomalie »
au cannibalisme pratiqué dans la région (Millet 1995
: 82). Or, un tel « scandale » ne pouvait l’être
qu’aux yeux des Européens qui ne comprenaient pas que,
d’un système culturel à l’autre, des logiques
différentes puissent présider aux rapports entre l’homme
et l’animal. Dans certaines sociétés exotiques,
comme celles de Hawaii, par exemple, le chien, bien qu’animal
familier fréquentant l’espace intime, était
aussi un mets délicieux, voire un mets des dieux que l’on
élevait pour le sacrifier. Cette attitude marque bien, comme
nous le relevions plus haut, la proximité ontologique entre
l’homme et l’animal dans certaines sociétés.
14La sensibilité moderne, dans son souci de ne retenir que
l’aspect valorisé du cochon, a su effacer des représentations
le porc vil et grossier pour le remplacer par la figure du petit
porcelet éternellement rose, jeune, joyeux et agréable,
à l’image de l’adorable enfant choyé et
chéri des familles modernes. Or, il n’y a pas si longtemps
dans les campagnes européennes, il fallait particulièrement
déshumaniser le cochon afin de l’abattre sans remords
ni culpabilité. Ainsi, c’est le statut ambigu du cochon
(animal familier que l’on mange) qui expliquerait, selon Leach
(1980), la puissante charge d’injure qui lui est associée
et le ferait participer de l’univers du sacré et du
tabou.
15Nous pourrions dire, toutes proportions gardées, que nous
avons pris en mangeant de la vache « cannibale » les
mêmes risques – inconsciemment bien sûr –
qu’ont pris les Fore de Nouvelle-Guinée en mangeant
– aussi inconsciemment – la cervelle de leurs morts.
A l’issue de sa recherche sur le terrain chez les Fore, Glasse
(1968) a, en effet, fortement postulé que la consommation
de la cervelle humaine, à travers la pratique du cannibalisme
des morts, serait à l’origine de la propagation dans
cette population d’une maladie neurologique qui ressemble
à la maladie de Kreutzfeldt-Jakob. Gajdusek, virologue, a
également effectué une recherche épidémiologique
dans la région et est arrivé aux mêmes conclusions.
16Il est prévu, à l’échelle de l’Europe
communautaire, l’abattage d’au moins deux millions de
vaches, selon la décision d’un Conseil agricole européen
tenu le 4 décembre 2000. L’abattage en question concerne
les animaux âgés de plus de 30 mois et sa raison principale
est « un soutien exceptionnel en faveur du marché de
la viande bovine » (voir Libération du 24 janvier 2001).
17La révélation chrétienne se réclame
d’un transfert du sacrifice sanglant au domaine symbolique.
Avec la figure du Christ, Agneau de Dieu qui incarne une victime
innocente, parce qu’il se laisse immoler pour payer la dette
des hommes, prendrait fin le schéma classique du bouc émissaire.
Dans le mythe chrétien, la fondation sacrificielle de l’humanité
est coextensive au sacrifice du « fils de Dieu ». Le
sacrifice du Christ rend par là même métaphoriques
tous les anciens sacrifices animaux. Il désigne désormais
le « sacrifice de soi ». Ce point de vue est particulièrement
partagé par R. Girard, auteur de La Violence et le sacré
(1972).
18Pétonnet (1979 : 252) rapporte ainsi les propos d’une
habitante des banlieues : « Pourquoi ils nous laissent comme
ça ? Ils le font exprès, c’est pas possible
autrement. Il leur faut une classe juste un peu au-dessus des clochards.
– Mais qui “Ils” ? Le gouvernement ?
19Comme de dire, par exemple, à propos des SDF (sans domicile
fixe), que c’est le froid qui les tue et non la misère
de notre société ! (« Un SDF trouvé mort
de froid », « La nuit dernière, le froid a encore
tué un SDF » titrent de temps en temps les journaux.)
20Voir l’article de Kochmann (1990).
21Expression utilisée dans le journal Le Monde et rapportée
par Brisebarre (1997 : 205).
22Lors de la nouvelle affaire de la « fièvre aphteuse
» qui a éclaté au mois de février 2001
en Grande-Bretagne, ce pays a décidé d’abattre
environ 800 000 à 1 million de têtes de bétail
afin d’empêcher la diffusion du virus. Selon les spécialistes,
une vaccination généralisée de tous les animaux
cibles serait parfaitement efficace pour arrêter l’épidémie.
Mais cette politique serait très onéreuse, non pas
à cause du coût des vaccins, mais de ses effets sur
les exportations britanniques. Les pays réputés indemnes
de fièvre aphteuse refusent d’importer des animaux
provenant de pays qui ont pratiqué la vaccination préventive.
Ainsi, et malgré la forte émotion que suscite, encore
une fois, la destruction massive d’animaux auprès de
la population, la question continue à être uniquement
posée en termes économiques de coûts et de bénéfices.
23L’anthropophagie exotique est une logique de l’assimilation
plutôt que de la disjonction. Comme le remarque Erikson à
propos des sociétés amazoniennes, « l’on
s’assimile à tout ce que l’on tue, [et] on ne
mange que ses semblables […]. En Amazonie, on tempère
son anthropophagie plutôt qu’on ne la nie et on mange
comme on se marie : ni trop près, ni trop loin » (1997
: 124).
24Voir Kilani 1996.
Notes de bas de page astérisques :
* Ce texte a été en partie présenté
au séminaire annuel de la Société suisse d’ethnologie
tenu à Berne le 12 décembre 1999 sur le thème
de « Ordre, risque et menace ». Que ses participants
soient ici remerciés pour leurs remarques. Mes remerciements
vont également à Claude Calame et Marianne Kilani
pour leur lecture critique du manuscrit et leurs nombreuses suggestions.
Pour citer cet article
Référence papier
Kilani M., 2002, « Crise de la "vache folle" et
déclin de la raison sacrificielle », Terrain, n°
38, pp. 113-126.
Référence électronique
Mondher Kilani, « Crise de la « vache folle »
et déclin de la raison sacrificielle* », Terrain, Numéro
38 - Qu'est-ce qu'un événement ? (mars 2002) , [En
ligne], mis en ligne le 6 mars 2007.
URL : http://terrain.revues.org/document1955.html
Mondher Kilani
Université de Lausanne
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