Origine : http://www.cnam.fr/lipsor/dso/articles/fiche/smilgramsoumautor.doc
REDSLOB LUDIVINE
MASTER CMA « ETUDES ET RECHERCHE »
SEMINAIRE Y.PESQUEUX
ANNEE 2005-2006
TABLE DES MATIERES
1.INTRODUCTION
2.BIOGRAPHIE DE L’AUTEUR
3.QUESTIONS POSEES PAR L’AUTEUR
4.POSTULATS
5.HYPOTHESES
6.MODE DE DEMONSTRATION
a)Méthodologie
b)Cheminement de la pensée
7.RESUME
a)Prévisions de comportement
b)Expériences
c)Témoignages
d)Explications
e)Objections à la méthode
8.COMMENTAIRES
9.ACTUALITE DE LA QUESTION
10.BIBLIOGRAPHIE COMPLEMENTAIRE
1. INTRODUCTION
2.
Au cours d’un stage au ministère de la défense,
une anecdote a éveillé mon attention sur les thèmes
du pouvoir et de la soumission à l’autorité.
Alors que je me trouvais dans une réunion sur la Loi Organique
Relative aux Lois de Finances, en compagnie de quelques commandants
et généraux, une situation de tension naît au
sujet d’un choix comptable. Un commandant « quatre galons
», diplômé d’une grande école en
Finance, suggère une solution qui constituait aux yeux des
quelques personnes compétentes en la matière, la seule
issue viable au problème. Cependant, cette situation impliquait
quelques sacrifices et notamment aux plus haut gradés. Ces
derniers firent donc taire ce commandant. Persuadé d’avoir
proposé la meilleure solution pour l’armée,
ce dernier se permis tout de même d’insister mais très
vite, il prit partie de se dérober. Pourquoi donc a-t-il
choisi de se muer alors qu’il lui était possible de
prouver à ces hommes, par de simples calculs, que sa proposition
était la meilleure pour l’ensemble de l’armée
?
Ce type d’attitude est finalement banal. Qu’il s’agisse
de l’armée ou d’une entreprise quelconque, les
subordonnées laissent toujours le dernier mot à leurs
supérieurs, qu’ils approuvent ou non leurs choix. Les
patrons quant à eux n’ont aucun scrupule à affirmer
qu’ils sont seuls compétents pour décider de
ce qui est le meilleur pour l’organisation.
Cette fois cependant, la situation m’a interpellée
car elle mettait en jeu des sommes d’argent faramineuses.
Optimiste, j’ai pensé que si aucune des personnes compétentes
en comptabilité n’était intervenue c’est
parce que finalement ce n’était « que d’argent
» dont il était question. Mais alors, qu’en serait-il
de cette obéissance si la vie d’hommes, de femmes,
d’enfants était remise en cause ? L’obéissance
à l’autorité longtemps prônée comme
une vertu, revêt en effet un caractère différent
quand elle est au service d’une cause néfaste.
C’est dans cet esprit que j’ai commencé des
recherches bibliographiques sur les thèmes du pouvoir et
de l’autorité. De Foucault à Crozier et Friedberg,
en passant par Weber ou Xenophon, de nombreuses théories
du pouvoir fascinantes ont été développées.
Mais ce qui n’était pas approfondi dans la littérature,
je l’ai trouvé chez Stanley Milgram : pourquoi les
individus se soumettent-ils à l’autorité ? Dans
quelle mesure, un individu quelconque est-il capable de faire souffrir
un semblable par simple soumission à l’autorité
? Comment un individu peut-il concilier les impératifs de
ses supérieurs avec la voix de sa conscience ?
Les réponses apportées à ces questions par
Stanley Milgram sont inquiétantes. Chez nombre d’individus
l’obéissance l’emporterait sur la formation en
matière d’éthique, d’affectivité,
et de règles personnelles de conduite. C’est à
la lumière de ces observations que l’auteur tente de
comprendre les mécanismes en jeux dans le processus de soumission
à l’autorité.
3. BIOGRAPHIE DE L’AUTEUR
4.
Stanley Milgram (1933-1984) fut un psychologue social de l’université
de Yale.
Etudiant en science politique jusqu’en 1954, il décide
par la suite de se lancer dans une thèse en psychologie sociale
à l’université de Harvard. Très inspiré
par les travaux de son mentor, Solomon Asch, sur les effets du groupe
sur l’individu, Stanley Milgram se lance dans une recherche
sur la soumission des hommes à l’autorité. L’éthique
de ses expériences est cependant remise en cause si bien
que l’Association américaine de Psychologie suspend
son adhésion. Il fera tout de même connaître
son expérience en 1963 et publiera « Obedience to Authority
» en 1974. Il est ensuite traduit dans de nombreuses langues.
Ses écrits fascinent et soulèvent de nombreuses controverses.
En 2004, Thomas Blass entreprend ainsi de rédiger un livre
en sa mémoire « The Man Who Schocked the World : The
Life and Legacy of Stanley Milgram ». Par ailleurs, de nombreuses
revues de psychologie ont été consacrées à
cette expérience.
Une autre de ses théories le rendra célèbre
: celle « du petit monde ». En 1967, Milgram entreprend
en effet une expérience originale, il essaye de démontrer
que tout être humain peut assez facilement être relié
à un autre être humain par une chaîne ou une
autre de relations sociales. Il n’y aurait ainsi qu’au
plus 6 intermédiaires entre deux individus quels que soient
leur emplacement dans le monde. Avec le développement des
nouvelles technologies, Internet notamment, cette théorie
a pu être prouvée sur un plus large échantillon.
5. QUESTIONS POSEES PAR L’AUTEUR
6.
Ce livre a pour ambition d’étudier le comportement
des hommes placés au centre d’une opposition entre
leur conscience et l’autorité. Comme nous venons de
l’exposer, le protocole expérimental a donc été
conçu de manière à retranscrire le plus fidèlement
possible ce type de conflit. De ce point de vue, la situation de
laboratoire a eu les effets escomptés : alors que l’expérimentateur
enjoint au sujet de continuer, celui-ci éprouve une réelle
souffrance qui l’incite à arrêter. Seule la rupture
avec l’autorité permettra à l’individu
de se libérer de ce dilemme. Mais, quand et comment cette
séparation va-t-elle se produire ? Telle est la question
initiale à laquelle Stanley Milgram voulait répondre.
Les résultats inquiétants et inattendus auxquels
il est parvenu ont cependant nécessité une refonte
de sa problématique. En effet, même si beaucoup de
sujets éprouvent un stress considérable au cours de
l’expérience et expriment leur désaccord, une
proportion importante d’individus continuent tout de même
à administrer les chocs. « La découverte majeure
de cette étude est donc cette propension extrême des
adultes à se soumettre à l’autorité ».
Mais qu’est ce donc qui les contraint à obéir
? C’est la question à laquelle Stanley Milgram tentera
de répondre dans la seconde partie de son ouvrage. Pour cela,
il articulera son analyse autour des sept questions ci-dessous :
- Comment expliquer que la soumission à l’autorité
soit un trait constant et prédominant de la condition humaine
?
-
- Quelles sont les conditions requises pour qu’un individu
passe de l’état autonome à l’état
agentique ?
-
- Une fois ce changement survenu, quelles en sont les répercussions
sur les traits comportementaux et psychologiques de l’individu
?
-
- Pourquoi certains sujets désobéissent ?
-
- Qu’est ce qui contraint l’individu à demeurer
dans l’état agentique ?
-
- Quels sont les mécanismes qui permettent la résolution
de la tension ?
-
- L’agression est elle à l’origine du comportement
des sujets obéissants ?
-
7. POSTULATS
8.
- La soumission à l’autorité est un trait constant
et prédominant de la condition humaine.
-
- Toute autorité suppose une volonté et une capacité
à obéir.
-
- Tout individu a la liberté d’accepter ou de rejeter
les diktats de l’autorité.
-
- Toute autorité doit être légitime pour être
efficace
-
- Le comportement de l’individu a été modelé
au cours de générations successives par les exigences
de la survie de l’espèce
-
9. HYPOTHESES
10.
Comme nous l’avons souligné dans une partie précédente,
la principale question de ce texte est la suivante : « qu’est
ce qui contraint les individus à obéir ? ».
Après avoir testé divers types de variables qui pourraient
influer sur la soumission à l’autorité, l’auteur
déduit de son étude, qu’il existe très
peu de phénomènes qui incitent l’homme à
désobéir. Il émet ainsi les hypothèses
suivantes quant aux raisons qui pourraient favoriser la docilité
:
- Comment un individu honnête et bienveillant par nature
peut-il faire preuve d’une telle cruauté envers un
inconnu ? Quand un individu fonctionne à l’intérieur
d’un mode organisationnel, il n’évalue pas les
directives issues de l’agent coordonnateur en se référant
aux critères de son code moral personnel ; ceux-ci ne réglementent
et contrôlent ses pulsions instinctuelles que lorsqu’il
fonctionne de façon autonome. Stanley Milgram pense donc
qu’une modification interne doit être apportée
à tout élément pour qu’il puisse s’insérer
avec succès dans une hiérarchie. Il doit être
dans « l’état agentique ».
-
- Une fois converti, l’individu devient un autre être,
présentant des aspects nouveaux qu’il n’est pas
toujours facile de relier à sa personnalité habituelle.
Toute la série d’actions que le sujet exécute
se trouve entièrement conditionnée par sa relation
avec l’expérimentateur.
-
- Il faut nécessairement qu’il existe des forces qui
maintiennent l’individu dans l’état agentique
pour qu’il continue de se soumettre à l’autorité.
-
- L’explication morale ne convient pas pour comprendre le
phénomène de désobéissance. C’est
davantage une forme de tension qui pousse le sujet à se rebeller.
-
- L’agression n’est pas à l’origine du
comportement des individus. Car, il semblerait que l’obéissance
soit caractérisée par le fait que l’acte accompli
ne correspond pas aux mobiles de son auteur, mais à son origine
dans le système de motivations des individus plus haut placés
dans la hiérarchie sociale. Si on ordonne à un individu
de boire, il le fera, il ne faut pas pour autant en déduire
qu’il a soif.
-
11. MODE DE DEMONSTRATION
12.
a) Méthodologie
b)
Dans cette expérience des sujets de toute classe sociale,
de sexes différents, de tout niveau d’étude,
de tout âge, des citoyens « ordinaires » sont
amenés à commettre des actions meurtrières
par la seule présence d’une « autorité
supérieure ».
A la suite d'une petite annonce, deux personnes se présentent
au laboratoire de psychologie de l’université de Yale
qui effectue des recherches sur les effets de la punition sur le
processus d’apprentissage. L'expérimentateur explique
que l'une d'elles va jouer le rôle de « maître
» et l’autre celui d'« élève ».
Le maître va soumettre des associations de mots à l'élève,
et à chaque fois que celui-ci se trompera, il devra le sanctionner
par une décharge électrique. Devant le maître,
on attache l’élève sur une chaise et on fixe
des électrodes à ses poignets. Puis on introduit le
maître dans une autre pièce et on le place devant un
impressionnant stimulateur de chocs composé d'une trentaine
de manettes allant de 15 à 450 volts. Figurent également
des mentions allant de « Choc léger » à
« Attention: choc dangereux! ». Quant aux deux dernières
manettes, elles sont simplement accompagnées d'une étiquette
xx.
L'expérience commence, et à chaque nouvelle erreur
de l’élève, le maître doit infliger une
décharge d'une intensité supérieure à
la précédente. Le maître est rapidement amené
à des intensités importantes. A 75 volts, l'élève
gémit, à 150 volts, il supplie qu'on arrête
l'expérience, à 270 volts, sa réaction est
un véritable cri d'agonie. Mais après 330 volts, on
n'entend plus rien, l'élève est complètement
silencieux. Lorsque le sujet souhaite arrêter l’expérience,
l’expérimentateur dispose de quatre injonctions pour
pousser le sujet à continuer. Au premier refus du sujet,
l’expérimentateur rétorquait : « je vous
prie de continuer » ; au second refus, l’injonction
était « l’expérience exige que vous continuiez
» ; au troisième refus l’injonction était
« il est absolument indispensable que vous continuiez »
et en dernier lieu « vous n’avez pas le choix, vous
devez continuer ». L’expérimentateur insistait
par ailleurs sur le fait que si ces chocs pouvaient paraître
très douloureux, l’individu n’en garderait aucune
séquelle. Si cette dernière injonction échouait
l’expérience se terminait et était noté
le choc maximal délivré par le sujet. Sinon l’expérience
se termine après l’administration à trois reprises
de la décharge maximale, soit 450 volts. On appelle obéissance
le point antérieur à la rupture alors que la désobéissance
correspond à ce même point.
L'élève était en fait un comédien professionnel
qui simulait la douleur ; le stimulateur de chocs, les sangles et
les électrodes n'étaient que des artifices destinés
à tromper le maître qui, lui, était le véritable
sujet de l'expérience.
Ainsi, dans un entretien post-expérimental, les chercheurs
expliquaient à l’individu que l’élève
n’avait en réalité reçu aucune décharge.
Ils lui apprenaient que l’étude visait à étudier
les processus de soumission à l’autorité. Puis,
ils l’incitaient à analyser son comportement et à
faire part des sentiments qu’il avait ressenti au cours de
l’expérimentation.
Afin de les rassurer, les chercheurs affirmaient aux sujets obéissants
que leur comportement était normal et que nombre d’individus
avaient choisi la même solution. Ils expliquaient par ailleurs
aux sujets rebelles que leur comportement était remarquable
et qu’ils avaient fait le bon choix.
Finalement, la situation créée par le protocole expérimental
générait une situation très embarrassante dans
laquelle l’individu devait résoudre un conflit issu
de la concomitance de deux exigences incompatibles émanant
de son environnement social : suivre l’expérimentateur
et continuer à faire souffrir un innocent ou rompre avec
l’autorité. Les résultats sont impressionnants
: 65% des sujets sont allés jusqu'à 450 volts !
c) Cheminement de la pensée
d)
Dans les premiers chapitres, l’auteur présente sa méthode
expérimentale. Il expose les différentes variantes
qu’il a développées pour son étude sur
la soumission à l’autorité. Il montre ainsi
qu’il s’est concentré sur de nombreux caractères
qui pourraient influer sur la soumission à l’autorité
: le sexe du sujet, la proximité du sujet à l’élève,
la proximité de l’élève à l’expérimentateur,
l’importance de l’environnement, des effets de groupe,
du « prestige de la victime »… Il nous livre par
ailleurs les témoignages de quelques sujets. Nous pouvons
ainsi analyser comment les individus interprètent les choix
qu’ils ont faits au cours de l’expérience.
Dans la seconde partie de l’ouvrage, l’auteur procède
à une analyse cybernétique des causes de l’obéissance.
13. RESUME
14.
a) Prévisions de comportement
b)
Préalablement à leur étude, les chercheurs
ont mené des conférences au cours desquelles ils présentaient
leur projet de recherche. Ils en profitaient pour mener un sondage
dans lequel ils demandaient aux participants du séminaire
:
- A quel niveau de choc pensez-vous que vous vous seriez arrêtés
?
-
- A quel niveau de choc pensez-vous qu’un individu quelconque
puisse s’arrêter ?
-
En réponse à la première question, sur les
110 sujets interrogés seuls 11 pensent qu’ils se seraient
arrêtés au delà de 180V. Les raisons les plus
couramment invoquées par ces individus sont les suivantes
: « j’ai peur des décharges électriques,
je ne ferai pas subir cela à un semblable », «
j’ai des principes, je ne veux pas faire souffrir un être
humain pour une simple expérience «. La compassion,
l’empathie, le sentiment de justice sont à la base
de leurs justifications.
De plus, à la seconde question la majorité des participants
au sondage invoquent le refus d’obéissance.
Cependant, il semblerait que ces individus aient évoqué
ce qui serait souhaitable et non ce qui serait conforme à
la réalité. Leurs raisonnements s’appuient sur
une image de la société dans laquelle les hommes sont
bons et maîtres de leur conduite. Ils ignorent ainsi le réseau
complexe de forces qui pèsent sur l’individu lorsqu’il
est soumis à un dilemme entre le système d’autorité
et sa conscience.
c) Expériences
d)
Les chercheurs ont mis au point plusieurs versions de l’expérience
qui prennent en compte de nombreuses variables susceptibles d’influer
sur la propension des individus à se soumettre à l’autorité.
Cette partie consiste à les exposer.
Proximité de la victime
Expérience 1 (feedback à distance) : la victime et
le sujet sont placés dans deux pièces différentes,
le sujet ne peut ni entendre ni voir les réponses de la victime.
Elles apparaissent juste sur l’écran de signalisation.
A 350V, l’élève tambourine sur les cloisons
pour protester. Ensuite, il ne fournit plus de réponses au
test d’apprentissage et les coups cessent. Sur les 40 sujets,
26 ont obéi jusqu’à 450V.
Expérience 2 (feedback vocal) : Dans la première
variante, l’élève ne pouvait donner son avis
sur l’expérience. Il y avait bien les coups sur la
cloison mais cette manifestation n’était pas suffisante
pour faire réfléchir le moniteur. Les chercheurs font
ainsi l’hypothèse que si les sujets sont en mesure
de voir ou d’entendre la victime, de ressentir ses angoisses,
ils seront peut-être moins dociles. Ainsi, l’expérience
2 est identique à la première mais, les plaintes et
les cris de l’élève peuvent être perçues
à travers la cloison.
Expérience 3 (proximité) : Cette version se base
sur la même hypothèse que l’expérience
2 mais accentue la variable « proximité ». Ainsi,
on place le sujet et l’élève dans la même
pièce à quelques dizaines de mètres.
Expérience 4 (contact) : Les chercheurs ont observé
que dans l’expérience 3, les sujets trouvaient un autre
moyen de se dérober. Ils détournaient le regard de
la victime. Les seules manifestations de douleur qu’ils pouvaient
percevoir étaient donc ses cris. Ainsi, afin de soumettre
l’individu au regard de l’élève mais aussi
au spectacle de sa souffrance, les chercheurs ont fait en sorte
que le sujet et l’élève soient occasionnellement
en contacts. Le moniteur devait remettre lui même la main
de la victime sur la plaque qui émettait les décharges
électriques.
Les résultats de ces quatre expériences révèlent
que « le taux d’obéissance diminue à mesure
que la présence de la victime s’impose ».
Quelles en sont les raisons ?
- Réactions d’empathie chez le sujet. La souffrance
de la victime demeure abstraite et lointaine dans les deux premières
versions de l’expérience. Il se peut que les manifestations
visibles de l’élève provoquent chez le sujet
des réactions d’empathie et lui donnent une meilleure
compréhension de ce que l’autre endure.
-
- Mécanisme de refus et de rétrécissement du
champ cognitif. La variante « Feedback à distance »
permet un rétrécissement du champ cognitif si bien
que la victime est pratiquement oubliée par le sujet. De
même dans les versions 2 et 3 de l’expérience,
les sujets détournent le regard de la victime et refusent
de reconnaître sa souffrance. Au contraire, quand l’élève
est proche, il s’impose à la conscience du moniteur.
-
- Champs réciproques. Dans la variante proximité,
le sujet voit mieux la souffrance de l’élève.
Mais l’élève aussi perçoit mieux le sujet.
Or, il est souvent plus aisé de faire souffrir quelqu’un
quand cette personne ne nous voit pas agir.
-
- Conscience de l’unité d’action. Dans la variante
feedback à distance, le sujet n’a pas conscience des
conséquences de son action. Il y a séparation physique
entre l’acte et ses effets.
-
- Début de formation de groupe. Il y a un début de
formation de groupe entre le sujet et l’expérimentateur
dans la variante feedback à distance. En effet, cette version
de l’expérience exclut l’élève.
Au contraire, dans les variantes de proximité, le sujet a
un allié à qui se liguer en cas de refus d’obéissance
: l’élève.
-
- Dispositions de comportement acquises. Les dispositions acquises
telles que « ne pas faire de mal à autrui » jouent
dans les cas où il y a contact avec les autres.
-
Les résultats des expériences révèlent
donc des comportements inattendus. La loi morale est transgressée
par plus de la moitié des sujets puisqu’ils maltraitent
un être sans défense. Un refus d’obéissance
n’aurait pourtant pas mené à un préjudice
ou un châtiment, l’expérimentateur ne disposait
en effet d’aucun moyen de coercition. Quels sont donc ces
facteurs de maintenance qui s’opposent au refus d’obéissance
?
L’observation des sujets révèle un autre fait
inattendu : ces derniers sont les victimes d’une tension nerveuse
parfois très importante. Elle est révélatrice
de trois phénomènes :
- la présence d’un conflit entre la conscience et
l’autorité
-
- la domination que la situation exerce sur le sujet ; situation
dont il est incapable de s’évader par le refus d’obéissance
-
- enfin, la tension constitue pour certains individus une force
qui les pousse à réagir
-
Il semblerait donc que les facteurs qui poussent les individus à
se soumettre à l’autorité prennent le dessus
sur le stress qu’ils ressentent au cours de l’expérience.
A la suite de ces quatre expériences et des débriefings
réalisés, l’auteur a pris conscience qu’il
devait étudier de nouvelles variables. D’autres facteurs
ont en effet été invoqués par les moniteurs
pour justifier leur soumission à l’autorité.
Les expériences suivantes sont donc exposées ci-dessous.
Autres variantes et contrôle
Expérience 5 (nouvel environnement) : Dans cette version
de l’expérience, les chercheurs font l’hypothèse
que l’environnement dans lequel se déroule la situation
d’autorité a une influence sur l’obéissance.
En effet, elle pourrait affecter la légitimité de
l’autorité. Ils entreprennent donc de mener leurs observations
dans un nouvel environnement : le soul sol de l’université.
(Ils y effectuent l’expérience 2 (feedback vocal))
Par ailleurs, l’élève dans ses protestations,
invoquera une légère anomalie au cœur. Cet élément
pourrait en effet fournir une justification supplémentaire
au refus d’obéissance.
Cependant, ces deux modifications de l’expérience
n’ont en rien modifié le taux d’obéissance.
Rien de ce que dit l’élève ne peut finalement
modifier le comportement du sujet puisque les actes de celui-ci
sont dirigés par l’expérimentateur.
Expérience 6 (Changement de personnel) : Les chercheurs
font ici l’hypothèse que la personnalité de
l’autorité et de l’élève peuvent
influer sur sa perception de l’autorité. Ils placent
donc un expérimentateur doux et pacifique alors que la victime
est un homme assez brutal. Ce changement de caractéristiques
n’a eu que très peu d’influence sur le taux d’obéissance.
Expérience 7 (Proximité de l’autorité)
: Les chercheurs font ici l’hypothèse que la soumission
à l’autorité est due à une volonté
des individus de faire bonne impression devant un homme de science.
Il se peut que l’éloignement de l’expérimentateur
provoque une nette différence dans les résultats de
l’étude. Ainsi, dans cette expérience, l’expérimentateur
quitte le laboratoire après avoir donné ses premières
instructions et donne le reste de ses ordres par téléphone.
Le niveau d’obéissance a ici subi une baisse sensible.
Les sujets semblaient beaucoup plus capables de résister
à l’expérimentateur quand il n’était
pas à proximité. Cependant, il leur était toujours
difficile de rompre avec l’autorité : ils en venaient
ainsi à tricher en administrant des chocs plus légers
mais se gardaient de signaler leurs mensonges à l’expérimentateur.
Ils étaient dans ce cas en paix avec eux-mêmes et avec
l’autorité.
Ainsi, il semblerait que « la présence physique d’une
autorité soit un facteur important dans la détermination
du comportement ».
Expérience 8 (sujets féminins) : Dans cette version
de l’expérience, Stanley Milgram fait l’hypothèse
que le degré d’obéissance varie en fonction
du sexe du sujet. Il est en effet possible de penser que les femmes
sont plus malléables que les hommes par nature. Mais, elles
sont aussi considérées comme plus enclines à
l’empathie que les hommes. Selon les observations de laboratoire,
elles font preuve d’une soumission presque similaire. Elles
subissent cependant une tension d’une intensité supérieure.
Expérience 9 (engagement limité de la victime) :
La plupart des sujets disent avoir obéit car il existait
entre l’élève, l’expérimentateur
et eux-mêmes un contrat social. De même que le sujet
s’était engagé auprès de l’expérimentateur
à l’aider dans son travail, l’élève
avait consenti à recevoir des chocs électriques. Les
chercheurs ont donc fait l’hypothèse qu’en modifiant
les conditions d’entrée de la victime, la soumission
des individus à l’autorité serait moindre.
Dans cette version de l’expérience, avant de signer
la décharge selon laquelle « elle s’engageait
à n’entreprendre aucune poursuite contre l’université
de Yale », la victime invoquait des problèmes de cœur.
Elle affirmait qu’elle n’acceptait de participer à
l’expérience qu’à la condition qu’il
y soit mis un terme sur sa demande.
Le taux de refus d’obéissance n’a subit qu’une
très légère variation. 16 sujets sur 40 ont
continué à administrer les chocs jusqu’à
450V malgré les demandes expresses de la victime de cesser
l’expérience. L’argument du contrat social est
donc négligeable.
Expérience 10 (Contexte institutionnel) : Quelques sujets
dans les premières interviews post expérimentales
avaient invoqué le prestige du lieu : l’université
de Yale. Certains avaient même affirmé qu’ils
n’auraient peut-être pas continué à obéir
si l’expérimentation s’était déroulée
ailleurs.
Les chercheurs font ainsi l’hypothèse que l’individu
accorderait une importance au milieu dans lequel il agit. Dans cette
variante de l’expérience, les observations se font
dans des bureaux d’une ville industrielle voisine. Les sujets
ignorent par ailleurs l’appartenance des expérimentateurs
à l’université de Yale. Ils pensent que ces
derniers sont au service d’un grand groupe industriel. Apparemment,
la tension ressentie par les sujets était globalement la
même et soumission à l’autorité quasi
identique. Le contexte institutionnel n’a donc que très
peu d’effets sur les phénomènes d’obéissance.
Expérience 11 (Le sujet choisit lui-même le niveau
de choc) : Certaines personnes ayant eu vent des résultats
de nos travaux ont suggéré que les actions des individus
ne résultaient pas d’une quelconque soumission à
l’autorité. Ils étaient plutôt la conséquence
de la part de haine que chaque individu contient en soi et qui avait
la possibilité de s’exprimer librement dans ce contexte.
De ce point de vue, l’ordre serait superflu. Dans cette version
de l’expérience les sujets avaient donc la liberté
de choisir niveau de choc.
Aucun d’entre eux n’est allé au delà
des 75V.
Ainsi, « quelque soit la raison qui pousse le sujet à
administrer à la victime le choc le plus élevé,
il faut la chercher ailleurs que dans la libération de ses
pulsions agressives : seule peut l’expliquer la modification
de comportement qui intervient chez lui à la suite de l’obéissance
aux ordres ».
Permutation des rôles
La position, le statut et l’action semblent constituer des
éléments clés de cette expérience :
- La position indique si la personne ordonne, administre ou reçoit
le choc.
-
- Le statut se rapporte au fait que la personne est présentée
comme une autorité légitime ou un individu ordinaire.
-
- L’action se réfère à la conduite de
la personne dans chacune des trois positions et, plus spécifiquement,
au fait qu’elle recommande la pénalisation de la victime
ou qu’elle s’y oppose.
-
Dans les expériences précédentes, la personne
qui recevait le choc était toujours un individu ordinaire.
Ici, les chercheurs considèrent qu’il est nécessaire
de faire varier le triptyque statut, action, position pour comprendre
si le sujet est plus sensible à l’ordre ou au statut
de la personne qui le donne. Son comportement est-il déterminé
par l’injonction elle-même ou par la qualité
de celui qui la formule ?
Expérience 12 (l’élève demande à
recevoir les chocs) : Ici, l’élève demande à
ce que l’expérience continue malgré la douleur
qu’il ressent car ceci est nécessaire pour l’avancée
de la science. L’expérimentateur au contraire s’y
oppose formellement.
Les résultats montrent que l’ensemble des sujets ont
suivi la requête de l’expérimentateur et non
de l’élève. Les sujets acceptent donc d’administrer
les chocs sur la demande de l’autorité et non sur celle
de la victime ! Ils estiment donc que celle-ci a moins de droits
sur elle-même que n’en a l’autorité.
Ainsi, il semblerait que « l’administration des chocs
ne dépende ni des volontés exprimées par celui-ci
ni des impulsions bienveillantes ou hostiles du sujet, mais du degré
d’engagement que l’individu pense avoir contracté
en s’insérant dans le système d’autorité
».
Expérience 13 (un individu ordinaire donne les ordres) :
Faut-il attribuer l’obéissance au contenu de l’ordre
ou au prestige de la source d’autorité dont il émane
? Les chercheurs ont fait l’hypothèse que oui. Ils
ont donc enlevé l’autorité des mains de l’expérimentateur
pour la place dans celles d’un individu ordinaire. Pour ce
faire, trois individus se rendent au laboratoire (deux complices
et un sujet naïf). Ils y rencontrent l’expérimentateur
qui leur explique le déroulement de l’expérience.
Mais, ce dernier doit partir en urgence du laboratoire, il est appelé
à l’extérieur pour affaires. Il déclare
alors qu’un des hommes (un complice) doit prendre sa place
et décider du niveau de chocs à administrer. Une fois
l’expérimentateur parti, ce complice annonce au sujet
qu’il a trouvé un système infaillible pour que
l’élève apprenne les mots : il faut augmenter
le niveau de voltage à chaque erreur. Ainsi, le sujet se
trouve confronté à une situation définie dans
ses grandes lignes par l’autorité de l’expérimentateur
mais subordonnée à un individu ordinaire pour la décision
du niveau des chocs.
Les chercheurs ont constaté une baisse sensible du niveau
d’obéissance dans cette expérience.
Expérience 13 A (le sujet est spectateur) : Après
le refus du sujet d’obéir, le complice outré
par cette attitude se déclare prêt à administrer
les chocs. Il prend ainsi la place du sujet. Il est ainsi déchargé
de la tâche de pénaliser l’élève,
mais il est spectateur d’une scène éprouvante.
Presque tous les participants ont blâmé l’attitude
du complice qui administrait des chocs élevés. Cinq
ont mis fin à l’expérience en se jetant sur
lui. Plusieurs ont tenté de débrancher l’appareil.
Et même si, le taux d’obéissance est encore très
élevé dans cette variante, cinq des personnes ont
pris le parti de la victime. Elles se sont violemment rebellées
contre la nouvelle autorité, ce qui contraste avec l’attitude
déférente des autres sujets. En refusant d’obéir
à l’individu ces hommes sont persuadés d’avoir
agi comme l’expérimentateur aurait aimé qu’ils
le fassent.
Expérience 14 (L’autorité dans le rôle
de la victime. Un individu ordinaire donne les ordres) : Les chercheurs
pensent qu’il est nécessaire d’observer ce qui
se passe quand l’autorité subit le traitement infligé
à la victime.
Pour cela, lorsque les sujets arrivent dans le laboratoire et discutent
avec l’expérimentateur, la personne qui a été
désignée comme l’élève affirme
qu’elle refuse de recevoir les chocs. Le chercheur affirme
qu’ils doivent finir d’urgence leur étude et
qu’il est absolument nécessaire que l’expérience
ait lieu. Il décide alors de prendre la place de l’élève
et demande à l’autre homme de jouer le rôle de
l’autorité. Si jamais, le chercheur ne ressent rien,
l’élève désigné par tirage au
sort devra reprendre sa place. Au bout de quelques décharges,
l’expérimentateur se plaint, la personne dans le rôle
de l’autorité ordonne au sujet de continuer. Le sujet
est donc pris entre un expérimentateur qui lui demande de
le libérer et un individu quelconque qui lui ordonne de continuer
l’expérience. A la première protestation de
l’expérimentateur, tous les sujets ont arrêté
l’expérience. Pendant le débriefing, ils attribuaient
cette attitude à leur bonté naturelle et non pas à
leur soumission à l’autorité.
« Ainsi, le facteur déterminant du comportement est
bien l’autorité et non l’ordre en soi. Les ordres
qui n’émanent pas d’une autorité légitime
perdent toute leur force ».
Expérience 15 (autorité double) : Comment le choix
entre plusieurs autorités s’exerce-t-il ? Comment l’individu
va réagir s’il est confronté à deux expérimentateurs
ayant des points de vue opposés (l’un refuse de continuer
l’expérience, alors que l’autre affirme qu’il
est nécessaire de poursuivre) ? Est ce que le résultat
final est un compromis entre les deux autorités ou est ce
que les valeurs personnelles de l’individu l’aident
à faire un choix entre les deux autorités ? Cette
expérience a augmenté le taux de tension chez les
individus. 20 sujets, un seul avait arrêté avant que
les deux autorités ne se trouvent en désaccord, 18
autres ont arrêtés à ce moment là et
1 autre a continué quelque peu. Ainsi, pas un sujet n’a
profité des ordres d’un des deux expérimentateurs
pour assouvir ses pulsions agressives.
Aussi, « à partir du moment où le signal émanant
du niveau hiérarchique supérieur est vicié,
la cohérence du système hiérarchique disparaît
ainsi que son efficacité en tant que facteur déterminant
du comportement ».
Expérience 16 (deux autorités, l’une d’elles
dans le rôle de la victime) : Cette variante soulève
une nouvelle question intéressante : l’autorité
provient-elle seulement de la désignation du rang hiérarchique
ou dépend-elle en grande partie de la position réelle
de l’individu dans la structure de l’action que la situation
lui impose ? Par exemple, un roi n’a d’autorité
que tant qu’il est sur son trône. S’il se retrouve
en prison, il est peu probable que ses ordres soient suivis.
Ainsi, dans cette nouvelle version de l’expérience,
il s’avère que l’expérimentateur placé
sur la chaise électrique n’est pas mieux servi qu’un
individu ordinaire. Il y perd toute son autorité.
Pourquoi l’expérimentateur a-t-il perdu son autorité
dans le rôle de la victime alors qu’il l’avait
conservée dans les expériences 14 (l’expérimentateur
dans le rôle de la victime - l’individu ordinaire donne
des ordres) et 15 (autorité double) ? Parce que l’action
du sujet est dirigée par la personne possédant le
statut le plus élevé. Or, dans l’expérience
15, un des expérimentateurs a accepté le rôle
de la victime, il a perdu provisoirement de son autorité
par rapport à son collègue. L’autorité
est par ailleurs dépendante du lieu dans lequel elle s’exerce.
Finalement, « tout système d’autorité
doit se fonder sur l’agencement soigneusement calculé
des individus à l’intérieur d’une hiérarchie.
La perception du contrôle qui détermine l’action
dépend de la clarté de la réponse apportée
à la difficile question : qui est au dessus de qui ? »
Les effets de groupe
Dans son opposition à l’autorité, l’individu
est faible mais le groupe est fort. L’auteur commence dans
cette partie par faire la distinction entre conformisme et obéissance.
- Le conformisme est l’attitude du sujet qui agit à
l’instar de ses pairs, des gens de son statut, n’ayant
aucunement le droit de lui dicter sa conduite.
-
- Le terme obéissance sera réservé au comportement
du sujet qui se soumet à l’autorité. Comme pour
le conformisme, l’individu abandonne à des sources
externes l’initiative de son action.
-
Mais les deux concepts sont opposés sur quelques points :
1. La hiérarchie : l’obéissance intervient
à l’intérieur d’une structure hiérarchique
dans laquelle l’auteur de l’action estime que la personne
placée au-dessus de lui a le droit de la lui prescrire. Le
conformisme détermine la conduite parmi des gens de statut
égal.
2.
3. Le conformisme est de l’imitation pure et simple contrairement
à l’obéissance.
4.
5. Dans l’obéissance l’action est dictée
par un ordre. Dans le conformisme, c’est la pression collective
implicite qui contraint le sujet à s’aligner sur le
groupe.
6.
7. Comment les sujets expliquent leur attitude dans chacun des cas
? Le conformisme étant une réaction à des pressions
implicites, le sujet voit dans sa conduite une manifestation de
sa volonté. Alors que dans l’obéissance, le
sujet refuse tout volontarisme. Il estime avoir agit sous l’ordre
d’un commandement explicite. Les deux situations ont donc
des conséquences psychologiques différentes.
8.
Expérience 17 (deux pairs se rebellent) : La rébellion
contre une autorité malveillante est plus aisée dans
le cas d’une action collective. Comment l’influence
du groupe peut libérer l’individu de son assujettissement
à l’autorité ?
Dans cette version, le sujet est placé entre deux de ses
pairs qui défient ouvertement l’autorité. La
plupart des sujets refusent d’obéir.
« La rébellion des pairs a donc eu pour effet de saper
de façon spectaculaire l’autorité de l’expérimentateur
».
Selon l’auteur les causes de ce phénomène sont
les suivantes :
- les pairs inoculent au sujet l’idée de se rebeller
contre l’expérimentateur qui peut ne pas en avoir envisagé
la possibilité
-
- l’individu comprend que son refus n’est pas dû
à une anomalie. Ses deux compères lui montrent que
la rébellion est une réaction naturelle.
-
- Les deux compères confirment au sujet qu’administrer
des chocs électriques est contraire à la morale
-
- Les compères rebelles restent dans le laboratoire après
avoir arrêté d’administrer les chocs. Ils portent
donc un regard négatif sur le sujet qui se sent jugé
et incité à arrêter.
-
- Tant que les deux compères ne se sont pas arrêtés
la responsabilité est divisée en trois. Quand ils
se retirent elle incombe au sujet naïf.
-
- Le sujet naïf constate que le refus d’obéissance
n’a pas de conséquences fâcheuses
-
- Le prestige de l’expérimentateur est affaibli par
la rébellion des deux compères.
-
« La solidarité reste donc le rempart le plus efficace
contre l’autorité ».
Expérience 18 (un pair administre les chocs) : La plupart
des individus qui composent une autorité n’exécutent
pas directement les actions néfastes. Ils manipulent des
papiers mais l’effet final demeure loin de leurs yeux et de
leur esprit. Ainsi, dans cette expérience le sujet naïf
est spectateur et c’est un autre homme qui administre les
chocs. Ce rôle est facile à assumer. Les sujets ne
ressentent que très peu de tension et vont pour la majorité
d’entre eux jusqu’aux chocs les plus violents.
Ainsi, « tout directeur d’un système d’autorité
devrait faire en sorte que ce soient les personnes les plus obtus
et les plus violentes qui soient directement impliquées dans
la violence finale. Dans le cas contraire, la tension que fait naître
l’acte chez un individu ordinaire peut le mener à se
rebeller face à l’autorité ».
e) Témoignages
f)
Chaque sujet présente de telles disparités à
côté des autres, que chacun a fait l’objet d’une
étude individuelle. Il était difficile de généraliser
les raisons qui les avaient poussées à obéir
ou non. A ce stade de l’ouvrage, l’auteur nous fait
part de nombreux témoignages d’hommes et de femmes
ayant participé à l’expérience.
Parmi les nombreuses réactions retranscrites par l’auteur,
j’ai tenu à en souligner certaines qui m’ont
choquée, impressionnée ou encore fait sourire.
- Tout d’abord, ce qu’il me paraît important
de souligner c’est qu’à la question « quel
choc maximal auriez-vous consenti à recevoir ? », les
sujets ont tous donné des paliers bien inférieurs
au niveau de choc qu’ils avaient administré à
la victime.
-
- Par ailleurs, au cours des observations, la plupart des hommes
ont exprimé une grande répugnance vis à vis
de l’expérience. Cependant, ceci ne les a pas empêché
de continuer à administrer les chocs. Les paroles sont en
effet difficilement transformables en actes.
-
- Les uns nient les réactions de la victime, ils ne semblent
pas la considérer comme un être humain. Les autres
pensent que l’élève par sa bêtise et son
ignorance s’est lui-même attiré la punition.
-
- Certains sujets obéissants ont exprimé une grande
fierté vis à vis de leur comportement malgré
la souffrance qu’ils ont cru faire endurer à la victime.
-
- Ils placent leur action dans un cadre plus large : celui de la
participation à une grande cause, celle de la science.
-
- La plupart des sujets obéissants pense que la faute doit
être rejetée sur l’expérimentateur car
c’est lui qui a donné l’ordre. Notre société
facilite ce type de raisonnement. Elle est en effet ancrée
dans des structures basées sur la division du travail où
chacun a la possibilité de rejeter la faute sur son voisin.
-
- D’autres individus protègent leur image au cours
de ce débriefing. « Moi qui suit si à l’écoute
des autres, ça ne me ressemble vraiment pas ».
-
- Manifestement, un autre facteur psychologique en jeu est le contre-anthropomorphisme.
Certains individus ont en effet conféré une qualité
impersonnelle à des forces humaines. Les ordres d’un
homme sont devenus partie intégrante d’un schéma
qui s’imprime avec une telle force dans l’esprit de
certains qu’il l’emporte sur toute considération
personnelle. L’expérimentateur n’était
pas un simple mortel, l’élément humain s’était
volatilisé et « l’Expérience » avait
acquis une existence propre, totalement désincarnée.
-
- Le coût de la désobéissance est l’impression
de s’être rendu coupable de déloyauté.
C’est le rebelle qui ressent douloureusement les conséquences
de son action et non le sujet obéissant.
-
- Pour quelques sujets, l’expérience a fait naître
de nombreuses interrogations. Un ingénieur ira même
jusqu’à proposer son aide au laboratoire tant il a
été fasciné par cette étude. Dans une
lettre, il exprime ainsi sa profonde gratitude pour Stanley Milgram
« bien que je sois… dans l’industrie, j’ai
maintenant acquis la conviction que les sciences sociales, et en
particulier la psychologie, sont autrement importantes dans notre
monde actuel ».
-
- Et pour les réactions qui font sourire, en voici une que
j’ai trouvé particulièrement pertinente :
-
L’expérimentateur : « vous devez continuer, vous
n’avez pas le choix ! »
Un sujet : « si nous étions en Russie, peut-être,
mais ici, nous sommes en Amérique ».
Stanley Milgram aurait montré que les hommes ayant fait
preuve d’obéissance n’étaient pas des
cas à la marge. Ils n’étaient pas de simples
tortionnaires ayant besoin d’assouvir une quelconque agressivité.
Ils souhaitaient simplement répondre à leurs obligations
envers le laboratoire auprès duquel ils s’étaient
engagés. Des gens ordinaires, dépourvus de toute hostilité,
peuvent donc en s’acquittant simplement de leur tâche,
devenir les agents d’un atroce processus de destruction. Rares
sont les personnes qui possèdent les ressources internes
nécessaires pour résister à l’autorité.
De même dans ce type de situation, il semblerait que les valeurs
individuelles ne représentent qu’une mince bande de
motivations dans le spectre complet des forces contradictoires qui
s’exercent sur les sujets. Le sens moral n’est finalement
pas si contraignant.
Qu’est ce donc qui contraint l’individu à obéir
? Pourquoi ce dernier décharge le soin de diriger son action
et d’en garantir la moralité à l’expérimentateur
? C’est à ces questions que la prochaine partie tente
de répondre. Nous verrons qu’entrent en jeu des facteurs
de maintenance comme la politesse, la promesse faite à l’expérimentateur,
le désir de se montrer à la hauteur de la tâche…
g) Explications
h)
Comment expliquer que la soumission à l’autorité
soit un trait constant et prédominant de la condition humaine
?
La réponse que donne l’auteur à cette question
peut-être résumée en six points :
1. l’organisation de la vie en société accroît
les chances de survie des individus qui en font partie et du groupe
2.
3. tous les caractères comportementaux et psychologiques
qui ont produit chez l’homme la capacité de réaliser
une telle organisation ont été modelés par
les forces évolutionnistes
4.
5. du point de vue cybernétique, la condition indispensable
à l’insertion d’automates indépendants
dans une structure hiérarchique est la suppression des directives
du contrôle individuel en faveur de celui de l’agent
coordonnateur
6.
7. d’une manière plus générale, les hiérarchies
ne peuvent fonctionner que si une modification interne est apportée
aux éléments qui la composent.
8.
9. les hiérarchies impliquées par l’organisation
de la vie en société présentent chacun de ces
caractères
10.
11. les individus qui s’intègrent dans de telles hiérarchies
sont nécessairement modifiés dans leur mode de fonctionnement.
12.
On prend ainsi conscience des changements qui surviennent obligatoirement
lorsqu’une unité autonome devient partie intégrante
d’un système. Cette transformation correspond précisément
au problème central de l’expérience : comment
un individu honnête et bienveillant par nature peut-il faire
preuve d’une telle cruauté envers un inconnu ?
Stanley Milgram en est donc arrivé à la conclusion
qu’une modification interne doit être apportée
à tout élément pour qu’il puisse s’insérer
avec succès dans une hiérarchie. Chez l’humain,
à quoi correspond la transition du mode autonome au mode
systématique et quelles en sont les conséquences ?
Il semblerait qu’au cours de ce processus, l’individu
qui entre dans un système d’autorité ne se voit
plus comme l’auteur de ses actes, mais plutôt comme
l’agent exécutif des volontés d’autrui.
C’est ce que Stanley Milgram appelle l’état «
agentique » ; par opposition à l’état
autonome dans lequel l’individu estime être l’auteur
de ses actes. L’état agentique intervient quand une
entité autonome subit une modification interne lui permettant
de fonctionner efficacement à l’intérieur d’un
système de contrôle hiérarchique.
Du point de vue phénoménologique, un individu est
en état agentique quand, dans une situation sociale donnée,
il se définit de façon telle qu’il accepte le
contrôle total d’une personne possédant un statut
plus élevé.
Quelles sont les conditions requises pour qu’un individu
passe de l’état autonome à l’état
agentique ?
Telle est la question à laquelle Stanley Milgram tente ensuite
de répondre. Pour cela, il commence par se poser la question
suivante : quelles sont les forces qui ont préparé
le terrain de l’obéissance chez l’individu ?
Trois réponses peuvent y être apportées :
- La famille. Les parents dès le plus jeune âge, inculquent
une discipline qui implique un respect pour l’autorité.
De plus, ils sont à la source des impératifs éthiques.
La genèse de nos idéaux est inséparable de
la façon dont ils nous ont été inculqués.
-
- Le cadre institutionnel. Dès que l’enfant émerge
du cocon familial, il est transféré dans un système
d’autorité institutionnel, l’école. Là,
on lui apprend à fonctionner à l’intérieur
d’un cadre organisationnel. Ses actions sont réglementées.
Et il apprend très vite que la soumission est indispensable
à l’harmonie des rapports avec les représentants
de l’autorité.
-
- Récompenses. Très vite, l’individu apprend
que la docilité vaut généralement une faveur
alors que la rébellion entraîne un châtiment.
-
Quatre conditions sont nécessaires dans la conversion de
l’individu à l’état agentique.
1. L’individu doit percevoir l’autorité légitime.
2.
La perception de l’autorité est liée aux conditions
dans lesquelles elle s’exerce. Par exemple, si le sujet croisait
l’expérimentateur chez le boulanger, il n’aurait
plus aucune autorité.
L’autorité s’appuie aussi sur des normes, elle
n’est pas forcément associée à la notion
de prestige. C’est ainsi qu’au théâtre
nous nous soumettons généralement sans protester au
contrôle de l’ouvreuse. Par quels moyens donc, l’individu
reconnaît l’autorité ?
- le sujet aborde toute situation avec la conviction que quelqu’un
la dirige. Ainsi, lorsque l’expérimentateur se présente
à l’individu dans notre cas, il satisfait les attentes
de ce dernier
-
- la tenue vestimentaire
-
- le sujet ne reconnaît aucune autre autorité rivale.
-
C’est donc à l’apparence de l’autorité
et non à sa qualité intrinsèque que le sujet
répond.
3. L’individu reconnaît l’appartenance de la
personne au système d’autorité qu’elle
prétend représenter.
4.
La perception de l’autorité ne suffit pas, encore faut-il
qu’il y ait une relation directe entre elle et nous. Ainsi,
lorsque nous regardons un défilé militaire et que
l’officier crie « demi tour à gauche »,
nous ne nous exécutons pas. Les systèmes d’autorité
sont en fait limités par un contexte physique.
5. Il doit y avoir un lien entre la fonction du détenteur
de l’autorité et l’ordre qu’il donne.
6.
Un chef militaire ne peut pas ordonner à un de ses subordonnés
d’embrasser sa petite amie. Mais, dès lors que l’autorité
donne ses ordres dans un milieu qu’elle est censée
connaître, son pouvoir s’en trouve accru et facilite
ainsi le passage de l’individu à l’état
agentique.
7. La légitimité de la situation dépend de
sa relation avec une idéologie justificatrice.
8.
Ici, par exemple, c’est l’utilité scientifique
qui justifie l’expérience. Or, la justification idéologique
se révèle essentielle quand on veut obtenir l’obéissance
spontanée. Elle conditionne donc elle aussi le passage de
l’individu à l’état agentique. Un système
d’autorité est donc composé au minimum de deux
personnes qui sont a priori d’accord sur le fait que l’une
d’elles a le droit de déterminer la conduite de l’autre.
L’influence de l’expérimentateur sur le sujet
n’est pas due à l’utilisation de la force ou
de la menace, mais à la position qu’il occupe dans
une structure sociale.
Une fois ce changement survenu, quelles en sont les répercussions
sur les traits comportementaux et psychologiques de l’individu
?
Une fois converti, l’individu devient un autre être,
présentant des aspects nouveaux qu’il n’est pas
toujours facile de relier à sa personnalité habituelle.
Toute la série d’actions que le sujet exécute
se trouve entièrement conditionnée par sa relation
avec l’expérimentateur.
Cinq phénomènes doivent être pris en compte
:
- Syntonisation. Il se produit chez l’individu un phénomène
de syntonisation qui lui fait accueillir avec un maximum de réceptivité
tout ce qui vient de l’autorité, alors que les manifestations
de détresse de l’élève lui sont à
peine perceptibles et demeurent psychologiquement lointaines.
-
- Nouvelle définition de la signification de la situation.
Toute situation possède également une sorte d’idéologie
que nous appelons la « définition de la situation »
et qui est l’interprétation de sa signification sociale.
Ainsi, selon le contexte dans lequel il s’insère, un
acte peut paraître odieux ou parfaitement licite. Une fois
le changement agentique accomplit, bien que le sujet accomplisse
l’action, il permet à l’autorité de décider
de sa signification. C’est cette abdication idéologique
qui constitue le fondement cognitif de l’obéissance.
-
- Perte du sens de la responsabilité. Le changement agentique
a pour conséquence la plus grave que l’individu estime
être engagé vis-à-vis de l’autorité
dirigeante, mais ne se sent pas responsable du contenu des actes
que celle-ci lui prescrit. Le sens moral ne disparaît pas,
c’est son point de mire qui est différent : le subordonné
éprouve humiliation ou fierté selon la façon
dont il a accompli la tâche exigée de lui. Pour qu’un
homme se sente responsable de ses actes, il doit avoir conscience
que son comportement lui a été dicté par son
moi profond. Dans la situation de laboratoire, tel n’est pas
le cas. Le surmoi n’a plus pour rôle d’apprécier
la notion de bien ou de mal inhérente à l’acte
en soi, mais celui de contrôler la qualité du fonctionnement
de l’individu dans le système d’autorité.
Les forces inhibitrices qui empêchent normalement l’homme
de nuire à autrui sont court-circuitées. Personne
ne lui a jamais appris à évaluer les actions dictées
par l’autorité. C’est la raison pour laquelle
cette dernière constitue un danger pour l’humanité.
-
- Image de soi. L’homme tient également à avoir
une image satisfaisante de lui-même. Mais une fois converti
à l’état agentique, cette auto-évaluation
n’existe plus. L’individu considère que ses actes
n’étant pas issus de ses propres motivations, ne se
réfléchissent pas sur lui. C’est donc sa capacité
à se soumettre à l’autorité qui lui donnera
une bonne ou mauvaise image de lui et non l’acte qu’il
exercera en lui-même.
-
Il reste à souligner que l’état agentique constitue
la disposition mentale propice aux actes d’obéissance,
mais pour que ceux-ci aient effectivement lieu, cette potentialité
ne suffit pas : il faut qu’il y ait des ordres spécifiques
qui serviront de mécanismes de déclenchement. Un individu
peut très bien être dans l’état agentique
sans jamais recevoir d’ordres et, par conséquent, sans
jamais avoir à obéir.
Qu’est ce qui contraint l’individu à demeurer
dans l’état agentique ?
Il faut nécessairement qu’il existe des forces qui
maintiennent l’individu dans l’état agentique.
Pourquoi en effet la plupart des individus réprouvent l’acte
qu’ils commettent mais sont incapables de traduire leurs pensées
en actes ?
L’auteur avance trois facteurs de maintenance :
- La continuité de l’action. L’individu désire
poursuivre ce qu’il est en train de faire. Le fait de continuer
le rassure sur le bien-fondé de sa conduite antérieure.
-
- Obligations inhérentes à la situation. Toute situation
sociale est assortie implicitement d’une étiquette
qui joue un rôle important dans la détermination du
comportement. S’il veut désobéir, le sujet doit
donc rompre les accords tacitement convenus. C’est la raison
pour laquelle les rebelles ne voient dans leur acte qu’un
reniement de l’obligation contractée vis-à-vis
de l’expérimentateur. Ainsi, toute tentative d’altération
de la structure définie est ressentie comme une transgression
morale entraînant gêne, anxiété, honte
et détérioration de l’image personnelle.
-
- Anxiété. Les manifestations émotionnelles
observées en laboratoire telles que les tremblements, les
ricanements, l’embarras, constituent autant de preuves que
le sujet envisage d’enfreindre les règles. Il en résulte
un état d’anxiété qui l’incite
à reculer devant la réalisation de l’action
interdite et crée ainsi un barrage affectif qu’il devra
forcer pour défier l’autorité. Le fait le plus
remarquable est que, une fois le refus d’obéissance
exprimé, la tension, l’anxiété et la
peur disparaissent presque totalement.
-
TENSION ET DESOBEISSANCE
Pourquoi les sujets désobéissent ?
L’explication morale ne convient pas. C’est davantage
une forme de tension qui pousse le sujet à se rebeller. Il
y a risque de tension chaque fois qu’une entité capable
de fonctionner de façon indépendante est introduite
dans une hiérarchie. En effet, l’homme a la double
capacité d’agir suivant sa propre initiative et de
s’intégrer dans des systèmes complexes en assumant
certains rôles. Mais l’existence même de cette
dualité suppose un compromis dans sa structure. Nous ne sommes
parfaitement taillés ni pour l’autonomie complète
ni pour la soumission totale. L’organisme doit donc posséder
des mécanismes capables de résoudre la tension, car
sans leur présence, le système s’effondrerait
fatalement très vite.
L’auteur affirme ainsi qu’il y a obéissance
quand les facteurs de maintenance sont plus importants que le taux
net de tension.
La tension prouve la faiblesse de l’autorité. En dépit
de l’influence exercée par l’expérimentateur,
il subsiste chez le sujet, à des degrés divers, des
bribes de personnalité qui sauvegardent l’existence
de ses critères moraux et engendrent une tension susceptible,
si elle est assez élevée, de l’amener au refus
d’obéissance.
Les sources de tension sont de cinq types :
1. les cris de douleur de l’élève sont désagréables
2.
3. le fait d’infliger des souffrances à un innocent
viole les valeurs morales et sociales
4.
5. la menace implicite de représailles de la part de la victime
représente aussi une source de tension (les sujets ont peur
de se retrouver à sa place ou d’être attaqués
en justice par l’élève)
6.
7. les directives contradictoires de l’élève
et de l’expérimentateur. Le premier demande à
être libéré alors que le second exige que l’étude
continue
8.
9. le fait d’infliger un traitement douloureux à la
victime est incompatible avec l’image que nombre de sujets
se font d’eux-mêmes.
10.
A ces sources de tensions, s’opposent des amortisseurs de
tension. Ils correspondent à tous les moyens permettant d’atténuer
la signification implicite de l’action, « je fais souffrir
un innocent ». Ils facilitent ainsi l’obéissance.
C’est pourquoi l’éloignement de la victime augmente
la soumission à l’autorité. De même, le
stimulateur de chocs rend l’action de pénalisation
de l’élève plus facile. Si le sujet devait le
faire à base de coups de poing, il serait certainement plus
enclin à se rebeller. La distance, la durée et les
obstacles physiques neutralisent le sens moral et facilitent les
actes les plus odieux.
Quels sont les mécanismes qui permettent la résolution
de la tension ?
Le refus d’obéissance représente le moyen ultime
d’abolir la tension mais ce n’est pas là un acte
à la portée de tous et les forces de maintenance décrites
plus haut en ont exclu l’éventualité pour nombre
de sujets.
- La dérobade est donc un moyen adapté. Le sujet
tente ainsi de se dissimuler les conséquences perceptibles
de ses actes. A cet effet, les chercheurs ont pu observé
que nombre de sujets tournaient la tête pour ne pas avoir
la victime sous leurs yeux. D’autres sujets ont nié
la douleur des chocs. Quelques individus ont négligé
leur part de responsabilité, ils l’ont rejeté
sur l’expérimentateur ou sur l’élève.
L’exemple de l’expérience n° 11 où
les individus trichent tous, montre aussi la facilité des
sujets à se dérober. Les sujets s’efforcent
d’aider la victime sans en arriver au refus d’obéissance.
Ils réduisent ainsi leur tension en ayant la conviction d’être
« un brave homme ».
-
- Les manifestations psychosomatiques constituent un autre moyen
d’évacuer la tension. Les chercheurs ont été
témoins de nombreux signes de stress : transpiration, tremblements,
accès de rires nerveux. Ces phénomènes sont
à la fois les témoins d’une tension mais contribuent
aussi à la réduire.
-
- Désapprobation. La tension conduit au refus d’obéissance
mais au départ elle provoque la désapprobation. La
désapprobation a une fonction double et contradictoire. C’est
un mécanisme réducteur de tension mais c’est
aussi le premier stade de conflit entre le sujet et l’expérimentateur.
Nombre d’individus capables de signifier leur désaccord
avec l’autorité n’en respecteront pas moins le
droit de celle-ci de ne pas tenir compte de leur avis. Le sujet
émet son avis ce qui lui permet de projeter une image de
lui-même satisfaisante. En même temps, il conserve intacte
sa relation avec l’autorité puisqu’il continue
d’obéir.
-
- Désobéissance. C’est le moyen ultime pour
mettre un terme à la tension. Il s’accompagne d’appréhension
car il signifie qu’il va falloir redéfinir la relation
entre le sujet et l’expérimentateur. Ceci créé
une forme d’anomie car le sujet sort de la place qui lui a
été assignée.
-
Pour résumer les mécanismes qui permettent la résolution
de la tension, nous pouvons affirmer qu’en premier lieu, le
sujet a un doute intérieur qui s’extériorise
par l’expression de ses craintes à l’expérimentateur.
Puis, faute de parvenir à ses fins, il transforme sa désapprobation
en menace de refus d’obéissance. Finalement, à
court d’arguments, il désobéit.
Finalement, si l’on soustrait les mécanismes de résolution
de la tension à la tension elle-même et que le résultat
de cette opération est inférieur aux facteurs de maintenance,
le sujet continuera à obéir.
L’agression est elle à l’origine du comportement
des sujets ?
L’agression est une pulsion ou une action destinée
à nuire à un autre organisme. Selon Freud, les forces
destructrices sont présentes chez tous les individus mais
ne trouvent pas toujours l’occasion de se libérer,
car leur expression est inhibée par le surmoi ou la conscience.
Ainsi, dans notre expérience, la force qui pousserait l’individu
à se soumettre viendrait du fait que, en pénalisant
l’élève, l’individu satisfait instinctivement
des tendances destructrices profondément enracinées.
Cependant, il semblerait que l’obéissance soit caractérisée
par le fait que l’acte accompli ne correspond pas aux mobiles
de son auteur, mais à son origine dans le système
de motivations des individus plus haut placés dans la hiérarchie
sociale. Si l’autorité lui demandait de boire un verre
d’eau, l’individu s’exécuterait. Il ne
faut pourtant pas en déduire qu’il a soif.
De plus, il est évident qu’à de rares exceptions
près, les sujets trouvaient déplaisante voire odieuse
l’action qui leur était prescrite même s’ils
s’estimaient tenus de l’accomplir.
Enfin, dans quelques variantes de l’expérience, les
individus avaient le libre choix de pénaliser la victime,
ils ne l’ont pourtant pas fait. Ce n’est donc pas dans
le défoulement de la colère ni de l’agressivité
qu’il faut chercher la clé du comportement des sujets,
mais dans la nature de leur relation avec l’autorité.
i) Objections à la méthode
j)
De nombreuses personnes se sont offusquées face à
cet ouvrage. En effet, les résultats ne correspondaient pas
à l’idée que chacun de nous se fait de la nature
humaine. Pour les détracteurs de cette étude, l’homme
est globalement bon, si ces sujets ont administré de tels
chocs à l’élève c’est que :
1. ils ne représentaient pas l’homme en général.
L’auteur répond à cette objection en affirmant
que son échantillon, en plus d’être large, réuni
toutes les classes sociales, toutes les religions, tous les sexes,
tous les types de profession… D’autres chercheurs ont
aussi mené l’étude dans différents pays
et sont parvenus aux mêmes conclusions.
2.
3. les sujets ne croyaient pas administrer des chocs à l’élève.
Selon l’auteur la tension observée chez les sujets
fournit une preuve flagrante que les sujets ont véritablement
cru à la situation. Les ¾ des sujets reconnaissent
d’ailleurs avoir cru qu’ils administraient des chocs
à l’élève. Pour les personnes qui refusent
d’y croire, c’est majoritairement parce qu’ils
ont été des sujets obéissants et qu’ils
préfèrent nier le mal qu’ils ont pu procuré
à l’élève.
4.
5. l’expérience est trop particulière et non
généralisable. Cependant, dans toutes les situations
de ce type, les réactions de l’individu dépendent
moins de la nature de ce qui est exigé de lui que de la base
de sa relation avec la personne qui le lui demande. Chaque fois
que l’autorité légitime est à l’origine
de l’action, la relation de l’individu avec la première
prime la nature de la seconde.
6.
Ce qui a offusqué les détracteurs de cette étude,
c’est la capacité de Milgram à prouver que les
actes de destruction accomplis dans la routine de la vie quotidienne
sont le fait d’hommes ordinaires qui obéissent simplement
aux ordres. De tout temps, il y a eu des hommes qui ont courbé
l’échine devant l’autorité et sont ainsi
devenus les exécuteurs de crimes atroces.
L’ironie c’est que les vertus de loyauté, de
discipline, de sacrifice si hautement appréciées sur
le plan individuel sont les mêmes qui amènent l’homme
à créer sur le plan organisationnel de véritables
entreprises de destruction et qui l’assujettissent aux systèmes
d’autorité malfaisants. L’individu autonome cède
la place à une créature nouvelle privée des
barrières dressées par la morale personnelle, libérée
de toute inhibition, uniquement préoccupée des sanctions
de l’autorité. « C’est pourquoi partout
et toujours la condition même de la liberté est une
attitude de scepticisme général et systématique
vis-à-vis des critères que le pouvoir veut imposer
» .
15. COMMENTAIRES
16.
Les principales critiques qui ont été apportées
à l’étude de Stanley Milgram sont d’ordre
méthodologiques ou éthiques .
Premièrement, beaucoup de ses lecteurs - et notamment Martin
Orne, professeur de psychologie à l’université
de Pennsylvanie - ont affirmé que l’impassibilité
de l’expérimentateur face à la souffrance de
l’élève avait dû éveiller les soupçons
des moniteurs quant au véritable but de l’expérience.
Ainsi, les sujets auraient deviné que l’élève
ne recevait en réalité aucun choc électrique.
Cependant, ils continueraient d’obéir aux injonctions
pour ne pas embarrasser l’expérimentateur en lui révélant
qu’ils ont démasqué son réel projet.
Stanley Milgram avait répondu à cette critique en
affirmant que la tension ressentie par les sujets dans le laboratoire,
les empêchaient d’avoir un quelconque discernement de
la situation.
Quant aux critiques d’ordre éthique, elles mettaient
en valeur les possibles répercussions psychologiques de cette
expérience sur les individus. Dans les appendices de son
ouvrage, Stanley Milgram nous fait part de quelques réponses
qu’il a formulé à ce sujet. Selon lui, les chiffres
montrent que les individus n’ont pas été négativement
affectés par cette expérience puisqu’ils affirment
pour la majorité d’entre eux qu’ils sont heureux
d’y avoir participé. Un grand nombre de sujets affirme
aussi avoir retiré de cette recherche, un réel enseignement
sur eux-mêmes et sur la nature humaine. De plus, Stanley Milgram
affirme que lui et ses collaborateurs avaient pris toutes les mesures
nécessaires pour ne pas laisser de séquelles psychologiques
aux individus. Le débriefing était notamment destiné
à rassurer l’individu sur son comportement.
Mais finalement, ce qui a le plus soulevé la communauté
scientifique c’est la capacité de Stanley Milgram à
« banaliser » tous les actes d’horreur perpétrés
depuis la nuit des temps. En effet, ce que l’on doit retirer
de cet ouvrage, c’est que des individus parfaitement sains
et équilibrés peuvent être menés à
des actes d’une cruauté sans fin lorsqu’ils ont
soumis à l’autorité. Les atrocités des
régimes nazies ou communistes auraient été
perpétrées par des hommes ordinaires. Stanley Milgram
reprend ainsi à son compte la thèse d’Hannah
Arendt sur la « banalité du mal ». Cette femme,
journaliste au procès Eichmann, avait en effet affirmé
que cet homme n’était pas un monstre, qu’il n’était
pas différent de nous, mais qu’il était tout
au plus, un « rond-de-cuir sans initiative qui se contentait
de s’asseoir derrière son bureau et de s’acquitter
de sa tâche ». Pour avoir exprimé de telles opinions,
elle s’attira un mépris immense allant même jusqu’à
la calomnie. « Chacun estimait que les abominations perpétrés
par Eichmann ne pouvaient qu’être le fait d’une
personnalité bestiale, pervertie et sadique, l’incarnation
même du mal ». Ainsi, Daniel Jonah Goldhagen, professeur
en sciences politiques à l’université Harvard,
affirme que les partisans de la thèse de la banalité
du mal, minimisent les capacités critiques des acteurs. D’autres
plus optimistes, opposent à la « banalité du
mal », « l’ordinaire de la bonté »
en affirmant que les personnes ayant commis les plus grands actes
de bravoures étaient eux aussi des individus quelconques,
ni des héros, ni des saints. « L’ordinaire de
la bonté est une réalité humaine aussi tangible
que la banalité du mal » (François Rochat et
André Modigliani, 1995).
J’ajouterai par ailleurs une autre remarque qui me paraît
fondamentale au sujet de sa définition de l’autorité.
Dans l’expérimentation, le chercheur doit parfois user
de moyens de coercition pour parvenir à obtenir ce qu’il
souhaite. Au commencement, l’autorité est naturelle
; il va de soi pour le moniteur qu’il doit faire ce que l’expérimentateur
lui a demandé. Puis lorsque le conflit entre la conscience
et l’autorité grandit chez le sujet, le chercheur se
voit contraint d’user de processus de persuasion et d’argumentation
tels que « vous n’avez pas le choix, vous devez continuer
»… Or, l’autorité selon Hannah Arendt et
bien d’autres, doit exclure l’usage de moyens extérieurs
de coercition. Là où la force, l’argumentation
ou la persuasion sont utilisées, l’autorité
a échoué. Ainsi, l’autorité échoue
à partir du moment où le sujet ose pour la première
fois s’adresser à l’autorité et réprouver
ses pratiques. La soumission n’existe que tant que l’individu
réprime ses convictions. Spinoza le disait, tout être
a la liberté d’opiner et de juger mais il ne doit jamais
passer à l’acte lorsqu’il désapprouve
l’autorité. Dans le cas contraire, il remettrait en
cause cette dernière – garante, selon lui, de l’ordre
démocratique - et menacerait ainsi sa propre liberté.
La fin de l’autorité de l’Etat « n’est
pas de dominer les hommes, de les retenir par la crainte, de les
soumettre à la volonté d’autrui, mais tout au
contraire de permettre à chacun […] de conserver intact
le droit naturel qu’il a d’exister et d’agir,
sans dommage ni pour lui ni pour autrui ». A la suite de la
première injonction de continuer prononcée par l’expérimentateur,
il ne s’agirait donc plus d’obéissance. Cependant,
tout dépend de la posture de l’auteur ou du lecteur
quant à la définition de l’autorité.
D’un point de vue plus personnel, ce livre m’a posé
quelques problèmes de sommeil !
D’une part parce que l’étude me paraît
assez large. Il est donc difficile d’y apporter des objections
fondées et nous devons alors reconnaître la portée
de ces travaux. De nombreuses configurations ont été
imaginées, de multiples variables ont été testées
pour essayer de comprendre ce qui influait sur la soumission à
l’autorité. Seul l’étude des femmes dans
le rôle de la victime et dans le rôle de l’expérimentateur
n’a pas été testée et aurait pu donner
des résultats intéressants ; surtout à l’époque
où les travaux ont été menés.
D’autre part, parce qu’un très faible nombre
de critiques méthodologiques semblent acceptables. A mes
yeux, seule l’utilisation de la cybernétique pour étudier
un comportement humain est douteux. Elle mène à réduire
le comportement d’un homme à celui d’un automate.
Cependant, elle ne fonde pas toute la réflexion, certaines
conditions restent donc valables en toutes circonstances.
Enfin, bien que ne partageant pas tout à fait sa conception
de l’autorité, il me paraît évident que
nous sommes dès notre plus jeune âge victime des structures
hiérarchiques et du conformisme. Quel enfant n’a jamais
été conduit à l’école ou chez
des amis à commettre des actes – mêmes quelconques
– qu’il n’aurait jamais perpétré
à la maison ? Quel enfant n’a jamais dit à ses
camarades « si mon père a dit ou fait cela, c’est
que c’est ce qu’il faut dire ou faire ! ». A mes
yeux, l’inhibition de notre sens critique commence à
l’origine et se perpétue jusqu’à l’âge
adulte. Serai-je en effet capable aujourd’hui d’alpaguer
M. Colasse en lui disant « Salut Bernard ! » ?
Evidemment, les circonstances ne sont pas les mêmes que celles
de l’Allemagne nazie. Alors, est ce que s’il s’agissait
de la vie d’hommes et de femmes, mon comportement serait différent
? Il est fort probable que non selon la thèse de Stanley
Milgram.
Des millions de personnes ont laissé Hitler perpétrer
ses atrocités en toute connaissance de cause. Seuls quelques
milliers de résistants ont été capables de
mettre leur vie en danger pour s’ériger face à
ce régime. Parce que quel que soit le problème, il
me semble que l’homme pensera toujours à sa vie et
à celle de ceux qu’il aime avant de sauver celles d’inconnus.
Tout individu pensera ainsi aux représailles que lui et sa
famille sont susceptibles de recevoir de la part de l’autorité.
Et, par peur de mettre sa vie en danger en désobéissant,
il préférera laisser les autres en danger. Il s’agit
bien ici de soumission à l’autorité et non d’un
quelconque réflexe de survie ou d’une autoprotection
! L’homme commet des actes répréhensibles ou
collabore car il craint de se voir infliger une sanction par l’autorité
s’il ne se soumet pas.
De même, il me semble que l’individu préfèrera
toujours se soumettre à l’autorité plutôt
que de s’user à remettre en cause son rapport avec
le pouvoir. Nous pouvons ici faire un parallèle avec l’affaire
Dreyfus dans laquelle l’injustice a été préférée
à la remise en cause de certaines institutions de l’Etat.
Enfin, un autre élément m’a perturbé
: c’est le constat du peu de corrélation entre les
comportements observés et les individus eux-mêmes.
Ce n’est pas parce qu’un homme a une forte personnalité,
un large sens critique, un côté anti-conformiste ou
généreux, qu’il désobéira aux
ordres de l’expérimentateur. L’obéissance
a pour origine un aspect complexe de la personnalité et dépend
aussi du type de situation à laquelle le sujet est confronté.
Ainsi, chacun de nous, quelque soit sa personnalité serait
capable de se soumettre à l’autorité.
J’ajouterai à l’analyse de Stanley Milgram,
que cette soumission à l’autorité est aussi
probablement causée par la peur du conflit de notre société
moderne. Même d’égaux à égaux il
nous est parfois très difficile de désapprouver l’attitude
de l’autre.
17. ACTUALITE DE LA QUESTION
18.
Le problème moral que pose l’obéissance dans
les cas où il y a conflit entre l’ordre donné
et la conscience avait déjà été étudié
par Platon dans Antigone. Cette jeune femme avait en effet décidé
après la mort de son frère et malgré les injonctions
de Créon, de recouvrir le corps de poussière. Elle
avait donc choisi de braver l’autorité afin de respecter
ses idéaux, ses valeurs et sa morale. Il lui en coûta
très cher puisqu’elle fut enfermée vivante dans
un caveau.
D’autres philosophes se sont aventurés par la suite
sur le terrain de la soumission à l’autorité.
Ainsi, Spinoza par exemple écrira « c’est au
droit de se rebeller contre l’autorité auquel l’homme
a renoncé pour vivre dans la plus grande harmonie possible,
c’est à dire au sein d’un Etat ». Selon
lui, le bon citoyen ne doit pas se rebeller afin de préserver
l’autorité de l’Etat. Il ne doit pas pour autant
renoncer à son droit de critiquer, de parler, de penser,
de juger… Mais il doit le faire sans mettre en péril
l’autorité souveraine. Il faut donc laisser un certain
pouvoir au souverain même si ceci nous contraint à
agir contre ce qui nous semble bon. Pour cet auteur, finalement,
la soumission à l’autorité souveraine est la
garantie de vivre dans un Etat démocratique, donc de vivre
libre. Ainsi, pour les philosophes conservateurs, toute rébellion
met en péril les fondements de l’édifice social.
D’autres auteurs affirmeront au contraire que c’est
le droit de désobéir qui fait de l’homme un
être libre. Ainsi, tout homme a la liberté de s’opposer
à l’autre et notamment à quelqu’un qui
voudrait lui enlever sa vie. Alors pourquoi tant d’hommes
partent sur les champs de batailles ? Pourquoi les juifs au cours
de la seconde guerre mondiale ne se sont pas soulevés ? Pourquoi
n’usons nous pas de ce droit à désobéir
? Cette thèse ne serait en effet qu’un idéal
auquel aucune société ne pourrait parvenir. Selon
Milgram, l’individu est si ancré dans les structures
hiérarchiques, qu’il en perd sa capacité à
déterminer les limites de l’autorité. Il oublie
ainsi son droit de dire « non »
Puis, les philosophes humanistes feront du concept d’autorité
un point inséparable de celui de devoir. Nous devons dans
le cas où notre conscience serait en conflit avec l’autorité,
faire primer notre éthique personnelle. Ici, c’est
le respect de notre Loi morale qui fonde notre liberté. Autorité
et liberté sont donc une fois encore inséparables.
Weber quant à lui ira aussi de sa propre définition
de l’autorité. Dans Economie et Société,
il s’intéresse à l’obéissance volontaire
et tente de comprendre les raisons qui poussent un individu à
agir sous l’emprise d’un autre. Selon lui, que l’autorité
soit rationnelle, charismatique ou traditionnelle, les hommes obéissent
sans penser à la valeur ou à la non valeur de l’ordre.
C’est la croyance et la légitimité qui fondent
la domination, ce n’est pas la portée de l’acte
qui est exigée. La thèse de Milgram rejoint donc celle
de Weber.
Aujourd’hui, la problématique de l’autorité
prend sens au niveau des organisations. Les patrons fondent leur
puissance sur de quelconques compétences et tentent d’asseoir
leur légitimité par on ne sait quel moyen. La loyauté
notamment est utilisée comme un procédé permettant
d’asseoir son autorité. Le supérieur exige de
ses subordonnés qu’ils lui soient loyaux. Mais, ceci
ne signifie pas qu’ils aient le droit de donner leur avis
sur les décisions prises. Au contraire, ils doivent exécuter
les ordres sans émettre un quelconque jugement de valeur.
Le management serait donc une manipulation tendant à faire
des hommes de gentils serviteurs. C’est ce que Joule et Beauvois
appellent la soumission librement consentie selon laquelle «
on peut obtenir d’autrui qu’il se comporte comme on
le souhaite, sans avoir recours à l’autorité,
aux pressions, ni même à la persuasion. On peut donc
exercer une telle influence sur autrui sans que celui-ci ait à
mettre en doute cette liberté qu’il a appris à
considérer comme l’un des attributs essentiels ».
19. BIBLIOGRAPHIE COMPLEMENTAIRE
H. Arendt (1966), Eichman à Jérusalem, rapport sur
la banalité du mal, Gallimard, Paris
Joule R.V., Beauvois J.L. (1999), La soumission librement consentie
: comment amener les gens à faire librement ce qu’ils
doivent faire ? Paris, PUF
Laski, H.J. (1919), “The dangers of Obedience”, Harper’s
Monthly Magazine, vol. 159, p. 1610
Lecomte, J. (1997), « Soumission à l’autorité
», Sciences Humaines, n°72
Spinoza B. (), Traité théologico-politique, Paris,
Flammarion
Weber, M. (1971), « Les fondements de la légitimité
», in Economie et Société. Paris, Plon, pp.
219-222
www.wikipedia.fr
http://membres.lycos.fr/psychosociale/champs/champs-sa.htm
www.cnam.fr/lipsor
http://palissy.humana.univ-nantes.fr/cete/tvx/jai/Partie3.html
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