Origine : http://www.aloufok.net/spip.php?article48
mercredi 28 janvier 2009
Dès le début du 20ème siècle la question
de l’eau se pose de manière cruciale dans cette région
du monde. Au lendemain de la déclaration Balfour du 2 novembre
1917 qui promet aux juifs l’établissement d’un
foyer national juif en Palestine, le président de l’organisation
Sioniste Mondiale, Chaïm Weizmann, écrit une lettre
au Premier ministre britannique, en 1919, lui demandant d’étendre
la frontière Nord de la Palestine de manière à
englober toutes les sources d’eau prenant ainsi en compte
au-delà des considérations religieuses ou historiques,
les considérations hydrauliques. « Tout l’avenir
économique de la Palestine dépend de son approvisionnement
en eau pour l’irrigation et pour la production d’électricité
; et l’alimentation en eau doit essentiellement provenir des
pentes du Mont Hermon, des sources du Jourdain et du Fleuve Litani
(au Liban)… Nous considérons qu’il est essentiel
que la frontière Nord de la Palestine englobe la vallée
du Litani sur une distance de près de 25 miles (40,2km environ)
en amont du coude, ainsi que les flancs Ouest et sud du mont Hermon…
» Les frontières proposées englobent non seulement
tout Israël, mais aussi Gaza, la Cisjordanie, les hauteurs
du Golan, des portions du Liban, de la Syrie et de la Jordanie.
C’est aussi dans ce contexte qu’un hydrologue grand
précurseur du développement hydraulique des Etats-Unis,
Elwood Mead sera invité par les sionistes à venir
en Palestine, ce qu’il fera en 1923 et en 1927 » Lors
de ses deux voyages il ne visitera que des colonies juives et fera
une sorte d’Etat des lieux de la situation de l’eau
et des projets futurs à prévoir par les sionistes.
Il fait notamment une critique pertinente sur la manière
dont les juifs venus d’Europe utilisent l’eau en ne
tenant pas vraiment compte des réalités du terrain
mais se gardera de les rendre publiques. En fait il sera assez visionnaire
puisqu’une des raisons des manques d’eau aujourd’hui
en Israël tient à la manière de consommer celle-ci.
Elwood Mead donnera des indications notamment pour irriguer le Néguev,
aride, en prélevant de l’eau du Jourdain pour alimenter
cette partie de la Palestine.
Ces propositions de travaux seront confirmées par le Plan
Hayes du nom d’un ingénieur américain qui préconisera
« l’irrigation des terres de la vallée du Jourdain,
la dérivation des eaux du Jourdain et du Yarmouk pour la
création d’énergie hydroélectrique, le
détournement des eaux du Nord de la Palestine vers le désert
du Néguev au sud et l’utilisation de l’eau du
Litani au Liban. »
En fait, on sait aujourd’hui par les recherches effectuées
par les Nouveaux Historiens israéliens, que l’acceptation
du plan de partage n’était qu’une première
étape mais que les sionistes comptaient aller au-delà
notamment pour s’accaparer les ressources en eau mais aussi
les terres les plus riches.
Dès 1953 Israël va mettre en application notamment
les directives du plan Hayes et commencer à détourner
l’eau du Jourdain, ce qui sera critiqué par les Nations
Unies suite à des plaintes notamment de la Syrie. Car pour
les Jordaniens et les Syriens les conséquences sont aussi
importantes pour leur pays et leur utilisation. C’est ainsi
que le président des Etats-Unis Eisenhower décide
d’envoyer un envoyé spécial Eric Johnston pour
proposer un plan de répartition des ressources hydrauliques.
Les négociations vont avoir lieu sur 1954 et 1955, jusqu’octobre
1955 date de son dernier voyage et où il fait une proposition
finale, qui sera en réalité la plus favorable à
Israël, sa part augmentant et celle de la Jordanie diminuant.
Les Etats arabes et Israël vont formellement accepter ce plan
mais le rejetteront politiquement. En réalité il y
avait aussi un problème car il ne tenait pas compte des ressources
des nappes souterraines.
Israël va donc poursuivre ses projets dont la première
phase sera achevée en 1964, ce qui poussera les Etats Arabes
à adopter un plan de construction de deux réservoirs
artificiels sur le Yarmouk, principal affluent du Jourdain, ainsi
que le détournement de la rivière Banias vers la Syrie
et la Jordanie. Israël va accuser les Etats Arabes de l’agresser
et ne cessera de bombarder les travaux tout au long de cette période
jusqu’en 1967.
La guerre de Six Jours, qui eut lieu du 5 au 10 Juin 1967, fut
en réalité la guerre pour l’eau. Cette guerre
va permettre à Israël d’étendre son emprise
territoriale et d’achever la mise en œuvre de ses plans
hydrauliques. Elle accapare le désert du Sinaï, non
pour les ressources mais pour forcer l’Egypte à la
laisser passer par le Canal de Suez, ce qui donnera lieu à
l’accord de Paix dit les Accords de Camp David et qui permettront
en 1982 à Israël de rendre le Sinaï.
Israël occupe toute la Cisjordanie, Gaza et les hauteurs du
Golan, lui donnant accès ainsi par son occupation aux ressources
en eau. En 1978 elle occupera le sud Liban pour achever en quelque
sorte cet approvisionnement, avec notamment l’usage et le
détournement d’une partie du Fleuve Litani par un système
de pompage, sud Liban qu’elle ne libérera qu’en
2000, suite à une résistance acharnée du Hezbollah
installé dans cette région. La Guerre des six jours
sera suivie d’une politique de colonisation c’est-à-dire
d’implantations de juifs dans ces territoires conquis par
la force, cette colonisation permettant de contrôler directement
sur le terrain le niveau d’utilisation de l’eau par
les populations locales (en effet dès cette date Israël
impose des interdictions notamment pour l’agriculture, le
forage de puits etc.), mais également de développer
la politique du fait accompli c’est-à-dire faire en
sorte que rendre ces territoires deviennent impossible par la présence
de villes entières juives. Le Golan sera même illégalement
annexé et la majorité de sa population expulsée
afin de diminuer la consommation locale (100 000 personnes), et
va permettre à Israël de contrôler en amont du
Jourdain les ressources hydrauliques vitales.
Le contrôle du bassin du Jourdain est important car le Jourdain
possède des eaux de surface et des eaux souterraines. Le
Jourdain prend sa source sur les pentes du Mont Hermon, les eaux
des trois principales rivières qui alimentent le haut Jourdain
se réunissant dans le lac Huleh : il y a la Rivière
Dan, plus large affluent du Jourdain, son débit s’élève
à 245 millions de mètres cubes par an, soit environ
50% du débit du haut Jourdain. Ensuite il y a le Hasbani
qui a un débit de 138 millions de mètres cubes par
an. Ces eaux traversent 50 km avant d’entrer en territoire
israélien. Enfin le Banias, qui a un débit de 121
millions de mètres cubes par an. Mais le débit total
du Jourdain varie de 1200 à 1800 millions de mètres
cubes par an, soit 2% du débit annuel du Nil soit très
peu.
Les eaux souterraines ont été surexploitées.
Depuis l’occupation en Cisjordanie et à Gaza, 70 à
80% des villes et villages palestiniens ne reçoivent que
quelques heures d’eau par semaine, obligeant la population
à faire des réserves dans des bidons soit dans des
conditions d’hygiènes hasardeuses. Tandis que les postes
militaires israéliens et les colonies sont alimentées
24 heures sur 24. Ces populations vivent comme si elles étaient
dans un pays européen, alors que la population palestinienne
a toujours géré son eau en connaissant l’aridité
de la région. De plus le développement agricole israélien
se fait aussi en contradiction avec les ressources en eau disponibles.
Les Palestiniens n’ont pas le doit de forer des puits, alors
que les colons le peuvent et sur de grandes profondeurs (300 à
500 mètres).
Dans la bande de Gaza la situation est encore plus catastrophique
puisque les nappes phréatiques sont pompées pour alimenter
les colonies (soit 6000 habitants) ce qui laisse 1200 000 h. avec
de l’eau devenue saumâtre par l’arrivée
de l’eau de mer dans les nappes phréatiques. De nouvelles
maladies font leur apparition notamment des cas de plus en plus
fréquent chez les Palestiniens d’hépatites ce
qui n’était pas le cas avant.
Au niveau international les normes n’avaient jamais vraiment
été établies pour trouver des solutions aux
conflits relatifs à l’utilisation de l’eau. Mais
de 1992 à mai 1997 différentes commissions ont travaillé
sur des mesures à prendre et cela à donner l’adoption
par les Nations Unies le 14 mai 1997 d’une « Convention
sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau à
des fins autres que la navigation » A/51/869. Cette convention
reconnaît la nécessité de procéder à
des ajustements qui permettent de préserver l’égalité
des droits de tous les Etats riverains, et à ne pas causer
de dommages significatifs sur les ressources naturelles.
C’est dans ce cadre juridique naissant, et à la faveur
des accords survenus au lendemain de la signature des Accords de
Paix dits accords d’Oslo et signés en 1993, que de
nombreuses réunions vont avoir lieu entre Israël et
ses voisins.
Le 26 octobre 1994 Israël et la Jordanie signent un traité
de paix qui comporte un volet sur l’utilisation de l’eau
et leur partage. Mais, malgré le fait que la Jordanie a dans
un premier temps pensé avoir fait valoir ses droits, il s’avère
qu’elle a été désavantagée, et
notamment elle est contrainte de prélever ses ressources
sur le Yarmouk en été et Israël en hiver. Or
l’été, en raison du réchauffement et
du manque de pluies ces dernières années, elle a été
dans l’obligation d’acheter de l’eau à
Israël jusqu’en l’an 2000 où une crise est
apparue car Israël lui a vendu de l’eau impropre à
la consommation pour de l’eau potable, et qui a impliqué
une épidémie de maladies. Mais cela a été
vu comme une étape dans un processus de paix qui devait devenir
plus global.
En ce qui concerne les discussions entre israéliens et palestiniens,
en vertu des accords d’Oslo cette question était renvoyée
à d’autres négociations qui n’aboutiront
pas en raison de l’échec du processus de paix et donc
de l’arrivée de la deuxième Intifada en septembre
2000. Le développement des colonies est à lui seul
contraire à toute solution négociée (les colons
consomment sept fois plus d’eau que les Palestiniens) car
ce développement implique une croissance du nombre de colons
et donc de leurs besoins en eau en Cisjordanie et dans la bande
de Gaza. Israël se trouve elle aussi dans une période
difficile pour l’eau puisque sa consommation grandissante
et à l’Européenne la pousse à puiser
de plus en plus dans les nappes phréatiques et par conséquent
à mettre en péril ses propres ressources, ce qui la
pousse encore plus à ne pas vouloir conclure d’accord
dans le cadre international de la Convention de 1997, qui l’obligerait
à prendre des mesures y compris d’éducation
quant à la manière dont les Israéliens utilisent
ces ressources en eau. Elle doit notamment lutter contre le gaspillage,
mais aussi réorienter ses besoins, car elle utilise déjà
70% de son eau à l’agriculture, pour le développement
d’une agriculture d’exportation qui a laissé
de côté l’agriculture traditionnelle qui existait
avant son existence. L’utilisation de l’eau est, d’après
les derniers chiffres relevés par les associations hydrauliques,
de 260 mètres cube par an pour les Palestiniens, et de 1760
mètres cube par an pour les Israéliens. En Palestine
l’usage est de 80m3 par personne par an soit trois fois moins
que pour les Israéliens.
En ce qui concerne les négociations entre la Syrie et Israël,
elles ont bien eut lieu et les Syriens étaient prêts
à céder une grande partie du Golan sous réserve
qu’ils aient un accès sécurisé à
l’eau, mais malgré les progrès auxquels étaient
arrivés les négociateurs des deux côtés,
Ehud Barak a tout annulé du jour au lendemain reportant la
réussite d’un accord juste et définitif aux
calendes grecques.
Depuis la deuxième Intifada, la situation s’est encore
dégradée puisque l’armée israélienne
et les colons attaquent de manière presque systématique
les puits, empêchent les Palestiniens d’accéder
à l’eau et à terme essayent de les pousser à
partir. De ce fait le coût de l’achat de tanks d’eau
à considérablement augmenté passant de 2,5$
par mètre cube à 7,5$. Les hélicoptères
israéliens bombardent les tanks sur les toits des maisons
ainsi que les puits importants comme ce fut le cas cette année
à Rafah, dans la bande de Gaza.
Comme vous le voyez, le cas de cette région du monde est
un symbole fort pour le monde entier puisque la question de l’eau
est un des enjeux majeurs pour le siècle à venir.
Dans le cas de Palestine/Israël toute négociation de
paix est tributaire de l’établissement d’un accord
juste et équitable, conforme à la Convention du 14
mai 1997 et ce ne peut être que dans un cadre global (avec
la Syrie, le Liban et la Jordanie) que la paix pourra se construire
entre israéliens et palestiniens.
Les derniers évènements nous poussent au pessimisme,
tant les destructions opérées par l’armée
israélienne risque de rendre toute solution tardive et coûteuse.
En effet, toutes les infrastructures administratives de l’Etat
palestinien naissant, financées par la Communauté
européenne principalement, ont été détruites
et pour le moment Israël, soutenu par les Etats-Unis refuse
d’en endosser le prix à payer soit des milliards d’Euros.
Sources :
L’eau du Bassin du Jourdain, Maghfour El Hassane, in REP
n*18, hiver 1999.
Questions sur les Palestiniens, Jocelyne Grange, Guillemette de
Véricourt, Les essentiels Milan, Janvier 2002.
An American in Palestine : Elwood Mead and Zionist water resource
planning, 1923-1936, in Arab Studies Quarterly, Winter 2000, Volume
22.
Le pillage de l’eau dans les territoires occupés,
Jeffrey D. Dillman, in REP n*35, printemps 1990.
La question de l’eau au Moyen-Orient. Discours et réalités.
Monde arabe. Maghreb-Machrek. N*138, octobre-décembre 1992.
Israël/Palestine demain. Atlas prospectif. Philippe Lemarchand
et Lamia Radi, Editions Complexe. 1996.
http://www.aloufok.net/spip.php?article48
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