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Le pari de la décroissance: Latouche ne manque pas d'R
Cyril Di méo

Origine : http://cyril-dimeo.over-blog.com/article-4307204.html


Serge Latouche vient de sortir un bouquin sur la décroissance. Pari de la décroissance. Ainsi en 300 pages il nous résume ses arguments pour sa décroissance.

En le lisant on est relativement surpris.. car le bouquin oscille entre des thèses philosophico-économiques extrêmement radicales et douteuses et des préconisations que tous les écologistes signeraient sans problème. Commençons ainsi par ce qui ne pose pas problèmes. Latouche préconise que nous adoptions "8 R". Réévaluer, reconceptualiser, restructurer, redistribuer, relocaliser, réduire, réutiliser, recycler.. qui l'amène aux préconisations suivantes.

1) Revenir à l’empreinte écologique d’une Terre pour la France,

2) Internaliser les coûts des transports

3) Relocaliser la production

4) Restaurer l’agriculture paysanne

5) Utiliser les gains de productivité pour faire de la RTT

6) Produire des biens relationnels

7) Réduire les gaspillages d’un facteur 4

8) Pénaliser les dépenses de publicité

9) Décréter un moratoire sur les innovations technologiques.

On pourrait signer quasiment sans discussions ces points (exception faite du moratoire général sur l’innovation trop systématique). D’ailleurs Latouche le reconnaît car il affirme que des Verts à Attac il y a accord sur ces points.. Où y a t’il donc problème alors ? Pourquoi ne pas s’émerveiller devant un tel bouquin qui redit ce que les écologistes expliquent depuis 20 ans ?? Et bien il faut le dire Latouche ne manque pas d’R car il inscrit, (provisoirementà mon avis car comment expliquer alors ce décalage entre les sousbassements idéologiques et les mesures préconisées ?? ) ces idées dans une réflexion philosophie plus globale inquiétante.

Quels sont ces points ? D’abord le rapport à la nature que pose Serge Latouche. Ainsi il affirme « Les hommes sont prêts à se donner à Gaia (personnification mythologique de la Terre) comme Gaia se donne à aux. En niant la capacité de régénération de la nature, en réduisant les ressources naturelles à une matière première à exploiter au lieu de la considérer comme un « ressourcement », la modernité a éliminé ce rapport de réciprocité. Renouer avec cette disposition d’esprit préaristotélicienne est sans doute la condition de notre survie ». (p20). C’est donc une vision fusionnelle des relations entre nature et culture, c’est donc une vision préscientifique qui est vue comme la base d’une pensée écologique. Il me semble y avoir là une véritable régression…

Ensuite Serge Latouche montre bien comment la décroissance est la reprise des travaux d’une « Internationale » de l’ « anti ou post-développement , dans la filiation d’Ivan Illich, Jacques Ellul,et François Partant » qui travaille et écrit depuis 40 ans. (p24) Position qui critique « l’enfer » de la croissance, « le virus » (p133) du développement, la « drogue » le « Vih ». Terme biologisants ayant une connotation morale douteuse. D’autant plus problématique que Serge Latouche indique clairement l’ennemi, l’idéologie développementiste et ses défenseurs. Car « la différence est totale entre ceux qui, depuis les années 60, dénoncent l’imposture du développement et les « humanistes » qui s’en font les complices » (p129). (Les personnes qui dans mes diverses conférences n'ont céssé de me dire que décroissance et développement durable étaient compatibles devraient relire leurs penseurs..) Car « le développement est en outre un concept « génétiquement » occidentalo-centré, il contient l’hubris du seul fait qu’il implique une absence de limites » (p133).. Il serait donc rien de moins que « l’idéologie développementiste a été « la plus grande arme de destruction massive « imaginée par le génie humain » (p134)...Rien de moins...Le reste devant être des détail de l’histoire de l’humanité. Le propos est tellement haineux contre l’universalisme et l’humanisme qu’on ne peut qu’être saisit qu’il soit si partagé chez les écologistes…On peut aussi critiquer sa défense de la thèse illichienne de la lutte pour une déscolarisation.. ainsi il explique p 160 les méfaits de cette occidentalisation du monde et cette colonisation des esprits… et en appelle à une déscolarisation révolutionnaire...

Une posture assez surprenante est aussi développée concernant la démographie. On est relativement inquiet de voir que Latouche met sa réflexion sur ce sujet dans le Chapitre 5 sous le patronage d’une citation de Pasolini « Procréer est aujourd’hui un délit écologique »…Le chapitre est alors un exercice alambiqué de rhétorique surprenante pour dénoncer les risques du malthusianisme (désamorçant les critiques possibles p 141) mais aussi défendre en même temps une position malthusienne avec une société en « état stationnaire optimal (1 à 3 milliards) »( p145) et une « décroissance démographique souhaitable » (p146)

Mais là où le texte encore plus discutable c’est sur le nécessaire réenchantement du monde qu’il préconise (p282). Et quand à savoir si « l’entreprise de décolonisation de l’imaginaire permettant de réaliser cet objectif [de société de décroissance] implique-t-elle une forme ou une autre de spiritualité ? C’est possible » (p282). Latouche reprend alors le propos de Pasolini appelant l’Eglise catholique a jouer son rôle de leader du mouvement de contestation de la société de consommation.

Mais Latouche se fait plus précis p 283, « Il existe incontestablement ce qu'on pourrait appeler une «théologie de la décroissance». Spécialiste du développement et de la problématique de la diversité culturelle, j'ai été très souvent confronté à des «curés» ou ex-curés, catholiques ou protestants, théologiens ou pasteurs de l'église réformée comme Jacques Ellul et Gilbert Rist, Arnaud Berthoud, ex-pères blancs comme Michael Singleton, prêtres plus ou moins en rupture de ban comme Ivan Illich, Robert Vachon, Alex Zanotelli, Marc Luycks, Raimon Panikkar et bien d'autres. Ayant moi-même été présenté comme «un païen qui a la foi », peut-être, après tout, suis-je prédisposé pour trans-mettre aux miens, sous une forme profane, des messages pronés dans d'autres chapelles... La voie du «pluriversalisme» tracée par Panikkar, par exemple, est la seule, à mes yeux, qui offre un espoir d'éviter la chute dans la barbarie, voire le suicide de l'humanité; celle d'un nouvel art de consommer, preconisée par Berthoud, ouvre sur un retour de la joie de vivre. La relecture de l'Evangile par Alex Zanotelli fonde la non-violence active comme forme de «la résistance d'une partie de la société civile organisée contre l'empire de l'argent2». Faut-il s'étonner de ces connivences entre nouvelles «hérésies» millénaristes et utopies sociales laïques ou en être choqué? ».

Pour Latouche visiblement pas. On voit alors que Latouche inscrit clairement la décroissance dans une version à peine laïcisée des réflexions spiritualistes. Et ne dénie pas sa dimension « païen qui a la foi ». IL s’en sert même pour tirer une certaine légitimité. Mais sentant qu’il a peut être poussé le bouchon un peu loin il conclu son ouvrage sur cette question. « Toutefois, Si «le sacré est le simulacre institué de l'Abîme», suivant la formule de Castoriadis, les poètes, les peintres et les esthètes de tout poil, bref, tous les spécialistes de l'inutile, du gratuit, du reve, des parts sacrifiées de nous mêmes, devraient suffire à la tâche du réenchantement. « Les plus grands écrivains et artistes, note Jean-Paul Besset, ont fouillé en direction de cette autre vie qui, pour les roman­tiques et les surréalistes, se trouve dans la vie .» Est-il vrai-ment nécessaire de faire appel aujourd'hui aux théologiens, aux ayatollahs, voire aux grandes prêtresses écoféministes des cultes néopaiens syncrétiques ou aux gourous new age qui fleurissent ici et là pour meubler le vide de l'âme de nos sociétés à la dérive ? » On attendrait que Latouche critique ces thèses souvent délirantes il n’en est rien. Piégé par son ultrarelativisme Latouche ne peut rien opposer à tous les gourous qui entendent réenchanter le monde. Latouche ne manque alors pas d'R en disant que la décroissance est une vision consensuelle dont les mesures sont déjà partagées par les grandes mouvances écologistes... puis en ouvrant à une remise en cause radicale de la modernité et des sociétés développées... La décroissance est donc bien une voie dangereuse pour la pensée alternative... par cette confusion quelle entretient...entre des mesures évidentes pour les écologistes politiques et des présupposés philosophiques contraire à l'humanisme.

Je dois causer avec lui et Marc Kramer à Science po Paris le mercredi 22 novembre à 17 h. Je suis vraiment curieux de rencontrer ce personnage et de comprendre ces contradictions.


ps 1 On aurait pu aussi critiquer sa défense d'un certain bio-régionalisme comme son "ami Teddy Goldsmith".

ps2 On aurait pu critiquer son refus d'une économie alternative..même s'il défend après les SEL et AMAP..

ps 3 On ne discutera pas cette fois l'idée que la démocratie est une vision occidentale..même si ça ouvre la porte à certains dangers..

ps 4 On lira avec attention la critique faite par Cheynet du bouquin

http://www.decroissance.org/index.php?chemin=textes/parilatouche.htm

Les tensions entre les membres du journal La décroissance vont croissantes.

publié par Cyril Di méo dans: Ecologie/ Développement durable/ Décroissance

Mercredi 25 Octobre 2006