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Le pari de la décroissance
Serge Latouche
dans Le Soir en Belgique

Origine : http://blogs.lesoir.be/empreinte-eco/2007/02/19/le-pari-de-la-decroissance/

Sus à la « rationalité » économique. Reconnu pour ses nombreux travaux, l’économiste français Serge Latouche démonte pied à pied le dogme de la croissance. Et juge perverse la notion de développement durable. Une « illusion » doublée d’un « mythe » que les élites occidentales refusent de questionner alors que la planète est au bord du crash.

Les tables du café « Le Métro », place Maubert, se confondent avec le planisphère. En filigrane, la carte du monde y imprime les contours d’une globalisation que l’homme récuse. Capitaine de la relocalisation de l’économie, Serge Latouche aimer jeter sur le papier l’encre de ses idées « révolutionnaires » dans ce port d’attache situé à une encablure de son appartement parisien. Avis de tempête : à l’heure où le climat planétaire se dérègle, l’économiste au long cours dresse un réquisitoire contre la société de consommation.

Votre dernier ouvrage (1), Le pari de la décroissance, met en pièce le discours dominant fondé sur la nécessité de croissance pour satisfaire nos besoins…

La croissance, c’est une théorie économique. La décroissance c’est un slogan qui veut casser la langue de bois car on ne s’interroge pas assez. Pourquoi faudrait-il plutôt croître que décroître ? On prend pour fin ce qui ne peut être qu’un moyen. La croissance pour satisfaire nos besoins, cela a sans doute du sens. Mais cette croissance est tel un fleuve en crue. La décroissance, c’est la décrue nécessaire de ce cours d’eau qui inonde tout. Si on voulait être rigoureux, il faudrait parler d’a-croissance. C’est-à-dire rompre avec une religion, un culte, une croyance, une foi qui nous imprègne tous. On a été formaté par cet imaginaire du « toujours plus », de l’accumulation illimitée, de cette mécanique qui semblait vertueuse et qui maintenant apparaît infernale par ses effets destructeurs sur l’humanité et la planète. La nécessité de changer cette logique est de réinventer une société à échelle humaine, une société qui retrouve le sens de la mesure et de la limite qui nous est imposée parce que, comme le disait mon confrère Nicolas Georgescu, « une croissance infinie est incompatible avec un monde fini ».Le groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution sur le climat vient justement de repréciser la menace climatique en rappelant la nécessité de diminuer de 80 % notre dépendance aux énergies fossiles, d’ici 40 ans, pour éviter la catastrophe…

Cela apporte-t-il de l’eau au moulin de votre "théorie" de la décroissance ?

Le concept de décroissance a deux sources : une source anthropologique qui est la critique ancienne de l’économie, de la modernité et de la base originelle de « l’homo economicus » et qui a eu son heure de gloire dans les années soixante-dix. Le message d’Yvan Illich, dont je me considère comme un disciple, c’est que nous vivrions mieux si nous vivions autrement. Autrement dit, il est souhaitable de sortir de ce système qui nous mène à la catastrophe. Le deuxième volet de la théorie de la décroissance, lié à l’écologie et au rapport du club de Rome, notamment, c’est qu’elle est impérative pour des raisons physiques. Il faut donc mêler les deux : le souhait et la nécessité. On peut vivre très bien autrement. C’est pour cela que mon dernier livre est un pari au sens pascalien du terme. Cela vaut le coup, on a rien à perdre, on a tout à gagner.

La décroissance, c’est l’utopie du XXIe siècle ?

L’humanité obéit à deux moteurs essentiels, l’idéal, d’abord. Même chez les pires crapules, il y a toujours une aspiration à un mieux et à un monde meilleur. C’est important de promouvoir une utopie comme but. Le deuxième ressort, c’est la contrainte. Et les menaces sont réelles à ce sujet. Le pari de la décroissance, c’est un pari sur l’avenir et l’humanité. Que l’humanité éclairée par l’utopie concrète combinée avec les contraintes soit incitée à prendre la voie d’une démocratie écologique plutôt que celle d’un suicide collectif. Comme tout pari, c’est loin d’être gagné. Mes professeurs d’économie parlaient de cercles vertueux de la croissance et évoquaient le triangle « gagnant, gagnant, gagnant ». Mais non, il y a des perdants. Et la nature est clairement perdante. Le dérèglement climatique actuel, c’est « seulement » l’effet de la prédation du Tiers-Monde et des trente glorieuses. Donc, cela signifie qu’on ne ressent pas encore l’effet des émissions que nous relâchons aujourd’hui dans l’atmosphère. Il est urgent d’engager un cercle vertueux de la décroissance.

Pour formuler cette utopie, vous allez à rebrousse-poil de ce qui fait consensus aujourd’hui. Le développement durable est une notion invoquée comme un recours par tous les acteurs et vous dites qu’il ne peut mener qu’à une impasse…

Le développement durable a une fonction magique et incantatoire. On voit bien que la rupture nécessaire, ce n’est pas la rupture tranquille de Nicolas Sarkozy. C’est une vraie rupture avec la logique d’un système qui nous a mené dans une impasse. Il convient de faire l’analyse du système, voir pourquoi nous en sommes là et puis d’en changer. On vivrait mieux si on en sortait de ce système dont nous sommes toxico-dépendants.

Comment ?

Dans le problème de la drogue, il y a les drogués et les drogueurs. Ces derniers, on les connaît, se sont regroupés au sein du Conseil mondial pour le développement durable qui regroupe tous les plus gros pollueurs de la planète. Soit deux mille firmes transnationales. Et les drogués, c’est nous. Le problème, c’est que les drogués ont du mal à ne plus fréquenter leur dealer plutôt que d’entreprendre une cure de désintoxication. Et comme les drogueurs ne veulent pas que les drogués se libèrent, rien de tel, dès lors, que de l’euphorisant. Le développement durable est la plus géniale invention sémantique pour tromper les gens. C’est promettre le beurre et l’argent du beurre. On sait très bien que c’est notre développement et le mythe de la croissance qui se sont mis en place au XVIIIe siècle nous amènent dans le mur. Mais notre société, qui ne veut pas changer les choses, préfère changer le mot en collant au développement un adjectif : le développement n’est pas soutenable et contre toute évidence on affirme que l’on va pouvoir soutenir un développement durable.

Vous parlez de bricolage, de concept antinomique et même d’une imposture…

Le développement durable est pervers parce que de l’extrême droite à l’extrême gauche, des politiques aux hommes d’affaires, des syndicats aux médias, tout le monde se met d’accord sur ce concept. Or, le fait qu’il y ait une telle unanimité devrait être suspect car il est difficile de concilier des intérêts aussi antagonistes que ceux de la bourse et de la classe ouvrière…

Que proposez-vous à la place ?

Il convient d’abord de changer les valeurs et de décoloniser l’imaginaire du développement comme disait Castoriadis. Et que s’articule un nouvel imaginaire capable de remplacer celui de la société de consommation et du toujours plus. Le développement durable, c’est toujours plus, avec juste un petit peu moins !

L’opinion est-elle prête à accepter la décroissance « raisonnable, sereine et conviviale » que vous proposez ?

Dans les débats que j’ai eu avec les hommes politiques, certains me disent on est d’accord avec ce que vous dites, mais comment faire passer cela dans l’opinion. Ils me disent : jamais nos électeurs n’accepteront la décroissance. Mais aucun n’a pensé leur demander ! On refuse le débat démocratique alors qu’une grande partie de la population y aspire : que l’on songe aux organismes génétiquement modifiés, au nucléaire, aux nanotechnologies, les débats sont confisqués. En Suisse, contre la majorité des hommes politiques, les citoyens ont dit non aux OGM… Les hommes politiques, frileux ou manipulés par les lobbies, renvoient la responsabilité à l’opinion pour ne pas prendre leur propre responsabilité. La société dans laquelle nous vivons renforce cette tendance à la schizophrénie.

Vous plaidez pour une réduction drastique du temps de travail. Et le reste du temps, on fait quoi ?

On redécouvre la vie. Le travail est un mot emprunté à un instrument de torture. Et le travail, aujourd’hui, c’est encore la contrainte, ce n’est pas l’oeuvre au sens artisanal ou artistique du terme. Non, le travail c’est la galère. Il faut s’embaucher chez un patron parce que nous avons été expropriés de nos moyens de production. Et la vraie vie commence souvent en dehors du boulot. Dans l’Antiquité, on discutait des affaires de la cité. Pour nous, retrouver du temps, cela consisterait à savoir si cela vaut mieux d’utiliser des technologies qui rendent la vie plus humaine. Il y avait trois dimensions de l’activité éveillée de l’homme : l’animal qui travaille, l’oeuvre et l’activité politique. Et en dehors de cela, la vie contemplative, le rêve, la méditation ou le plaisir de ne rien faire occupaient une grande place. On ne serait plus capable, aujourd’hui, de jouir du plaisir de ne rien faire et d’écouter pousser le riz comme on dit au Laos. Il convient de reprendre possession de la vie et du temps : redécouvrir la lenteur, les autres dimensions de l’activité humaine. De ce point de vue, les 35 heures ont été catastrophiques, parce que cela a amené un grand nombre de personnes à consommer plus de loisirs marchandisés plutôt que de retrouver du temps pour eux et s’investir dans la vie sociale.

Vos propositions ne risquent-elles pas d'accroître les inégalités et le chômage ?

Au cours des deux derniers siècles, les gains de productivité ont été multipliés par trente et le temps de travail officiel a été diminué par deux. L’emploi salarié, lui, a été augmenté par 1,75. Il serait temps de transformer les gains de productivité en augmentation de l’emploi et en diminution du temps de travail. A l’époque de mes études, mes professeurs parlaient des cercles vertueux de la croissance qui se sont montrés au fil du temps singulièrement pervers. Avec l’obligation de réduire notre empreinte écologique, nous sommes engagés dans une guerre pour la survie de l’humanité. Et la logique de guerre est une logique de rationnement. S’il n’y a plus d’eau, on la rationnera, ce qui engendrera une politique de redistribution. Moins de 20 % de la population mondiale consomme 86 % des ressources de la planète. Nous sommes déjà dans l’inégalité criarde. Il faudrait trois planètes si chaque être humain vivait comme un Européen.

Vous remettez en cause le système. Les individus sont aussi responsables à ce niveau…

Lorsque j’ai rempli les cases de mon empreinte écologique, je me suis aperçu qu’il y avait quelque chose qui clochait dans cette affaire : l’empreinte écologique de la France était inférieure à une planète jusque dans les années soixante-dix, maintenant nous sommes à trois planètes comme la Belgique. Moi, j’étais déjà un adulte à cette époque-là : est-ce que je mange trois fois plus de viande, est-ce que je consomme trois fois plus de vêtements, d’eau ou d’électricité aujourd’hui ? Non. Que s’est-il passé ? La viande que je consomme maintenant ne provient plus de troupeaux élevés sur les prairies de Normandie ou du Charolais ; elle provient d’animaux élevés avec des tourteaux de soja qui sont faits sur les brûlis de la forêt amazonienne et qui sont mélangés avec des farines animales de mais qui rendent les vaches folles. Le yaourt que l’on fabriquait chez soi, on ne peut plus le faire parce que le lait est trafiqué et parcourt parfois 9000 km en avion ! Les vêtements produits à Lille sont désormais faits à base de fibres en provenance de Honk Kong. Ce n’est pas notre consommation qui a explosé, il ne faut donc pas culpabiliser les gens mais changer le système et s’attaquer aux drogueurs.

Par quels moyens ?

Par tous les moyens possibles : par le vote, la désobéissance civile, les fauchages d’OGM… Il y a mille moyens possibles pour remettre en question la logique de globalisation. Il faut exiger la relocalisation de l’économie. Il est absurde d’importer de l’eau d’Italie par camion et d’y exporter la nôtre de la même manière. On raconte cette histoire désopilante d’un camion qui transportait des tomates élevées sous serre en Hollande et qui a percuté, sur la nationale 7, un camion qui transportait des tomates d’Espagne vers la Hollande.

Ceux qui font le choix de réduire leur empreinte et de vivre autrement apparaissent encore comme des extra-terrestres…

Comme disait Aristote, celui qui vit en dehors de la cité est soit un dieu soit un démon. C’est une démarche qu’il est difficile d’entreprendre en solitaire. On a besoin d’être conforté. par les autres. Des initiatives d’actions collectives se font jour un peu partout. Le fait que l’on forme une petite société à l’intérieure de la grande est très important pour conforter ces choix, sinon, cela s’essouffle très rapidement. L’ivresse joyeuse de l’austérité volontaire, comme disait Illich, est nécessaire. Mais il faut aider les gens à découvrir ou renouer avec cela.

Que vous inspire le pacte écologique de Nicolas Hulot ?

Il y a un décalage entre les faibles engagements demandés aux hommes politiques et les analyses du pacte. Une chose fondamentale manque : c’est l’analyse de la logique de fonctionnement des drogueurs. Nous avons trois pousse au crime dans cette logique du consommer toujours plus. Primo, la pub. Deuzio, l’obsolescence programmée et tertio, le crédit. La pub, c’est le deuxième budget mondial qui pousse les gens à être mécontent de ce qu’ils ont et n’ont pas. Elle a pour but de rendre les gens toujours plus insatisfaits. Cette tension psychologique pèse 500 milliards d’euros de dépenses annuelles. C’est donc 500 milliards de pollution matérielle si l’on songe à nos boîtes aux lettres, 500 milliards de pollution visuelle à travers les écrans publicitaires et ces panneaux qui saccagent les vues, 500 milliards de pollution auditive à travers les émissions et finalement 500 milliards d’une pollution mentale et spirituelle qui s’insinue partout.

Vous prônez l'interdiction de la pub ?

Tout programme politique qui voudrait initier cette rupture devrait imposer une limitation très forte des dépenses de publicité, ce qui aurait pour effet une dépollution mentale. Quand on veut se sevrer de la drogue, cela ne se fait pas du jour au lendemain, même si on sait qu’à la fin on ne piquera plus à la morphine.

Le pacte de Nicolas Hulot propose notamment de transformer l’économie du tout jetable en une éco-économie fonctionnelle basée principalement sur la location des biens, leur réutilisation, leur recyclage et la mise en place de services susceptibles d’utiliser beaucoup de main d’œuvre…

Ces analyses sont excellentes. Chaque mois, une trentaine de navires américains vont déverser des ordinateurs usagers en Afrique. On envoie à la poubelle des téléviseurs, des magnétos, des téléphones portables que personne ne peut réparer parce que c’est plus cher que d’acheter du neuf . Et pour cause, tout ce matériel est fabriqué par des travailleurs que l’on paie avec un lance pierres en Asie et qui voyage avec du kérosène détaxé. Une quantité de métiers intéressants et qui ont disparu pourraient se développer sur base d’un autre modèle. Même mes lunettes sont programmées pour êtres jetées. Une des branches a cassé hier et mon oculiste m’a dit, « Ah ! non cela ne se répare pas, elles sont faites pour durer deux ans ».

Vous prédisez la faillite de la société de crédit…

Dans la société de précarité actuelle, de moins en moins de gens ont des revenus suffisants pour renouveler leurs achats. On les pousse donc à s’endetter. Le crédit fait marcher la machine du côté des entrepreneurs, qui empruntent pour investir et doivent dès lors dégager de la marge et produire plus pour rembourser. Au niveau des consommateurs, les Français viennent de crever le plafond. On est à plus de 80 % du produit intérieur brut d’endettement. Il est vrai qu’on a encore beaucoup à faire pour rattraper les Américains qui sont à plus de 200 % d’endettement. Mais un pas supplémentaire vient d’être franchi en ce sens puisque des crédits hypothécaires à 50 ans sont désormais ouverts. On pourra bientôt faire un investissement qui sera payé avec le revenu de l’an 3000.

C’est l’endettement… durable !

On sait qu’il n’y aura peut-être plus de planète et par conséquent plus d’humanité dans un siècle ou deux. C’est la fuite en avant : certains Américains s’endettent, se mettent en faillite, se rendettent ensuite… C’est une des raisons pour lesquelles le système financier bancaire va s’écrouler parce que cela atteint une limite. Les banques s’y retrouvent encore en se rattrapant sur la bête. Mais il y a un moment ou cela ne fonctionne plus parce qu’il y a trop de tricheurs. Les banques commencent d’ailleurs à s’inquiéter et si elles s’arrêtent, le système s’écroulera. Tous les économistes, en privé, concèdent que cela va s’écrouler à un moment ou l’autre. On sait bien que les arbres ne peuvent pas monter jusqu’au ciel.

Vous prônez la révolution des mentalités. Y a-t-il des révolutions sans mort ?

Cela se fera probablement dans la douleur mais on peut concevoir un processus pacifique de changement. On n’applique pas le principe du pollueur payeur car aujourd’hui, c’est le pollué qui paie. Si, élu président, j’applique ce programme à la lettre dans les huit jours qui suivent mon élection, je risque de me faire assassiner ! Mais la violence n’est pas le fait de ceux qui veulent une société plus juste et plus humaine. A moins que de considérer que de taxer les pollueurs, c’est faire violence aux pollueurs à partir du moment ou ils ont pris l’habitude de faire payer les autres.

Le pays du sud n’entendent pas modérer leur croissance et leur consommation énergétique et aspirent au même bien-être que nous. La Chine deviendra pourtant bientôt le premier pollueur mondial…

Nous avons déréglé la planète et nous avons un devoir d’exemple. Ce serait indécent d’aller dire aux Chinois qu’ils doivent changer. Quantitativement, ils émettront bientôt plus de gaz à effet de serre que les Etats-Unis, mais pas par tête d’habitant. Moi je suis relativement optimise parce que je pense que les Chinois sont un peuple qui a une culture millénaire très forte et ils ne souhaiterons pas la voie américaine. Ils sont déjà très conscients des problèmes. Deux guerres de l’opium ont forcé la Chine a sortir de son coco et on désespérait du développement du capitalisme en Chine après 50 ans de communisme. Maintenant que ça y est, ce la paraît aux yeux de certains catastrophique alors que l’Occident a tout fait pour cela. L’inconscience de ceux sui ont propagé le virus est incommensurable. Ce qui est clair, c’est que demain, la Chine dictera sa loi au monde. Si la planète doit être sauvée, c’est parce que les Chinois l’auront décidé. Personnellement, j’ai tendance à faire plus confiance aux Chinois qu’aux Américains pour sauver la planète.

Et l’Inde ?

Là, il y a des vrais mouvements écologistes, des vraies luttes… Ce n’est pas un hasard si un des livres de Vandana Shiva a été publié avec le même titre qu’un de mes ouvrages, « Survivre au développement ». Le signal d’alarme est tiré en Inde depuis longtemps. On pourrait retrouver chez Gandhi le message de la décroissance. Gandhi disait : « Il nous faut vivre plus simplement tout simplement pour que les autres puissent vivre ». L’Inde et la Chine portent en elles le destin de la planète. A nous nous de faire notre part du boulot pour démondialiser l’économie. La fin du pétrole engendrera une relocalisation des économies, ce que ni veut pas dire un repli sur soit. Keynes disait : « Les idées doivent circuler le plus librement possible et en revanche, les capitaux et les marchandises le moins possible. »

On est loin de la mondialisation heureuse d’Alain Minc…

Quelle mondialisation heureuse ? L’Afrique réussit à survivre avec moins de 2 % du produit mondial. Quelque 600 à 700 millions d’Africains vivent avec rien, en dehors de l’économie. Ils ne vivent pas bien. Ce ne sont pas des gros consommateurs même s’ils nous exportent des aliments pour animaux au plus fort des famines. Mais ils ont cette capacité extraordinaire de se débrouiller grâce aux réseaux de solidarité. En mettant en commun leur extrême pauvreté et précarité, ils arrivent à survire et à rire. Je suis toujours frappé par l’extraordinaire vitalité de la population qui démontre que l’on peut vivre hors de l’économie et que le lien est plus important que le bien. Cela nous montre que si nous ne sommes pas assez sages à temps, il faudra apprendre à l’être dans des conditions difficiles et que nous pourrons retrouver la leçon de l’autre Afrique. Que le souhaitable rejoindra le raisonnable…

Vous sentez-vous isolé parmi les économistes ?

J’ai pris pour devise celle de Guillaume le Taciturne : « Il n’est pas besoin d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer. Cela lui a réussi puisqu’il a porté l’indépendance des Pays-Bas contre Philippe II. Ce n’était pas gagné d’avance et il l’a payé de sa peau.

Tous mes collègues économistes ne sont pas mauvais. Mais le problème c’est que leur capacité de nuisance se déploie à fond pendant leur active et quand ils prennent leur retraite ils commencent à afficher un certain repentir. C’est trop tard, on les prend pour des gâteux. Un de mes confrères disait : « Celui qui croit qu’une croissance infinie est possible dans un monde fini est soit un économiste, soit un fou ».

Propos recueillis à Paris le 13 février 2007 par Christophe Schoune

(1) Le pari de la décroissance, Fayard 2006, 302 pages, 19 euros.

Interview publiée en partie dans Le Soir du 19 février 2007