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La DECROISSANCE
LA DÉCROISSANCE SOUTENABLE
Bruno Clémentin et Vincent Cheynet |
A BAS LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
!
VIVE LA DÉCROISSANCE CONVIVIALE !
Serge Latouche. |
À LA CONQUÊTE DES BIENS RELATIONNELS
Mauro Bonaïuti |
POINT D'EFFICACITÉ SANS SOBRIÉTÉ
MIEUX VAUT DÉBONDIR QUE REBONDIR
François Schneider |
L'ABONDANCE DURABLE
Jean Depuydt |
LA MAÎTRISE DU DÉVELOPPEMENT COMMENCE
PAR CELLE DES USAGES
Jean Depuydt |
J'ai fait un cauchemar
Bernard Ginisty
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Tous ces articles sont issus des n° 280 et 281 (Février
et Mars 2002) de la Revue Silence, Ecologie - Alternatives - Non-violence.
(La reproduction en est autorisée sous réserve d'en
indiquer la source et le nom des auteurs) => Copyleft
Origine : diffusion publique et échange de fichiers
LA DÉCROISSANCE
DÉCROISSANCE ÉCONOMIQUE, CROISSANCE HUMANISTE
Bruno Clémentin et Vincent Cheynet
La crise écologique est avant tout le révélateur
de l'impasse politique, culturelle, philosophique et spirituelle
dans laquelle s'enfonce notre civilisation. La guerre que livrent
nos sociétés "modernes" à la Terre
est le reflet de la guerre que livre l'humain des pays riches à
sa conscience.
Conditionné par l'idéologie de consommation, prisonnier
d'une foi aveugle en la science, notre monde cherche une réponse
qui ne contrarierait pas son désir exponentiel d'objets et
de services, tout en ayant bonne conscience.
Le concept éthique de "développement durable"
a répondu à point à cette attente. Ce terme
doit désormais rejoindre sa place, c'est-à-dire le
rayon des tartes à la crème.
Chaque fois que nous apportons une réponse inadaptée
à un problème, nous l'amplifions globalement, même
si nous avons l'illusion de le soulager sur l'instant. Si les solutions
techniques sont importantes, notre devoir est de les conditionner
à nos choix démocratiques. Nous retrouvons là
la dimension qui fait notre humanité : la recherche de sens.
La décroissance soutenable et conviviale ne permet pas de
tricher. Elle nous impose de regarder la réalité en
face, et d'exister dans toutes nos dimensions pour avoir la capacité
d'affronter le réel et de traiter les problèmes.
Face aux discours mortifères de marchandisation du monde,
de bestialisation de nos existences et de soumission aux idéologies
dominantes, notre planète nous renvoie continuellement à
une réflexion sur notre condition humaine. De fait, le vaisseau
spatial biologique Terre nous invite à vivre pleinement notre
humanité.
Vincent Cheynet
LA DÉCROISSANCE SOUTENABLE
La contestation de la croissance économique est un fondement
de l'écologie politique. Il n'est pas de croissance infinie
possible sur une planète finie. Trop dérangeante,
car en rupture radicale avec notre développement actuel,
cette critique fut vite abandonnée au profit de concepts
plus souples, comme le "développement durable".
Pourtant, rationnellement, il n'existe guère d'autres voies
pour les pays riches (20% de la population mondiale et 80% de la
consommation des ressources naturelles) que de réduire leur
production et leur consommation afin de "décroître".
Il n'est pas besoin d'être économiste pour comprendre
qu'un individu, ou une collectivité, tirant la majeure partie
de ses ressources de son capital, et non de ses revenus, est destiné
à la faillite. Tel est pourtant bien le cas des sociétés
occidentales, puisqu'elles puisent dans les ressources naturelles
de la planète un patrimoine commun, sans tenir compte du
temps nécessaire à leur renouvellement. Non content
de piller ce capital, notre modèle économique, fondé
sur la croissance, induit en plus une augmentation constante de
ces prélèvements. Les économistes ultra-libéraux
comme les néo-marxistes ont éliminé de leurs
raisonnements le paramètre "nature", car trop contrariant.
Privé de sa donnée fondamentale, notre monde économique
et social se trouve ainsi déconnecté de la réalité
physique et fonctionne dans le virtuel. Les économistes vivent
en fait dans le monde religieux du 19e siècle où la
nature était considérée comme inépuisable.
Nier la réalité au profit d'une construction intellectuelle
est le propre d'une idéologie. Nous pouvons donc considérer
que l'économie actuelle est avant tout de nature idéologique,
fût-ce par défaut. La réalité est plus
complexe, car le système économique est en fait largement
livré à lui-même, sans contrôle politique.
L'OBJECTIF D'UNE ÉCONOMIE SAINE
Nous nommerons économie saine un modèle économique
qui, au minimum, ne toucherait pas au capital naturel. L'idéal
serait de reconstituer le capital naturel déjà détruit.
Mais, le premier objectif d'une humanité vivant sur les revenus
de la nature constitue déjà un défi extraordinaire.
Nous pouvons même nous demander si cet objectif est encore
réalisable, et si le point de non-retour n'a pas déjà
été franchi. De toute manière, cet objectif
est le seul envisageable pour l'humanité, tant d'un point
de vue moral que scientifique.
Moral, car il est du devoir, de la responsabilité de chaque
individu et de l'humanité de préserver son environnement
et de le restituer à ses descendants, au minimum, dans l'état
où il lui a été confié.
Scientifique, car imaginer que l'humanité a les moyens de
coloniser d'autres planètes relève du délire.
Les distances dans l'espace sont hors de portée de nos technologies.
Pour faire des sauts de puces dans l'espace, nous gaspillons inutilement
des quantités gigantesques de ressources précieuses.
De plus, de manière purement théorique, si nous pouvions
ramener sur notre planète et de façon rentable une
ressource énergétique extra-terrestre, cela aurait
pour conséquence une nouvelle dégradation écologique.
En effet, des scientifiques estiment que le danger est plus dans
le "trop" de ressources, que dans le risque de les voir
s'épuiser. Le danger principal est l'incapacité de
l'écosystème global à absorber tous les polluants
que nous générons. L'arrivée d'une nouvelle
ressource énergétique ne ferait qu'amplifier les changements
climatiques.
Ne pas puiser du tout dans notre capital naturel semble difficile,
ne serait-ce que pour produire des objets de première nécessité
comme une casserole ou une aiguille. Mais, nous avons déjà
prélevé et transformé une quantité de
minerais considérable. La masse d'objets produits constitue
déjà un formidable potentiel de matière à
recycler.
L'objectif de l'économie saine peut nous sembler un horizon
utopique. En fait, nous avons au maximum 50 ans pour y parvenir
si nous voulons sauvegarder l'écosystème. La biosphère
ne négociera pas de délais supplémentaires.
Il reste, au rythme de consommation actuel, 41 années de
réserves prouvées de pétrole (1), 70 années
de gaz (2), 55 années d'uranium (3). Même si ces chiffres
peuvent être contestés, nous nous dirigeons vers le
terme de la plus partie des ressources planétaires à
brèves échéances si nous ne changeons pas radicalement
de cap. Contrairement au 20e siècle, nous consommons désormais
plus de ces ressources que nous en découvrons de nouvelles.
De plus, il est prévu, d'ici à 20 ans, un doublement
de la consommation énergétique mondiale. Enfin, plus
nous approchons du terme des ressources, plus celles-ci sont difficilement
extractibles. Il reste que le plus grand danger semble aujourd'hui
plus dans les dommages que nous faisons courir au climat que l'épuisement
des ressources naturelles.
LE THÉORICIEN DE LA DÉCROISSANCE
L'économiste bulgare Nicholas Georgescu-Roegen est le père
de la décroissance (4). Nicholas Georgescu-Roegen distingue
la "haute entropie", énergie non disponible pour
l'humanité, de la "basse entropie", énergie
disponible. Il démontre simplement que chaque fois que nous
entamons notre capital naturel, comme les énergies de stock,
nous hypothéquons les chances de survie de nos descendants.
"Chaque fois que nous produisons une voiture, nous le faisons
au prix d'une baisse du nombre de vies à venir."Il met
en évidence les impasses de la "croissance zéro"
ou de "l'état stable" que prônent des écologistes.
En effet, même si nous stabilisons notre économie,
nous continuerons à puiser dans notre capital.
LA DÉCROISSANCE SOUTENABLE
Tout le problème consiste à passer d'un modèle
économique et social fondé sur l'expansion permanente
à une civilisation "sobre" dont le modèle
économique a intégré la finitude de la planète.
Pour passer de notre civilisation à l'économie saine,les
pays riches devraient s'engager à une réduction drastique
de leur production et de leur consommation. En termes économiques,
cela signifie entrer dans la décroissance. Le problème
est que nos civilisations modernes, pour ne pas générer
de conflits sociaux, ont besoin de cette croissance perpétuelle.
Le fondateur de la revue The Ecologist,l'écologiste millionnaire
et conservateur Edward Goldsmith avance qu'en réduisant de
4% par an et pendant 30 ans la production et la consommation, nous
aurions une chance d'échapper à la crise climatique
"avec un minimum de volonté politique"(5). Facile
à dire sur le papier, fût-il recyclé ou simplement
blanchi sans chlore ! La réalité sociologique est
tout autre. Même les riches des pays riches aspirent à
consommer toujours plus. Et ce n'est pas "un minimum de volonté
politique" qui serait nécessaire si un groupe désirait
conduire cette politique d'en haut, mais bien un pouvoir totalitaire.
Celui-ci aurait toutes les peines pour contrer une soif sans fin
de consommation attisée par des années de conditionnement
à l'idéologie publicitaire. A moins que rentrer dans
une économie de guerre, l'appel à la responsabilité
des individus est la priorité. Les mécanismes économiques
conduits par le politique auront un rôle fondamental à
jouer, mais demeureront secondaires. Le tournant devra donc s'opérer
"par le bas", pour rester dans la sphère démocratique.
Edward Goldsmith affirme aussi que seule une crise économique
mondiale pourrait retarder la crise écologique globale si
rien n'est entrepris. L'histoire nous démontre que les crises
ont rarement des vertus pédagogiques et qu'elles engendrent
le plus souvent des conflits meurtriers. L'humain en situation périlleuse
privilégie ses instincts de survie, au détriment de
la société. La crise de 1929 a amené au pouvoir
Hitler, les nazis, les fascistes, les franquistes en Europe et les
ultras nationalistes au Japon. Les crises appellent des pouvoirs
forts avec toutes les dérives qu'ils engendrent. Tout l'objectif
consiste, au contraire, à éviter la régulation
par le chaos. C'est pourquoi cette décroissance devra être
"soutenable". C'est-à-dire qu'elle ne devra pas
générer de crise sociale remettant en cause la démocratie
et l'humanisme. Rien ne servirait de vouloir préserver l'écosystème
global si le prix est pour l'humanité un effondrement humain.
Mais plus nous attendrons pour nous engager dans la "décroissance
soutenable", plus le choc contre la fin des ressources sera
rude, et plus le risque d'engendrer un régime écototalitaire
ou de s'enfoncer dans la barbarie sera élevé.
Un exemple de décroissance chaotique est la Russie. Ce pays
a réduit de 35% ses émissions de gaz à effet
de serre depuis la chute du mur de Berlin (6). La Russie s'est désindustrialisée.
Elle est passée d'une économie de superpuissance à
une économie pour une large part de survivance. En terme
purement écologique, c'est un exploit. En terme social, c'est
loin d'être le cas. Les pays riches devront tenter de diminuer
leur production et leur consommation sans faire imploser leur système
social. Bien au contraire, ils devront le renforcer d'autant dans
cette transition difficile pour tendre à plus d'équité.
Une chose semble sûre : pour atteindre "l'économie
saine", la décroissance des pays riches devra être
durable.
UN EXEMPLE : L'ÉNERGIE
Plus des trois quarts des ressources énergétiques
que nous utilisons aujourd'hui sont d'origines fossiles. Ce sont
le gaz, le pétrole, l'uranium, le charbon. Ce sont des ressources
non-renouvelables, ou plus exactement au taux de renouvellement
extrêmement faible. En tout cas sans rapport aucun avec notre
utilisation actuelle. L'économie saine nous impose de cesser
ce pillage. Nous devons réserver ces ressources précieuses
pour des utilisations vitales. De plus, la combustion de ces ressources
fossiles désagrège l'atmosphère (effet de serre
et autres pollutions) et entament par cet autre biais notre capital
naturel. Quant au nucléaire, outre le danger que font peser
ses installations, il produit des déchets à durée
de vie infinie à l'échelle humaine (plutonium 239,
demi-vie 24 400 ans, iode 129, durée de demi-vie 16 millions
d'années). Le principe de responsabilité, qui définit
l'âge adulte, veut que nous ne développions pas une
technique non maîtrisée. Nous n'avons pas à
léguer à nos descendants une planète empoisonnée
pour la fin des temps.
Par contre, nous aurons droit aux énergies "de revenu",
c'est-à-dire le solaire, l'éolien, et, en partie,
la biomasse (bois) et un peu d'hydraulique. Ces deux dernières
ressources devant se partager avec d'autres utilisations que la
seule production d'énergie.
Cet objectif n'est atteignable que grâce à une réduction
drastique de notre consommation énergétique. Dans
une économie saine, l'énergie fossile disparaîtrait.
Elle serait réservée à des usages de survie
comme les usages médicaux. Le transport, les véhicules
à moteur à explosion seraient condamnés à
disparaître. Ils seraient remplacés par la marine à
voile, le vélo, le train, la traction animale (quand la production
d'aliments pour animaux est soutenable). Bien entendu, toute notre
civilisation serait bouleversée par ce changement de rapport
à l'énergie. Il signifierait la fin des grandes surfaces
au profit des commerces de proximité et des marchés,
des produits manufacturés peu chers importés au profit
d'objets produits localement, des emballages jetables au profit
des contenants réutilisables, de l'agriculture intensive
motorisée au profit d'une agriculture paysanne extensive.
Le réfrigérateur serait remplacé par une pièce
froide, le voyage aux Antilles par une randonnée à
vélo dans les Cévennes, l'aspirateur par le balai
et la serpillière, l'alimentation carnée par une nourriture
quasiment végétarienne, etc.
Au moins pendant la période de réorganisation de
notre société, la perte de l'énergie fossile
entraînera un accroissement important de la masse de travail
pour les pays occidentaux, et ceci même en intégrant
une diminution considérable de la consommation. Non seulement
nous ne disposerions plus de l'énergie fossile, mais en plus
la main d'oeuvre peu chère des pays du tiers-monde ne serait
plus disponible. Nous aurions alors recours à notre énergie
musculaire.
UN MODÈLE ÉCONOMIQUE ALTERNATIF
A l'échelle de l'État, une économie saine
gérée démocratiquement ne peut être que
le fruit d'une recherche d'équilibre constante entre les
choix collectifs et individuels. Elle nécessite un contrôle
démocratique de l'économie par le politique et par
les choix de consommation des individus. Une économie de
marché contrôlé par le politique et le consommateur.
L'un ne pouvant se passer de l'autre. Ce modèle exige une
responsabilité accrue du politique comme du consommateur.
Succinctement, nous pouvons imaginer un modèle économique
sur trois niveaux :
* Le premier serait une économie de marché contrôlée
évitant tout phénomène de concentration. Ce
serait, par exemple, la fin du système de franchise. Tout
artisan ou commerçant serait propriétaire de son outil
de travail et ne pourrait pas posséder plus. Il serait nécessairement
le seul décideur de son activité, en relation avec
sa clientèle. Cette économie de petites entités,
outre son caractère humaniste, aurait l'immense mérite
de ne pas générer de publicité, ce qui est
une condition sine qua non pour la mise en place de la décroissance
soutenable. La sortie de l'idéologie de consommation conditionne
sa mise en place technique.
* Le deuxième niveau, la production d'équipements
nécessitant un investissement, aurait des capitaux mixtes
privés et publics, contrôlés par le politique.
* Enfin, le troisième niveau. Ce serait les services publics
de base, non-privatisables (accès à l'eau, à
l'énergie disponible, à l'éducation et à
la culture, aux transports en commun, à la santé,
à la sécurité des personnes).
La mise en place d'un tel modèle entraînerait le commerce
équitable pour tous : appliquant là où l'on
produit les critères humains de là où l'on
vend. Cette règle simple à énoncer apporterait
la fin de l'esclavage et du néo-colonialisme.
UN DÉFI POUR LES "RICHES"
A l'énoncé des mesures à prendre pour entrer
dans la décroissance soutenable, la majorité de nos
concitoyens restera incrédule. La réalité est
trop crue pour être admise d'emblée par la majeure
partie de l'opinion. Elle suscite dans la plupart des cas une réaction
d'animosité. Difficile de se remettre en cause lorsque l'on
a été élevé au biberon médiatico-publicitaire
de la société de consommation. Un cocktail ressemblant
étrangement à la Soma, drogue euphorisante décrite
par Aldous Huxley dans Le Meilleur des Mondes (Brave New World,
1932, annonçant un pouvoir psychobiologique !). Le monde
intellectuel, trop occupé à résoudre des querelles
byzantines et encore ébloui par la science, aura aussi du
mal à admettre d'être passé si loin d'un enjeu
de civilisation aussi important. Il est difficile pour les Occidentaux
d'envisager un autre mode de vie. Mais, nous ne devons pas oublier
que le problème ne se pose pas dans ces termes pour l'immense
majorité des habitants du globe. 80% des humains vivent sans
automobile, sans réfrigérateur ou encore sans téléphone.
94% des humains n'ont jamais pris l'avion. Nous devons donc nous
extraire de notre cadre d'habitant des pays riches pour raisonner
à l'échelle planétaire et envisager l'humanité
comme une et indivisible. Faute de cela, nous serions réduits
à raisonner comme Marie-Antoinette à la veille de
la Révolution française, incapable d'imaginer pouvoir
se déplacer sans chaise à porteur et proposant de
la brioche à ceux qui n'ont pas de pain.
AU RÉGIME
Environ un tiers de la population américaine est obèse.
Les Américains se sont lancés à la recherche
du gène de l'obésité pour résoudre ce
problème de manière scientifique. La bonne solution
est bien sûr d'adopter un meilleur régime. Ce comportement
est tout à fait symptomatique de notre civilisation. Plutôt
que de remettre en cause notre mode de vie, nous poursuivons une
fuite en avant à la recherche de solutions techniques afin
de répondre à un problème culturel. De plus,
cette folle fuite en avant ne fait qu'accélérer le
mouvement destructif. En fait, même si la décroissance
nous semble impossible, la barrière se situe plutôt
dans nos têtes que dans les réelles difficultés
à la mettre en place. Sortir l'opinion d'un conditionnement
idéologique fondé sur la croyance en la science, le
nouveau, le progrès, la consommation, la croissance conditionne
cette évolution.
La priorité est donc de s'engager à l'échelle
individuelle dans la simplicité volontaire. C'est en changeant
nous-même que nous transformerons le monde.
DÉFINITION D'UN CONCEPT
Si nous revenons à la définition du concept "développement
durable", c'est-à-dire : "ce qui permet de répondre
aux besoins des générations actuelles, sans pour autant
compromettre la capacité des générations futures
à répondre à leurs propres besoins", alors
le terme approprié pour les pays riches est bien la "décroissance
soutenable".
A BAS LE DÉVELOPPEMENT DURABLE !
VIVE LA DÉCROISSANCE CONVIVIALE !
Serge Latouche
"Il n'y a pas le moindre doute que le développement
durable est l'un des concepts les plus nuisibles"
Nicholas Georgescu-Roergen (correspondance avec J. Berry, 1991)
(7)
On appelle oxymore (ou antinomie) une figure de rhétorique
consistant à juxtaposer deux mots contradictoires, comme
"l'obscure clarté", chère à Victor
Hugo, "qui tombe des étoiles...". Ce procédé
inventé par les poètes pour exprimer l'inexprimable
est de plus en plus utilisé par les technocrates pour faire
croire à l'impossible. Ainsi, une guerre propre, une mondialisation
à visage humain, une économie solidaire ou saine,
etc. Le développement durable est une telle antinomie.
En 1989, déjà, John Pessey de la Banque Mondiale
recensait 37 acceptions différentes du concept de "sustainable
development" (8). Le seul rapport Brundtland (World commission
1987) en contiendrait six différentes. François Haten,
qui à la même époque en répertoriait
60, propose de classer les théories principales actuellement
disponibles sur le développement durable en deux catégories,
"écocentrées" et "anthropocentrées",
suivant qu'elle se donnent pour objectif essentiel la protection
de la vie en général (et donc de tous les êtres
vivants, tout au moins de ceux qui ne sont pas encore condamnés)
ou le bien-être de l'homme (9).
DÉVELOPPEMENT DURABLE OU COMMENT FAIRE DURER LE
DÉVELOPPEMENT
Il y a donc une divergence apparente sur la signification du soutenable/durable.
Pour les uns, le développement soutenable/durable, c'est
un développement respectueux de l'environnement. L'accent
est alors mis sur la préservation des écosystèmes.
Le développement signifie dans ce cas, bien-être et
qualité de vie satisfaisants, et on ne s'interroge pas trop
sur la compatibilité des deux objectifs, développement
et environnement. Cette attitude est assez bien représentée
chez les militants associatifs et chez les intellectuels humanistes.
La prise en compte des grands équilibres écologiques,
doit aller jusqu'à la remise en cause de certains aspects
de notre modèle économique de croissance, voire même
de notre mode de vie. Cela peut entraîner la nécessité
d'inventer un autre paradigme de développement (encore un
! mais lequel ? On n'en sait rien). Pour les autres, l'important
est que le développement tel qu'il est puisse durer indéfiniment.
Cette position est celle des industriels, de la plupart des politiques
et de la quasi-totalité des économistes. A Maurice
Strong déclarant le 4 avril 1992 : "Notre modèle
de développement, qui conduit à la destruction des
ressources naturelles, n'est pas viable. Nous devons en changer"font
écho les propos de George Bush (senior) : "Notre niveau
de vie n'est pas négociable"(10). Dans la même
veine, à Kyoto, Clinton déclarait sans prendre de
gants : "Je ne signerai rien qui puisse nuire à notre
économie"(11). Comme on sait, Bush junior a fait mieux...
Le développement soutenable est comme l'enfer, il est pavé
de bonnes intentions. Les exemples de compatibilité entre
développement et environnement qui lui donnent créance
ne manquent pas. Évidemment, la prise en compte de l'environnement
n'est pas nécessairement contraire aux intérêts
individuels et collectifs des agents économiques. Un directeur
de la Shell, Jean-Marie Van Engelshoven, peut déclarer :
"Le monde industriel devra savoir répondre aux attentes
actuelles s'il veut, de façon responsable, continuer à
créer dans le futur de la richesse".Jean-Marie Desmarets,
le PDG de Total ne disait pas autre chose avant le naufrage de l'Erika
et l'explosion de l'usine d'engrais chimiques de Toulouse... (12).
Avec un certain sens de l'humour, les dirigeants de BP ont décidé
que leur sigle ne devait plus se lire "British Petroleum",
mais "Beyond Petroleum" (Au delà ou après
le pétrole)... (13).
La concordance des intérêts bien comprispeut, en effet,
se réaliser en théorie et en pratique. Il se trouve
des industriels convaincus de la compatibilité des intérêts
de la nature et de l'économie. Le Business Council for Sustainable
Development,composé de 50 chefs de grandes entreprises, regroupés
autour de Stéphan Schmidheiny, conseiller de Maurice Strong,
a publié un manifeste présenté à Rio
de Janeiro juste avant l'ouverture de la conférence de 92
: Changer de cap, réconcilier le développement de
l'entreprise et la protection de l'environnement. "En tant
que dirigeants d'entreprises, proclame le manifeste, nous adhérons
au concept de développement durable, celui qui permettra
de répondre aux besoins de l'humanité, sans compromettre
les chances des générations futures."(14).
Tel est bien, en effet, le pari du développement durable.
Un industriel américain exprime la chose de façon
beaucoup plus simple : "Nous voulons que survivent à
la fois la couche d'ozone et l'industrie américaine".
LE DÉVELOPPEMENT TOXIQUE
Il vaut la peine d'y regarder de plus près en revenant aux
concepts pour voir si le défi peut encore être relevé.
La définition du développement durable telle qu'elle
figure dans le rapport Brundtland ne prend en compte que la durabilité.
Il s'agit, en effet, d'un "processus de changement par lequel
l'exploitation des ressources, l'orientation des investissements,
les changements techniques et institutionnels se trouvent en harmonie
et renforcent le potentiel actuel et futur des besoins des hommes."
Ce n'est pas l'environnement qu'il s'agit de préserver pour
les décideurs certains entrepreneurs écologistes parlent
même de "capital soutenable", le comble de l'oxymore
! mais avant tout le développement (15). Là réside
le piège. Le problème avec le développement
soutenable n'est pas tant avec le mot soutenable qui est plutôt
une belle expression qu'avec le concept de développement
qui est carrément un "mot toxique". En effet, le
soutenable signifie que l'activité humaine ne doit pas créer
un niveau de pollution supérieur à la capacité
de régénération de l'environnement. Cela n'est
que l'application du principe de responsabilité du philosophe
Hans Jonas : "Agis de telle sorte que les effets de ton action
soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement
humaine sur la terre."
Toutefois, la signification historique et pratique du développement,
lié au programme de la modernité, est fondamentalement
contraire à la durabilité ainsi conçue. On
peut définir le développement comme une entreprise
visant à transformer les rapports des hommes entre eux et
avec la nature en marchandises. Il s'agit d'exploiter, de mettre
en valeur, de tirer profit des ressources naturelles et humaines.
La main invisible et l'équilibre des intérêts
nous garantissent que tout est pour le mieux dans le meilleur des
mondes possibles. Pourquoi se faire du souci ? La plupart des économistes
qu'ils soient libéraux ou marxistes sont en faveur d'une
conception qui permette au développement économique
de perdurer. Ainsi l'économiste marxiste, Gérard d'Estanne
de Bernis déclare : "On ne fera pas ici de sémantique,
on ne se demandera pas non plus si l'adjectif "durable"
(soutenable) apporte quoi que ce soit aux définitions classiques
du développement, tenons compte de l'air du temps et parlons
comme tout le monde. (...) bien entendu durable ne renvoie pas à
long, mais à irréversible. En ce sens, quel que soit
l'intérêt des expériences passées en
revue, le fait est que le processus de développement de pays
comme l'Algérie, le Brésil, la Corée du Sud,
l'Inde ou le Mexique ne s'est pas avéré "durable"
(soutenable) : les contradictions non maîtrisées ont
balayé les résultats des efforts accomplis, et conduit
à la régression."(16) Effectivement, le développement
étant défini par Rostow comme "self-sustaining
growth" (croissance auto-soutenable), l'adjonction de l'adjectif
durable ou soutenable est inutile et constitue un pléonasme.
C'est encore plus flagrant avec la définition de Mesatovic
et Pestel (17). Pour eux, c'est la croissance homogène, mécanique
et quantitative qui est insoutenable, mais une croissance "organique"
définie par l'interaction des éléments sur
la totalité est un objectif supportable. Or, historiquement,
cette définition biologique est précisément
celle du développement ! Les subtilités d'Hermann
Daly, tentant de définir un développement avec une
croissance nulle ne sont tenables, ni en théorie, ni en pratique
(18). Comme le note Nicholas Georgescu-Roegen : "Le développement
durable ne peut en aucun cas être séparé de
la croissance économique. (...) En vérité,
qui a jamais pu penser que le développement n'implique pas
nécessairement quelque croissance ?"(19)
Finalement, on peut dire qu'en accolant l'adjectif durable au concept
de développement, il est clair qu'il ne s'agit pas vraiment
de remettre en question le développement réellement
existant,celui qui domine la planète depuis deux siècles,
tout au plus songe-t-on à lui adjoindre une composante écologique.
Il est plus que douteux que cela suffise à résoudre
les problèmes.
LA CROISSANCE ZÉRO NE SUFFIT PAS
En fait, les caractères durable ou soutenables renvoient
non au développement "réellement existant"
mais à la reproduction. La reproduction durable a régné
sur la planète en gros jusqu'au 18e siècle ; il est
encore possible de trouver chez les vieillards du tiers-monde des
"experts" en reproduction durable. Les artisans et les
paysans qui ont conservé une large part de l'héritage
des manières ancestrales de faire et de penser vivent le
plus souvent en harmonie avec leur environnement ; ce ne sont pas
des prédateurs de la nature (20). Au 17e siècle encore,
en édictant ses édits sur les forêts, en réglementant
les coupes pour assurer la reproduction du bois, en plantant des
chênes que nous admirons toujours pour fournir des mâts
de vaisseaux 300 ans plus tard, Colbert se montre un expert en "sustainability".Ce
faisant, ces mesures vont à l'encontre de la logique marchande.
Voilà, dira-t-on, du développement durable ; mais
alors, il faut le dire de tous ces paysans qui plantaient de nouveaux
oliviers et de nouveaux figuiers dont ils ne verraient jamais les
fruits, mais en pensant aux générations suivantes,
et cela sans y être tenu par aucun règlement, tout
simplement parce que leurs parents, leurs grands-parents et tous
ceux qui les avaient précédés avaient fait
de même (21). Désormais, même la reproduction
durable n'est plus possible. Il faut toute la foi des économistes
orthodoxes pour penser que la science de l'avenir résoudra
tous les problèmes et que la substitualité illimitée
de la nature par l'artifice est possible. Peut-on vraiment, comme
se le demande Mauro Bonaïuti, obtenir le même nombre
de pizzas en diminuant toujours la quantité de farine et
en augmentant le nombre de fours ou de cuisiniers ? Et même
si on peut espérer capter de nouvelles énergies, serait-il
raisonnable de construire des "gratte-ciel sans escaliers ni
ascenseurs sur la base de la seule espérance qu'un jour nous
triompherons de la loi de la gravité ?" (22). Contrairement
à l'écologisme réformiste d'un Hermann Daly
ou d'un René Passet, l'état stationnaire lui-même
et la croissance zéro ne sont ni possibles, (ni souhaitables...).
"Nous pouvons recycler les monnaies métalliques usées,
mais non les molécules de cuivre dissipées par l'usage."(23).
Ce phénomène que Nicholas Georgescu-Roegen a baptisé
"la quatrième loi de la thermodynamique" est peut-être
discutable en théorie pure, mais pas du point de vue de l'économie
concrète. De l'impossibilité qui s'ensuit d'une croissance
illimitée ne résulte pas, selon lui, un programme
de croissance nulle, mais celui d'une décroissance nécessaire.
"Nous ne pouvons, écrit-il, produire des réfrigérateurs,
des automobiles ou des avions à réaction "meilleurs
et plus grands" sans produire aussi des déchets "meilleurs
et plus grands" (24). Bref, le processus économique
est de nature entropique.
"Le monde est fini, note Marie-Dominique Perrot, et le traiter,
à travers la sacralisation de la croissance, comme indéfiniment
exploitable, c'est le condamner à disparaître ; on
ne peut en effet à la fois invoquer la croissance illimitée
et accélérée pour tous et demander à
ce que l'on se soucie des générations futures. L'appel
à la croissance et la lutte contre la pauvreté sont
littéralement des formules magiques tout autant qu'elles
sont des mots d'ordre et des mots de passe (partout). C'est l'idée
magique du gâteau dont il suffit d'augmenter la taille pour
nourrir tout le monde, et qui rend "innommable" la question
de la possible réduction des parts de certains." (25)
Notre surcroissance économique dépasse déjà
largement la capacité de charge de la terre. Si tous les
citoyens du monde consommaient autant que les Américains
moyens, les limites physiques de la planète seraient largement
dépassées (26). Si l'on prend comme indice du "poids"
environnemental de notre mode de vie "l'empreinte" écologique
de celui-ci en superficie terrestre nécessaire on obtient
des résultats insoutenables tant du point de vue de l'équité
dans les droits de tirage sur la nature que du point de vue de la
capacité de régénération de la biosphère.
En prenant en compte les besoins de matériaux et d'énergie,
ceux nécessaires pour absorber déchets et rejets de
la production et de la consommation et en y ajoutant l'impact de
l'habitat et des infrastructures nécessaires, les chercheurs
travaillant pour pour World Wide Fund (WWF) ont calculé que
l'espace bio-productif par tête de l'humanité était
de 1,8 hectare. Un citoyen des États-Unis consomme en moyenne
9,6 hectares, un Canadien 7,2, un européen moyen 4,5. On
est donc très loin de l'égalité planétaire
et plus encore d'un mode de civilisation durable, qui nécessiterait
de se limiter à 1,4 hectare, en admettant que la population
actuelle reste stable (27).
SORTIR DE L'ÉCONOMICISME
On peut discuter ces chiffres, mais ils sont malheureusement confirmés
par un nombre considérables d'indices (qui ont d'ailleurs
servi à les établir). Pour survivre ou durer, il est
donc urgent d'organiser la décroissance. Quand on est à
Rome et que l'on doit se rendre par le train à Turin, si
l'on s'est embarqué par erreur dans la direction de Naples,
il ne suffit pas de ralentir la locomotive, de freiner ou même
de stopper, il faut descendre et prendre un autre train dans la
direction opposée. Pour sauver la planète et assurer
un futur acceptable à nos enfants, il ne faut pas seulement
modérer les tendances actuelles, il faut carrément
sortir du développement et de l'économicisme comme
il faut sortir de l'agriculture productiviste qui en est partie
intégrante, pour en finir avec les vaches folles et les aberrations
transgéniques.
La décroissance devrait être organisée non
seulement pour préserver l'environnement mais aussi pour
restaurer le minimum de justice sociale sans lequel la planète
est condamnée à l'explosion. Survie sociale et survie
biologique paraissent ainsi étroitement liées. Les
limites du "capital" nature ne posent pas seulement un
problème d'équité intergénérationnelle
dans le partage des parts disponibles, mais un problème d'équité
entre les membres actuellement vivants de l'humanité.
La décroissance ne signifie pas nécessairement un
immobilisme conservateur. L'évolution et la croissance lente
des sociétés anciennes s'intégraient dans une
reproduction élargie bien tempérée, toujours
adaptée aux contraintes naturelles. "C'est parce que
la société vernaculaire a adapté son mode de
vie à son environnement,conclut Edward Goldsmith, qu'elle
est durable, et parce que la société industrielle
s'est au contraire efforcée d'adapter son environnement à
son mode de vie qu'elle ne peut espérer survivre."(28).
Aménager la décroissance signifie, en d'autres termes,
renoncer à l'imaginaire économique, c'est-à-dire
à la croyance que plus égale mieux. Le bien et le
bonheur peuvent s'accomplir à moindre frais. La plupart des
sagesses considèrent que le bonheur se réalise dans
la satisfaction d'un nombre judicieusement limité de besoins.
Redécouvrir la vraie richesse dans l'épanouissement
de relations sociales conviviales dans un monde sain peut se réaliser
avec sérénité dans la frugalité, la
sobriété, voire une certaine austérité
dans la consommation matérielle. "Une personne heureuse,note
Hervé Martin, ne consomme pas d'antidépresseurs, ne
consulte pas de psychiatres, ne tente pas de se suicider, ne casse
pas les vitrines des magasins, n'achète pas à longueur
de journée des objets aussi coûteux qu'inutiles, bref,
ne participe que très faiblement à l'activité
économique de la société."(29). Une décroissance
voulue et bien pensée n'impose aucune limitation dans la
dépense des sentiments et la production d'une vie festive,
voire dionysiaque.
On peut conclure avec Kate Soper : "Ceux qui plaident pour
une consommation moins matérialiste sont souvent présentés
comme des ascètes puritains qui cherchent à donner
une orientation plus spirituelle aux besoins et aux plaisirs. Mais
cette vision est à différends égards trompeuse.
On pourrait dire que la consommation moderne ne s'intéresse
pas suffisamment aux plaisirs de la chair, n'est pas assez concernée
par l'expérience sensorielle, est trop obsédée
par toute une série de produits qui filtrent les gratifications
sensorielles et érotiques et nous en éloignent. Une
bonne partie des biens qui sont considérés comme essentiels
pour un niveau de vie élevé sont plus anesthésiants
que favorables à l'expérience sensuelle, plus avares
que généreux en matière de convivialité,
de relations de bon voisinage, de vie non stressée, de silence,
d'odeur, de beauté... Une consommation écologique
n'impliquerait ni une réduction du niveau de vie, ni une
conversion de masse vers l'extra-mondanité, mais bien plutôt
une conception différente du niveau de vie lui-même."(30).
À LA CONQUÊTE DES BIENS RELATIONNELS
Mauro Bonaïuti
Les théories économiques ont oublié que les
ressources sont limitées. Pour éviter une chute économique
prévisible, il faut développer des activités
peu coûteuses en matériaux et en énergie, c'est
le cas de toutes les activités relationnelles.
Georgescu-Roegen, le père de la bioéconomie, a été
le premier à présenter la décroissance comme
une conséquence inévitable des limites imposées
par les lois de la nature (Georgescu-Roegen, 1979). Si l'on veut
saisir pour quelles raisons l'approche traditionnelle à la
croissance économique, théorisée par les économistes
néoclassiques et diffusée par les défenseurs
de la globalisation et de la pensée unique, n'est pas soutenable,
il faut partir de la critique de Georgescu-Roegen. Cette dernière
s'articule en deux points, j'y ajouterai ma conclusion en proposant
un parcours vers une économie soutenable (Bonaïuti,
2001).
La théorie traditionnelle de la croissance est basée
sur une fonction qui affirme que la production (Q) est directement
fonction de trois données : la quantité de travail
(L), le stock de capital (K) et les ressources naturelles disponibles
(R). Selon Solow/Stiglitz,
Q = Ka Rb Lc avec a + b + c = 1
Cela veut dire que la production croît parallèlement
à la croissance de chacune des trois données. Elle
admet surtout que l'on peut produire n'importe quelle quantité
de produit en réduisant à volonté les ressources
naturelles R, à condition qu'augmente suffisamment le stock
de capital K.
En d'autres termes, la théorie néoclassique prône
une parfaite substitutivité entre les ressources naturelles
et le capital fabriqué par l'homme. Affirmation qui est à
la base de la définition néoclassique de développement
soutenable. Cela signifie, comme l'a soutenu Solow, qu'il n'y a
en principe aucun problème, le monde peut, en effet, aller
de l'avant sans ressources naturelles"(Solow, 1974, p.11).
On peut démontrer toutefois que cette affirmation n'est pas
conforme à la loi de la thermodynamique. Si, et les néoclassiques
l'affirment, la fonction et la production n'est qu'une recette,
Solow et Stiglitz assurent que l'on pourra, avec une moindre quantité
de farine faire une pizza plus grande en la cuisant dans un four
plus grand (ou avec deux cuisiniers au lieu d'un seul). Cette formule,
de toute évidence, ne respecte pas l'équilibre des
matériaux : une lecture diverse de la loi première
de la thermodynamique.
PRODUIRE AVEC MOINS DE MATIÈRES PREMIÈRES
N'IMPLIQUE PAS UNE BAISSE DE LA CONSOMMATION TOTALE
Depuis toujours les économistes orthodoxes ont défendu
la croissance des attaques des écologistes avec une multitude
d'arguments dont le noyau théorique se base sur le concept
de progrès technologique. L'idée fondamentale est
que le progrès technologique consentira, comme il l'a fait
dans le passé, de "relâcher les liens", permettant
de la sorte de produire une quantité majeure de biens en
utilisant une quantité mineure de matière et d'énergie.
Ce phénomène, appelé dématérialisation
du capital, a suscité un vif intérêt chez les
économistes qui en ont vanté les potentialités
pour la new economy en particulier.
Le parcours du capitalisme fordien, avec ses usines enfumées,
à la civilisation on line,comporterait selon ces auteurs,
le passage définitif à une économie légère,
à un processus productif propre, caractérisé
par une très basse consommation de ressources naturelles
et partant par une pollution extrêmement réduite.
Je ne veux pas nier qu'il s'agit là d'un phénomène
significatif. Toutefois la théorie bioéconomique apporte
de fortes objections sur ce point.
Il est certain que le secteur des technologies informatiques et
plus généralement les secteurs impliqués dans
la new economy sont en mesure de produire du revenu avec un moindre
emploi de ressources naturelles. Malgré cela, nous nous demandons
jusqu'à quel point les nouvelles technologies sont des substituts,
ne représentent-elles pas plutôt des compléments
aux technologies traditionnelles ? En d'autres termes, un plus grand
nombre de sociétés de logiciels ou de consultants
financiers impliquera-t-il forcément une diminution de la
production de voitures ou d'énergie électrique ? Alors
que la consommation de nombreuses ressources par unité de
produit a effectivement diminué dans les pays les plus avancés,
la consommation absolue de nombreuses ressources-clé continue
à augmenter. Voici quelques données qui éclairciront
ce point :
"Une unité est produite aujourd'hui avec moins d'énergie
qu'il n'en fallait dans les années soixante-dix. La consommation
d'énergie (mesurée comme énergie par unité)
a diminué de 25% (moyenne de l'OCDE) dans les pays de l'OCDE
de 1970 à 1988. Mais cette diminution de la consommation
d'énergie n'a pas mené à une réduction
de l'utilisation totale d'énergie. L'utilisation totale d'énergie
a augmenté de 30% pendant la même période"(Biswanger,
1993, p. 227).
Même si l'augmentation de la consommation absolue est due
en partie à la croissance de la population, le modèle
fonds/flux de Georgescu-Roegen nous suggère une intéressante
interprétation de ce phénomène. Les nouvelles
technologies demandent, comme toute forme de capital (fond), un
flux de ressources pour être maintenu "dans des conditions
d'efficience". Mais, peut-on se demander, qu'est-ce que la
production de capital au contenu technologique élevé
(qui est aussi et surtout un capital humain) demande en termes de
ressources pour son propre maintien ? Il est fort probable qu'un
ingénieur occidental produisant des ordinateurs utilise directement
moins de capital naturel que n'en utilise un travailleur indien
employé dans un établissement pour la production de
colorants. Toutefois combien de capital naturel demande la production
sociale d'un ingénieur, et des technologies informatiques
en général ? Peut-on produire des ordinateurs sans
se rendre en voiture à son travail ou sans disposer d'une
maison pourvue de tous les conforts ? Les infrastructures et les
institutions nécessaires aux démocraties avancées
promotrices d'innovations technologiques ne demandent-elles pas,
elles aussi, un montant significatif de capital manufacturé,
humain et naturel pour pouvoir s'auto-maintenir ? De plus, peut-on
imaginer que les pays les moins avancés puissent arriver
à utiliser les nouvelles technologies (si tant est qu'ils
y parviennent) sans passer par une phase prolongée d'industrialisation
?
Autrement dit la production de technologie avancée implique
un flot continu d'inputs provenant des processus de transformation
de type traditionnel, qui demandent à leur tour des quantités
croissantes de ressources naturelles. Enfin, même si le progrès
technologique peut effectivement réduire les quantités
d'énergie employées dans certains secteurs (information,
services) il est fort improbable que ce processus puisse être
étendu à tous les secteurs de production et encore
moins au niveau global.
Pour conclure, la critique de Georgescu-Roegen démontre,
d'une part qu'il n'est pas possible de faire abstraction des ressources
naturelles (en les remplaçant par du capital produit par
l'homme), d'autre part que le progrès technologique considéré
dans son ensemble, ne comporte pas une réduction de l'impact
sur les écosystèmes, mais bien au contraire une augmentation
de la consommation absolue des ressources. Il faudra donc miser
sur une autre voie.
Il faut nous rappeler que lorsqu'on aborde le rapport décroissance/écosystèmes,
Georgescu-Roegen considère la production en termes rigoureusement
physiques alors que les économistes néoclassiques
se réfèrent à la production en terme de valeur.
La valeur implique les prix et ces derniers l'utilité associée
à des biens et services déterminés. On peut
(et j'ose dire on doit) critiquer les prémisses utilitaristes
sur lesquels se fonde la théorie néoclassique mais
il faut aussi être conscient du fait que considérer
la production en termes de valeur porte la question sur un plan
totalement différent. Alors que Georgescu-Roegen se réfère
aux possibilités de substitution entre ressources naturelles
et technologie pour produire le même bien(par exemple une
voiture) les auteurs néoclassiques se réfèrent
aux possibilités de substitution qui se présentent
pour produire un niveau d'aisance déterminé. Il est
évident que l'on peut obtenir le même service (utilité)
que l'on se déplace à cheval ou en automobile mais
le déploiement de ressources naturelle et de technologie
ne sera pas le même. Lorsque Ayres affirme que "in the
distant future the economic system need not to produce signifiant
amount of goods at all" [A long terme, le système économique
n'aura plus besoin de produire de biens de consommation du tout],
il va sans dire qu'il raisonne "en termes d'utilité
et non de production physique constante". Ayres reconnaît
à juste titre que sans cette précision la critique
de Georgescu-Roegen à la théorie néoclassique
serait "dévastatrice".
Les lois de la thermodynamique et en particulier la loi de l'entropie
nous enseignent que la décroissance de la production est
inévitable en terme physiques. Cela ne veut pas dire et ne
doit pas nous porter à croire que ceci implique nécessairement
une décroissance du produit mondial brut ou encore moins
du bonheur des personnes. Se faire le champion de la décroissance
en termes de quantités physiques produites risque de passer
pour une euthanasie du système productif privant de la sorte
la voie de l'économie soutenable d'un consensus nécessaire.
Le projet d'une économie soutenable requiert plutôt
une révision profonde des préférences et de
la façon de concevoir la production de la valeur économique.
Elle doit produire des revenus tout en utilisant moins de matière
et d'énergie. En effet une politique écologique basée
uniquement sur une forte réduction de la consommation créerait
(au delà d'un probable échec final), vu la distribution
actuelle des préférences, une forte réduction
de la demande globale et donc une augmentation importante du chômage
et du malaise social. (J'essaie quelconque d'imaginer ce qui adviendrait
si l'Occident s'adaptait soudainement au niveau de la consommation
moyenne que suggèrent mes amis critiques envers la consommation.
Cela serait une bénédiction pour les écosystèmes,
mais une catastrophe pour les revenus et pour l'emploi.)
Il nous faut donc miser sur une distribution différente
des préférences afin qu'à la décroissance
des quantités physiques produites ne corresponde pas nécessairement
une décroissance de la valeur de la production. Cela implique
évidemment une transformation profonde de l'imaginaire économique
et productif. Je me limiterai dans ce qui va suivre à indiquer
un parcours possible vers cette transformation.
TRANSFÉRER LA DEMANDE VERS LA PRODUCTION DE "BIENS
RELATIONNELS"
Par cette expression j'entends ce type particulier de "biens"
dont on ne peut jouir isolément mais uniquement en relation
entre celui qui offre et celui qui demande comme par exemple les
services aux personnes (soins, bien-être, assistance) mais
aussi les services culturels, artistiques et spirituo-religieux.
Il faut en somme favoriser le déplacement de la demande de
biens traditionnels à impact écologique élevé
vers les biens pour "lesquels l'économie civile possède
un avantage comparatif spécifique, c'est-à-dire les
biens relationnels. Dans les sociétés avancées,
il y a une demande spécifique de qualité de la vie.
Mais cette demande ne peut être satisfaite à travers
la production d'une plus grande quantité de bien traditionnels"
(Zamagni, 1998). C'est plutôt une demande d'attention, de
soins, de connaissances, de participation, de nouveaux espaces de
liberté, de spiritualité. La production de ce type
de biens comporte la dégradation de quantités fort
modestes de matière/énergie. Ils peuvent en tout cas
soutenir en perspective une part importante de la production future
de valeur. Dans les pays moins avancés cela signifie avant
tout éviter la destruction des liens sociaux, des réseaux
néo-claniques (Latouche, 1991) au nom d'un développement
qui ne pourra jamais, pour des raisons écologiques et économiques,
assumer les caractéristiques du développement occidental.
De nombreux services fournis généralement par des
structures publiques ou privées pourront dans le futur se
développer dans le cadre de l'économie civile : il
suffit de penser au secteur de la connaissance/information (école,
centres de formation universitaire, professionnelle, cinéma,
télévision, radio, livres, édition). On peut
sous certaines conditions y faire entrer les services touristiques,
hôteliers, et la restauration. Le lien entre l'écologiquement
soutenable n'a jamais été aussi clair. L'expansion
de l'économie civile à travers la production de bien
relationnels crée non seulement une valeur économique
là où l'on peut réduire au minimum la dégradation
de la matière/énergie, mais constitue aussi une voie
puissante vers la réalisation d'une économie juste,
réduisant l'accumulation des profits et donc l'inégalité
sociale et le chômage : la décroissance matérielle
sera une croissance relationnelle et spirituelle ou ne sera pas.
Bibliographie
* Biswanger M. (1993), From microspopic to macroscopic theories
: entropic aspects of ecological ans economic processes, in Ecological
Economics, 8, pp. 209-234.
* Bonaïuti, M. (2001), la téoria bioeconomica, La nuova
economia di Nicholas Georgescu-Roegen,Carocci, Roma.
* Georgescu-Roesgen (1979) Demain la décroissance, Lausanne
et Paris, Editions Pierre-Marcel Favre. Deuxième ed., Sang
de la terre, Paris, 1995.
* Latouche S. (1991), La planète des naufragés, Essai
sur l'après-développement,La Découverte, Paris.
* Solow R.M. (1974), Intergenerational Equity and Exaustible Resouces,Review
of Economic Studies.
* Zamagni, S., (Ed.) (1998), Il non profit come economia civile,
Il-Mulino, Bologna.
POINT D'EFFICACITÉ SANS SOBRIÉTÉ
MIEUX VAUT DÉBONDIR QUE REBONDIR
François Schneider
Être efficace dans la production, voire "éco-efficace"
est lié à une augmentation de la consommation qui
peut annihiler les effets positifs auxquels on pouvait s'attendre.
C'est ce que l'on appelle "l'effet rebond". De par ce
phénomène, la croissance économique semble
ancrée, pour longtemps encore, à une croissance de
la consommation de ressources et à ses impacts écologiques
et sociaux. La sobriété, la frugalité et une
transformation du système économique vers une décroissance
soutenable sont incontournables. Ils requièrent une analyse
profonde de ces phénomènes de rebond afin d'utiliser
les progrès techniques à bon escient, pour "débondir".
Services ultra-performants, "hyper-voitures" légères
et peu polluantes, lampes économes, mini-ordinateurs, mini-caméras
vidéo, éoliennes et capteurs solaires, matériaux
ultra résistants, on ne compte plus les innovations qui permettent
de consommer toujours moins de matière et d'énergie
pour chaque service rendu. De nombreux experts considèrent
ainsi que la "cure d'efficacité" sera la solution
à tous les problèmes écologiques. Une seule
malchance jusqu'à présent : il semble que les baisses
d'impacts et de pollution attendues soient systématiquement
anéanties par l'augmentation des transports, des surfaces
d'habitation, de la climatisation, des importations de produits
exotiques, des besoins et de la consommation en général...
Mauvaise chance diront certains. On a longtemps cru que le niveau
de consommation était indépendant de l'efficacité.
Pourtant un concept qui prend de l'importance récemment (31),
"l'effet rebond", nous apprend que l'efficacité
et le progrès technologique sont fondamentalement liés
à une augmentation de la consommation. Les voitures économes
nous permettent d'aller plus loin pour le même prix ; les
transports rapides nous libèrent du temps pour avaler toujours
plus de kilomètres ; les produits électroniques de
tailles réduites nous permettent d'en offrir à chaque
membre de la famille (32) ; le développement du solaire et
de l'éolien même permettent d'augmenter toujours plus
notre consommation d'énergie malgré la raréfaction
de certaines ressources. En résumé, les industries
et les services toujours plus efficaces nous permettent de consommer
toujours plus.
Bien sûr, nombre de ces développements sont primordiaux
et sont potentiellement de grandes avancées écologiques,
et il ne s'agit pas ici de dénigrer tout effort pour plus
d'efficacité. Mais, il importe de se rendre compte, pour
supprimer cet effet, des liens qui existent avec l'accroissement
de la consommation en général. Le problème
n'est pas l'efficacité et les efforts pour réduire
les impacts pour chaque produit ou service, mais le fait qu'ils
soient trop souvent réalisés dans le contexte d'une
volonté d'accroissement de la consommation, pour vendre plus
ou pour les soi-disant bienfaits d'une économie de croissance.
NE PAS OUBLIER "LIBERTÉ, ÉGALITÉ,
FRATERNITÉ"
Ainsi les discours qui soutiennent l'augmentation de la consommation
même dans nos pays à grande consommation qui sont dits
"développés". Cela s'est traduit récemment
par des appels à la défense de nos modes de vie mis
en danger lors des attaques du World Trade Center, le 11 septembre
2001. Le message semble être : "faites de la résistance,
achetez n'importe quoi mais achetez." La consommation des ménages
serait, en ces temps difficiles, le principal soutien de la croissance
économique.
Or aller vers une société "soutenable"
impose de réduire notre niveau de consommation sans qu'il
n'y ait besoin de sombrer dans un fondamentalisme religieux ou autre.
La consommation de produits et services nécessite des ressources
nouvelles (énergie, matières premières, et
espace) qui sont à la source du changement climatique, de
la pollution des milieux, de la baisse de la biodiversité,
de la destruction des espaces naturels, des environnements dégradés,
des risques nucléaires voire génétiques pour
ne citer que quelques-uns. Et tandis que les médias et politiciens
nous parlent d'écologie et de problèmes environnementaux
et participent à de nombreux colloques, le niveau de consommation
qu'ils soutiennent par leurs discours et par leur politique continue
d'être la raison principale de l'accroissement des problèmes
écologiques. Nos politiciens et experts seraient-ils donc
atteints de schizophrénie lorsqu'ils réussissent ainsi
à embrasser à la même bouche l'écologie
et la consommation ?
Car le problème est important et de nombreux experts (33)
et responsables politiques s'accordent, pour se limiter à
un ordre d'idées réaliste, que les consommations de
ressources devraient diminuer au moins de moitié dans le
monde. Le problème n'est pas tant la pénurie de ressources
que les dégâts causés par l'utilisation de l'espace,
la mise en circulation dans l'économie d'énormes quantités
de matière et d'énergie, et, à terme, les émissions
et multiples conséquences. L'idée est de ne pas dépasser
la "bio-capacité" de la planète, car "l'espace
environnemental" est limité. Autrement dit, notre niveau
de consommation nécessite au moins deux planètes si
on les veut viable durablement.
Un problème encore plus immense apparaît lorsque l'on
combine problèmes écologiques et problèmes
sociaux, liés de fait aux inégalités planétaires.
Nous avons écrit sur toutes les écoles et mairies
: "liberté, égalité, fraternité".
De ce deuxième principe, nous déduisons que tout être
humain devrait avoir droit à une quantité de ressources
du même ordre (34). Or, on évalue que les pays "riches"
consomment environ 80% des ressources alors qu'ils ne composent
que 20% de la population mondiale (35), c'est-à-dire approximativement
16 fois plus de ressources que les pays "pauvres" par
habitant.
Pour se faire une petite idée, voici un scénario
simpliste pour l'année 2050. On considérera une consommation
de niveau équivalent dans le monde entier pour chaque personne
(indispensable si on veut éviter un scénario "dictature
mondiale" qui serait en désaccord avec le principe de
liberté que l'on peut aussi lire sur le fronton des écoles).
On considérera également une importante croissance
démographique dans les pays du tiers-monde (la population
augmente de 60% d'ici 2050 (36). Ces pays vont multiplier leur consommation
(aujourd'hui relativement faible) par 24. Si nous faisons les calculs,
cela signifie qu'il nous faudra 12 planètes si nous les voulons
viables à long terme. Ainsi pour réduire de moitié
la consommation mondiale actuelle de ressources, nous devrons réduire
la consommation dans les pays riches de 12 fois tandis que les pays
du tiers-monde pourront la doubler.
5% D'ÉCONOMIE PENDANT 50 ANS
Mais un phénomène supplémentaire se produit
: non contents de consommer au niveau actuel qui entraîne
le monde dans une "consommation de planètes", les
pays industrialisés tiennent encore à leur croissance
économique. Allons-nous continuer la sacro-sainte croissance
dans les pays riches ou allons-nous décroître ? Comme
cela s'est toujours produit ainsi, nous supposons que la croissance
économique suit la consommation de ressources (ce présupposé
sera discuté plus en détail par la suite).
Nous considérerons deux scénarios : le scénario
"croissance" où une croissance matérielle
relativement faible de 2% se produit pendant les 48 prochaines années,
et le scénario "décroissance" où
une décroissance de 5% se produit pendant ces années.
Le premier scénario nous amène 30 fois au-delà
d'un scénario viable et le second nous ramène (en
faisant attention à réaliser cette évolution
de façon soutenable par une croissance, sinon un maintien,
du bien-être et de la qualité de vie) à une
planète viable de façon durable.
En sachant cela, comment nos politiciens peuvent-ils donc continuer
à parler de développement durable et de croissance
économique sans aucun tremblement dans la voix ? Cela s'explique
parce qu'ils croient que les problèmes vont se résoudre
par le développement économique et la croissance,
qu'une cure d'efficacité pourra résoudre tous les
problèmes. Cela s'explique aussi par une grande omission
des phénomènes dynamiques qui régissent l'écologie
en lien avec la consommation de ressources.
Kuznets était-il une cloche ? En tout cas, une courbe de
cette forme et qui porte son nom, laisse croire que les problèmes
environnementaux vont simplement se résoudre avec la croissance
économique. Cela part de la constatation que certains problèmes
locaux, comme la pollution atmosphérique en zone urbaine
et la pollution des rivières, semblent se réduire
lorsqu'un pays devient suffisamment riche. Au-dessus d'environ 8000
euros de PNB par habitant, l'environnement s'améliorerait
continuellement avec la croissance. C'était une belle histoire
qui permettait de se croiser les bras et d'attendre que le marché
nous sauve. Le problème est que cela ne marche pas au niveau
des impacts globaux (37). Par exemple, les émissions de CO2
(gaz carbonique) et les transports suivent l'enrichissement de façon
relativement linéaire. Mais pire, il semble que les consommations
de ressources suivent de façon quasi linéaire le PNB,
si nous n'oublions pas les impacts que nous exportons c'est-à-dire
les impacts causés dans d'autres pays(le plus souvent du
tiers-monde) par le cycle de vie de tous les produits que nous consommons.
Les riches exportent ainsi leurs usines polluantes et leurs déchets
et importent une bonne part de leurs ressources naturelles. Une
bonne illustration est la ville riche peu polluée grâce
aux voitures électriques. La richesse aura en effet permis
de réduire la pollution atmosphérique locale mais
certainement pas la pollution ou autres effets au niveau global
(effets résultant de la production de toutes ces voitures,
de toutes ces batteries, de toute cette électricité,
ou résultant de la société des supermarchés
et des autoroutes qui risquent de se développer en marge
de ce type de ville).
Quelques éclaircissements sont nécessaires concernant
la croissance. Quand on parle de croissance, on veut en principe
parler de la croissance économique. Mais trois aspects sont
trop souvent entremêlés (volontairement ?) : l'économie
(mesurée par le PNB ou produit national brut), le niveau
de consommation de ressources naturelles (mesuré par les
matières, énergie ou espaces extraits de la nature)
et le bien-être/qualité de vie.
De nombreux indices ont été développés
pour mesurer le bien-être. C'est ce bien-être que l'on
voudrait voir croître ou au moins se stabiliser. Le PNB n'est
que la valeur des produits et services échangés. Cela
ne représente rien de fondamentalement négatif mais
rien non plus de fondamentalement positif : l'augmentation des accidents
et des maladies par exemple est un moyen de croître économiquement.
La croissance matérielle est une augmentation de la consommation
de ressources naturelles, elle représente une augmentation
des impacts écologiques. Jusqu'à un certain point,
elle peut être liée à une croissance de la qualité
de vie, mais lorsque les impacts deviennent trop importants, elle
la réduit. Depuis les années 70, la croissance ne
semble plus accroître la qualité de vie, principalement
à cause de la croissance des dégâts écologiques
et sociaux.
AUGMENTER LA VALEUR, PAS LE NOMBRE
Jusqu'à aujourd'hui, la croissance économique a toujours
signifié que l'on extrait toujours plus de ressources naturelles.
La croissance économique est alors corrélée
(ou accouplée) à la croissance "matérielle"
(si on prend en compte les effets hors des frontières). Et
pour cela elle représente quelque chose de négatif,
lié à toutes sortes d'impacts écologiques.
Pourtant il y a deux manières de faire croître l'économie
:
* par une augmentation globale de la valeur des produits et services
échangés : en augmentant le prix des pièges
à souris, par exemple, ou des kilomètres parcourus
en auto, et un peu des revenus (équitables) en même
temps. On pourrait aussi reconnaître une valeur à de
nombreuses formes d'art et au travail bénévole ;
* par une augmentation du nombre de produits ou services échangés
: en augmentant le nombre de pièges à souris ou le
nombre de kilomètres de transport.
"Découpler" la consommation de ressources de la
croissance économique pourrait se faire de façon artificielle
et relativement bénigne par la première manière.
De façon générale, la croissance économique
serait possible avec une baisse de la consommation de ressources,
mais cela impliquerait de transformer de fond en comble le fonctionnement
de l'économie. Mais ce n'est pas de cette économie-là
dont parlent les médias et les dirigeants.
Nos experts parlent bien d'augmentation du nombre de produits ou
services échangés comme étant importante pour
la croissance. La croissance de la consommation d'énergie
et des transports est déjà prévue. Au lieu
d'augmenter, la valeur des produits et services tendent à
baisser à service équivalent pour créer une
augmentation de la demande. Reste donc la cure d'efficacité,
chaque produit ou service doit réduire son impact de façon
très importante pour contrebalancer l'augmentation de leur
nombre. Pourtant cette méthode a prouvé son incapacité
jusqu'à maintenant : aucun découplage ne s'est jamais
produit au niveau global malgré les discours dans ce sens.
Et elle reste vouée à l'échec dans le contexte
actuel si l'on considère l'effet rebond. Le découplage
entre croissance économique et croissance matérielle
risque d'être bien insuffisant voire inexistant.
L'EFFET REBOND (38)
Le concept d'effet rebond est apparu aux temps de la première
crise pétrolière, quand de nombreuses techniques d'économie
d'énergie ont vu le jour. Des scientifiques ont alors relativisé
les gains obtenus par les techniques d'économie d'énergie
en calculant les augmentations de consommation liées à
ces nouvelles techniques. Les lampes économes, par exemple,
tendent à être utilisées plus longtemps que
les lampes normales parce qu'elles coûtent moins cher à
l'usage. L'effet rebond est alors défini comme "une
augmentation de la consommation d'un produit ou service dû
à une réduction de son prix de revient." Il s'est
avéré que ce problème n'est pas si important
dans le domaine énergétique mais une brèche
a été taillée dans la sacro-sainte efficacité
censée résoudre tous les problèmes écologiques.
Puis le concept d'effet rebond s'est élargi pour prendre
en compte les augmentations de consommation qui se reportent sur
d'autres produits ou services. Par exemple, les gains des économies
d'énergie pourront être utilisés pour voyager.
De façon plus large, l'effet rebond prend en compte les changements
d'équilibres économiques et de plus larges transformations
de la société. Par exemple, acheter une voiture soutient
le réseau routier face à d'autres alternatives, ce
qui a pour effet une réorganisation de la société
et va par exemple favoriser les supermarchés et créer
encore plus de consommation.
Et le concept s'est étendu à d'autres aspects que
les coûts directs, tels la notion de temps. Par exemple, les
moyens de transport rapides, censés économiser du
temps, amènent un accroissement des distances parcourues
qui, non seulement ne font plus alors gagner de temps, mais augmentent
d'autant plus l'usage de ce moyen de transport et les impacts qui
en découlent.
Le mécanisme responsable est cette fixation à innover
non pas réellement pour un bien-être écologique
et social mais pour supprimer les limites à une augmentation
de la consommation. En effet, réussir à vivre de façon
frugale implique en premier lieu d'être conscients de nos
limites, de façon à se limiter à ce dont nous
avons vraiment besoin. Nous éviterons un achat, nous limiterons
l'usage d'un produit, s'il nous coûte trop cher, si nous n'avons
pas le temps de l'utiliser, s'il est trop dangereux, s'il nous demande
trop d'efforts, s'il risque de nous ruiner la santé, s'il
utilise trop d'espace, si son poids est trop important. L'innovation
tend justement à réduire toutes ces limites et à
le promouvoir dans des publicités. Les produits deviennent
bon marché, rapides, sûrs, sans effort, bons pour la
santé, légers et petits, ou bons pour l'environnement.
Alors pourquoi se limiter ? A terme cette augmentation de consommation
peut supprimer les bénéfices attendus et amener d'autres
problèmes. Ainsi les voitures nous permettent de voyager
plus mais nous supprimons alors le temps que nous étions
censés gagner et nous créons de la pollution, du bruit,
des morts... De même, les technologies de l'information amènent
de fait un accroissement de la consommation de papier et des transports,
de par l'augmentation des communications. On retrouve ce problème
dans le domaine de la sécurité même, l'airbag
tend à créer plus d'accidents car les automobilistes
se sentent en sécurité pour rouler plus vite. Les
mesures anti-congestion en augmentant la capacité créent
un appel d'air, une demande, pour plus de trafic avec toutes ses
conséquences environnementales, et un nouvel embouteillage
se créera à un niveau de circulation plus élevé.
Défini de façon très générale,
l'effet rebond est l'augmentation de consommation liée à
la réduction de ce qui limite l'utilisation d'une technologie.
Il serait très hypocrite d'expliquer que l'effet rebond
est une grosse malchance et que les industriels rêvaient d'une
stabilisation de la consommation. Non, l'effet rebond est un effet
voulu pour augmenter les ventes et les profits par augmentation
de la demande. Ainsi il a été planifié que
le TGV permettrait d'augmenter les déplacements d'une manière
considérable entre Paris et Lyon, c'est aussi un effet espéré
qu'Internet permette, grâce à son efficacité,
d'augmenter les ventes de produits en valeur absolue. De même
les économies d'échelle ne sont pas conçues
pour l'écologie mais pour vendre plus tout simplement.
L'ÉCOLOGIE, C'EST DÉBONDIR !
Mais le rebond n'est pas inévitablement lié à
l'efficacité et aux produits écologiques. Un produit
ou service écologique peut créer d'autres limites
à la consommation et par là même créer
un effet "débond" cette fois-ci. Par exemple, les
déplacements utilitaires à vélo tendent à
réduire les kilomètres parcourus, et à consommer
relativement moins. Le partage d'automobiles tend à réduire
leur usage. Des activités comme le jardinage, la randonnée,
les longs repas sont extrêmement écologiques car leur
lenteur réduit le temps disponible pour d'autres activités
plus polluantes. Acheter des produits chers de bonne qualité,
ou bons pour la santé comme les produits biologiques nous
font "débondir" en rendant notre budget inutilisable
à l'achat de produits de mauvaise qualité et polluants.
D'une façon générale, toutes les activités
qui prennent du temps, demandent un certain effort ou nous coûtent
cher (pour de la bonne qualité) sont les meilleures pour
éviter le rebond. La question que l'on est en droit de se
poser est de savoir comment convaincre les entreprises de laisser
de côté leurs stratégies de pousser à
toujours plus de consommation (que ce soit des produits ou des services)
car cela semble à la base de leur façon de fonctionner.
Les solutions politiques foisonnent. Cet effet rebond qui ruine
les avancées écologiques devrait être mieux
documenté, et l'information diffusée, notamment en
publiant les informations sur les choix les plus écologiques
par euros à dépenser ou par heure d'activité.
Une autre possibilité est de limiter les extractions de ressources
à la source par des quotas qui réduisent au fur et
à mesure ou au moins pour les importations, ce qui permettrait
de limiter de plus en plus les extractions de pétrole, de
métaux, de bois... Ceci aurait pour effet d'augmenter leur
prix, et donc de permettre à ceux qui vivent de l'extraction
de ces ressources de gagner autant en travaillant moins. Une autre
mesure complémentaire est de créer des "réserves
de ressources naturelles", des espaces où les ressources
seraient laissées à jamais, comme dans les parcs nationaux,
mais ceux-ci sont bien trop limités. La baisse du temps de
travail permet de réduire les revenus et donc les consommations
tout en rendant possibles les activités lentes et l'auto-production.
Les éco-taxes permettent "d'internaliser les externalités"
(intégrant par exemple le coût des marées noires
dans le prix du pétrole). Elles permettent aussi d'augmenter
de façon générale les prix des produits pour
réduire le rebond. Une autre solution serait la mise en place
de nouvelles limites artificielles pour remplacer celles qui sont
réduites par les innovations de produits et de services.
Cela est possible par exemple en maintenant des niveaux de capacité
réduite sur les routes ou en favorisant le niveau local dans
les communications et les échanges.
L'INNOVATION DE STYLE DE VIE FRUGAL
L'innovation s'est focalisée sur les produits et les services,
et a créé cet effet rebond. Il est un domaine où
l'innovation peut vraiment porter ses fruits : c'est le domaine
des actions personnelles. L'innovation de produits ou services doit
laisser place à "l'innovation de style de vie"
pour une réduction de nos consommations. Dans cet ordre d'idées
et par rapport aux appels aux "consommateurs-soldats",
il importe de refuser de participer, de déserterle style
de vie consommateur pour qu'un autre type d'économie se développe,
basé sur l'entraide, la convivialité, la réponse
aux vrais besoins et non pas ceux créés par la publicité
et la mode. Cette économie ne serait pas basée sur
cet apport toujours plus important de ressources naturelles avec
les problèmes économiques et sociaux qui en découlent.
L'ABONDANCE DURABLE
Jean Depuydt
Vouloir remettre en cause la croissance ne peut se faire sans remettre
en cause l'économie de marché. Penser un autre système
économique où les ressources sont distribuées
équitablement devrait permettre de sortir de la société
de consommation, et donc d'arriver à un niveau soutenable.
L'article-manifeste de Vincent Cheynet et Bruno Clémentin
constitue une mise au point nécessaire. A nous de comprendre
que l'expression "décroissance soutenable" n'est
pas simplement un meilleur terme pour dire "croissance soutenable".
Elle enjambe sur un changement de culture. Il s'agit en effet de
passer d'une société aux besoins infinis, disproportionnés
par rapport aux ressources et injustement répartis, à
une société dont les besoins seraient "justes"
au double sens de justice sociale et d'adéquation au capital
planétaire disponible.
Si ce message pouvait se concrétiser, la fin du siècle
serait sans aucun doute plus vivable. J'en approuve donc totalement
les attendus. Il manque cependant de recul par rapport au système
qu'il critique et d'ambitions à la hauteur des possibilités
qui sont aujourd'hui les nôtres.
LE NEZ SUR LE GUIDON
Ses auteurs ne m'en voudront pas, j'espère, si je les décris
le nez sur le guidon. Ils ne ménagent certes pas leurs efforts,
mais participent malgré eux à une course jouée
d'avance. Cette course est celle du Marché, auquel le modèle
qu'ils proposent consent d'ailleurs une part. Or ce Marché
n'a de sens que si on y fait des bénéfices croissants,synonymes
de Croissance.
Dans une économie de marché, il ne peut pas y avoir
de bénéfice "en équilibre", ou ce
ne seraient plus des bénéfices. Dans une économie
de marché, aucun entrepreneur ne peut maintenir son entreprise
sans faire des bénéfices croissants. Il est toutefois
injuste de décrire l'entrepreneur comme avide de bénéfices
uniquement pour les bénéfices et pour mener grande
vie. Il ne peut pas ne pas en faire et en chercher toujours davantage.
Ils le garantissent contre les perfectionnements techniques dont
ses concurrents risquent de s'emparer avant lui, ils lui permettent
d'occuper plus largement son "créneau", etc.
On ne peut s'en prendre à "la croissance" sans
s'en prendre au marché, ni aux instances mises en place pour
"réguler" ledit marché, en d'autres termes
sauver sa profitabilité par tous les moyens.
Mais pour que le marché soit favorable aux entreprises,
pour leur assurer des bénéfices croissants pour que
l'abondance des produits et services ne fasse pas chuter les prix
il faut limiter constamment le nombre de ces produits, pour en rendre
les clients captifs. Il faut réduire le nombre de concurrents,
les mettre à sa botte. Il faut sélectionner les technologies
profitables, notamment celles qui diminuent le nombre d'emplois.
Il faut constamment assainir les marchés par des destructions,
des quotas, des mises en jachère, des restructurations, des
mesures qui bafouent la liberté des peuples à se nourrir,
s'éduquer, s'équiper, décider eux-mêmes.
Il est donc clair que les plus en avance en matière d'écologie,
en s'engageant pour "la croissance soutenable", se trompent
encore de combat.
Ils justifient les impératifs raréficateurs que l'économie
actuelle cultive sous couvert de Croissance. Ils négligent
que les malheurs qui menacent la planète et ses usagers sont
en fait imputables à la victoire de l'humanité sur
la pénurie et son détournement permanent par les raréfactions
(voir plus haut) qu'exige le "bon" fonctionnement du marché.
A cette victoire tous les peuples ont participé, et à
tous les échelons. Même s'ils ne l'ont pas expressément
voulue, elle est là, disponible sous la forme d'un immense
potentiel technique dans lequel il est aujourd'hui facile de puiser
pour le bien comme pour le mal. On n'a pas le droit de la leur voler.
Faisant preuve d'un minimum de cohérence avec ses idéaux
et l'observation des faits, ceux qui ont le coeur à gauche
s'honoreraient donc en rompant avec le thème démagogique
de "la redistribution plus juste", qui sacrifie au totalitarisme
de marché. Pourquoi ne mettraient-ils pas l'abondance durable
à l'ordre du jour ? C'est en tout cas à travers elle,
quant à nous, que nous envisageons la décroissance
soutenable.
LOIN DES GADGETS
Prenons du recul. Nous avons aujourd'hui les moyens de résoudre
tous les besoins quasiment en temps réel. Nous en sommes
empêchés par la non-profitabilité primaire (voir
l'affaire des médicaments contre le sida) ou secondaire (par
surproduction ou saturation du marché : voir téléphones
portables et autres trottinettes). Mais nous en sommes avant tout
empêchés par le fait qu'il nous faut, pour survivre,
avoir un salaire que seules les entreprises à forte profitabilité
peuvent offrir et supprimer à leur gré.
Beaucoup plus grave, et qui reste encore largement inaperçu,
est le fait que les usagers que nous sommes n'ont pas la maîtrise
de leurs usages.
Ces usages, ils sont réduits à les penser en terme
de besoins, précisément, des besoins qu'il leur faut
résoudre en dépensant les salaires qu'ils ont gagnés
en participant eux-mêmes à cette réduction.
Sur le thème de l'efficacité, de l'économie,
de la rapidité, de la modernité, du "mieux",
voire de "respects" bien ciblés, ils se laissent
imposer ou s'imposent à eux-mêmes un mode de vie qui
passe par la faible qualité des produits et des services.
Ce qui les oblige à chercher des compléments obésifiants
à leur alimentation carencée, à renouveler
plus souvent leur parc de machines, à les doubler ou tripler
par d'autre tout aussi futiles et vicelardes. Du coup la croissance
devient insoutenable et la décroissance inenvisageable.
L'histoire des États officiellement reconnus comme totalitaires
l'a suffisamment montré : la maîtrise de l'instrument
de production ne résout pas le problème. Soumise aux
impératifs prix-profits, la production par petites unités,
communalisées et autogérées, ne réduirait
pas pour autant le surgâchis de l'offre et de la demande.
La maîtrise de l'instrument de production et celle de leurs
usages par les usagers ne peut être envisagée sérieusement,
dans un premier temps tout au moins, qu'à partir du moment
où les usagers tireront leur revenu (et non plus leur salaire)
directement de la masse des produits et services aujourd'hui disponibles
avec de moins en moins de travail.
Ce revenu "direct" et inconditionnel calculé en
chiffrant la valeur d'usage des produits et services, il ne sera
plus nécessaire de créer du travail salarié
pour survivre et faire survivre des entreprises qui ont de moins
en moins l'usage de travailleurs.
N'est-ce pas là ce qu'on appelle "revenu d'existence"
? Tel qu'il est actuellement conçu, celui-ci, hélas,
est financé par ses généreux promoteurs par
ce qu'autorise la redistribution étatique, elle-même
asservie aux profits des entreprises.
Comme tous les nécessaires revenus de complément,
il sera donc à la merci des politiques actionnariales et
assujettira plus durement encore les usagers aux impératifs
de la Croissance !
LA DÉMOCRATIE DES USAGERS
Envisageons dans un premier temps, avons-nous dit de distribuer
à tous les usagers, de leur naissance à leur mort,
un revenu proportionnel aux richesses disponibles.
1. Le chômage ne menace plus personne.
2. L'existence n'est plus divisée en trois périodes
quasi étanches. Chacun pourra poursuivre ses activités
favorites aussi longtemps qu'il le désire sans menacer l'emploi
de quiconque.
3. Vous "démocratisez" une capacité jusqu'à
présent réservée aux classes possédantes
ou des cas d'exception : celle de s'investir à tout âge
dans les activités de son choix.
4. N'ayant plus pour but le profit monétaire, l'éventail
des activités est profondément modifié. Vous
pourrez consacrer tout le temps que vous voudrez à la recherche,
à réfléchir à ce que vous faites de
votre vie, à la pertinence des produits et services encore
considérés comme indispensables, à améliorer
ce qu'on appelle les conditions de travail", devenues des conditions
de responsabilité et de bonheur.
5. Tout ce qui sera entrepris pourra l'être à titre
expérimental, contrôlé et réversible.
6. La liberté d'entreprendre connaîtra un essor que
les plus "libéraux" n'ont jamais osé espérer.
7. Aucun peuple ne sera plus laminé par des modes de vie
ou des techniques qui leur sont étrangers.
Toutes sortes d'idées généreuses comme celles
exprimées dans l'article auquel nous répondons vont
déjà dans ce sens. Mais elles sont marquées
par la façon même dont le Marché raréfacteur
nous a appris à voir l'avenir : étriqué et
malheureux.
Dans ce sens aussi vont des "mesures" dont personne ne
se plaint mais qui n'interviennent qu'à titre de pansements
sur les plaies produites par l'économie de marché.
Ex : le RMI, les allocations de rentrée scolaire, l'abaissement
de la durée du travail, la formation continue, le commerce
éthique, les dettes qu'on éponge, les SEL...
Beaucoup d'autres passent inaperçues ou sont tenues pour
folkloriques. Cette erreur d'appréciation tient au fait que
nous ne disposons pas de méthode de lecture ou de projet
de société qui les valoriserait.
Nous devons donc y être attentifs et les adapter non plus
aux modèles actuels mais mettre en oeuvre des fondamentaux
politiques en accord avec les possibilités qui sont aujourd'hui
les nôtres. C'est l'hypothèse de travail adoptée
par la revue Prosper,qui poursuit et rénove ainsi les options
connues sous le nom de distributisme.
Dans un deuxième temps, mais pourquoi pas tout de suite
? il sera possible d'envisager de s'en tenir uniquement à
une comptabilité matière et de suspendre l'usage même
de la monnaie.
La chose est encore difficile à imaginer. Mais elle rendrait
caduque toute discussion sur l'égalité ou l'inégalité
des revenus. Or c'est l'inégalité des revenus qui
engage les classes les mieux payées à une demande
accrue de produits distinctifs, par lesquels elles justifient aujourd'hui
les différences de salaires et justifieront demain les différences
de revenus, avec les incidences immédiates et souvent dramatiques
sur la quantité de travail, d'énergie, de matériaux
nécessaires pour satisfaire cette demande. L'article auquel
nous répondons le signale bien : la supériorité
des revenus d'un vingtième de la population mondiale lui
permet de s'arroger 80% de la consommation des ressources naturelles.
L'écologie bien comprise est tout aussi incompatible avec
le marché qu'avec la moindre différence de revenus.
LA MAÎTRISE DU DÉVELOPPEMENT COMMENCE PAR
CELLE DES USAGES
Jean Depuydt
Mon but est ici de convaincre de centrer le combat, qui sera difficile
et long, sur un objectif cent pour cent écologiste et social
: la maîtrise de leurs usages par les usagers.
Dans les années 60, déjà, la technique délirante
et la société de consommation furent mises en question
dans de nombreux ouvrages. La critique de la technostructure occupa
peu à peu tout le terrain, sous la houlette de maîtres
prestigieux. On prêta beaucoup moins d'attention aux thèses
que Jean Baudrillard commença à développer
(*), faisant paraître que l'économie tout entière
marchait "aux signes". En d'autres termes, que les "besoins"
que nous "avons", nécessités de base ou
désirs (de "standinge", comme disait San Antonio),
sont "travaillés" en profondeur par toutes sortes
de signes de nécessité, d'amélioration, de
modernité, d'intelligence, de "classe".
DE LA VACHE BIAFRAISE À LA VACHE FOLLE
Ceci compris, ou intuitionné, une idée toute bête
vous saisit : si l'économie en général (et
la politique qui la soutient ou y ajuste les revendications des
usagers) marche aux signes, comment influencer cette marche ?
Dans les années 60-70, malheureusement, aucun syndicaliste,
communiste ou socialiste, n'était capable de voir plus loin
que lutte des classes et prise du pouvoir. Mais pour en faire quoi?
Les partisans de l'économie distributive, que j'ai pu alors
rencontrer, étaient les tout premiers infatués de
progrès et nous promettaient des lendemains d'abondance,
toutes nécessités et désirs satisfaits.
Les écologistes sont nés sur cette planète-là
et en ont, avec un souffle nouveau, repris les refrains. Ayant montré
les dégâts, leur réflexion est partie dans deux
grandes directions. La première, toute réformiste
: meilleure utilisation, prévisions à long terme,
etc. On s'acheminait donc déjà vers un modèle
politique global, "soutenable" pour la planète.
Progrès mais...La seconde développa des "alternatives",
dont on gommait l'aspect technique (utiliser la force du vent ou
l'agro-bio, qu'est-ce d'autre que des techniques ?) pour mettre
en place une morale écolo, limitative qui exigeait des vertus
ou des moyens hors de portée du vulgaire citoyen.
La famine au Biafra éclata. Les écologistes exploitèrent
la catastrophe écologiste et les non-écolos la catastrophe
politique. On récita bravement le nouveau bréviaire
et l'ancien aussi. Avec vos "signes", vous aviez l'air
de quoi ? Quel meilleur symbole pourtant de ce qui nous attendait,
que cette catastrophe authentiquement écologiste, couchant
des milliers de Biafrais, et dont la véritable cause était...?
Etait... ? Etait, figurez-vous, le code social local, un code qui
vous invite à prouver à vos pairs que vous êtes
riche en achetant des vaches. Le signe vache avait ruiné
le pays.
Les quelques rares écolos qui toléraient d'entendre
ça devenaient totalement sourds quand, avec des ruses comme
on n'en prête qu'aux Sioux, vous avanciez que, sur une plus
vaste échelle encore, les signes à travers lesquels
les Occidentaux rivalisaient pour témoigner de leur participation
à une certaine culture ruinaient la planète.
Trente ans plus tard, le signe viande,qui signifie l'accès
du populaire à une alimentation "riche", a causé
la vache folle. Le discours politique est un long fleuve tranquille.
POLITIQUE DES USAGERS
Mais observons plutôt les 66% d'Allemands et les 56% de Français
qui ont réduit leur consommation de viande bovine. Ils ont
donc, ceux-là, loin des politiques, pensé, chacun
tout seul, ce qui finit par faire beaucoup de monde, à se
nourrir eux,et à changer leurs usages. Ils ont réagi
en usagers!
Alors de deux choses l'une. Ou bien on prend en compte leur nombre
pour gérer la politique agricole commune et faire du profit
sur la vache "bio".
Ou bien on décide de perturber le cours tranquille du fleuve
économico-politique. On décide de donner à
un comportement proprement uso/logique les résonances écologiques
et sociales qu'il mérite.
En écologie rigoureuse, en effet, tout ce qui peut contribuer
au bien-être des usagers et à la sauvegarde de la planète
doit pouvoir être produit sans retard et aussitôt disponible
à l'achat.
Or nous avons aujourd'hui largement les moyens de produire utile,
sain, durable et beau.
Qu'est-ce qui nous en empêche ? Sur les rives du long fleuve
tranquille, vous entendrez chanter les capitalistes,sur l'air des
lampions. Ils sont donc bien méchants ? Mais comment survivraient-ils,
et nous qui allons dans le mur avec eux, en travaillant et achetant
chez eux, s'ils ne faisaient pas, à n'importe quel prix écologique
et social, des bénéfices ? Des bénéfices
redistribués sous forme de dividendes à leurs actionnaires,
de nouveaux investissements, de postes salariés, de taxes
et d'impôts ?
L'état du marché, qui commande leurs bénéfices,
commande donc aussi les rentrées de l'État, la politique
en général : la façon dont les entreprises
les plus puissantes absorbent les concurrentes, ou dont les États
les plus riches imposent leurs modèles aux autres. Il commande
aux États d'aider à la croissance d'où ils
tirent de quoi panser quelques plaies écologiques et sociales,
choisies parmi les plus symboliques. Il commande le nombre de travailleurs
qui seront privatisés par l'embauche. Il commande l'asservissement
des usagers salariés à une certaine production et
productivité, et celle des assistés à leurs
allocations. Il commande non seulement la quantité des produits
et services disponibles, mais leur qualité. Sous couvert
d'abondance, il réduit constamment le choix des usagers et
les oblige à dépenser leurs revenus sur des produits
ciblés en fonction des profits réalisables sur le
marché.
L'alternative distributiste, elle, permet de disjoncter absolument
du marché. Elle donne de ce fait aux usagers un pouvoir maximum
sur leurs usages. Elle offre aussi aux écologistes qui voient
loin, comme ceux qui introduisent aujourd'hui la décroissance
soutenable, l'occasion d'une sortie par le haut.
J'AI FAIT UN CAUCHEMAR
Bernard Ginisty
Il faudrait finalement peu de choses pour que s'engage la décroissance...
Mais c'est une idée tellement incompréhensible pour
nos économistes que cela pourrait entraîner une désorganisation
rapide de la société. Une petite histoire de décroissance
possible pour illustrer cela...
Les accidents de la route ayant augmenté de façon
significative, le gouvernement mit en place une campagne de presse
intensive pour faire cesser ce fléau. A la surprise générale,
les Français se laissèrent convaincre et changèrent
peu à peu leur comportement. Ils utilisèrent davantage
les transports en commun, respectèrent strictement le code
de la route et commencèrent à avoir, en tant qu'automobilistes,
de l'attention pour leurs concitoyens.
Le gouvernement se félicita de la diminution des accidents
qu'il attribua à la pertinence de son programme et à
la force de conviction de ses ministres. L'étonnement fut
grand lorsqu'il apparut que le mouvement s'amplifiait. S'identifiant
de moins en moins à leur voiture, les Français n'en
firent plus le support essentiel de leurs loisirs et de leur standing.
Les cadres découvrirent qu'ils pouvaient exister sans voiture
de prestige, et les petits marquis des cabinets ministériels
qu'il y avait une vie après la Safrane. La consommation de
voitures baissait.
Les proclamations d'autosatisfaction du gouvernement se raréfièrent.
Le lobby des constructeurs automobiles se lança dans une
campagne de presse pour exalter le risque, le panache en voiture.
Rien n'y fit et, peu à peu, les accidents de la route devinrent
exceptionnels. Le syndicat de la réparation automobile, touché
de plein fouet par cette situation, vit fondre de 70% ses effectifs.
Le renouvellement du parc automobile se ralentit, malgré
les primes que le gouvernement versait aux acheteurs, et l'on vit
croître dangereusement le stock de voitures invendues. On
annonça quelques suicides d'experts en "flux tendus".
Les compagnies d'assurance furent gravement sinistrées par
la diminution des contrats et la généralisation des
bonus qui réduisirent considérablement leur flux de
trésorerie. Les services des urgences des hôpitaux
présentèrent des bilans catastrophiques car ils n'arrivaient
plus à amortir leurs investissements très sophistiqués.
Faute de clientèle, nombre de centres de rééducation
fonctionnelle fermèrent leurs portes. La situation fut jugée
grave par le gouvernement qui commanda des études à
des experts. Ceux-ci chiffrèrent à 300 000 la disparition
d'emplois dus à ce nouveau comportement des Français
(39). D'après leurs calculs, le seuil d'accident était
tombé trop bas et, si l'on voulait la reprise, il convenait
de revenir à un nombre d'accidents plus conforme au "cercle
de la raison" économique.
Rien n'y fit ! Les Français étaient devenus désespérément
sages et appliquaient ce que depuis des lustres, on leur présentait
comme un comportement responsable et civique.
Non seulement l'automobile fut atteinte, mais la consommation d'alcool
et de tabac diminua, entraînant de graves pertes de ressources
fiscales pour l'État et des disparitions d'emplois tant dans
le secteur de la production que dans celui de la santé. Le
plaisir de savourer le temps, les êtres et les choses remplaçait
peu à peu la frénésie de les consommer.
Les dernières tentatives gouvernementales pour débusquer
des gisements d'emplois dans les services aux personnes ne donnèrent
plus que des résultats modestes, car de plus en plus de personnes
avaient du temps pour s'intéresser à leurs proches
et à leurs amis. Grâce à une poussée
d'attentats terroristes, on vit un moment la courbe de l'emploi
se redresser légèrement du fait de la création
systématiques de vigiles dans les magasins. Mais les destructions
opérées et les emplois générés
restaient largement insuffisants pour relancer la machine économique.
Le PIB s'effondrait et l'on commença à entendre tel
ou tel expert affirmer : "Au fond, ce qu'il nous faudrait,
c'est une bonne guerre"...
En ce lundi matin, je fus réveillé en sursaut par
mon radioréveil. Le journaliste expliquait que le bilan des
accidents de la route du week-end restait dans la norme saisonnière.
Les kilomètres de bouchon à l'entrée des grandes
villes ne subissaient pas de variation significative. La consommation
d'alcool, de tabac, de "vache folle", l'exposition à
l'amiante et à la pollution permettait d'envisager des créations
d'emplois dans le domaine sanitaire. Grâce au stress généralisé
des salariés qui avaient peur de perdre leur emploi et à
celui des chômeurs qui n'en trouvaient pas, la France restait
championne du monde dans la consommation d'antidépresseurs.
Et l'on annonçait de prochaines manifestations de chauffeurs
routiers, car le protocole d'accord signé après le
dernier mouvement de grève n'avait pas été
respecté. Je retrouvais un monde familier. L'économie
se portait bien. Je n'avais fait qu'un cauchemar...
NOTES
(1) Statistical Review of World Energy
(2) Gaz de France
(3) Commission des communautés européennes, 2000.
(4) La décroissance, Nicholas Georgescu-Roegen, Éditions
Sang de la Terre.
(5) L'Écologiste, n°2, Hiver 2000. Éditorial
d'Edward Goldsmith.
(6) Donnée : Ministère allemand de l'environnement.
(7) Cité par Mauro Bonaïuti, La teoria bioeconimica.
La "nuova economia" di Nicholas Georgescu Roegen,Carocci,
Rome 2001, p. 53.
(8) J. Pessey, Economic analysis of sustainable growth and sustainable
development,World Bank, Environment department, working paper n°
15, 1989
(9) Christian Comeliau, Développement du développement
durable, ou blocages conceptuels ?Tiers-Monde, n° 137, Janvier-mars
1994, pp. 62-63.
(10) Cité par Jean Marie Harribey, L'économie économe,
L'harmattan, Paris 1997.
(11) Carla Ravaioli, "Lettera aperta agli economisti. Crescita
e crisi ecologica". Manifesto libri2001, p. 20.
(12) Green magazine, mai 1991. Cet exemple comme les précédents
est tiré de Hervé Kempf, L'économie à
l'épreuve de l'écologie, Hatier, col. enjeux, Paris
1991, pp 24/25.
(13) Carla Ravaioli, op. cit. p. 30
(14) Changer de cap, Dunod, 1992, p. II.
(15) Carla Ravaioli, op. cit. p. 32.
(16) Gérard de Bernis, Développement durable et accumulation,
Tiers-Monde, n° 137, p. 96.
(17) Mesatovic et Pestel, Strategie per sopravvivere, Mondadori,
Milano, 1974.
(18) Une augmentation du revenu (au sens hicksien) sans atteinte
au capital naturel permettrait d'affirmer qu'une croissance soutenable
est une contradiction dans les termes, pas un développement
durable. Voir Gianfranco bologna et alii, "Italia capace di
futuro" WWF-EMI, Bologne, 2001, pp 32 et ss.
(19) NGR. 1989 p.14, cité Bonaïuti, p. 54
(20) En dépit de la coquetterie que l'on se donne de contester
la sagesse des "bons sauvages", celle-ci se fonde tout
simplement sur l'expérience. Les "bons sauvages"
qui n'ont pas respecté leur écosystème ont
disparu au cours des siècles.
(21) Cette observation de Castoriadis rejoint la sagesse millénaire
évoquée déjà par Cicéron dans
le "de senectute". Le modèle du "développement
durable" mettant en oeuvre le principe de responsabilité
est donné par un vers de Caton : "Il va planter un arbre
au profit d'un autre âge." Il le commente ainsi : "De
fait, l'agriculteur, si vieux soit-il, à qui l'on demande
pour qui il plante, n'hésite pas à répondre
: "Pour les dieux immortels, qui veulent que, sans me contenter
de recevoir ces biens de mes ancêtres, je les transmette aussi
à mes descendants." Cicéron, Caton l'ancien (de
la vieillesse), VII-24, Les belles lettres,Paris 1996, p. 96.
(22) Mauro Bonaïuti, La "nuova economia" di Nicholas
Georgescu Roegen,Carocci, Rome 2001, pp. 109 et 141.
(23) Ibidem, p. 140.
(24) Op. cit, p. 63.
(25) Marie-Dominique Perrot, Mondialiser le non-sens, L'Âge
d'homme, Lausanne, 2001, p. 23.
(26) On trouvera une bibliographie exhaustive des rapports et livres
parus su le sujet depuis le fameux rapport du Club de Rome, dans
Andrea Masullo, "Il pianeta di tutti. Vivere nei limiti perchè
la terra abbia un futuro"EMI, Bologne, 1998.
(27) Sous la direction de Gianfranco Bologna, Italia capace di
futuro.WWF-EMI, Bologne, 2001, pp. 86-88.
(28) E. Goldsmith, Le défi du XXIe siècle, Le rocher,
1994, p. 330.
(29) Hervé René Martin, La mondialisation racontée
à ceux qui la subissent, Climats, 1999, p. 15.
(30) Kate Soper, Écologie, nature et responsabilité,
Revue du MAUSS n° 17, premier semestre 2001, p. 85.
(31) Sanne C, Energy Policy, 2000. 28"(6-7) ; 487-96; Greening,
LA et al. Energy effiency ans consumption - the Rebond Effect -
a survey, Energy Policy, 2000 (6-7), p. 389-401 ; Mathias Biswanger,
Technological progress and sustainable development : what about
the Rebound Effect ? Ecological Economics 36 (2001) 119-132.
(32) Schneider, Mesicek, Hinterberger, Luks, "Ecological Information
Society - Strategies for an Ecological Information Society"
dans "Susntainability in the Information Society", Hilty,
M.L., P.W. Gilgen (Eds.), part 2, p. 831-839, Metropolis-Verlag,
Marburg.
(33) Voir par exemple les travaux de l'Institut Wuppertal ou du
Sustainable Europe Research Institute. http://www.seri.at
(34) Une fois ce problème résolu nous pourrons aussi
nous attacher à mieux partager les moyens d'utiliser toutes
ces ressources, de nombreux brevets industriels indispensables sont
par exemple détenus par les pays riches aux mépris
de nos principes d'égalité.
(35) F. Scmidt-Bleck, The Factor 10/MIPS concept - Bridging Ecological,
Economic, and social Dimensions with Sustainability Indicators.
Ces chiffres datent et la situation semblerait avoir empiré,
mais nous les adoptons en gardant en mémoire que ces calculs
sous-estiment certainement la gravité du problème.
(36) US Bureau of the Census, Base de données internationale,
http://www.census.gov/ipc/www/worldpop.htm
(37) The environmental Kuznets curve hypothesis does not hold for
material flows, Seppala, Tomi, Hankioja, Teemu and Kaivo-oja, Jari,
troisième conférence de l'ESEE, 3-6 May 2000, vienne,
Autriche, et de nombreux autres articles de cette conférence.
(38) Atelier "consommation soutenable et effet rebond"
au 7e ERCP Lund, suède, Mai 2001, http://www.iiee.lu.se/ercp
(*) Dans Le système des objets, La société
de consommation, Pour une économie politique du signe,tous
ouvrages publiés en "poches".
(39) Voir "L'impact socio-économique des accidents
de la route", revue Handicaps et inadaptations, Cahiers du
CTNERHI, n°59, juillet 1992.
Tous ces articles sont issus des n° 280 et 281 (Février
et Mars 2002) de la Revue Silence, Ecologie - Alternatives - Non-violence.
(La reproduction en est autorisée sous réserve d'en
indiquer la source et le nom des auteurs) => Copyleft
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