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« Travail et Décroissance » - Conférence
de Serge Latouche à Namur - Compte-rendu
19 mai 2007
Billet d’ambiance de Dominique Masset.
Ce 2 mai 2007, Serge Latouche était invité par l’institut
des sciences économiques de Namur pour une conférence
intitulée « Travail et Décroissance ».
Première observation, le grand auditoire était comble
avec un public tout âge y compris des « students »
pourtant proches voire en blocus... Rassurant !
Mieux encore, nous étions certainement une bonne dizaine
de membres des Amis de la Terre, preuve que cette thématique
nous mobilise. L’économiste probablement le plus emblématique
de la Décroissance Economique Soutenable, en francophonie,
a développé les thématiques suivantes :
Nous vivons actuellement une période charnière dans
notre civilisation et même de l’histoire humaine sur
Terre. Où allons-nous ? Dans le mur ! Malgré tous
les moyens et les richesses créés, 2/3 de l’Humanité
se demande encore chaque jour ce qu’elle va manger. Les naturalistes
attestent que la disparition actuelle des espèces vivantes
constitue la 6ème extinction ; elle est ultra-rapide et il
n’est désormais plus exclu que l’espèce
humaine succombe aussi.
D’où venons-nous ?
D’un courant né au XVI° siècle et caractérisé
par une augmentation progressive jusqu’à nos jours
de la production de biens et de croissance économique. Une
date serait à mettre en exergue : 1989 lorsque tous les pans
de la société ont été mis sur orbite
de la mondialisation, de la globalisation, de la marchandisation.
Le problème est qu’actuellement la croissance économique
s’est instituée comme système s’auto-justifiant
: la croissance pour la croissance.
Trois ressorts déterminants de cette croissance économique
marquent notre société :
la publicité,
l’obsolescence programmée (courte durée de vie)
des produits, l
a disponibilité d’un crédit « facile »
encouragé au niveau des individus et la vie à crédit
au niveau de la société, sous forme d’une dette
publique considérable.
Telle que fonctionnant actuellement, notre société,
nos modes de vie, ne sont pas tenables. L’indicateur de l’empreinte
écologique montre que l’Humanité « consomme
» plus que la Terre ne peut supporter ; les peuples mondiaux
ont des empreintes très différentes avec en particulier
un mode de vie « consommant de 2 à 4 planètes
» pour les pays dits occidentaux. Si nous, occidentaux de
ce début de XXI siècle, pouvons nous le permettre,
c’est au prix, d’une part, du maintien des populations
du Sud dans un état de précarité indigne et,
d’autre part, de l’hypothèque de la vie des générations
futures.
Si notre mode de vie de croissance économique n’est
pas tenable, il n’est pas souhaitable non plus. De très
nombreux indicateurs attestent que si la croissance économique
est permanente depuis 50 ans, notre bien-être stagne, au mieux,
et se réduit le plus souvent.
Si la croissance est une théorie économique, la
« Décroissance » elle n’est pas une théorie
mais un slogan provocateur, une matrice d’alternatives. Cette
matrice devrait nous conduire à sortir de la religion de
croissance pour devenir A-croissant comme A-gnostique.
Pour mettre en oeuvre la Décroissance Economique Soutenable,
Serge Latouche propose deux étapes. La première est
la modélisation de l’Utopie concrète, la seconde
est sa réalisation par un programme politique. Pour expliciter
la Décroissance comme utopie, il développe un modèle
en cycle dit des 8 « R » recouvrant successivement :
1. Réévaluer : il faut se pencher sur les valeurs
fondamentales de nos sociétés ainsi que sur les modes
de fonctionnement qu’elles impliquent : p.ex. la publicité
comme arme de pression à la surconsommation.
2. Reconceptualiser : pour évoluer vers une « nouvelle
» société, il faut en définir les ressorts,
les concepts fondamentaux : p. ex. comment serait définie
la situation de pauvreté, ...
3. Restructurer : s’il semble indispensable et inévitable
de sortir du capitalisme, il faut alors également changer
les rapports de production et sortir de l’esprit qui définit
par un cadre économique toutes les données de notre
vie.
4. Redistribuer : tant les avoirs que les droits de tirage sur
les ressources de la planète doivent être répartis
plus équitablement entre tous les humains.
5. Relocaliser : réapprendre à vivre en considérant
son lieu de vie comme le centre du monde ; se donner comme règle
de ne pas y prélever plus que possible ainsi que ne pas le
souiller plus qu’il ne peut absorber.
6. Réduire : pour vivre ainsi, il est inévitable
de réduire nos consommations, nos transports, nos emballages...
7. Réutiliser : dans l’intention de stopper l’obsolescence
programmée, il nous faut revenir à des choses, à
des objets, à des outils durables, réparables...
8. Recycler : arrivés en fin de vie, les choses, les objets,
les outils doivent être conçus pour se transformer
à nouveau en matière première pour d’autres
productions et pas comme actuellement en déchets.
Développant le titre de la conférence, Serge Latouche
insiste su le fait qu’une réduction massive des horaires
de travail est indispensable. Cette réduction de la durée
de travail vise à redistribuer le travail pour en procurer
à toutes et tous mais également à rendre un
sens au travail et la vie. Plus précisément, il explique
que « l’animal laborieux » que nous sommes le
resterait toujours mais bien moins longtemps chaque jour ; nous
dégagerions ainsi bien plus de temps pour deux autres composantes
essentielles de notre vie que sont la participation à la
gestion (vie) de la société ainsi que les activités
créatives et artistiques.
En guise de programme politique, une dizaine de points sont esquissés
avec une mise en oeuvre comme suit :
Internaliser les coûts actuellement externalisés
ou, dit autrement, faire payer les pollueurs.
Diminuer les consommations par 3 pour revenir à une empreinte
écologique soutenable. Depuis les années 1960-70,
les changements essentiels sont ceux qui ont porté sur la
manière de produire : p.ex. dans le secteur agroalimentaire,
les produits restent comparables tandis que le mode de production
a radicalement évolué vers l’élevage
« hors sol » et les intrants chimiques en agriculture.
Internaliser les coûts des transports, responsable de près
d’1/3 du changement climatique. Pour retrouver un prix un
peu plus juste, il faudrait immédiatement multiplier par
20 fois voire 30 fois le prix du km parcouru.
Soutenir massivement le retour vers l’agriculture paysanne,
extensive et biologique.
Convertir les gains de productivité en Réduction
du Temps de Travail.
Impulser la production de biens relationnels tels le savoir, l’amitié,
l’amour...
Adopter un scénario des négawatts pour réduire
au moins par un facteur 4 nos consommations d’énergie.
Adopter un moratoire sur la recherche technoscientifique en vue
de la réorienter, de lui définir du sens en accord
avec nos aspirations profondes.
Pénaliser les dépenses de plus en plus énormes
de publicité et cadrer strictement la promotion de produits
ou de services.
Tant l’utopie concrète que le programme d’une
politique de Décroissance sont-ils plausibles ? Oui, affirme-t-il,
mais avec des réserves ou des précisions. Si aujourd’hui
les mentalités ne sont pas encore « mûres »,
il est tout à fait possible qu’elles le soient demain
; ce qui paraît impossible comme politiques au niveau international
ou national concernant des changements de type « macro »
sont par contre envisageables au niveau plus locale, plus proche
des choix et des comportements individuels.
Il est fréquent d’entendre des détracteurs
de la Décroissance accuser les promoteurs de ce « slogan
» de vouloir paupériser plus encore les plus pauvres
de la planète. Serge Latouche termine ainsi son exposé
en développant les rapports Nord/Sud. Il développe
deux idées en accord avec l’option de Décroissance
Economique Soutenable :
Il faut rompre les dépendances économiques et culturelles
qu’a le Sud par rapport au Nord.
La meilleure action que les pays du Nord ont à mettre en
place par rapport aux pays du Sud est d’arrêter la prédation
des ressources et donc leur surconsommation.
Cette conférence « tour d’horizon » a
abordé de manière succincte un grand nombre de sujets
inclus dans le slogan de « la Décroissance ».
En considérant cette thématique comme une clé
de voûte de ses centres d’intérêts, les
Amis de la Terre ont compris son rôle déterminant pour
une sortie de l’impasse sociale et écologique dans
laquelle nous nous enfonçons. Nous nous devons, dans le cadre
de nos actions en éducation permanente, de vulgariser ces
idées à la fois nouvelles et totalement opposées
au courant dominant dans notre société. A titre personnel,
ici et maintenant, nous devons en tirer des conséquences
pour, d’une part, nous sentir personnellement plus cohérent
et, d’autre part, vivre mieux ! Ceci est exactement le sens
de l’appel à suivre les voies de la Simplicité
Volontaire que les amis de la Terre lancent depuis 2005. Pratiquée
seule ou en retissant des relations humaines plus denses dans le
cadre des groupes de Simplicité Volontaire, la Simplicité
Volontaire s’avère effectivement être source
d’espoir et de sens.
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