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Origine : http://www.citoyen.eu.org/doc/latouche.php
Il existe une quasi-unanimité à gauche (et même
au centre) pour dénoncer les méfaits d'une mondialisation
libérale, voire ultra-libérale.
Cette critique consensuelle s'articule sur six points :
1) la dénonciation des inégalités croissantes
tant entre le Nord et le Sud, qu'à l'intérieur de
chaque pays,
2) Le piège de la dette pour les pays du Sud avec ses conséquences
sur l'exploitation inconsidérée des richesses naturelles
et la réinvention du servage et de l'esclavage (en particulier
des enfants),
3) la destruction des écosystèmes et les menaces
que les pollutions globales font peser sur la survie de la planète,
4) la fin du welfare, la destruction des services publics et le
démantèlement des systèmes de protection sociale,
5) l'omnimarchandisation, avec les trafics d'organes, le développement
des "industries culturelles" uniformisantes, la course
à la brevetabilité du vivant,
6) l'affaiblissement des États-nations et la montée
en puissance des firmes transnationales comme "les nouveaux
maîtres du monde".
Pour suppléer aux défaillances du marché,
au Sud, on fait largement appel au "samu mondial" dont
les ONG humanitaires, les urgenciers sont l'outil capital. Le tiers
secteur ou l'économie sociale et solidaire ont vocation à
remplir le même objectif au Nord. Le (re)développement
peut-il être le remède à ces maux?
Au fond, beaucoup le pensent, et en particulier tous ceux qui prônent
"une autre mondialisation". Il faudrait revenir au développement
en le corrigeant, s'il y a lieu de ses effets négatifs. Un
développement "durable" ou "soutenable"
apparaît ainsi comme une panacée tant pour le Sud que
pour le Nord. C'est plus ou moins la conclusion de ce que nous avons
entendu encore récemment à Porto Alegre. Cette aspiration
naïve à un retour du développement témoigne
à la fois d'une perte de mémoire et d'une absence
d'analyse sur la signification historique de ce développement.
La nostalgie des "trente glorieuses", cette ère
de la régulation keynéso-fordiste qui fut celle de
l'apothéose du développement nous fait oublier qu'en
mai 1968, c'est précisément cette société
de "bien-être" -là qui était dénoncée
comme société de consommation et société
du spectacle n'engendrant que l'ennui d'une vie sans autre perspective
que "métro-boulot-dodo", fondée sur un travail
à la chaîne répétitif et aliénant.
Si on exalte encore volontiers les cercles vertueux de cette croissance
qui constituait un "jeu gagnant-gagnant-gagnant", on oublie
volontiers les deux perdants : le tiers-monde et la nature. Certes,
l'État gagnait, le patronat gagnait et les travailleurs,
en maintenant la pression, amélioraient leur niveau de vie,
mais la nature était pillée sans vergogne (et nous
n'avons pas fini d'en payer l'addition...), tandis que le tiers-monde
des indépendances s'enfonçait un peu plus dans le
sous-développement et la déculturation. En tout état
de cause, ce capitalisme régulé de l'ère du
développement aura été une phase transitoire
menant à la mondialisation.
Si le développement, en effet, n'a été que
la poursuite de la colonisation par d'autres moyens, la nouvelle
mondialisation, à son tour, n'est que la poursuite du développement
avec d'autres moyens. L'État s'efface derrière le
marché. Les États-nations qui s'étaient déjà
fait plus discrets dans le passage du témoin de la colonisation
au développement quittent le devant de la scène au
profit de la dictature des marchés (qu'ils ont organisée...)
avec leur instrument de gestion, le F.M.I., qui impose les plans
d'ajustement structurels. Toutefois, si les "formes" changent
considérablement (et pas que les formes), on est toujours
en face de slogans et d'idéologies visant à légitimer
l'entreprise hégémonique de l'Occident, et singulièrement
des États-Unis, aujourd'hui. Rappelons la formule cynique
d'Henry Kissinger, "La mondialisation n'est que le nouveau
nom de la politique hégémonique américaine".
Il n'y pas dans cette approche de remise en question de l'imaginaire
économique. On retrouve toujours l'occidentalisation du monde
avec la colonisation des esprits par le progrès, la science
et la technique. L'économicisation et la technicisation du
monde sont poussées à leur point ultime. Or, c'est
cela même qui constitue la source de tous les méfaits
dont on accuse la mondialisation.
C'est le développement réellement existant, celui
qui domine la planète depuis deux siècles, qui engendre
les problèmes sociaux et environnementaux actuels. Le développement
n'est qu'une entreprise visant à transformer les rapports
des hommes entre eux et avec la nature en marchandises. Il s'agit
d'exploiter, de mettre en valeur, de tirer profit des ressources
naturelles et humaines. Quel que soit l'adjectif qu'on lui accole,
le contenu implicite ou explicite du développement c'est
la croissance économique, l'accumulation du capital avec
tous les effets positifs et négatifs que l'on connaît:
compétition sans pitié, croissance sans limite des
inégalités, pillage sans retenue de la nature. Le
fait d'ajouter le qualificatif "durable" ou "soutenable"
ne fait qu'embrouiller un peu plus les choses. En ce moment même
circule un manifeste pour un développement soutenable signé
par de nombreuses célébrités dont Jean-Claude
Camdessus, l'ancien président du Fonds Monétaire International
!
Notre surcroissance économique dépasse déjà
largement la capacité de charge de la terre. Si tous les
citoyens du monde consommaient comme les américains moyens
les limites physiques de la planète seraient largement dépassées.
Si l'on prend comme indice du "poids" environnemental
de notre mode de vie "l'empreinte" écologique de
celui-ci en superficie terrestre nécessaire on obtient des
résultats insoutenables tant du point de vue de l'équité
dans les droits de tirage sur la nature que du point de vue de la
capacité de régénération de la biosphère.
En prenant en compte, les besoins de matériaux et d'énergie,
ceux nécessaires pour absorber déchets et rejets de
la production et de la consommation et en y ajoutant l'impact de
l'habitat et des infrastructures nécessaires, les chercheurs
travaillant pour le World Wide Fund (WWF) ont calculé que
l'espace bioproductif par tête de l'humanité était
de 1, 8 hectare. Un citoyen des États Unis consomme en moyenne
9, 6 hectares, Un canadien 7, 2, un européen moyen 4, 5.
On est donc très loin de l'égalité planétaire
et plus encore d'un mode de civilisation durable qui nécessiterait
de se limiter à 1, 4 hectare, en admettant que la population
actuelle reste stable . On peut discuter ces chiffres, mais ils
sont malheureusement confirmés par un nombre considérable
d'indices (qui ont d'ailleurs servi à les établir).
Ainsi, pour que l'élevage intensif fonctionne en Europe,
il faut qu'une surface pour ce qu'on appelle des "cultures
en coulisses" équivalant à sept fois celle de
ce continent soit employée dans d'autres pays à produire
l'alimentation nécessaire aux animaux ainsi élevés
sur un mode industriel ... Pour survivre ou durer, il est donc urgent
d'organiser la décroissance. Quand on est à Rome et
que l'on doit se rendre par le train à Turin, si on s'est
embarqué par erreur dans la direction de Naples, il ne suffit
pas de ralentir la locomotive, de freiner ou même de stopper,
il faut descendre et prendre un autre train dans la direction opposée.
Pour sauver la planète et assurer un future acceptable à
nos enfants, il ne faut pas seulement modérer les tendances
actuelles, il faut carrément sortir du développement
et de l'économicisme comme il faut sortir de l'agriculture
productiviste qui en est partie intégrante pour en finir
avec les vaches folles et les aberrations transgéniques.
Conclusion : Le développement comme la mondialisation sont
des "machines" a affamer les peuples. Avant les années
70, en Afrique, les populations étaient "pauvres"
au regard des critères occidentaux, en ce sens qu'elles disposaient
de peu de biens manufacturés, mais personne, en temps normal,
ne mourrait de faim. Après 50 années de développement,
c'est chose faite. Mieux, en Argentine, pays traditionnel d'élevage
bovin, avant l'offensive développementiste des années
80, on gaspillait inconsidérément la viande de boeuf,
abandonnant les bas morceaux. Aujourd'hui, les gens pillent les
supermarchés pour survivre et les fonds marins, exploités
sans vergogne par les flottes étrangères entre 85
et 95 pour accroître des exportations sans grand profit pour
la population, ne peuvent plus constituer un recours.
Comme le dit Vandana Shiva : "Sous le masque de la croissance
se dissimule, en fait, la création de la pénurie".
George W. Bush déclarait le 14 février 2002 à
Silver Spring devant l'administration de la météorologie
que "parce qu'elle est la clef du progrès environnemental,
parce qu'elle fournit les ressources permettant d'investir dans
les technologies propres, la croissance est la solution, non le
problème" . Nous affirmons tout au contraire que, bien
loin d'être le remède à la mondialisation, le
développement économique constitue la source du mal.
Il doit être analysé et dénoncé .
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