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Origine : http://www.decroissance.info/La-pauvrete-mauvaise-conscience
Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, le "bon"
docteur James Wolfenson, Président de la Banque Mondiale
déclarait qu’il fallait lancer des programmes de lutte
contre la pauvreté. Son compère, le "brave"
Mickael Moore, secrétaire de l’Organisation Mondiale
du Commerce, renchérissait : Il faut accélérer
la libéralisation du commerce pour en finir avec la misère
du monde. Et cela, en dépit des résultats catastrophiques
de l’Uruguay Round pour les Pays les moins avancés
(PMA). L’instrumentalisation et la culpabilisation des victimes
de l’ordre mondial sont ainsi poussées à leur
comble. Les rapports des institutions financières internationales
sur la pauvreté sont des monuments d’hypocrisie. Tout
le monde sait parfaitement que seule la renonciation à notre
modèle de civilisation, au mode de vie occidental, peut permettre
une amélioration de la situation des Pays du Sud. Le Programme
d’action en faveur des P. M. A de réduire de moitié
le nombre de personnes vivant dans l’extrème pauvreté
d’ici 2015 est une fumisterie 1 La pauvreté est une
pièce importante du dispositif du Nouvel Ordre mondial. L’entreprise
occidentale du développement économique mondialisé
trouve sa vérité dans un processus de "misérabilisation"
planétaire. En décrétant que les pays non occidentaux
étaient sous-développés, les économistes
ont décidés dès le départ qu’ils
étaient misérables En fait, la pauvreté africaine,
la plus voyante aujourd’hui, est surdéterminée
dans l’imaginaire occidental par une longue tradition d’assimilation
symbolique entre les pauvres et les sauvages : nos indigents sont
nos indigènes, et donc les indigènes sont des indigents...
Ce dispositif a permis d’objectifier et d’instrumentaliser
les uns et les autres.
Les non occidentaux, d’une certaine façon, sont tous
pauvres, voire misérables. Appartenir à une société
dévaluée rejaillit sur le statut de tous, y compris
de ceux qui ont les plus grosses fortunes de la planète dans
un coffre fort en Suisse. Cette pauvreté officielle, de façade,
ne laisse pas de cacher des situations pensées et vécues
comme très différentes. Par ailleurs, sur la base
communément admise que la pauvreté renvoie au manque,
à la carence, presque personne n’y échappe.
Qui est pleinement satisfait de son sort ? les repus souffrent de
carences affectives et parfois, aussi, de déficits nutritionnels
qualitatifs. Les affamés, de leur coté, se plaignent
rarement d’une insuffisance de calories en tant que telle,
mais de bien d’autres choses : non reconnaissance de leur
dignité, absence de statut social, etc. Les théologiens
catholiques eux-mêmes, après avoir posé que
les pauvres ont droit au superflu des riches se sont trouvés
bien en peine pour définir concrètement ce qui est
superflu.
La définition de la pauvreté comme un absolu est
l’artifice privilégié de cette tragi-comédie.
La pauvreté est un concept codé issu de la société
occidentale basée sur l’économie et l’individualisme.
La pauvreté n’est pas un état, c’est un
processus. Les pays du Sud sont confrontés à la logique
économique, celle du développement global. C’est
une logique qui est destructrice de leurs moyens de survie et de
leur environnement, qui les met dans une situation d’appauvrissement
ou d’accroissement de la précarité.
Si on veut trouver de la pauvreté et des pauvres en Afrique,
on n’aura aucun problème, en ville et à la campagne.
Mais si on ne veut pas en trouver, non plus... La Banque mondiale
n’en trouve pas en ville, parce que, privilégiant les
évaluations monétaires, elle constate que les ressources
des urbains sont nettement plus élevées que celles
des paysans, que l’accès aux services est plus facile
en ville qu’au village et que la couverture des "besoins
essentiels" y est mieux assurée A l’inverse, ceux
qui ont fait des enquêtes à la campagne, en s’attachant
au vécu réel des ruraux et non à des critères
abstraits et extérieurs, peuvent ne pas rencontrer non plus
la très grande pauvreté, car là, tout le monde
se débrouille pour se nourrir et couvrir ses besoins minimaux.
Les critères "raisonnables" d’un "seuil
de pauvreté" du genre "moins de la moitié
du revenu moyen" ont un sens dans une société
urbaine monétarisée et individualiste, pas dans une
communauté rurale holiste. Les critères de comparaison
monétaires du genre moins de un ou deux dollars par jour
sont proprement surréalistes.
La mode est donc aux indices de développement humain et
autres sophistications statistiques. On recherche toujours des critères,
des évaluations de situations, forcément objectifs,
qui seraient vraiment universels et transculturels. Ce faisant,
on ne quitte pas pour autant l’espace de l’imaginaire
économique occidental. Mais qualifier de besoins les éléments
d’un mode vie "idéal" occidental permet de
l’imposer symboliquement dans l’imaginaire des autres
sociétés. La recherche de et sur la pauvreté
n’échappe ni à l’impérialisme culturel,
ni à l’ethnocentrisme.
Evidente au regard de l’expert extérieur et invisible
ou presque de l’intérieur de la société
concernée, la pauvreté est donc le plus souvent "non
pensée". Les processus objectifs étrangers au
milieu sont ressentis et vécus comme une fatalité.
Certaines populations sont désarmées face à
ce destin artificiellement créé par l’occidentalisation
du monde et en désarroi devant le déficit de sens
ainsi advenu.
Finalement, quel est le nombre de réprouvés, victimes
de l’économie mondiale ? 1, 2 ou 2, 8 milliards, suivant
le compte de la Banque Mondiale de ceux qui vivent avec moins d’un
ou deux dollars par jour ? Probablement pas tous ceux-là,
mais sans doute beaucoup plus au total si on inclut les nouveaux
pauvres de l’Occident et ceux des pays de l’Est, moins
bien lotis avec quelques dollars de plus...
1. Voir aussi : Majid Rahnema, "La pauvreté globale
une invention qui s’en prend aux pauvres", Interculture
n· 2 Printemps l991, Montréal. vol XXIV.
le dimanche 4 septembre 2005
par Serge Latouche
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