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Origine : http://www.jutier.net/contenu/decroig0.htm
C'est devenu la question de ce début de siècle: mais
où est donc passée la croissance ? Plus capricieuse
qu'une diva, c'est elle qui va décider de notre bonheur ou
de notre malheur. Au fait, c'est quoi la croissance ? Retour sur
un concept insensé et sur le meilleur moyen de s'en débarrasser.
D'abord: le Salon de l'Auto bat des records de fréquentation:
les fans du portable changent trois fois par an de téléphone;
même ceux qui ne sont pas accros au progrès envoient
chaque année leur ordinateur à la poubelle. Ensuite:
la voiture au garage faute de carburant; le frigo transformé
en armoire pour économiser l'énergie; une douche par
semaine en raison de la pénurie d'eau; la consommation de
viande bannie pour cause de céréales réservées
aux êtres humains. Respirez: avant de connaître ce monde,
il vous reste un sursis, une grosse trentaine d'années à
en croire les rapports les plus impartiaux (voir encadrés
page 61). Le principal accusé de ce scénario apocalyptique
? La sacro-sainte croissance. Le risque si rien ne bouge ? L'apparition
d'un écofascisme autoritaire, seule solution face à
l'épuisement des ressources.
TOUJOURS PLUS
Alors que MM. Raffarin et Mer brûlent des cierges tous les
matins pour le retour d'une croissance forte - dans un élan
d'espoir qui rappelle les vacanciers à l'affût d'une
météo clémente pour leurs vacances - , certains
réfléchissent à une économie fondée
sur la décroissance. Non pas des babas réfugiés
dans le Larzac se nourrissant de fromage de chèvre et parfumant
leur intérieur au fumet de chaussettes mais des économistes
comme Serge Latouche, professeur à Paris Xl: « Depuis
Adam Smith (I'un des fondateurs du libéralisme à la
fin du XVIIIe siècle, NDLRI on vit dans la croyance que l'homme
est l'homo economicus, un animal qui maximise ses plaisirs et minimise
ses peines, explique-t-il. S'appuyant sur l'aspect individualiste
de la philosophie des Lumières, il a établi le dogme
métaphysique de l'harmonie des intérêts. En
recherchant mon intérêt le plus égoïste,
je contribue ainsi au bonheur de l'humanité » Accompagnez
cela de la conviction qu'avoir plus, c'est être mieux, et
vous avez la justification d'un désir d'accumulation infini,
soit l'origine du dogme de la croissance. Confirmation par des chiffres
piochés au hasard: un ménage français sur deux
est endetté, il y aurait 19 millions de personnes en surpoids
dans notre beau pays, les émissions de dioxyde de carbone
ont augmenté de 2% entre 1991 et 1997..
AZF ET LA CROISSANCE
Si les économistes libéraux voient la croissance
comme la clé de voûte de notre société,
on déniche, au sein même de la Mecque du libéralisme
français, un personnage qui nous révèle l'irrationalité
du système: " Ce que l'on appelle la croissance, c'est
l'augmentation du PIB, un concept purement arbitraire, nous déclare
Pascal Salin, économiste à Paris Dauphine. Pour obtenir
ce PIB, on additionne un grand nombre d'éléments sans
rapport les uns avec les autres. On obtient donc quelque chose de
dénué de sens car une nation en tant que telle n'a
pas de revenus. " Ainsi, ce qui nous est présenté
comme la pierre angulaire de l'économie repose sur l'augmentation
de quelque chose... d'insensé. Pire, les facteurs pris en
compte naissent parfois d'une catastrophe qui crée une activité
alimentant la croissance: " Plus il y a d'accidents de la route,
plus il y a de croissance, explique le Vert Yves Cochet, ancien
ministre de l'Environnement Le PIB mesure de plus en plus le malheur
des gens: I'explosion de l'usine AZF par exemple, est positive pour
la croissance. Ie souhait bien sûr éviter ce genre
de croissance, tout comme je souhaite que décroisse la part
de croissance du PIB qui se fait au détriment des ressources
naturelles non-renouvelables. "
Le bourrage de crâne infligé à longueur d'années&emdash;c'est
par la consommation que l'on va se sauver - n'aborde ni ces éléments
nuisibles, ni certains chiffres révélateurs de la
consommation des habitants de la planète. Sur ce sujet, le
Casseur de pub Vincent Cheynet a une vision encore plus tranchée
que celle du député vert: " Nous sommes 20% à
consommer 80% des ressources de la planète, déclare
l'ex-publicitaire repenti. Le monde fonctionne comme si vous aviez
un gâteau pour dix personnes et que deux des invités
prenaient huit parts. Pourtant, cela ne leur suffit pas et ils se
battent pour prendre une neuvième. Cette minorité
méprise le reste du monde et met en péril les équilibres
écologiques de la planète. Pour cette dosse supérieure,
je ne vois pas d'autre solution que de réduire la consommation
et d'entrer dans la décroissance. » Tout en continuant
à vivre dans une grande ville (Lyon), Cheynet s'applique
le principe à lui-même. Plus de télé,
plus de voiture et, à la place d'un frigo, grand consommateur
d'énergie, une pièce froide. " Il faut bien comprendre
que la Terre est un univers fini et qu'elle ne dispose pas de ressources
illimitées, continue-t-il. Comme les économistes évacuent
le paramètre écologique et nient le rôle central
des ressources naturelles, nous devons aujourd'hui sortir de la
religion de l'économie. »
IL TE RESTE DU CHARBON ?
Nicholas Georgescu-Roegen, lui, ne s'est pas défroqué
mais a pris en compte un élément négligé
par les zélateurs de la croissance: la nature. Attention,
Ça se complique mais accrochez-vous, c'est intéressant:
dans son recueil la Décroissance (éditions Sang de
la terre), cet économiste disparu dans les années
90 explique que le processus économique est réduit
à une mécanique uniquement régulée par
l'offre et la demande. Pour élaborer sa théorie, l'économiste
s'est servi des lois de la thermodynamique découvertes par
l'ingénieur Sadi Carnot en 1824. Cette science établit
tout d'abord que, dans l'univers, rien ne se perd, rien ne se crée
mais que tout se transforme. C'est là qu'intervient l'entropie,
seconde loi de la thermodynamique: l'énergie inutilisable
d'un système dos croît sans cesse du fait même
de la consommation de cette énergie initialement utilisable
par le système. Et la Terre, disposant certes du flux de
l'énergie solaire, n'est pas loin d'être un système
clos. Nous utilisons en effet essentiellement de l'énergie
issue de stocks non-infinis comme le pétrole, le charbon
ou le gaz naturel. L'entropie étant par essence croissante,
notre devoir est de limiter cette croissance en réduisant
notre consommation de ressources naturelles. Comme la machine économique
absorbe en quantité des ressources de valeur et rejette des
déchets inutilisables (par exemple les fumées du pot
d'échappement), Georgescu-Roegen estime que le seul moyen
de freiner l'entropie galopante est de réduire le rythme
de cette machine par la décroissance. Et vite: depuis l'avènement
de la civilisation industrielle, la gestion des stocks énergétiques
de la terre ressemble fort à une attitude kamikaze. Yves
Cochet: " Tous les matériaux fossiles (pétrole,
charbon, gaz etc) vont être épuisés en deux
cents ans alors que leur élaboration a pris des dizaines
de milliers d'années. " Ajoutez à cela une terre
devenue improductive dans de nombreuses régions du globe
en raison d'une utilisation abusive d'intrants chimiques ou de pesticides
et servez chaud: le bilan thermodynamique de notre planète
est très préoccupant.
SOBRIÉTÉ HEUREUSE
Question: pour moi, pigiste de base, la décroissance n'est-elle
pas synonyme de précarisation croissante (moins de business
= moins de pages de pub = moins de budget piges) ? Serge Latouche,
qui n'hésite pas à prendre l'avion pour donner ses
conférences en Italie, tente de me rassurer: " Quand
on appelle à la décroissance, il ne s'agit pas de
la récession qui entraîne le chômage ou la baisse
des budgets fondamentaux comme l'environnement, la culture ou la
santé. Il n'y a rien de pire qu'une société
de croissance en croissance négative. Ce que l'on envisage,
c'est de repenser notre fonctionnement pour pouvoir réduire
notre consommation de biens matériels et notre emprise sur
l'environnement (voir page 62). Il faut pour cela décoloniser
notre imaginaire phagocyté par la société de
consommation et mettre en avant les biens relationnels. " illustration
par Vincent Cheynet : " Je préfère avoir un nouvel
ami qu'une nouvelle voiture ", soit sortie de la logique du
PIB qui ne prend en compte que la valeur marchande. Le politicien
amateur Pierre Rabhi - qui a échoué à se présenter
à la dernière présidentielle faute de signatures
suffisantes -, lui, dépeint ainsi cette nouvelle société:
« Elle serait organisée pour produire et consommer
localement L'industrie serait illimitée à ce qu'elle
est seule capable de faire, libérant ainsi les autres activités.
Le but serait de passer de notre prospérité malheureuse
à une sobriété heureuse. »
LE "PRINCIPE DE PRÉCAUTION"
Devenir sobre, ne plus passer à côté des choses
simples: un monde beau comme une pub Herta, pas facile à
mettre en pratique. L'universitaire François Brune, collaborateur
du Monde diplomatique et de Casseurs de pub, estime que nous sommes
inscrits " dans un ordre socio-économique dont la loi
est d'absorber une production sans cesse croissante et dont la finalité
n'est pas seulement de consommer mais de surconsommer. " Notre
essence sociale serait-elle alors d'être des pions d'un système
exigeant de chacun qu'il remplisse son devoir d'acteur économique
? L'économiste Pascal Salin n'est pas loin de le penser,
refusant d'envisager une réduction volontaire de nos emplettes:
" L'expérience prouve que la plupart des gens cherchent
à améliorer leur pouvoir d'achat. le ne vois pas d'autres
moyens de réduire le train de vie que des contraintes d'ordre
publique. " Et voit dans la prévention de l'environnement
une entrave inadmissible à nos libertés. " Les
Verts cherchent à imposer un totalitarisme et le principe
de précaution en est le symbole. C'est une absurdité
car cette exigence de sécurité a un coût infini.
Je ne dis pas qu'il n'y a pas de risque mais il ne faut pas présenter
ces risques comme des certitudes. De toute façon. toute activité
humaine est risquée et l'individu est le seul apte à
faire des choix. Les politiques le récupèrent par
démagogie mais le principe de précaution, moi, je
le mets à la poubelle. La véritable menace de notre
époque, ¦ sont les Verts qui veulent imposer des contraintes
individuelles au nom de leurs illusions. "
"PAS POUR L'ASCÉTISME"
Mais Pascal Salin ne vit-il pas dans l'illusion quand il mise sur
la responsabilité de l'homoeconomicus ? Aujourd'hui, plus
d'un milliard de personnes n'ont pas accès à l'eau
potable et un quart de la population américaine est obèse.
Le totalitarisme est-il d'ailleurs chez les écologistes ou
dans les fondements d'une société qui nous conditionne
pour consommer sans tenir compte des générations futures
? La solution est peut-être à chercher ailleurs, loin
d'un " toujours plus " aveugle ou d'un écofascisme
despotique. Ainsi, " Une politique de décroissan¦
gouvernementale ne pourrait qu'être autoritaire et difficilement
soutenable, estime Vincent Cheynet. C'est pour ça qu'étant
avant tout démocrate mais aussi libéral au sens philosophique
du terme, je souhaite une décroissance qui passe par la simplicité
volontaire et la responsabilisation de chacun. Mais je ne suis pas
pour autant pour l'ascétisme et c'est à chacun d'essayer
de concilier ses intérêts individuels avec l'intérêt
collectif. C'est pour cela que je me déplace à vélo
ou que je refuse de prendre l'avion. "
Pendant que certains se donnent bonne conscience avec la tarte
à la crème du " développement durable
" (voir page 64), " l'imminent désastre écologique
" prédit par le philosophe Michel Bounan pourrait bien
ressembler à ça: à cause d'un pesticide destiné
à produire toujours plus, des abeilles devenues folles menacent
l'équilibre écologique de certaines régions
françaises (voir page 66). Mais, à force de produire
toujours plus de biens, pourquoi s'étonner que l'on produise
aussi plus de mal ?
JOSEPH VEILLARD
LA FRANCE EN 2002
97% des cours d'eau contiennent des pesticides. 33 millions de véhicules
ont déversé dans l'air 126 millions de tonnes de polluants.
On s'en fout: tout le monde se goinfre (près de 10% d'obèses)
et gobe (SO millions de boites d'antidépresseurs vendues
par an). (Sources: Francoscopie).
LE MONDE EN 2032
Un quart des espèces de mammifères et mille espèces
d'oiseaux ont disparu. 70% des terres émergées sont
détruites ou perturbées par des infrastructures humaines.
Plus de vacances aux Maldives car ces iles ont disparu. (Sources:
Rapport 2002 du programme des Nations-Unies pour I'environnement).
L'ÉTAT DES RESSOURCES
Selon le géologue Colin J. Campbell, le pic de production
des hydrocarbures, qui correspond au moment où la moitié
des stocks sont épuisés, sera atteint en 2010. Après
cette date, I'offre ne pourra plus satisfaire la demande, les prix
s'envoleront et une trentaine d'années suffiront à
épuiser nos ressources.
LES 6 COMMANDEMENTS DE LA DECROISSANCE
Pour changer de logique économique, l'économiste Serge
Latouche appelle à entrer dans " un cercle vertueux
de six ères interdépendantes ". Revue de détail
pour donner au monde l'énergie d'être meilleur, comme
disait un vieux copain d'EDF.
I - TES DÉSIRS TU RÉÉVALUERAS
Ça commence fort: selon Latouche, l'être humain doit
changer ses valeurs et abandonner son statut d'homo-economicus.
Pour préférer le sourire d'un enfant à une
Porsche flambant neuve ? Pas gagné. On peut en revanche renoncer
à notre désir d'accumulation infinie qui nous pousse
à acquérir de manière compulsive des gadgets
aussi inutiles que dérisoires. Ainsi, on arrivera peut-être
à comprendre que les nouveaux amis. ça vaut bien une
nouvelle voiture.
II - TA PRODUCTION TU RESTRUCTURERAS
Aujourd'hui, les combustibles fossiles (pétrole, charbon,
gaz naturel) couvrent plus de 85% des besoins énergétiques
mondiaux. Problème: ils sont appelés à disparaître.
Le nucléaire étant une alternative à hauts
risques (parc en mauvais état, durée de vie des déchets
s'étalant de trente ans à dix-sept millions d'années),
la production industrielle doit être revue à la baisse,
laissant une place de choix à l'artisanat et à l'agriculture
biologique. Les énergies renouvelables (solaire, éolienne)
et les biens relationnels restent en revanche à développer.
III - TES RICHESSES TU REDISTRIBUERAS
L'Américain moyen consomme chaque année 4 tonnes de
pétrole, 2,3 tonnes de gaz naturel, 2,5 tonnes de charbon
et 5 grammes d'uranium rejetant ainsi dans l'atmosphère plus
de cinq tonnes de gaz carbonique. Pas mal pour moins 5% de la population
mondiale qui absorbent ainsi 25% de la production globale d'énergie.
Envisageant une répartition équitable des ressources
compatible avec la survie de la planète, certains spécialistes
affirment que les Etats-Unis devront émettre moins de 10%
du C02 qu'ils évacuent actuellement. Si les Français
se contenteront de 25% de leurs rejets actuels, pour les Népalais,
ça sera la fête: ils pourront consommer vingt fois
plus de ressources fossiles qu'aujourd'hui.
IV - TON IMPACT SUR L ENVIRONNEMENT TU RÉDUIRAS
Les gaz à effet de serre, principales sources de pollution,
proviennent de trois foyers aux émissions équivalentes:
I'industrie, le chauffage et le transport. L'effet de serre étant
directement responsable du dérèglement climatique,
si nous ne voulons pas vivre dans un monde où les tornades
seraient notre lot quotidien. il convient de réduire ces
trois types d'activité. Soit travailler moins et s'amuser
plus. Mais plutôt que de griller du Kérosène
pour aller se bronzer sur les plages du Pacifique, on préférera
s'en remettre aux joies du vélo à l'île de Ré.
V - TES OBJETS TU RÉUTILISERAS
De l'appareil photo jetable au téléphone portable
dont la durée de vie n'excède pas deux ans, nous utilisons
un nombre incalculable d'objets dont la réparation est inenvisageable.
Pour sortir de ce monde aux allures de poubelle, Nicholas Georgescu-Roegen,
cet autre aficionado de la décroissance, estime qu'il faut
avant tout se débarrasser de la mode, " cette maladie
de l'esprit qui nous conduit à jeter une veste ou bien un
meuble alors qu'ils sont en mesure de rendre les services que l'on
est en droit d'en attendre. " On imagine avec délectation
la crise d'hystérie des fashionistas que provoquera l'interdiction
des défilés par le ministère de l'Environnement.
Vl - TES DÉCHETS TU RECYCLERAS
Que faire de ces déchets qui s'accumulent dans nos décharges
? Du business, répondent en ch¦ur les pros du retraitement
qui nous promettent un développement durable dans un monde
propre, si tant est que l'on trouve les moyens pour payer. Attention
cependant à l'effet rebond qui conduit à ne plus se
limiter lorsque les produits deviennent peu chers, bons pour la
santé ou pour l'environnement, ce qui aggrave le bilan écologique.
Car entropie oblige (voir page 60), il n'y a pas de recyclage parfait.
JOSEPH VEILLARD
EST-CE QUE J'AI UNE TETE DE DEVELOPPEMENT DURABLE ?
".Quand on ne peut plus changer les choses, on change les
mots,", disait quelqu'un de sûrement très fin.
Le "développement durable,, en est l'exemple parfait:
fumeux concept écologico-capitaliste et bonne conscience
de ceux qui l'ont vraiment mauvaise.
II y a d'abord eu les " ressources humaines ". C'était
au c¦ur des années 80. Une euphémisante manière
de rebaptiser la " gestion du personnel ". Cette rhétorique
managériale, irriguée par l'esprit de développement
personnel de 1968 et les exigences économiques de la crise
de 1974, avait trouvé son nouveau jouet: puisqu'on ne peut
plus utiliser les méthodes de coercition pour diriger les
employés, faisons-les participer à la gestion de l'entreprise.
Les ressources humaines, c'est un peu l'inverse des ressources naturelles,
Quand il n'y en a pas assez, ça s'appelle le plein emploi.
Quand elles sont trop abondantes, ça s'appelle vite un plan
social. Cela a globalement bien marché: beaucoup de gens
(rebaptisés " collaborateurs ") se sont retrouvés
à la porte (" en recherche d'emploi ") mais heureux
d'avoir contribué à la survie de la boîte (la
" pérennité de l'entreprise ") grâce
au dégraissage (le " recentrage sur le métier
de base "). Mais avec l'épuisement de ce concept et
de son contenu (nous) et malgré les timides apparitions du
" commerce éthique " et de " I'économie
solidaire ", les années 90 se sont un peu retrouvées
orphelines, en panne d'os humanisto-rhétorique à ronger.
ON SE LÈVE TOUS POUR LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Heureusement, le " développement durable " est
apparu. Construit sur le modèle de l'oxymoron&emdash;si
tu n'as pas fait de khâgne à Henri IV, je t'explique:
I'association de deux termes contradictoires (" obscure clarté
") pour signifier quelque chose de pas évident au départ
et produire un effet littéraire. Et, en effet, le "
développement durable ", c'est un peu comme Dodi et
Diana: un mariage sémantique risqué. Or, depuis son
émergence, le concept a été récupéré
partout. Dernier épisode en date, I'ecowarrior Nicolas Hulot,
animateur-producteur d'Ushuaia, conseiller de Jacques Chirac sur
l'environnement, a volé au secours des socialistes en panne
sèche d'idées en participant à un débat
au siège du PS, l'Ecologie solidaire et le développement
durable.
Dans les cabinets ministériels, Ies grandes mairies de France
et les états-majors politiques, tout le monde s'excite sur
ce concept qui permet de concilier théoriquement l'inconciliable:
une croissance, une consommation et un niveau de vie soutenus, et
la préservation de l'environnement pour les générations
futures. Une belle idée a priori dont on ressent parfois
l'urgence lorsque l'on achète au Monoprix six rouleaux de
papier cul recyclé.
"UN CONCEPT DES PLUS NUISIBLES"
Seulement voilà, Ie développement durable, comme
les ressources humaines, appartient à cette tribu encombrée:
les concepts critiques du capitalisme immédiatement récupérés
par lui. On savait déjà la crédibilité
de Nicolas Hulot limitée lorsque ses émissions ont
commencé à être sponsorisées par Rhône
Poulenc. Mais lorsqu'on consulte l'inventaire de citations dressé
par le site décroissance.org, on ne peut s'empêcher
de penser que le développement durable est ce qui est arrivé
de mieux au capitalisme depuis l'invention du chemin de fer en Grande-Bretagne.
Ainsi trouve-t-on dans le compte-rendu des travaux des 4e rencontres
parlementaires sur 1'énergie du 11 octobre 2001, cette merveilleuse
contribution de Michel de Fabiani, président de BP (British
Petroleum) France: " Le DÉVELOPPEMENT DURABLE, c'est
tout d'abord produire plus d'énergie, plus de pétrole,
plus de gaz peut etre plus de charbon et de nacléaire, et
certainement plus d'énergies renouvelables Dans le même
temps, il faut s'assurer que cela ne se fait pas au détriment
de l'environnement ". Idem chez un célèbre constructeur
automobile: " Renault, pour être un acteur majeur du
DÉVELOPPEMENT DURABLE, anticipe, dans le temps et dans l'espace,
l'évolution des modes de vie et des valeurs pour concevoir
ses produits et définir ses comportements. "
Le bêtisier est long et magnifique. Récupéré
par les principaux leaders économiques, cette théorie
écologique entre dans ce nouvel esprit du capitalisme théorisé
par Boltanski et Chiappello: la critique comme carburant. Or, comme
le résume très bien le philosophe et conseil d'entreprise
François de Bernard, auteur de la Pauvreté durable:
" Si quelque chose apparaît durable, ce n'est certes
pas le développement mais la pauvreté. " Nicholas
Georgescu-Roegen, Ie théoricien de la décroissance,
allait même plus loin: " Il n'y a pas le moindre doute
que le développement durable est l'un des concepts les plus
nuisibles. " Evidemment, il n'est pas question de trancher
ici la question, juste d'avoir de mauvais pressentiments. Quand
Nicolas Hulot, I'ULM de l'UMP, parle de développement durable
comme Nicole Notat, ex-leader de la CFDT, monte une " agence
de notation sociale " des entreprises cotées, des picotements
dubitatifs nous parcourent inexplicablement le corps. Bizarre, non
?
EMMANUEL PONCET
François Brune http://larbremigrateur-fb.blogspot.com
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