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Los Amigos de Ludd - Bulletin d’information anti-industriel

Origine : http://endehors.org/news/949.shtml

Los Amigos de Ludd - Bulletin d’information anti-industriel

Lu sur Notes & Morceaux choisis :

"1.L’ensemble des termes et des catégories qui aujourd’hui définissent la vie des sociétés au sein de la civilisation technologique devraient être révisés non pas selon l’usage admis ou l’acception convenue, mais en raison des maux qu’ils veulent cacher, de la même manière que Marx, dans Le Capital, lorsqu’il parlait des tergiversations des économistes sur les dégâts causés par l’industrialisation, dénonçait : Nominibus mollire licet mala ; il est permis de palier les maux en leur donnant un autre nom

.2.L’industrie n’est pas alors un simple système de production parmi d’autres, ne signifie pas une parfaite adaptation de moyens à des fins selon les intérêts réels de la société. L’industrie et sa solide idéologie, l’industrialisme, signifient la domination technifiée des moyens du capital pour les fins du capital, au prix de la soumission des travailleurs et de l’exploitation irraisonnée des ressources naturelles. L’industrie n’est pas simplement un moyen, sinon le moyen objectif du capital par lequel celui-ci parvient à intensifier la production et à la diriger vers sa rentabilité maximale, en même temps qu’il incorpore les travailleurs à l’activité aveugle des machines, et non le contraire.

3. Par conséquent, l’industrie ne naît d’aucune nécessité ébauchée par la société — et la machine ne contribue donc pas à sa libération —, ni n’est jamais née à cette fin. L’âge moderne n’a pas connu, ne serait-ce que partiellement, la construction de machineries ou dispositifs techniques qui auraient eu comme finalité l’émancipation d’une société. Toutes les machines et les instruments forgés à l’âge moderne ont été pensés au sein du processus de nécessités industrielles de la production du capital, et la loi de leur perfectionnement obéit à des raisons semblables ; les techniques antérieures ont été ou bien détruites ou bien intégrées sous une forme méconnaissable aux nouveaux processus de production. C’est seulement en prétendant ignorer le caractère biaisé des fins qu’il sert, de même que le gigantesque réseau de besoins fictifs qu’il a engendré afin de justifier l’exigence de si hauts rendements, que l’on peut croire que le système de production industriel a épargné des efforts pénibles aux êtres humains.

4. L’industrialisation de la production et de la vie sociale à partir du XIXe siècle, et les techniques qui lui sont liées, représentent une rupture qualitative dans l’histoire des techniques (voire de l’industrie). Une rupture en premier lieu bien sûr quant à la relation de l’homme et ses outils avec la nature. Puis, des hommes entre eux. Par conséquent, on comprend mieux la nécessité, pour une critique de la technologie, de contextualiser historiquement. Il ne s’agit pas pour autant de donner un point de naissance de l’industrialisation, avant lequel tracer une ligne de démarcation permettant de dire « tout ce qui précédait était mieux », mais de voir réellement, à la fois à travers la prise en compte de la longue durée et des accélérations vives de l’histoire, comment elle s’est faite, et de pouvoir ainsi la juger pour ce qu’elle est. Si cette exigence est respectée, il sera difficile de nous reprocher une quelconque diabolisation de la technique ou une vision transhistorique (c’est-à-dire ici, anhistorique) de cette dernière. S’il est vrai que toute personne portée à critiquer la société actuelle, en exemplifiant avec justesse les symptômes de son effondrement, soit amenée à se référer à un passé — et effectivement on a besoin de références au passé, ne serait-ce que pour pouvoir juger comment la société en est arrivée à ce qu’elle est — il faudrait pouvoir aussi se risquer à donner des pistes sur ce qu’il est encore possible de faire à partir de la réalité présente, et ainsi donner une cohérence plus forte à nos références au passé, au lieu de se servir uniquement de lui comme repoussoir du présent. D’où la nécessité de développer et d’appuyer les expériences proposées ici et là, de rappeler à la mémoire de tous les “impasses” et les oubliés de l’histoire.

5. Nous entendrons par “autonomie de la technique” :

1) la subordination du social au technique, c’est-à-dire que « la technique n’est plus un simple moyen au service des objectifs et des valeurs de la collectivité, mais devient l’horizon indépassable du système » (Serge Latouche, La Mégamachine) ;
2) ce qui aboutit finalement à ce qu’Ellul appelle le « système technicien », lequel se caractérise par le fait qu’il tend à résoudre les dysfonctionnements technologiques par des innovations technologiques et assure ainsi son accroissement infini (1) ;
3) toutefois, ce développement autonome de la technique dont la force est d’apparaître comme inévitable, comme le milieu fatidique dans lequel nous sommes d’entrée de jeu, ne serait en partie pas possible sans le préjugé fondateur des hommes vis-à-vis du progrès, préjugé favorable à ce dernier, ni sans la simplification de la vie dans laquelle les hommes ont été plongés, croyant y trouver le confort matériel (et sans doute la plupart pensent le trouver) et qui marque en réalité leur renoncement à avoir un quelconque pouvoir sur leur vie.

D’ailleurs, il est manifeste que les hommes modernes si appareillés, ont perdu toute maîtrise d’un savoir-faire particulier, et se trouvent la plupart du temps désemparés devant un problème technique à résoudre, et presque orphelins devant une machine en panne.

1. Ellul dit : « L’autoacroissement recouvre deux phénomènes. D’un côté, la technique est arrivée à un tel point d’évolution qu’elle se transforme et progresse sans intervention décisive de l’homme, par une sorte de force interne, qui la pousse à la croissance, qui l’entraîne par nécessité à un développement incessant. De l’autre côté, tous les hommes de notre temps sont tellement passionnés par la technique, tellement formés par elle, tellement assurés de sa supériorité, tellement enfoncés dans le milieu technique qu’ils sont tous, dans n’importe quel métier, chacun cherchant à mieux utiliser l’instrument qu’il a, ou à perfectionner une méthode, un appareil (…) ainsi la technique progresse par l’effet de tous. » (Le Système technicien, 1977). On peut trouver un exemple de cette fuite en avant technologique doublée d’une superstition quant au progrès et d’un chantage masqué en nécessité censé nous apporter les vertus de ce progrès si adulé, dans les pages Sciences du Courrier International à propos des nanotechnologies : « Parfois, les gens disent que, si une nouvelle technologie est risquée, alors il suffit de ne pas la mettre au point, dit Ralph Merkle. Mais il s’agirait alors d’une grande perte pour la société. Non seulement nous perdrions les bénéfices de cette nouvelle technologie, mais de plus, et c’est très important, nous ne pourrions pas en comprendre toutes les possibilités, poursuit le scientifique. Et puis comment serons-nous capables de nous défendre si quelqu’un d’autre la développe avant nous ? ».

6. Cependant, dans le texte que nous proposons dans ce bulletin, l’auteur se démarque de la position d’Ellul quant à l’autonomie de la technique. Pour Mandosio, le développement technologique est avant tout “un programme politique”, une longue imposition et donc, en fonction des résistances rencontrées, une longue guerre. Il n’est en rien un destin. Mandosio rejoint sur ce point la position de David Noble (Cf. En defensa del luddismo, una visi—n diferente del progreso, et aussi El dise–o de Estados Unidos). Il nous semble important de respecter ce point qui vient nuancer l’affirmation d’une autonomie de la technique sans pour autant la remettre en cause totalement. Cette dernière est avant tout possible du fait du renoncement des hommes à être les maîtres de leurs conditions de vie — renoncement dont on peut et dont on doit retracer l’histoire (destructuration sociale des paysans et artisans, imposition du salariat, consommation de masse, etc.). C’est pourquoi aussi il faut insister sur le poids de l’inertie, la colonisation de l’imaginaire par l’idéologie progressiste, la force du préjugé. On comprendra que, si « un système technique n’est jamais exclusivement technique, mais également économique, social et politique », l’autonomie de la technique est le résultat (et la fin) d’une idéologie matérialisée — elle est une inversion de la réalité en même temps que bien réelle. Mais au contraire de ceux qui pensent qu’elle est le destin de l’homme, et qui, partant, restent subjugués par cette idôle, nous pensons que cette autonomie peut être combattue, même si cela implique en quelque sorte de nous arracher la peau.

7. Si la domination de la technologie est si ancrée, c’est avant tout parce qu’elle a envahi depuis longtemps toutes les sphères de notre vie matérielle qui était autrefois certes très limitée, et frôlait même des conditions misérables, mais pouvait s’enorgueillir d’être le propre maître d’une production autosuffisante, complémentée souvent par des échanges divers sous la forme du troc, qui satisfaisait les nécessités basiques. Au lieu que l’implantation de la technologie dans nos vies, sous la forme de biens de consommation, n’a fait que nous assujettir à de pseudo-nécessités, marchandises sans nom, produites par d’autres, qu’on ne peut acquérir qu’à la condition de produire pour un autre, dans un processus de production dont nous ne maîtrisons ni la continuité ni le contenu, et dont l’espace vital nous semble toujours plus ennuyeux, dégradant, en échange d’un salaire permettant justement d’atteindre la nouvelle misère ainsi fabriquée. En même temps, les pseudo-nécessités du monde moderne apparaisent comme incontournables — et, en quelque sorte, elles le sont. En effet, ce n’est pas seulement culturellement qu’elles ont été rendues nécessaires, mais aussi structurellement, c’est-à-dire, elles modèlent, de façon totalitaire, l’espace et le temps de nos vies, en ayant préalablement pris soin de détruire ou gommer toute alternative possible. Elles sont donc en nous comme un poids mort, une force d’attraction, une inertie. C’est bel et bien la vie matérielle en son entier qui a été transformée.

8. On peut déduire de tout ce qui précède que la société moderne et industrielle n’a jamais connu un usage instrumental de la technique : il s’agit de la première civilisation qui s’est aliénée, de manière totale, en s’identifiant à un système technique. Il nous faut ici revenir sur le sens précis que donne Mandosio à l’aliénation à un système technique. Il donne au terme aliénation une certaine neutralité — en quelque sorte, il le renvoie à son contexte hégélien et au sens d’objectivation, en tant que la conscience s’objective lorsqu’elle s’extériorise. Il nous faut toutefois signaler que toute forme d’aliénation qui suppose une perte d’autonomie a une connotation négative. Lukàcs, dans le prologue de 1967 de Histoire et conscience de classe, faisait déjà une distinction entre aliénation comme objectivation — à laquelle il attribuait un caractère neutre — et l’aliénation comme telle : rapport objectivement social d’étrangeté. Si nous optons pour la notion d’aliénation comme objectivation, alors nous sommes d’accord avec Mandosio lorsqu’il affirme qu’il n’est pas possible — ni n’aurait aucun sens — de se débarrasser entièrement d’un système technique, que la société ne peut pas rompre avec toute forme de technique, par conséquent, nous sommes aussi d’accord lorsqu’il affirme : « l’absence totale d’aliénation, c’est-à-dire l’autonomie pure, est impossible ». Mais, ce sur quoi nous voulons insister, c’est sur le caractère aliénant de la technique — ou d’un système technique — en tant que phénomène socio-historique par lequel un type de société, la nôtre, à partir d’un moment déterminé, XVIIIe-XIXe siècle, délègue ses conditions d’existence aux structures techniques liées aux formes de productivité capitaliste. Il est donc nécessaire d’opposer à la condition aliénante d’un tel système technique, le projet d’autonomie comme voie de l’émancipation sociale et individuelle, qui ne se réduit pas, comme le croyaient et le croient encore certains marxistes, à l’abolition de la propriété privée et à l’appropriation des moyens de production par les travailleurs, mais qui comprend le processus par lequel les êtres humains, dans et hors de la sphère de la production, reprennent en mains l’organisation de leur existence, et décident en commun de la priorité et de la satisfaction de leurs nécessités. Il est évident que le système technique aujourd’hui dominant constitue un milieu opaque qui empêche une telle clarification sociale des nécessités, et que par conséquent son auto-accroissement implique une perte d’autonomie constante pour la société. En perdant la maîtrise d’un système technique déterminé — dans ce cas, l’industrie et la science mises au service de l’innovation technologique — la société ne peut que s’instrumentaliser totalement et se représenter techniquement toutes ses nécessités, elle ne peut utiliser les instruments qu’elle produit qu’en étant utilisée par eux.

9. La considération abstraite qui confère aux machines une neutralité a priori comprend le préjugé selon lequel l’industrie ou les machines pourraient être délivrées de leur usage privé et totalitaire ou réorientées dans un contexte social différent : cette considération ignore que toute la structure technique, depuis ses présupposés jusqu’à ses créations les plus monumentales, est à l’image des intérêts qu’elle représente. L’analyse de la production industrielle et de toutes les technologies mises à sa disposition doit être par conséquent une analyse radicale. Il ne s’agit pas de trouver une voie pour la réorientation d’un système technique déterminé, mais de démanteler le fondement idéologique qui lie la société à toutes les nécessités créées par le système technique qu’aujourd’hui nous subissons (sous sa forme industrielle développée). Ceux qui prétendent, avec de bonnes intentions, reconnaître à la technique une qualité positive, en marge de son usage malheureux aux mains des chefs de la domination, n’ont pas compris que pour parcourir le chemin de la désaliénation technique, il faut d’abord parcourir celui de la société qui devient effectivement autonome des exigences des dominants, puisque la prétendue qualité positive — ou du moins neutralité — d’un milieu technique déterminé est inséparable de son usage dans la société soumise telle que nous la connaissons aujourd’hui, et que par conséquent, on ne pourrait pas penser son utilité ou son efficacité en dehors de telles conditions.

10. Il nous faut bien constater que la force d’inertie ne se trouve plus du côté des structures traditionnelles (paysannerie, corporations d’artisans, voire certains secteurs de la classe ouvrière) qui empêchaient une implantation rapide des innovations techniques, mais du côté de cette idéologie du progrès technique où chaque innovation est accueillie avec enthousiasme. Il s’agit donc de comprendre comment et pourquoi cette force d’inertie a finalement « changé de camp », comment, pour ce qui est des conditions matérielles et mentales des sociétés occidentales, elle joue contre nous, contre tout changement de perspective. Mais parallèlement, il faut aussi y percevoir les effritements, les désertions que les dernières crises ont provoqués. Enfin, voir comment il est possible d’éroder cette inertie actuelle qui a pris le parti du tout technologiqe et de l’industrialisation de la vie. Dans cette perspective, il est intéressant de voir ce que peut nous apporter le contact avec d’autres modèles de production ainsi que de mesurer le poids de « l’inertie occidentale » au niveau mondial, dans des sociétés plus traditionnelles. Enfin, la critique de la toute-puissance du système technique industriel sur nos vies, à la fois sous la forme de nuisances mortifères et de structures aliénantes, ne peut faire l’impasse sur le rôle que va peut-être jouer le monde ouvrier, à travers ses positions défensives et légitimes, comme soutien indirect à l’industrie.

11. Si le processus d’industrialisation a impliqué une première rupture avec les limites imposées par la nature à la domination humaine et à sa capacité d’extension, au moins savions-nous que ces limites existaient et qu’il nous était possible de détecter clairement les effets et les conséquences nocives d’un tel processus, dès lors qu’ils saturaient les seuils de résistance de l’environnement et provoquaient des désordres identifiables. Mais l’avancée de l’industrialisation implique maintenant l’artificialisation totale de l’environnement sur lequel elle a l’intention de marcher sans rencontrer d’obstacles. C’est le cas évident du développement scientifique et industriel des biotechnologies (comme ce le fut du nucléaire). Sur ce point, l’artificialisation se base sur deux facteurs. En premier lieu, celui de l’amélioration des espèces qui réellement ne cherche à modifier la base génétique des espèces que pour les adapter à un environnement que l’industrialisation et le marché ont ravagé (pollution des éléments naturels, surproduction, dégradation de la diversité, changement climatique, destruction des pratiques agricoles intégrées, déstructuration des économies locales, etc.). En second lieu, grâce à cette artificialisation se présentant comme une amélioration et un perfectionnement des espèces, le nouveau monde industriel tente d’aménager un terrain d’expérimentation et d’exploitation où les effets nocifs ne pourront plus être identifiés, puisque, une fois rompues les limites de l’environnement naturel, il ne restera pas un seul point de référence à partir duquel pourrait être établi un équilibre entre les nécessités humaines et les nécessités d’un écosystème déterminé, et qu’au contraire ce seront les formes naturelles qui ne répondront pas aux critères de perfectionnement et d’exploitation qui seront alors suspectées d’être la cause de graves déséquilibres. L’inversion de la relation de l’être humain avec son milieu naturel aura alors atteint — a atteint — un degré de domination absolue.

Los Amigos de Ludd - novembre 2001.
n°1 - décembre 2001
Mis en ligne par libertad, le Jeudi 24 Octobre 2002, 23:55 dans la rubrique "Ecologie".