Origine : http://www.e-dito.com/content/socio/moins_mieux.asp?id=120
Tendance lourde : Moins, c'est mieux, ou la décroissance soutenable
Attention, tendance lourde ! Si lourde, que son arrivée en
gare de Et Demain ? pourrait faire exploser les clivages gauche-droite,
générer une guerre des Anciens et des Modernes chez
les économistes, et faire plonger les directeurs marketing
dans le gouffre de l'effroi et de la perplexité.
Son nom ? La décroissance soutenable . Son projet ? Sauver
le monde (et donc nos modes de vie). Tout simplement.
Le concept est né dans les années 70, sous l'impulsion
de l'économiste roumain Nicholas Georgescu-Roegen. Après
trente ans de maturation, le gâteau sort du four, portée
par flamme altermondialiste et les catastrophes écologiques
à répétition.
Bon, keskécé ?
La décroissance soutenable entend s'opposer économiquement
(et sémantiquement) au développement durable , concept
qui prétend concilier croissance à tout crin et protection
de l'homme et de la nature.
Le développement durable, grande vedette sémantique
des rapports annuels, serait-il un concept faux-cul, un écran
de fumée pour masquer un néo-libéralisme total
se moquant de l'environnement comme de sa première introduction
en bourse ?
Ce qui est sûr, c'est que les arbres de la croissance ne
monte pas au ciel, que la planète se dégrade à
vitesse grand V, que l'écart Nord-Sud ne cesse de s'agrandir,
et beaucoup d'entre nous se demandent avec effroi comment vivront
les générations futures.
Dans ce contexte, les pays surdéveloppés (Etats-Unis
et Europe en tête) n'ont pourtant qu'un seul credo : la croissance
est la solution à tous les problèmes. Et s'il faut
choisir entre développement et environnement, il n'y a pas
photo : "Notre niveau de vie n'est pas négociable"
déclarait Georges Bush Senior, relayé par Bill Clinton
à Kyoto : "Je ne signerai rien qui puisse nuire à
notre économie".
Qu'en est-il ? La planète est-elle vraiment en danger
?
Elle n'est pas en danger. Elle va dans le mur. Serge Latouche,
dans la revue Silence (oct. 2002) rappelle quelque chiffres : "En
prenant en compte, les besoins de matériaux et d'énergie,
ceux nécessaires pour absorber déchets et rejets de
la production et de la consommation et en y ajoutant l'impact de
l'habitat et des infrastructures nécessaires, les chercheurs
travaillant pour le World Wide Fund (WWF) ont calculé que
l'espace bioproductif par tête de l'humanité était
de 1, 8 hectare. Un citoyen des Etats-Unis consomme en moyenne 9,
6 hectare, Un canadien 7, 2, un européen moyen 4, 5. On est
donc très loin de l'égalité planétaire
et plus encore d'un mode de civilisation durable qui nécessiterait
de se limiter à 1, 4 hectare, en admettant que la population
actuelle reste stable".
Alain Gras, professeur de sociologie à Paris I, déclare
dans Libération (Rebonds du 13 novembre) : On se gargarise
d'une croissance de 3% aux Etat-Unis et on ne peut donc qu'être
admiratif devant les 9 % de la Chine, mais, lorsqu'on sait qu'un
chinois, en l'an 2000, dépensait huit fois moins d'énergie
qu'un Américain, on peut imaginer le désastre écologique
à venir".
La machine infernale de la croissance va nous exploser au nez pour
trois raisons principales :
1. La production industrielle s'accompagne nécessairement
de sa pollution spécifique. Plus on produit, plus on pollue.
Et la planète est déjà fort mal en point.
2. La course à la croissance ne fait qu'accentuer le décalage
entre pays pauvres et pays riches. Viendra un moment où ce
décalage sera vécu comme insupportable.
3. Des pays comme la Chine, la Russie ou l'Inde aspirent au niveau
de vie des euro-américains. Si un milliard d'individus supplémentaires
atteignait le quart du niveau de vie moyen américain, les
ressources de la planète seraient insuffisantes. Or, comme
le fait remarquer A. Gras, "comment refuser aux autres ce confort
que nous avons exhibé devant leurs yeux ébahis ?".
4. Les énergies fossiles commencent à décliner.
Nous allons faire un énorme choc pétrolier.
5. Les politiques comme les conseils d'administration raisonnent
à trois ans. Il faudrait pouvoir raisonner à 15 ans
minimum.
Conclusion ?
Pour sauver la planète et assurer un avenir à nos
enfants et aux enfants de nos enfants, il est urgent d'organiser
le reflux et de faire de la décroissance le nouveau modèle
économique. "La décroissance, souligne S. Letouche,
devrait être organisée non seulement pour préserver
l'environnement mais aussi pour restaurer le minimum de justice
sociale sans lequel la planète est condamnée à
l'explosion. Survie sociale et survie biologique paraissent ainsi
étroitement liées. Les limites du "capital"
nature ne posent pas seulement un problème d'équité
intergénérationnelle dans le partage des parts disponibles,
mais un problème d'équité entre les membres
actuellement vivants de l'humanité."
"Aménager la décroissance, ajoute-t-il, signifie,
en d'autres termes renoncer à l'imaginaire économique
c'est-à-dire à la croyance que plus égale mieux
."
Vous l'avez compris, l'avenir est au moins égale mieux.
Voire, parfois, au rien égale mieux. Cette tendance est inéluctable
et les publicitaires vont devoir bientôt l'apprivoiser. Annonceurs
et agences, pariez sur moins, et vous aurez plus.
Gilles Schlesser
|