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La "décroissance soutenable"  une idée qui fait son chemin ... Christian Weber      
(paru dans Bâbord de Loire, No 36, février  2004)

Origine : http://perso.wanadoo.fr/chweber/Decroissance_soutenable.htm

Dans le numéro de juin 2003 de Bâbord nous insistions sur les impasses du développement tel qu'il est pratiqué, reposant sur une croissance continue. En se basant sur un indicateur explicite, l'empreinte écologique, il parait évident qu'un autre monde n'est pas seulement possible, mais qu’il est indispensable : si l'humanité entière se mettait à consommer sur le modèle des États-Unis il faudrait la surface de 4 ou 5 planètes pour soutenir un tel rythme de prédation. On se réjouit de voir une prise de conscience accrue de ces évidences, en particulier dans notre département du Loiret. Il se trouve que durant le dernier trimestre de 2003 une série de manifestations sur ces thèmes, décidées sans concertation particulière entre les différents organisateurs, ont rassemblé un public nombreux.

Il s'agit d'abord le 28 octobre 2003 de la conférence de Serge Latouche, « développement durable ou décroissance soutenable ? », organisée par les Amis du Monde diplomatique et Attac 45 à la fac de droit d'Orléans. Pour Serge Latouche une consommation écologique n'implique pas une réduction du niveau de vie mais une conception différente du niveau de vie : les biens relationnels prennent le pas sur les biens matériels. Pour lui, le développement durable est un oxymore (la juxtaposition de deux notions incompatibles). Il veut sortir d’une mondialisation placée sous le joug de l'économie. « Si l'on veut réfléchir et travailler à un après-développement moins désespérant, bricoler une post-modernité acceptable, et en particulier réintroduire le social et le politique dans le rapport d'échanges économiques, si l'on veut retrouver l'objectif du bien commun et de la bonne vie dans le commerce social, il faut donc en finir une fois pour toutes avec le développementisme, défaire le développement pour refaire le monde ».

Je place dans la même dynamique le débat au cinéma des Carmes à Orléans le 25 novembre 2003 qui a suivi la projection du film « Attention danger travail » avec son réalisateur Pierre Carles, en attendant d'aller voir son prochain film « Volem rien foutre al païs ». Le film est basé sur le témoignage de chômeurs heureux, et très actifs, qui « ne veulent plus perdre leur vie à la gagner » et qui refusent les boulots dégradants, humiliants que l'ANPE leur propose. On pourra écrire bientôt : que l’ANPE leur impose.

Troisième manifestation par ordre chronologique, le 29 novembre à Châteauneuf sur Loire : « Réconcilier l'homme et la nature », conférence débat avec Pierre Rabhi, "paysan, humaniste, écrivain". Là encore il y avait plusieurs centaines de personnes pour écouter et dialoguer avec cet homme exceptionnel né dans une oasis algérienne, porté par l'islam et le christianisme, devenu paysan en Ardèche après avoir été ouvrier. Philosophe, il est convaincu que l'avenir du monde passe par la frugalité et la solidarité et il recommande lui aussi d'aller vers la décroissance. « Commençons par mettre l'homme et la nature au centre de tout et définissons, à partir de là,  nos besoins essentiels pour une économie adaptée».

Dernier événement de l'année 2003 sur la même thématique : la réunion débat sur l'autosuffisance alimentaire organisée à Orléans la Source le 15 décembre par le CCFD, le relais local d'Agir ici et l'association Pour une économie solidaire. Le débat a montré que si la majorité des participants était prêts à revendiquer la souveraineté alimentaire pour les pays en développement, il n'était pas facile de mettre dans les esprits une remise en cause du libre-échange, ce qui paraît pourtant être la condition indispensable pour  rendre possible l’autosuffisance alimentaire. Par contre les participants étaient convaincus que le changement de mentalité commençait ici, autour de nous, par la pratique d'une économie saine et solidaire. Les systèmes d'échanges locaux (SEL) ont été cités en exemple, mais ils restent à créer et dans le Loiret.

Le refus de la croissance comme seul remède à la réduction des inégalités repose sur une perception de bon sens -- même Francis Mer reconnaît que la croissance n’est pas la panacée universelle maintenant que la France est proche d'une croissance zéro. Dans les faits cependant les choses ne sont pas si simples.

-1. Clairement la gauche, et beaucoup d'altermondialistes, ne sont pas prêts à reconnaître l'évidence. Il est vraiment difficile de dissocier la croissance du développement durable, et celui-ci fonctionne comme une drogue dure.

-2. « Sortir du développement », dénoncer le productivisme ne veut pas dire figer les disparités actuelles entre pays riches et pays pauvres. Bien au contraire il faut dénoncer la responsabilité du capitalisme en matière d'exploitation des hommes et de la nature et favoriser toutes les mesures qui permettent d'accroître le développement humain en termes d'éducation et de santé principalement, ainsi que de bien-être social. Comme le dit un éditorialiste de la revue Silence, « décroissance économique [est] croissance humaniste ».

-3. Il faut considérer des penseurs  tels Ivan Illich, Serge Latouche ou Pierre Rabhi comme des prophètes qui ouvrent une voie qu'il nous appartient de faire nôtre. Le terme de vie frugale paraît éclairant : « vivre simplement pour que d'autres, simplement, puissent vivre » disait Gandhi. De ce point de vue le  choix de vie présenté par un « écolibriste », Alain Degrigny, est éclairant.


Références.

Collectif, 2003. -- La peur de la décroissance, Silence, nº 302.

Latouche Serge, 1991. -- La planète des naufragés, essai sur l'après développement. La découverte, Paris.

Latouche Serge, 2001. -- Le développement est-il la solution... ou le problème ? Introduction au Nº spécial de l'Ecologiste "défaire le développement, refaire le monde", nº 6.

Latouche Serge, 2003. -- Décoloniser l’imaginaire, Ed. Parangon, Paris.

Latouche Serge et Passet René, 2003. -- Débat : décroissance ou développement durable ? Politis, 11 déc.

Poulenard Sylviane, 2003. -- Décroissance : chantiers ouverts. Silence, nº 297, juin.

Rabhi Pierre, interview, 2003. -- La décroissance, Silence, nº 280, réédition, octobre.

Rabhi Pierre, le grand entretien, 2002 -- Il faut aller vers la décroissance, Terre sauvage, juillet

Weber Christian, 2003. -- Un autre monde est indispensable. Le développement durable à la dérive. Bâbord de Loire, nº 34, juin.