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Origine : http://perso.wanadoo.fr/chweber/Decroissance_soutenable.htm
Dans le numéro de juin 2003 de Bâbord nous insistions sur les
impasses du développement tel qu'il est pratiqué, reposant sur une
croissance continue. En se basant sur un indicateur explicite, l'empreinte
écologique, il parait évident qu'un autre monde n'est pas seulement
possible, mais qu’il est indispensable : si l'humanité entière se
mettait à consommer sur le modèle des États-Unis il faudrait la
surface de 4 ou 5 planètes pour soutenir un tel rythme de prédation.
On se réjouit de voir une prise de conscience accrue de ces évidences,
en particulier dans notre département du Loiret. Il se trouve que
durant le dernier trimestre de 2003 une série de manifestations
sur ces thèmes, décidées sans concertation particulière entre les
différents organisateurs, ont rassemblé un public nombreux.
Il s'agit d'abord le 28 octobre 2003 de la conférence de Serge
Latouche, « développement durable ou décroissance soutenable
? », organisée par les Amis du Monde diplomatique et
Attac 45 à la fac de droit d'Orléans. Pour Serge Latouche une consommation
écologique n'implique pas une réduction du niveau de vie mais une
conception différente du niveau de vie : les biens relationnels
prennent le pas sur les biens matériels. Pour lui, le développement
durable est un oxymore (la juxtaposition de deux notions incompatibles).
Il veut sortir d’une mondialisation placée sous le joug de l'économie.
« Si l'on veut réfléchir et travailler à un après-développement
moins désespérant, bricoler une post-modernité acceptable, et en
particulier réintroduire le social et le politique dans le rapport
d'échanges économiques, si l'on veut retrouver l'objectif du bien
commun et de la bonne vie dans le commerce social, il faut donc
en finir une fois pour toutes avec le développementisme, défaire
le développement pour refaire le monde ».
Je place dans la même dynamique le débat au cinéma des Carmes
à Orléans le 25 novembre 2003 qui a suivi la projection du film
« Attention danger travail » avec son réalisateur
Pierre Carles, en attendant d'aller voir son prochain film « Volem
rien foutre al païs ». Le film est basé sur le témoignage de chômeurs
heureux, et très actifs, qui « ne veulent plus perdre leur vie à
la gagner » et qui refusent les boulots dégradants, humiliants que
l'ANPE leur propose. On pourra écrire bientôt : que l’ANPE
leur impose.
Troisième manifestation par ordre chronologique, le 29 novembre
à Châteauneuf sur Loire : « Réconcilier l'homme et la
nature », conférence débat avec Pierre Rabhi, "paysan, humaniste,
écrivain". Là encore il y avait plusieurs centaines de personnes
pour écouter et dialoguer avec cet homme exceptionnel né dans une
oasis algérienne, porté par l'islam et le christianisme, devenu
paysan en Ardèche après avoir été ouvrier. Philosophe, il est convaincu
que l'avenir du monde passe par la frugalité et la solidarité et
il recommande lui aussi d'aller vers la décroissance. « Commençons
par mettre l'homme et la nature au centre de tout et définissons,
à partir de là, nos besoins essentiels pour une économie adaptée».
Dernier événement de l'année 2003 sur la même thématique : la
réunion débat sur l'autosuffisance alimentaire
organisée à Orléans la Source le 15 décembre par le CCFD, le
relais local d'Agir ici et l'association Pour une économie solidaire.
Le débat a montré que si la majorité des participants était prêts
à revendiquer la souveraineté alimentaire pour les pays en développement,
il n'était pas facile de mettre dans les esprits une remise en cause
du libre-échange, ce qui paraît pourtant être la condition indispensable
pour rendre possible l’autosuffisance alimentaire. Par contre
les participants étaient convaincus que le changement de mentalité
commençait ici, autour de nous, par la pratique d'une économie saine
et solidaire. Les systèmes d'échanges locaux (SEL) ont été cités
en exemple, mais ils restent à créer et dans le Loiret.
Le refus de la croissance comme seul remède à la réduction des
inégalités repose sur une perception de bon sens -- même Francis
Mer reconnaît que la croissance n’est pas la panacée universelle
maintenant que la France est proche d'une croissance zéro. Dans
les faits cependant les choses ne sont pas si simples.
-1. Clairement la gauche, et beaucoup d'altermondialistes,
ne sont pas prêts à reconnaître l'évidence. Il est vraiment difficile
de dissocier la croissance du développement durable, et celui-ci
fonctionne comme une drogue dure.
-2. « Sortir du développement », dénoncer le productivisme
ne veut pas dire figer les disparités actuelles entre pays riches
et pays pauvres. Bien au contraire il faut dénoncer la responsabilité
du capitalisme en matière d'exploitation des hommes et de la nature
et favoriser toutes les mesures qui permettent d'accroître le développement
humain en termes d'éducation et de santé principalement, ainsi que
de bien-être social. Comme le dit un éditorialiste de la revue Silence,
« décroissance économique [est] croissance humaniste ».
-3. Il faut considérer des penseurs tels Ivan Illich,
Serge Latouche ou Pierre Rabhi comme des prophètes qui ouvrent une
voie qu'il nous appartient de faire nôtre. Le terme de vie frugale
paraît éclairant : « vivre simplement pour que d'autres, simplement,
puissent vivre » disait Gandhi. De ce point de vue le choix
de vie présenté par un « écolibriste », Alain Degrigny, est éclairant.
Références.
Collectif, 2003. -- La peur de la décroissance, Silence,
nº 302.
Latouche Serge, 1991. -- La planète des naufragés, essai sur l'après
développement. La découverte, Paris.
Latouche Serge, 2001. -- Le développement est-il la solution...
ou le problème ? Introduction au Nº spécial de l'Ecologiste
"défaire le développement, refaire le monde", nº 6.
Latouche Serge, 2003. -- Décoloniser l’imaginaire, Ed. Parangon,
Paris.
Latouche Serge et Passet René, 2003. -- Débat : décroissance ou
développement durable ? Politis, 11 déc.
Poulenard Sylviane, 2003. -- Décroissance : chantiers ouverts.
Silence, nº 297, juin.
Rabhi Pierre, interview, 2003. -- La décroissance, Silence,
nº 280, réédition, octobre.
Rabhi Pierre, le grand entretien, 2002 -- Il faut aller vers la
décroissance, Terre sauvage, juillet
Weber Christian, 2003. -- Un autre monde est indispensable. Le
développement durable à la dérive. Bâbord de Loire, nº 34,
juin.
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