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Origine : http://www.lesperipheriques.org/article.php3?id_article=130
LES PÉRIPHÉRIQUES VOUS PARLENT
Numéro 16
Catastrophes, genèse d'une décolonisation de l'imaginaire ?
Par Serge LATOUCHE, Christopher YGGDRE La notion de
"développement" hiérarchise les cultures en référence à des valeurs
économiques dont la centralité continue de régler le rapport des pays
occidentaux au reste du monde. Or, affirme Serge Latouche, une grande
partie du monde considère que l'économie est l'auxiliaire ou la subordonnée
d'autres valeurs. S'il s'agit de lutter, en Occident, contre le règne
sans partage de la norme marchande, encore faut-il que ce combat contre
la globalisation affirme et prenne conscience de ses propres déterminations
culturelles. Extrait
(...) LE DEVELOPPEMENT DURABLE : UNE NOTION CONTRADICTOIRE
Les périphériques vous parlent : Pour des auteurs
comme Jeremy Rifkin, la culture apparaît comme une voie royale de
salut pour nous sauver du centrement obsessionnel sur l'économique.
Vous retournez le raisonnement en disant que les pratiques de marché
sont des pratiques culturelles. Dans notre participation aux différents
mouvements sociaux contre la globalisation économique, nous avons
le sentiment que la pensée économiste gagne certains de ceux qui
la combattent à travers notamment la prolifération des réponses
économiques aux problèmes économiques. Pourtant la dimension culturelle
de la transformation de nos modes de vie est un élément incontournable
pour sortir du processus actuel de destruction de la vie. Quelle
analyse faites-vous de ce piège, comment en sortir ?
Serge Latouche [1] :
Quand vous faites référence à Jeremy Rifkin, je suis frappé par
le fait que le terme de culture n'a pas le même sens dans la pensée
anglo-saxonne qu'en France. Bien sûr, le mot culture est un terme
polymorphe qui a tant de sens qu'il finit par ne plus en avoir.
J'utilise toujours le mot culture dans son sens fort. L'humanité
vit dans la culture, c'est ce qui lui permet de trouver des réponses
aux problèmes de l'être, donc du sens. L'homme est un animal culturel
avant d'être un animal politique. La tradition anglo-saxonne a édifié
une conception culturelle de la culture, au sens où, parlant d'un
ministère de la Culture, on signifie que l'économie est une infrastructure
au contraire de la culture qui est une superstructure. Ceci est
paradoxal, dans la mesure où l'étude des peuples dits primitifs,
telle que l'a entreprise d'ailleurs l'anthropologie anglo-saxonne
de façon magistrale, montre que la culture représente pour ces peuples
l'espace de réponse à l'ensemble des questions concernant la vie
et la survie. C'est dans ce sens-là que j'affirme que la technique
et l'économie constituent notre culture à nous Occidentaux, le reste
étant réduit à du folklore. Le technique et l'économie sont pour
un Occidental les seules vraies réponses aux questions de l'existence
et de l'être.
Au sein du mouvement actuel de l'antimondialisation, se profile
tout de même depuis longtemps un mouvement transnational minoritaire
non négligeable qui constitue aujourd'hui l'un des pôles forts de
la contestation de la globalisation économique. La critique radicale,
c'est-à-dire celle qui plonge jusqu'à la racine des problèmes, est
toujours, dans l'histoire, minoritaire, mais elle féconde et transforme
néanmoins le monde et finit par grignoter du terrain. Hegel disait
que "nul ne peut sauter par-dessus son temps". Nous sommes tous
pris, nous y compris, dans l'imaginaire économique dominant. Il
est extrêmement difficile d'en sortir, même si on peut prendre conscience
d'un certain nombre de dangers qui lui sont inhérents. L'imaginaire
qui est le sien se traduit par des comportements concrets qui devraient
être remis en cause, mais qui ne le sont que rarement. Chercher
un moyen terme entre le beurre et l'argent du beurre est un réflexe
très humain. Cette attitude n'est pas propre au citoyen lambda.
Les industriels ont conscience de certains dangers et voudraient
bien concilier à la fois la protection de l'environnement et la
prospérité de leurs affaires. C'est pourquoi la notion de développement
durable est apparue pour associer deux réalités profondément contradictoires.
On désire une automobile propre parce qu'on ne veut pas y renoncer,
alors que la profusion d'automobiles est une des sources de nos
malheurs. Nous sommes pris au piège des contradictions du système
dans lequel nous vivons et toute remise en cause concrète se fait
dans la douleur. (...)
[1] Economiste,
membre du Mauss (Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales),
son dernier livre paru est "La déraison de la raison économique",
aux éditions Albin Michel
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