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IMMIGRATION -
Injures racistes, passages à tabac, intimidations, harcèlements...
tel est le lot quotidien de milliers d'étrangers retenus
captifs dans la zone d'attente de l'aéroport de Roissy.
«A Ricardo Barrientos et à Mariam Getu Hagos, décédés
à l'aéroport Roissy Charles-de-Gaulle lors de renvois
forcés.» Elle est sobre, pleine de révolte,
cette dédicace d'Anne de Loisy en ouverture de son livre
Bienvenue en France! (1). La journaliste a réussi à
se faire engager en octobre 2003 comme médiatrice de la Croix-Rouge
dans «zapi 3», zone d'attente de Roissy. Semaine après
semaine, elle a pu observer le comportement des forces de l'ordre.
Injures racistes, passages à tabac, intimidations et harcèlements
sont le lot quotidien des réfugiés arrivés
à la «première frontière de France»:
celle de l'aéroport où, chaque année, des milliers
d'hommes, de femmes et d'enfants se retrouvent entassés comme
des prisonniers, dans des conditions d'hygiène et d'assistance
déplorables.
ZONE DE NON-DROIT
Pas besoin d'aller très loin pour constater les violations
les plus flagrantes des droits fondamentaux. A seulement 30 kilomètres
de Paris, la «zapi 3» représente la plus importante
des 122 zones d'attente de l'Hexagone. Elle est installée
en retrait de l'aéroport. Loin de tout service public, loin
des regards curieux. Aujourd'hui encore, même en tant que
journaliste, il reste extrêmement difficile d'obtenir une
autorisation pour pénétrer en ces lieux, souligne
Anne de Loisy. A moins d'accepter des conditions contraignantes:
encadrement obligatoire par des policiers, interdiction d'adresser
la parole aux étrangers. Leurs témoignages directs
pourraient en effet nuire à l'image de «terre d'asile»
soigneusement entretenue par la France. «Traumatismes crâniens,
écrasements des testicules, hématomes de plus de 10
centimètres de long... toutes ces violences sur des réfugiés,
arrivés pleins d'espoir, sont avérées par des
certificats médicaux. Les policiers profitent d'une vraie
impunité», s'indigne la reporter.
En 2003, l'ancien ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy
avait pourtant promis la transparence, pour couper court aux nombreuses
accusations de mauvais traitements. «Malgré les grandes
déclarations de Sarkozy, les violences continuent. Il y a
encore une dizaine de jours, quatre Congolais et un Camerounais
ont été tabassés». Leurs blessures étaient
assez graves pour qu'un médecin leur délivre jusqu'à
15 jours d'interruption temporaire de travail. «Ces zones
d'attente sont des zones de non-droit. On a la sensation que les
réfugiés y sont considérés comme des
sous-hommes, comme du bétail», remarque Anne de Loisy.
SILENCE DE LA CROIX-ROUGE
Il manquait un travail d'enquête qui donne enfin la parole
aux réfugiés, cherchant à comprendre l'univers
kafkaïen qui les opprime. Après six mois passés
à saisir les règlements implicites de la «zapi
3», le constat d'Anne de Loisy est accablant: la plupart du
temps, les plaintes des étrangers maltraités ne sont
tout simplement pas relayées. Ni par de courageux policiers,
ni même par le personnel d'assistance de la Croix-Rouge française
– qui préfère garder le silence pour continuer
sa mission et éviter les confrontations directes. Lorsque
les marques de brutalités sont trop évidentes, les
victimes sont réexpédiées par avion. Si un
assistant social s'intéresse de trop près à
un cas de tabassage, la police répond que le réfugié
«s'est blessé tout seul». En se débattant,
par exemple...
A en croire les policiers, les cas d'automutilation, plutôt
rares, seraient devenus monnaie courante. «Pour eux, les réfugiés
sont forcément de mauvaise foi. La violence se retourne contre
les victimes, accusées d'être des fauteurs de troubles.
J'aimerais qu'on m'explique comment un requérant d'asile
peut avoir des traces de strangulation alors qu'il a les mains menottées
derrière le dos», s'interroge la journaliste.
POLITIQUE DÉLIBÉRÉE
Sentiment d'impuissance face aux abus systématiques. Souvenir
de visages creusés par l'angoisse. De vies brisées
par l'injustice... Anne de Loisy en parle, à coeur ouvert.
Il y a le cas de cette réfugiée tchétchène,
à qui les policiers demandaient de prouver l'identité
des personnes ayant enlevé et tué son mari, avant
d'accepter la considération de sa demande d'asile. Que répondre
? Elle a été réexpédiée à...
Moscou. Et cette jeune Africaine, plutôt jolie, soupçonnée
d'être parvenue en France grâce à un réseau
de prostitution. On découvrira par la suite qu'elle était
bien la fille d'un ambassadeur, comme elle ne cessait de le répéter
depuis le début...
Qu'importent les bavures. Protégés par leur hiérarchie,
les policiers s'entendent pour dégoutter à jamais
les Asiatiques, Africains ou Sud-américains – qui constituent
à parts égales la majorité des demandeurs d'asile
– de leur bref séjour européen. «Les policiers
sont eux-mêmes soumis à de fortes pressions. Ils doivent
doubler le nombre de renvois vers l'étranger pour respecter
les objectifs de Sarkozy de 2003. Cet objectif est maintenant repris
par Dominique de Villepin (le nouveau ministre de l'Intérieur,
ndlr): il s'est promis de renvoyer 20 000 personnes en 2005, alors
qu'on ne sait même pas combien de réfugiés arriveront
en France cette année», rappelle Anne de Loisy.
Cette réalité des quotas explique en partie la complicité
des ambassades et consulats à Paris, pourtant censés
représenter leurs compatriotes à l'étranger.
A cet égard, les arrangements tacites entre Etats du Nord
et du Sud sont révélateurs. «La France renvoie
chaque année environ 300 Sénégalais, effectivement
originaires du Sénégal ou supposés tels, contre
une aide financière en direction de Dakar», explique
Anne de Loisy. Alors, à qui se fier? Seules de rares organisations
civiles, comme l'Association nationale d'assistance aux frontières
pour les étrangers (Anafé, regroupant une vingtaine
d'associations (2)), continuent leur travail d'information, en dénonçant
l'insupportable.
Notes
1 Anne de Loisy, Bienvenue en France! Six mois d'enquête clandestine
dans la zone d'attente de Roissy, éditions du Cherche Midi,
Paris, 2005, 237 pp.
Note : 2 Site Internet: http://www.anafe.org
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