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Six mois d'enquête clandestine à Roissy
GILLES LABARTHE
Journal Le Courrier en Suisse Paru le Jeudi 24 Mars 2005

Origine : http://www.lecourrier.ch/modules.php?op=modload&name=NewsPaper&file=article&sid=39351&mode=thread&order=0&thold=0

IMMIGRATION -

Injures racistes, passages à tabac, intimidations, harcèlements... tel est le lot quotidien de milliers d'étrangers retenus captifs dans la zone d'attente de l'aéroport de Roissy.

«A Ricardo Barrientos et à Mariam Getu Hagos, décédés à l'aéroport Roissy Charles-de-Gaulle lors de renvois forcés.» Elle est sobre, pleine de révolte, cette dédicace d'Anne de Loisy en ouverture de son livre Bienvenue en France! (1). La journaliste a réussi à se faire engager en octobre 2003 comme médiatrice de la Croix-Rouge dans «zapi 3», zone d'attente de Roissy. Semaine après semaine, elle a pu observer le comportement des forces de l'ordre. Injures racistes, passages à tabac, intimidations et harcèlements sont le lot quotidien des réfugiés arrivés à la «première frontière de France»: celle de l'aéroport où, chaque année, des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants se retrouvent entassés comme des prisonniers, dans des conditions d'hygiène et d'assistance déplorables.

ZONE DE NON-DROIT

Pas besoin d'aller très loin pour constater les violations les plus flagrantes des droits fondamentaux. A seulement 30 kilomètres de Paris, la «zapi 3» représente la plus importante des 122 zones d'attente de l'Hexagone. Elle est installée en retrait de l'aéroport. Loin de tout service public, loin des regards curieux. Aujourd'hui encore, même en tant que journaliste, il reste extrêmement difficile d'obtenir une autorisation pour pénétrer en ces lieux, souligne Anne de Loisy. A moins d'accepter des conditions contraignantes: encadrement obligatoire par des policiers, interdiction d'adresser la parole aux étrangers. Leurs témoignages directs pourraient en effet nuire à l'image de «terre d'asile» soigneusement entretenue par la France. «Traumatismes crâniens, écrasements des testicules, hématomes de plus de 10 centimètres de long... toutes ces violences sur des réfugiés, arrivés pleins d'espoir, sont avérées par des certificats médicaux. Les policiers profitent d'une vraie impunité», s'indigne la reporter.
En 2003, l'ancien ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy avait pourtant promis la transparence, pour couper court aux nombreuses accusations de mauvais traitements. «Malgré les grandes déclarations de Sarkozy, les violences continuent. Il y a encore une dizaine de jours, quatre Congolais et un Camerounais ont été tabassés». Leurs blessures étaient assez graves pour qu'un médecin leur délivre jusqu'à 15 jours d'interruption temporaire de travail. «Ces zones d'attente sont des zones de non-droit. On a la sensation que les réfugiés y sont considérés comme des sous-hommes, comme du bétail», remarque Anne de Loisy.

SILENCE DE LA CROIX-ROUGE

Il manquait un travail d'enquête qui donne enfin la parole aux réfugiés, cherchant à comprendre l'univers kafkaïen qui les opprime. Après six mois passés à saisir les règlements implicites de la «zapi 3», le constat d'Anne de Loisy est accablant: la plupart du temps, les plaintes des étrangers maltraités ne sont tout simplement pas relayées. Ni par de courageux policiers, ni même par le personnel d'assistance de la Croix-Rouge française – qui préfère garder le silence pour continuer sa mission et éviter les confrontations directes. Lorsque les marques de brutalités sont trop évidentes, les victimes sont réexpédiées par avion. Si un assistant social s'intéresse de trop près à un cas de tabassage, la police répond que le réfugié «s'est blessé tout seul». En se débattant, par exemple...
A en croire les policiers, les cas d'automutilation, plutôt rares, seraient devenus monnaie courante. «Pour eux, les réfugiés sont forcément de mauvaise foi. La violence se retourne contre les victimes, accusées d'être des fauteurs de troubles. J'aimerais qu'on m'explique comment un requérant d'asile peut avoir des traces de strangulation alors qu'il a les mains menottées derrière le dos», s'interroge la journaliste.

POLITIQUE DÉLIBÉRÉE

Sentiment d'impuissance face aux abus systématiques. Souvenir de visages creusés par l'angoisse. De vies brisées par l'injustice... Anne de Loisy en parle, à coeur ouvert. Il y a le cas de cette réfugiée tchétchène, à qui les policiers demandaient de prouver l'identité des personnes ayant enlevé et tué son mari, avant d'accepter la considération de sa demande d'asile. Que répondre ? Elle a été réexpédiée à... Moscou. Et cette jeune Africaine, plutôt jolie, soupçonnée d'être parvenue en France grâce à un réseau de prostitution. On découvrira par la suite qu'elle était bien la fille d'un ambassadeur, comme elle ne cessait de le répéter depuis le début...
Qu'importent les bavures. Protégés par leur hiérarchie, les policiers s'entendent pour dégoutter à jamais les Asiatiques, Africains ou Sud-américains – qui constituent à parts égales la majorité des demandeurs d'asile – de leur bref séjour européen. «Les policiers sont eux-mêmes soumis à de fortes pressions. Ils doivent doubler le nombre de renvois vers l'étranger pour respecter les objectifs de Sarkozy de 2003. Cet objectif est maintenant repris par Dominique de Villepin (le nouveau ministre de l'Intérieur, ndlr): il s'est promis de renvoyer 20 000 personnes en 2005, alors qu'on ne sait même pas combien de réfugiés arriveront en France cette année», rappelle Anne de Loisy.
Cette réalité des quotas explique en partie la complicité des ambassades et consulats à Paris, pourtant censés représenter leurs compatriotes à l'étranger. A cet égard, les arrangements tacites entre Etats du Nord et du Sud sont révélateurs. «La France renvoie chaque année environ 300 Sénégalais, effectivement originaires du Sénégal ou supposés tels, contre une aide financière en direction de Dakar», explique Anne de Loisy. Alors, à qui se fier? Seules de rares organisations civiles, comme l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé, regroupant une vingtaine d'associations (2)), continuent leur travail d'information, en dénonçant l'insupportable.


Notes
1 Anne de Loisy, Bienvenue en France! Six mois d'enquête clandestine dans la zone d'attente de Roissy, éditions du Cherche Midi, Paris, 2005, 237 pp.

Note : 2 Site Internet: http://www.anafe.org