"Il y a un moment où il faut sortir les couteaux. C'est
juste un fait. Purement technique. Il est hors de question que l'oppresseur
aille comprendre de lui-même qu'il opprime, puisque ça
ne le fait pas souffrir : mettez vous à sa place.
Ce n'est pas son chemin. Le lui expliquer est sans utilité. L'oppresseur
n'entend pas ce que dit son opprimé comme langage mais comme
un bruit. C'est la définition de l'oppression [....]
L'oppresseur qui fait le louable effort d'écouter (libéral
intellectuel) n'entend pas mieux. Car même lorsque les mots
sont communs, les connotations sont radicalement différentes.
C'est ainsi que de nombreux mots ont pour l'oppresseur une connotation-jouissance,
et pour l'opprimé une connotation-souffrance.
Ou : divertissement-corvée. Ou loisir-travail. Etc.
Aller donc communiquer sur ces bases."
C'est ainsi que la générale réaction de l'oppresseur
qui a "écouté" son opprimé est, en gros
: mais de quoi diable se plaint-il ? Tout ça c'est épatant.
Au niveau de l'explication, c'est tout à fait sans espoir. Quand
l'opprimé se rend compte de ça, il sort les couteaux.
Là on comprend qu'il y a quelque chose qui ne va pas. Pas avant.
Le couteau est la seule façon de se définir comme opprimé.
La seule communication audible.[...]"
Christiane Rochefort
" Définition de l'opprimé" dans la présentation
de la traduction française de SCUM MANIFESTO de Valérie
SOLANAS. (Paris, La nouvelle société, 1971)